22 octobre, 2021

Banlieue : le mot tronqué

La géopolitique est d’abord une géographie politique, c’est-à-dire que cette discipline étudie la manifestation du politique sur les territoires, les espaces et les paysages, à différentes échelles. À ce titre, l’étude des villes et des territoires locaux entre pleinement dans son champ d’analyse, et pas uniquement les relations internationales. Les pères de l’école française de géopolitique sont des géographes, qui ont travaillé autant sur les grands ensembles continentaux que sur les petits terroirs. À cet égard, le terme de « banlieue », utilisé presque comme un tic verbal, relève de son objet d’étude.

 

La ville et la banlieue

 

D’un point de vue étymologique, la banlieue désigne l’espace géographique sur lequel s’exerce le « ban ». Un dictionnaire historique nous apprend ainsi que le « ban » désigne ce qui est sous le pouvoir et l’autorité d’un suzerain. Quand le roi convoque le « ban et l’arrière-ban » il fait appel aux hommes en âge de se battre qui dépendent de son autorité. Le ban est ainsi devenu une proclamation d’autorité, du roulement de tambour à  l’affichage des bans du mariage. Sous l’ancien régime, villes et villages disposaient de fours banaux, c’est-à-dire de fours qui étaient sous leur autorité et dans lesquels les habitants pouvaient faire cuire leur pain.

 

Quant à la lieue, c’est une unité de distance qui varie de 4 à 6 km. La « banlieue » est donc, d’un strict point de vue étymologique, le territoire de 6 km autour d’une ville sur lequel l’autorité de la ville s’exerce.

 

Le terme est aujourd’hui utilisé de façon beaucoup plus extensive, ce qui donne des indications utiles sur l’organisation du territoire. En Île-de-France, la banlieue stricto sensu désigne uniquement les communes limitrophes de Paris, ce qui correspond peu ou prou à l’ancien département de la Seine. Mais aujourd’hui, du fait du développement des moyens de transport, c’est l’ensemble de la région qui est intégrée dans la banlieue parisienne. Et même au-delà. Avec le train, quand il fonctionne, des villes comme Lyon, Angers, Lille, Bruxelles sont intégrées à la banlieue de Paris, d’autant qu’il est souvent plus rapide de relier les gares entre elles que certains quartiers parisiens à des villes de banlieue proprement dite.

 

L’avion  apporte lui une autre révolution de l’espace. Roissy Charles-de-Gaulle est situé à deux heures de vol d’un grand nombre de capitales européennes, contribuant à créer des liens géographiques plus forts entre eux qu’entre Paris et certaines villes éloignées de France. La banlieue repose sur l’idée d’un territoire centralisé : il y a la ville centre et les territoires périphériques et il est plus aisé de se rendre du centre vers la périphérie que d’une périphérie à une autre périphérie. Si le pouvoir exercé sur le ban n’est plus politique, il est aujourd’hui économique et culturel.

 

Peut-on émanciper le ban ?

 

Avec le confinement l’idée du télétravail et du départ en Province est devenue l’idée à la mode. C’est oublier qu’un grand nombre de métiers nécessite de s’exercer en un lieu précis : tout ne peut pas se faire à distance. Le départ des Franciliens en Province est lui aussi une réalité limitée et au lieu de s’affranchir de Paris ceux qui partent en sont au contraire beaucoup plus lié. En région parisienne, il est aisé de se rendre dans un autre lieu en France, de Brest à Marseille et de Bordeaux à Strasbourg. À Bordeaux en revanche, il est impossible de faire un aller / retour dans les grandes capitales régionales en moins de deux jours. Le pouvoir de Paris n’a donc pas disparu. Impossible aussi de relier les capitales européennes et mondiales tant que les aéroports régionaux ne sont pas pourvus de lignes régulières. La redéfinition géographique du territoire français n’est donc pas encore pour demain, du moins pour ceux qui ont besoin de se déplacer.

 

Jeune de banlieue

 

Aux détours des années 1970 est apparue l’expression « jeune de banlieue », façon délicate et détournée de désigner un délinquant issu de l’immigration. Les banlieues brûlent et explosent, selon les titres des journaux et, à partir des années 1980 et des années Mitterrand / Tapie l’argent public a coulé à flot sur ses zones géographiques. En pure perte, cela n’ayant jamais résolu aucun problème. Bernard Tapie fut un ministre des banlieues rapide et provisoire, tout comme son avocat et bras droit Jean-Louis Borloo, dont les différents plans ont certes coûté beaucoup, mais n’ont jamais rien changé. « Banlieue » est ainsi devenue synonyme de zones violentes et de gabegie de l’État.

