Les difficultés s’accumulent en Amérique latine, où de nombreux pays connaissent des manifestations de masse et des problèmes politiques majeurs.
Au Chili, la hausse annoncée du prix du ticket de métro a été le déclencheur de manifestations de grande envergure dans la capitale, qui concentre un quart de la population du pays. La révolte est partie des étudiants et s’est propagée à d’autres couches de la population. Le métro de Santiago a été pris d’assaut, engendrant de nombreux dégâts dans un certain nombre de stations. Toutes les lignes de métro, sauf une, sont à l’arrêt, ce qui paralyse la vie de la capitale, qui dispose d’un vaste réseau de métro (140 km), moderne et essentiel au fonctionnement du pays. Le président Sebastien Pinera a eu beau annuler la discussion de la hausse au Parlement lors d’une allocation samedi soir, les violences ont continué. Cela est d’autant plus surprenant que, contrairement à ses voisins, le Chili est plutôt un pays calme et pacifique. C’est aussi celui qui dispose du meilleur niveau de vie et du taux de pauvreté le plus faible de toute l’Amérique latine. Le Chili a longtemps fait office d’oasis de prospérité au sein d’un sous-continent turbulent. Ces journées d’émeutes semblent contredire cela.
Les violences ne se sont pas limitées à Santiago, mais ce sont l’ensemble des grandes villes du pays qui sont touchées, y compris Valparaiso. Ce qui montre que la question de la hausse des prix du ticket de métro n’est qu’un prétexte. Les manifestants ont attaqué des magasins et des usines, organisant des pillages et des destructions de bien. Une usine textile a ainsi été attaquée et incendiée, ainsi qu’un entrepôt. Ces incendies ont pris au piège des salariés travaillant à l’intérieur de ceux-ci, engendrant la mort de quinze personnes qui ont péri brûlées.
La situation est donc des plus explosives. Sébastien Pinera, lors de son allocution, a indiqué que le Chili était « en guerre ». Ce qui lui a permis de justifier l’instauration d’un couvre-feu et la présence de l’armée dans les rues de la capitale et des grandes villes afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Les pillages d’un côté, les violences urbaines et les appels à la violence des partis de gauche rappellent à certains l’arrivée au pouvoir du communiste Salvador Allende et les dégâts causés par son gouvernement. L’état d’urgence et les patrouilles de militaires rappellent à d’autres les années Pinochet. Ainsi, aux violences politiques et sociales se surimposent les conflits mémoriaux autour de l’interprétation des événements de 1973 : fin d’une dictature communiste inspirée par Cuba et Che Guevara pour certains, coup d’État militaire établissant une dictature pour d’autres. La fin de la période Pinochet à la suite du référendum perdu de 1990 à ouvert une nouvelle période politique, mais aucun des gouvernements, de gauche et de droite, n’ont remis en cause les réformes économiques et sociales établies, notamment le système de retraite par capitalisation et l’autonomie des écoles et des universités, qui fait de ces établissements les plus réputés de l’Amérique latine.
Ce qui se joue, ce n’est donc pas uniquement la question du prix du ticket de métro, mais un enjeu de mémoire et d’interprétation de l’histoire et une division politique profonde du pays, en dépit des succès économiques et des progrès sociaux, surtout comparés aux autres pays. Raison pour laquelle Pinera a pu dire dimanche 20 que « Nous sommes totalement conscients que les auteurs des perturbations ont un niveau d’organisation et de logistique digne d’une organisation criminelle. » C’était bien signifier que ces manifestations ne sont pas spontanées, mais prévues et organisées. À l’inverse, Jean-Luc Mélenchon s’est invité lors d’une manifestation de soutien aux émeutiers organisés devant l’ambassade du Chili. À l’adresse des quelques Chiliens présents, celui qui rêve d’une alliance bolivarienne a pu évoquer sa joie « de voir la jeunesse chilienne en lutte ».
