17 juin, 2021

Barkhane : la fin, vraiment ?

 

 

Le Président de la République, chef des armées, a donc annoncé la fin de Barkhane, opération militaire en vigueur depuis 2014. 7 ans après c’est donc la fin de celle-ci, même si chacun comprend qu’il ne s’agit nullement d’un terme, mais du passage à autre chose. Officiellement, la France veut passer la main aux armées africaines afin qu’elles luttent elles-mêmes contre « le terrorisme » et « l’islamisme ». Deux notions bien floues, qui attrapent toutes les réalités. Barkhane coûte cher, en matériel et en hommes, ses buts de guerre ne sont pas clairement définis et son utilité stratégique n’est guère certaine. 7 ans après son déclenchement, la France peut mettre à son actif l’élimination de quelques chefs dangereux et vindicatifs, ce qui a contribué à relativement stabiliser une zone instable. Barkhane permet à l’armée française de s’entrainer en terrain réel et à balles réelles, et aux soldats de gagner de l’avancement en combattant. Pour le reste, avec des buts de guerre flous, il n’était guère possible de les atteindre.

 

Afrique : une longue présence française

 

Barkhane (2014-2021) a pris la suite de deux opérations, Serval et Épervier. Nul doute qu’une autre opération viendra succéder à Barkhane. La fin de celle-ci n’est donc pas la fin de la présence militaire française en Afrique de l’Ouest.

 

Serval a été lancée en janvier 2013 afin d’éviter la prise de Bamako par une colonne djihadiste, opération réussie sur ce point.

 

Épervier a été déclenchée au Tchad en 1986 dans le but de protéger le gouvernement d’une attaque de colonnes libyennes. Épervier a succédé à l’opération Manta, débutée en 1983. Barkhane va certes changer de nom, et ses objectifs avec elle, mais la réalité est là : l’armée française est présente au Tchad depuis bientôt 40 ans (1983) et elle tient à bout de bras des régimes chancelants et prêts à tomber.

 

À ces opérations sahéliennes s’ajoutent les multiples interventions en Centrafrique, 7 depuis l’indépendance de 1960, la dernière étant l’opération Sangaris (2013-2016). Toutes ces opérations se font avec la coordination de l’ensemble des armées : terre, mer, air. Cela suppose donc la maitrise de l’ensemble des théâtres militaires : aérien, maritime et terrestre. La France est aujourd’hui la seule armée européenne qui organise des opérations extérieures de grande ampleur et qui se frotte à l’épreuve du feu. Une expérience indispensable pour qui veut tenir son rôle de puissance.

 

La porte ivoirienne

 

La Côte d’Ivoire est la porte de l’ensemble de ces opérations. Les forces françaises en Côte d’Ivoire (2015 -) représentent aujourd’hui environ 900 hommes, pour l’essentiel basés à Abidjan. C’est elles qui ont stabilisé le pays après la guerre civile du début des années 2010 et c’est elles qui évitent que celui-ci ne sombre dans le chaos, en dépit de l’infiltration djihadiste de plus en plus forte en provenance du Burkina Faso. Les FFCI ont succédé à l’opération Licorne (2002-2015), mise en place après un premier volet de violences. Cela fait donc bientôt 20 ans que l’armée française est missionnée en Côte d’Ivoire et assure l’équilibre précaire de cet État. Avec son accès à la mer et sa connexion à la partie sud de la bande sahélienne, la Côte d’Ivoire est un dispositif essentiel dans les opérations françaises en Afrique. C’est véritablement la porte française en Afrique, qui permet à la fois de débarquer et d’embarquer les hommes et le matériel. La Côte d’Ivoire est une pièce maitresse du dispositif français, essentiel à maintenir.