 

La banlieue n’a pas toujours été un espace répulsif. Quand l’aménagement urbain crée les grands ensembles dans les années 1960-1970, ceux-ci attirent les cadres et les classes moyennes désireuses de se loger dans des espaces plus grands, plus salubres, plus verts et plus confortables. On peut faire usage de la voiture, faire ses courses au supermarché, disposer de parcs et d’espaces verts et d’appartement avec eau courante, sanitaire intégré, pièce lumineuse. Deux films avec Jean Gabin et Alain Delon illustrent cette modernité de la banlieue : Mélodie en sous-sol (1963) et Le Clan des Siciliens(1969). Dans le premier, Gabin sort de prison et se rend dans son pavillon de Sarcelles, qu’il découvre entouré d’immeubles en construction. Les grues virevoltent et font avancer une ville qui attire la population de Paris en ascension sociale. Delon, quant à lui, vit dans un appartement miteux du centre de Paris, sans les commodités et la modernité des immeubles en construction. Même scène, mais inversée, dans Le Clan des Siciliens. C’est cette fois-ci, c’est Gabin qui habite dans un garage dépravé des bords du canal Saint-Martin, et Alain Delon qui dispose d’un appartement avec tout le confort moderne des années 1960. La banlieue est alors très loin d’avoir l’image négative d’aujourd’hui. C’est à partir des années 1980 que les choses changent, avec les problèmes posés par les débuts de l’immigration de masse.

 

Des banlieues aux centres-villes

 

L’image négative de la banlieue est restée, oubliant que Neuilly-sur-Seine, Versailles, Vincennes ou Caluire-et-Cuire sont tout autant des villes de banlieues que La Courneuve ou Bron. Mais le problème de la violence et de la criminalité ne touche plus uniquement la banlieue : ce sont désormais les centres-villes qui sont concernés. À Lyon, des rodéos de scooter et des trafics se déroulent place Bellecour et place de l’Hôtel de Ville. À Paris, c’est l’esplanade des Invalides qui voit sévir assez fréquemment des razzias de « jeunes » arrivés depuis le 93 par la ligne de métro pour attaquer les lycéens et les étudiants faisant la fête. Rennes, Nantes et Grenoble sont des villes où la criminalité a fortement augmenté et celle-ci est concentrée dans les centres-villes. Le même phénomène a été observé aux États-Unis dans les années 1970-1980, ce qui avait abouti à une fuite des centres-villes et à un développement des villes de banlieues. Ajoutons à cela des maires écologistes qui ont décidé de murer leurs villes et d’empêcher les banlieusards de venir et il est fort probable que ceux-ci, en effet, ne viennent plus. Les Parisiens n’ont qu’à constater le nombre important de commerces fermés sur les grands axes.

 

Loin de signifier, le terme de « banlieue » est aujourd’hui un impensé. Impensé dans sa diversité, impensé aussi dans ses évolutions. Tour à tour répulsif ou désolant, banlieue ne jouit jamais d’un a priori positif et est souvent employé de façon très extensive. Ce qui est bien dommage, car la politique a besoin d’une réflexion géographique sûre et de qualité et de penser la complexité au-delà de quelques slogans.

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

4 Commentaires

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  • Infraniouzes

    26 octobre 2021

    Je note pour ma part une certaine répulsion chez les gens des médias à utiliser ce mot. On lui préfère le mot « quartiers » qui est vague et personne ne sent ciblé. De même le mot « province » à disparu de la logorrhée médiatique. On préfère l’expression « en région » qui est tout aussi vague. « Provincial » tendant donc à disparaitre on verra peut-être apparaitre « régional » ?

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  • Dominique

    25 octobre 2021

    La banlieue exista tant qu’il y eut une ligne de séparation physique ( une muraille infranchissable avec des portes d’accès pour contróler les entrées ) entre la ville et ses alentours. Au delà la ville exerçait son autorité jusqu’à  » une lieue  » … et les proscrits étaient tolérés ou même interdits dans cette zône. Dans ce cas ils devaient se tenir à  » une lieue « . Ils étaient  » au ban « .
    Depuis longtemps la banlieue n’existe plus. Il ‘n’y a plus de muraille et la circulation entre le coeur de la ville et ses alentours est généralement incontrôlée. Ce mot est donc à oublier. D’ailleurs il n’est plus utilisé et d’autres mots sont apparus dans le temps en fonction de l’évolution des villes.

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  • Blondin

    25 octobre 2021

    Merci pour ce rappel étymologique.
    Certains sociologues, humoristes et autres représentants auto-proclamés de la banlieue n’hésitent pas à dire que ce mot signifie « lieu de bannissement », ce qui ne fait qu’accroître une logique victimaire.

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  • Charles HEYD

    22 octobre 2021

    Banlieue est peut-être un mot tronqué mais je pense qu’il faut déjà rester sur le plan national; d’autre part, dire que certaines villes comme Le Mans sont aussi la banlieue car en gros à 1h de TGV de Paris me parait pour le moins exagéré; en province, on ne parle que rarement de banlieue mais souvent de cités dortoir intégrées d’ailleurs très souvent dans la métropole correspondante; donc pour moi le terme banlieue veut bien dire ce qu’il veut dire; ce qui pose problème à mon avis ce sont les structures administratives correspondantes: commune, métropole, département et région et le millefeuille administratif afférent.

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