La situation est tout aussi compliquée en Équateur.De très nombreux manifestants ont exprimé leur mécontentement dans les rues de la capitale, à la suite de l’annonce de la fin des subventions aux carburants. Cinq personnes seraient mortes, dont quatre dans la capitale. Les populations indigènes ont été les premières à se manifester, coupant certaines routes et arrêtant les puits de production de pétrole. Le chef de l’État, Lenin Moreno, a quitté la capitale et a déplacé son gouvernement à Guayaquil. Il a tenté de renouer le dialogue avec les manifestants lorsque les indigènes ont organisé une grande marche dans les rues de Quito.
Là aussi, l’état d’urgence a été décrété, ainsi qu’un couvre-feu autour des lieux de pouvoir. Près de 80 000 militaires ont été déployés dans les rues de la capitale afin d’assurer la protection des lieux sensibles. Les indigènes ont bloqué le principal pipe-line d’exportation du pétrole, ce qui paralyse une grande partie de l’économie du pays. Les milieux économiques soutiennent le président Lenin Moreno, bien qu’il appartienne au parti socialiste, estimant que la fin des subventions au carburant est une nécessité. Cette crise sociale sépare les habitants de l’Équateur, les indigènes d’un côté, qui représentent environ 25% de la population, et les descendants des colons espagnols, qui assurent le fonctionnement économique du pays. À un problème social se surimpose donc un problème ethnique, ce qui rend très compliquée la résolution de cette crise.
Bolivie, coup de force du président Morales. Evo Morales a multiplié les atteintes à la constitution votée en 2009, celle-ci interdisant plus de deux mandats consécutifs. Il s’est pourtant présenté pour un quatrième mandat alors même que le référendum organisé en 2016 pour la faire modifier et ainsi faire sauter le verrou de la limitation des mandats a été perdu. Peu importe, Evo Morales s’est quand même représenté à l’élection présidentielle face à son principal concurrent Carlos Mesa. La loi électorale bolivienne stipule que pour être élu dès le premier tour il faut remplir l’une des deux conditions : soit obtenir plus de 50% des voix, soit obtenir plus de 40% des voix avec un écart de 10 points sur le second.
Le Tribunal suprême électoral a d’abord annoncé 45,28% des voix pour Morales et 38,16% des voix pour Carlos Mesa, engageant le pays dans un second tour. Mais ce Tribunal a ensuite modifié les résultats, en annonçant que Evo Morales avait obtenu 46,87 % des voix et Carlos Mesa 36,73%, soit un écart de 10,14 points qui permet l’élection de Morales dès le premier tour. Un tel revirement laisse supposer une fraude massive. Carlos Mesa a annoncé qu’il ne reconnaissait pas le résultat des élections. Des émeutes ont eu lieu dans les principales villes du pays, notamment à La Paz et à Sucre, la capitale. L’expérience marxiste et indigéniste de Morales est en train de sombrer dans la dictature la plus grossière. Les Boliviens ont tous en tête le Venezuela, dont Hugo Chavez et Nicola Maduro sont deux amis proches de Morales.
Au Mexique, les cartels de la drogue n’en finissent pas de semer la terreur. Le pays connaît une véritable guerre civile intérieure. La corruption massive entre les hommes politiques, les juges, les policiers et les cartels de la drogue ont ruiné le pays et dévasté son corps social. L’ancien président Felipe Calderón avait lancé une « guerre contre la drogue », guerre bien improbable étant donné la corruption massive de tous les échelons administratifs, chacun couvrant son voisin et empochant les subsides issus du trafic de drogue.
Fin 2006, le bilan de cette guerre s’est soldé par 275 000 victimes et 40 000 disparus. En 2018, dernière année de la présidence d’Enrique Peña Nieto, le Mexique a vécu la pire vague de violence de son histoire récente, enregistrant un nouveau record de 33 202 homicides. Le pays connaît une partition de fait, entre les zones sécurisées et protégées et les zones dangereuses, où il est difficile de se rendre. Deux ans après le déclenchement de cette offensive, les forces de sécurité ont pu mettre la main sur 60 000 narcos, 25 des 37 chefs de gangs mexicains les plus recherchés ; mais aussi 4 000 tonnes de cannabis, 80 tonnes de cocaïne, 30 000 armes légères… mais sans pour autant briser les reins des organisations criminelles. Au lieu de mettre un terme à la violence, la stratégie adoptée par les deux derniers présidents mexicains a favorisé une hyper fragmentation du paysage du crime organisé, tant les factions rivales ont pullulé après l’incarcération des chefs de cartels. L’arrestation récente du fils d’El Chapo a été l’occasion d’une nouvelle flambée de violence et de violents règlements de compte.