 

Une Afrique de l’Ouest qui est bordée par le golfe de Guinée, aujourd’hui la zone du monde la plus touchée par la piraterie. Là aussi, la France est présente depuis plusieurs décennies, avec la mission Corymbe débutée en 1990, qui a pour finalité de sécuriser l’espace maritime et de protéger le transit des bateaux. La mission Corymbe s’étend du Sénégal au Gabon et a notamment pour fonction de protéger les extractions de pétrole du Nigéria et du Gabon, ainsi que le transit de marchandises entre l’Europe et l’Asie, via le canal du Mozambique. 31 ans de présence, sans qu’une fin soit pour l’instant visible. Bien au contraire, avec l’accroissement de la piraterie et l’arrivée des cartels sud-américains qui s’infiltrent en Afrique de l’Ouest par le golfe de Guinée, la zone est de plus en plus dangereuse, surement même l’une des plus dangereuses du monde.

 

Le défi français ne consiste donc pas à arrêter Barkhane, pour la remplacer par une autre mission, mais à définir un objectif à atteindre, une stratégie à suivre et une tactique à mener. Or les alliés africains sont trop fragiles, trop instables, pour que Paris puisse se reposer sur eux. Barkhane arrêtée, il faudra probablement revenir au Tchad, au Burkina et renforcer sa présence en Côte d’Ivoire d’ici quelques années.

 

L’Afrique, pour quoi ?

 

La véritable question est pour quoi sommes-nous encore en Afrique ? D’un strict point de vue économique, la France n’a pas intérêt à y être. Nos échanges commerciaux se font essentiellement avec les pays européens, les États-Unis puis la Chine. Il y a davantage d’échanges avec l’Italie ou la Belgique qu’avec l’ensemble du continent africain, même si quelques secteurs de rentes en tirent bénéfice. Se focaliser sur le Sahel empêche de voir les points géopolitiques majeurs : la Chine, le sous-continent indien, l’océan Indien, l’Amérique latine, avec qui nous avons plus de liens culturels et économiques que l’Afrique. C’est nous détourner des véritables enjeux, si bien que peut se reposer la vision géopolitique de François Guizot, qui préférait les points d’appui aux possessions territoriales. Sans abandonner l’Afrique, nous aurions intérêt à ouvrir notre regard et à nous intéresser aux autres zones du monde qui, par leur démographie, leur économie, leur dynamisme politiques, sont en train de bouleverser la multipolarité. Le Pakistan par exemple, qui sera dans 20 ans l’un des pay les plus peuplés du monde. L’Inde, son voisin, Taïwan, où la menace chinoise est de plus en plus étouffante, le Brésil et le Chili, rare pays stable de l’Amérique latine. Ce qu’il faut, c’est sortir de la logique géopolitique coloniale des années 1880 pour revenir à une vision du monde large, celle du XVIIIe siècle, quand la France regardait autant les bouches du fleuve Sénégal que les comptoirs d’Inde et les immensités du Pacifique. Que l’on parle davantage du Sahel et de Barkhane que de la Nouvelle-Calédonie est l’une des manifestations de cette cécité géopolitique, qui efface les enjeux majeurs de demain.

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

7 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Yves Montenay

    21 juin 2021

    Pour ne pas provoquer une amplification des proclamations anti langue française, nous sommes discrets sur cette aspect de la question. D’autant qu’elle n’intéresse pas les milieux économiques. Pourtant c’est en Afrique que se joue l’avenir du français comme langue internationale, voire comme langue tout court. Là où la scolarisation est bien implantée, le français remplace les langues locales en trois générations. Le temps qui passe efface son origine de langue coloniale (comme l’anglais ou l’arabe, mais ça se dit moins) et augmente le poids économique et démographique de l’Afrique, donc du français, même s’il est utilisé par des Chinois (j’en ai formé à la civilisation française. Ils étaient francophones pour travailler en Afrique).

