23 octobre, 2025

L’IA veut maîtriser les étoiles

Le 16 octobre dernier, Google a officialisé l’accord entre sa filiale DeepMind et l’entreprise Commonwealth Fusion Systems (CFS), start-up créée au MIT. Le but ? Utiliser l’IA pour maîtriser l’énergie des étoiles, c’est-à-dire la fusion nucléaire.

Voilà plusieurs décennies que les scientifiques travaillent sur la maîtrise de la fusion, qui nécessite notamment de contenir le plasma. Des tests longs et difficiles, durant lesquels l’énergie consommée est toujours supérieure à l’énergie produite. Avec cette alliance, Google DeepMind et CFS promettent de multiplier la puissance de calculs, et donc de réaliser plus de tests et à moindres coûts. Leur objectif ? Maîtriser la fusion d’ici 2030. Ce qui permettrait de générer plus d’électricité, à coût moindre. Et donc d’alimenter les data centers de Google en énergie abondante et peu chère. L’IA est ainsi mise au service de l’énergie, donc de l’économie et de la puissance politique.

L’avenir dira si cette alliance sera une réussite et si les promesses faites seront réalisées. Mais on peut d’ores et déjà se projeter dans le futur et imaginer les conséquences si cela réussissait effectivement.

Tokamak et donut

Mes connaissances en physique étant faibles, je remercie mes amis physiciens qui ont pu m’expliquer le fonctionnement du tokamak qui est au centre de l’enjeu de la fusion.

Pour obtenir la fusion, il faut produire un plasma qui atteint les cent millions de degrés. Aucun matériau ne pouvant résister à une telle chaleur, le plasma est maintenu en suspension par pression magnétique. Le tokamak, mis au point par des ingénieurs soviétiques dans les années 1950, est donc une sorte de chambre en forme de donut qui contient le fameux plasma. De grosses bobines supraconductrices disposées autour de la chambre maintiennent le plasma comme en lévitation. En parallèle, des systèmes de chauffage par faisceaux de particules rapides et par ondes électromagnétiques permettent d’atteindre les températures nécessaires à la fusion.

Lorsque les noyaux de deutérium et de tritium fusionnent, ils libèrent un neutron et un atome d’hélium. Le neutron, dépourvu de charge électrique, s’échappe du champ magnétique et vient frapper les parois internes de la chambre, où son énergie est captée sous forme de chaleur. Cette chaleur peut ensuite être utilisée pour produire de la vapeur, faire tourner une turbine et générer de l’électricité, exactement comme dans une centrale classique, mais sans émission de CO₂ ni résidus radioactifs de longue durée. C’est là l’intérêt principal de la fusion.

Le défi du tokamak consiste donc à maintenir à l’équilibre un plasma qui est par nature instable. Et c’est sur ce point que butent de nombreux centres de recherche. D’où le projet de Google DeepMind et de CFS, qui promettent d’utiliser l’IA pour parvenir à stabiliser le plasma. Et donc à maîtriser le contrôle du tokamak et la production d’énergie. Maîtriser cette innovation, ce serait maîtriser l’énergie des étoiles, mais dans un donut.

DeepMind et CFS

Depuis plusieurs années, les chercheurs de DeepMind tentent de maîtriser le plasma. En 2022, ils avaient déjà prouvé qu’une IA pouvait stabiliser un plasma en temps réel dans un petit tokamak expérimental suisse. Avec Commonwealth Fusion Systems, le défi passe à une tout autre échelle. L’entreprise du MIT construit actuellement SPARC, un réacteur compact utilisant des aimants supraconducteurs haute température, conçus pour être le premier à produire plus d’énergie qu’il n’en consomme.

Les ingénieurs de DeepMind ont développé un simulateur baptisé TORAX, capable de prédire la dynamique du plasma avec une rapidité et une précision inédites. Grâce à l’apprentissage automatique, l’IA pourra explorer des millions de configurations magnétiques et apprendre à anticiper les instabilités, à éviter les décharges soudaines et à maximiser le rendement énergétique.

Cette collaboration s’inscrit dans une logique énergétique globale. Les centres de données de Google sont de très grands consommateurs d’électricité. L’entreprise cherche donc des solutions pour alimenter ses infrastructures. En parallèle de la coopération scientifique, Google a signé un contrat d’achat d’électricité avec CFS pour s’approvisionner en énergie de fusion dès 2030, lorsque la centrale ARC, successeur de SPARC, sera mise en service. Google fait le pari de la fusion pour lui fournir une énergie abondante, accessible et sans résidu. Un nucléaire avec toutes les qualités et aucun défaut, en quelque sorte. De quoi répondre aux besoins exponentiels de Google en termes de puissance de calcul.

Si Google et CFS réussissent leurs promesses, ils auront atteint le rêve poursuivi par de nombreux scientifiques depuis 70 ans.

Un nouveau monde

Ne nous emballons pas trop vite sur les promesses de nouveau monde. Mais l’anticipation est malgré tout essentielle pour esquisser ce qu’il pourrait advenir si DeepMind et CFS réussissent leur pari.

Le premier sera la production d’une électricité abondante et à moindre coût, donc d’une révolution énergétique majeure. Ce qui aura des conséquences sur les énergies fossiles et donc sur le pétrole, le gaz et le charbon, qui demeurent aujourd’hui les principales sources d’énergie. Si la fusion est maîtrisée, développée et déployée, alors la plupart de ces centrales deviendront obsolètes. De quoi redessiner la carte du monde et affaiblir les producteurs de pétrole et de gaz, en premier lieu la Russie et les pays du Golfe.

Deuxième conséquence : l’IA, très gourmande en électricité, trouvera une source pour l’alimenter. Donc, il pourra y avoir encore plus d’IA. Et Google pourra maîtriser toute la chaîne de production : l’IA produite, les data centers pour la produire, l’énergie qui sert à faire tourner les centres. De quoi maintenir sa main mise sur le secteur et de continuer à en faire une très grande puissance économique.

Troisième conséquence : le déclassement des puces. CFS a investi dans la fusion, mais aussi Google DeepMind, Bill Gates, Nvidia et Tiger Global. Les plus grands jouent dans la cour des grands et font tout pour demeurer grands. TORAX, le grand projet de CFS, est open source. Donc CFS ne vise pas à gagner de l’argent avec les brevets, mais veut au contraire que sa technologie se déploie, soit partagée et améliorée par d’autres. CFS est donc en train de créer un standard pour toute l’industrie. CFS veut maîtriser son tokamak en 2026 et vise une production d’énergie en 2027. Les promesses se font donc dans un temps très court. CFS veut produire de l’électricité commerciale à échéance 2030. C’est-à-dire demain. Ce qui veut donc dire que, pour ces grandes entreprises, l’enjeu des années à venir ne sont pas les puces, mais l’énergie. Et c’est sur la maîtrise de l’énergie que les grandes entreprises américaines misent leurs forces. Si cela aboutit, elles auront une grande avance sur la Chine et pourront ainsi maintenir les États-Unis comme numéro 1.

 

Beaucoup de « si », beaucoup de promesses. L’avenir très proche dira si CFS et DeepMind réussissent leur pari. Si tel est le cas, les bouleversements géopolitiques seront majeurs. Et, encore une fois, les malthusiens se seront trompés.

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

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