L’Argentine n’en finit pas de sombrer. Elle ne digère pas son cancer péroniste qui a ruiné le pays et l’a fait dégringoler des classements internationaux. Il y a un siècle, l’Argentine était l’une des grandes puissances économiques du monde, située devant la France sur plusieurs points et notamment la production agricole. La politique de Juan Perón et de ses disciples, mélange d’autoritarisme, de nationalisme, de socialisme et de démagogie a ruiné le pays et ses habitants, qui subissent régulièrement de fortes dévaluations de leur monnaie nationale. De nouvelles élections doivent avoir lieu dimanche 27 octobre, et la victoire des péronistes est de nouveau possible. Cristina Kirchner, ancienne présidente et épouse de Nestor Kirchner, se présente cette fois-ci comme vice-présidente, bien que toutes ses affaires de corruption et de détournements de fonds publics ne soient pas encore jugées. Le peso n’a cessé de dégringoler face au dollar, provoquant une inflation qui a ruiné le pays. Le retour au pouvoir des péronistes n’est donc pas une bonne nouvelle pour le pays.
Indigénisme, socialisme, autoritarisme, l’Amérique latine ne semble pas capable de sortir de ses démons et de ses travers. Cela provoque violences, corruption, pauvreté et malheur pour les populations, qui continuent malgré tout de croire au discours révolutionnaire.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Éric
15 janvier 2020Très bonne analyse.
Vous oubliez le Panama ( j’y vis pour quelques mois encore) où la corruption à tous les niveaux détruit le pays. Le gouvernement maintient une sorte de croissance par des subventions dans le domaine de la construction où les immeubles fleurissent, souvent à moitié vides, et servant aussi le blanchiment d’argent.
Le peuple semble résigné et historiquement c’est un peu vrai, il n’a plus la main sur rien, ni le canal, ni le système bancaire.
Vincent P
28 octobre 2019Chili. Pour savoir si un pays libéral respecte sa population, il faut regarder son système de santé et les écoles (laisser crever les pauvres, ce n’est pas du respect). Comme je n’ai pas les moyens de voyager, je me fie aux témoignages que je peux glaner à droite à gauche. Exemple : http://www.chilivoyages.com/hopital-santiago-du-chili-premier-sejour/
Philippe
26 octobre 2019Et au Brésil ? Qui représente la moitié de l’Amérique latine et qui a été le seul pays latino-américain attaqué par Macron ?
C’est vrai qu’il est dirigé par le quasi-démoniaque Bolsonaro qui sort du palais présidentiel pour brûler la forêt durant la nuit avec ses sbires !
Ben, au Brésil, tout va bien. La réforme des retraites vient d’être votée, la homicides ont baissé d’un tiers cette année, le taux de chômage diminue, beaucoup de créations d’emplois et privatisations à la pelle, avec celle annoncée encore aujourd’hui de la Poste.
Rarement vu un pays relever la tête tellement rapidement.
JeanLo
27 octobre 2019« Ben, au Brésil, tout va bien. »
Regardez ce qui passe du côté des droits des peuples amazoniens, votre commentaire est tout simplement ahurissant.
Bolsonaro :
– « Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens. » Correio Braziliense, 12 avril 1998
– « En 2019, nous allons mettre en pièces la réserve autochtone de Raposa Serra do Sol [territoire autochtone à Roraima, nord du Brésil]. Nous allons donner des armes à tous les éleveurs de bétail » Au Congrès, publié en ligne le 21 janvier 2016 vidéo ici https://www.youtube.com/watch?v=jUgDXVbPHZs
« Une relative » bonne santé économique ne veut pas dire que le pays va bien., mêmes si des choses importantes ont été assaini.
Cordialement.
Philippe
27 octobre 2019Écoutez :
1- Vous ne devez certainement jamais avoir été en Amazonie.