    Dans les zones djihadistes, le français n’est plus enseigné. Et la langue locale non plus, Voir https://www.yvesmontenay.fr/2021/06/17/le-repli-de-la-france-au-sahel/

    Cela dit, l’opération Barkhane n’est pas nécessaire au maintien du français : ce dernier se porte bien en RD Congo, qui sera bientôt le premier pays francophone mondial

    Répondre
  • breizh

    19 juin 2021

    « Ce qu’il faut, c’est sortir de la logique géopolitique coloniale des années 1880 pour revenir à une vision du monde large, »

    impossible pour les sciences-po énarques qui nous gouvernent et phagocytent tout pouvoir en France : ils n’ont plus aucune culture ni réflexion.

    Répondre
  • frederic fr

    18 juin 2021

    Michel Onfray? celui qui est pour le pass sanitaire, la surveillance des gens par leur smartphone et la vaccination obligatoire , celui là ?? On ne peut pas se dire souverainiste pour un pays sans l’etre pour son propre corps.

    Répondre
  • Ockham

    18 juin 2021

    Cher Noé,
    Le français est la langue officielle de ces pays. Il est bouleversant de constater qu’un instituteur local risque sa vie s’il s’obstine à utiliser les lettres latines alors qu’il y a à quelques kilomètres (peut-être la centaines de mètres) de là des soldats français venus en soutien contre le terrorisme ! Jadis alors qu’il n’y avait pas le téléphone mais de bons canons fait avec du charbon maison, l’affaire eut été entendue prestement.
    L’inconvénient dans cette affaire déjà souligné ici et admis par tous c’est qu’il est interdit de tirer avec des missiles sur un village qui ne veut plus du tout utiliser la lettre latine. A l’inverse dans ceux qui s’obstinent à utiliser notre belle langue avec ses lettres latines, les menaces de mort pleuvent et elles ne sont pas du tout en l’air, et donc la lettre latine va s’éteindre. Elle n’est plus défendu par personne sinon des blablas, des bougies, et des fleurs sur la Place de la République ou de la Bastille ou encore de la Nation par des intermittents permanents du progressisme et du multiculturalisme ! C’est d’autant plus inévitable que nous passons du moteur thermique au vélo pour nous déplacer et au moulin de Cervantès pour avoir de la lumière lorsque nous fermerons la dernière centrale nucléaire. En plus les marges des Gafas sur nos téléphones mobiles, ordinateurs et l’internet ne sont non seulement pas en France mais pas plus en Europe. Quant au pétrole il sert à payer le nouvel alphabet avec notre argent ! Très mauvais augures. Mais il n’est pas interdit de causer, de donner des leçons au monde et de faire grève !

    Répondre
  • Steve

    17 juin 2021

    Bonsoir M. Noé
    Vous avez raison; cependant le nombre de gouvernements africains dépendant de la présence française pour se maintenir se traduit par ailleurs en soutiens aux projets français portés auprès des institutions internationales comme l’ONU etc….
    Et il ne fut pas oublier que cela sert aussi le secteur de la maroquinerie ( les valises sont pratiques pour transporter des ….choses….légères comme des elfes!)
    Cordialement

    Répondre
  • Roger

    17 juin 2021

    Article géopolitique intéressant comme toujours. Concernant les motivations à intervenir en Afrique, j’imagine que la crainte de se retrouver avec des flux migratoires incontrôlables en cas de chute des gouvernements locaux est aussi une raison de la présence française dans cette région.
    Dans les mauvaises pratiques de la France, on pourrait ajouter en premier lieu le contrôle du Franc CFA qui ne sert vraiment pas le développement économique et à la compétitivité de ces pays.

    Répondre
    • Roland

      19 juin 2021

      Faute de mieux (fin de la « souveraineté » monétaire et concurrence entre les monnaies [Cf. Hayek]), le Franc CFA assure une relative stabilité monétaire qui rend les échanges possibles. Personne n’a envie de se retrouver avec de la monnaie du type de celle qui prévaut au Zimbabwe.

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!