2- Vous ne devez jamais avoir mis les pieds dans une reserve indienne et que vous n´avez aucune idée de leur disparité ou de leurs activités économiques, ni des organismes d´état qui s´occupe d´eux..
3- Bolsonaro a sorti des centaines de bêtises, je ne suis pas un fragile qui prend la poudre d´escampette pour des citations de 20 ans ou des discours electoraliste.
J´habite au Brésil depuis 10 ans, je peux vous dire que tous les milieux économiques sont très heureux du gouvernment actuel, ainsi que la majorité de la population. Faudrait que les européens comprennent que le Brésil n´est pas l´Amazonie, c´est un pays de 10 millions de km2 avec 200 millions d´habitants.
C´est certainement pas ce que vous répéter après avoir lu dans des journaux remplis de fake news (mensonges en français) et reposant uniquement sur la propagande qui va m´interesser.
Le plus grand problème actuellement au Brésil c´est une marée noire de pétrole venezuelien qui s´abat sur les côtes. Mais ça personne n´en parle dans vos médias propagandistes.
Et oui, au Brésil tout va bien, spécialement comparé aux autres pays d´Amérique du Sud, la preuve, cet article n´en parle pas.
Allez vous acheter une vie et redescendez un peu.
JeanLo
28 octobre 2019Celà va être difficile d’avoir « une conversation entre gens de bonne compagnie » avec vous pour reprendre une expression de Mr Gave.
1 vous insinuez à charge sans aucune possibilité de prouver vos dires.
2 idem
3 Argument massue : celà fait 10 ans que j’habite dans le pays donc je sais … Ayez l’obligeance s’il vous plait, suite à votre brillante démonstration de nommer les journaux remplis de fake news que je compulserai, c’est certainement pour celà que je lis régulièrement l’IDL… (au passage merci de me prendre pour un con, en me traduisant fake news)
Je note toutefois que vous avez oublié de me coller la carte du complot.
« Et oui, au » … Vénézuela… » tout va bien, spécialement comparé aux autres pays d´Amérique du Sud, la preuve, cet article n´en parle pas. »…..
Je suis au regret de vous informer qu’une vie ne s’achète pas, sauf dans les régions du monde ou se pratiquent encore l’esclavage.
Cordialement.
Bilibin
25 octobre 2019Merci pour cette petite mise au point car nous sommes souvent peu informés sur ce continent.
Bebas
25 octobre 2019Bolivie. Je vous en prie essayez d’etre complet.
Vous ecrivez :
« Le Tribunal suprême électoral a d’abord annoncé 45,28% des voix pour Morales et 38,16% des voix pour Carlos Mesa »
Vous devriez ajouter que ce resultat etait celui annonce a 20 h apres avoir depouille 84% des bulletins. Les resultats des campagnes qui supportent a forte majorite Morales n’ont ete connus que plus tard ce qui a eu pour consequence de faire evoluer l’estimation de 20 h. Dans ces conditions, il me semble excessif de parler de « revirement » comme vous l’ecrivez, car cela sous entendrait qu’il y ait eu une fraude. Vos propos me semblent prematures / pour l’instant infondes.
Morales devrait etre « beau joueur » et accepter un 2eme tour. Cela serait tout a son honneur.
Bien a vous
Jean-Baptiste Noé
25 octobre 2019Le dépouillement final annonce une victoire de Morales avec 10 points d’écart. Etant donné qu’il n’a pas respecté la constitution en se présentant une quatrième fois et que le comptage a été arrêté puis repris, le risque de fraude est grand. Dans tous les cas, le pays en sort très divisé.
Bebas
25 octobre 2019Cher Monsieur Noe,
Vous avez raison, tout cela n’est pas tres sain.
Esperons que le pays reussisse a surmonter ces querelles politiciennes et poursuivre le beau developpement economique affiche depuis 10 ans.
Ce que je trouve peu ordinaire c’est que « l’usure du Pouvoir » n’impacte pas ou peu le President Morales qui est aux commandes depuis 2006.
Merci pour vos points de vue et articles toujours interessants et souvent instructifs.
Bien cordialement.