Deux très bons livres viennent de paraître sur l’Iran, qui permettent de comprendre de l’intérieur le fonctionnement du pays et l’idéologie qui le porte. L’auteur, Camille Alexandre, est arabophone et persanophone et habite depuis plusieurs années dans la région. Le premier, Le régime iranien à livre ouvert analyse les causes et les fondements intellectuels de la révolution de 1979. Le second, Le Proche-Orient iranien. 1er février 1979 – 7 octobre 2023, étudie la façon dont l’Iran se projette dans la région. Les deux livres sont parus chez Odile Jacob et ils sont du même auteur.
C’est sur le premier que je vais m’arrêter. L’Iran des mollahs est énigmatique. En dépit des manifestations à l’intérieur du pays, de la réprobation internationale et de ses luttes contre Israël, le pays est toujours en place et semble solide. Connaître et comprendre la pensée du régime est donc essentiel.
Une révolution, plusieurs courants
L’auteur fait remarquer que l’opposition au Shah débute dans les années 1970, s’intensifie en 1978 et aboutit à son renversement en 1979. C’est une révolte contre l’occidentalisation et la modernisation portée par le Shah. Plusieurs mouvements se retrouvent dans cette opposition, dont des mouvements marxistes, laïcs et de gauche. L’ayatollah Khomeini représente l’un des mouvements d’opposition. Mais il est parvenu à noyauter la révolte, à éliminer ses alliés et à rester seul maître à bord. Lorsque la révolution débute en 1979, un autre aurait donc pu prendre le pouvoir.
Trois personnes ont influencé la construction intellectuelle de la révolution.
La première est le philosophe et sociologue Ali Shariati. Marxiste, laïc, il veut concilier islam et marxisme. Pour lui, le musulman chiite est l’opprimé. Il s’identifie donc au prolétaire de Marx. Proche de la gauche internationaliste, et notamment de Sartre qu’il a rencontré lors d’un séjour en France, Shariati réalise une synthèse théorique entre islam chiite et marxisme. S’il décède en 1977, il fut invité tout au long des années 1970 pour donner des conférences dans les écoles et les centres tenus par les mollahs, ce qui a permis à ses idées de se diffuser.
Le second penseur est l’écrivain Jalâl Al-e Ahmad. Il fustige les élites du régime monarchique qui, selon lui, corrompent l’âme de l’Iran en suivant aveuglément la modernité occidentale, qu’il estime contraire aux valeurs islamiques, et donc au génie iranien, qui est pour lui avant tout caractérisé par son aspect musulman. Il est selon lui urgent de faire acte de revivification et pour cela, la société iranienne doit résolument tourner le dos à la forme de modernité qu’incarne l’Occident pour épouser à nouveau son génie propre, un génie proprement islamique. Il théorise ainsi la « maladie de l’Occident », gharbzâdegi, mal qui, d’après lui, ronge la société iranienne. Cette haine de l’Occident se retrouve aujourd’hui encore dans le discours des mollahs.
Troisième penseur, égyptien cette fois, Sayyid Qurb, membre des Frères musulmans, confrérie fondée en Égypte en 1928. Pour lui, il faut prendre le pouvoir par la force et rétablir une société musulmane revivifiée.
Ces trois penseurs ont nourri la pensée des ayatollahs, mais aussi d’une partie de l’élite iranienne. Elles sont entrées en action avec la prise du pouvoir de 1979.
1979, une contestation plurielle accaparée par le clergé
L’année 1978 voit converger les colères : autoritarisme pahlavi, modernisation imposée, dépendance à l’Occident. Le retour triomphal de Khomeiny à Téhéran, le 1ᵉʳ février 1979, scelle l’entrée des clercs au premier plan et la marginalisation rapide des alliés laïcs et nationalistes. Mehdi Bazargan, premier chef de gouvernement post-révolutionnaire, est vite écarté ; Abolhassan Bani-Sadr, premier président élu, doit s’exiler ; l’entourage révolutionnaire se fracture, jusqu’à l’exécution de Sadegh Qotbzadeh. Parallèlement, la répression décapite des oppositions structurées, y compris kurde, tandis que la guerre Iran-Irak, bientôt qualifiée de « défense sacrée », consolide l’appareil coercitif. La « République islamique » s’enracine ainsi moins comme compromis pluraliste que comme institutionnalisation de l’islam politique.
Du « gouvernement islamique » à la velâyat-e-fagih
Au cœur du projet de Khomeiny se trouve l’ouvrage Le Gouvernement islamique, qui affirme la souveraineté exclusive de Dieu : nulle légitimité politique ne saurait émaner du peuple si elle ne dérive pas de la Loi divine. Dans la tradition chiite, la velâyat, l’autorité du vali, appartient aux imams infaillibles, jusqu’au Douzième Imam, entré en occultation. D’où, historiquement, une posture plutôt quiétiste du clergé. L’innovation khomeyniste est radicale : en l’absence de l’Imam caché, le fagih (docteur de la loi) doit gouverner et non plus conseiller. Érigée constitutionnellement après 1979, la velâyat-e-fagih fait du Guide suprême le centre d’un régime qui se présente comme l’étape d’une histoire eschatologique : la revanche des opprimés et l’extension de la justice islamique. Même si les Safavides (XVIᵉ siècle) avaient déjà fait du chiisme une religion d’État, ils n’avaient pas pour autant transféré directement le pouvoir de gouvernement aux clercs : le saut khomeyniste est d’ordre théologico-politique.
Islamiser l’État… et la société
Dès l’exil puis le retour, Khomeiny combat la « révolution blanche » du Shah (réforme agraire, alphabétisation étatique, droits des femmes), perçue comme un projet d’affaiblissement du pouvoir clérical. Le Shah voulait redistribuer les terres, ouvrir des écoles d’État dans les campagnes pour étoffer l’alphabétisation, donner l’égalité juridique aux femmes. Ce projet de « révolution blanche » est inacceptable pour le clergé chiite. Il vit principalement des ressources de la terre, donc la réforme agraire nuit à ses intérêts. Il contrôle les écoles, donc le projet d’écoles d’État brise son monopole, il contrôle les femmes, donc le projet d’émancipation contrevient à sa mainmise sur la population.
La révolte contre le Shah peut se lire comme une révolte du clergé chiite pour maintenir ses privilèges. Le Shah n’avait pas compris à quel point ce clergé contrôlait le pays.
L’obligation du port du voile s’impose progressivement, réduisant les espaces de liberté des femmes. En quelques années, les mollahs parviennent à prendre le contrôle de tous les leviers de pouvoir du pays.
Une « République islamique » plus qu’une théocratie
Mais l’Iran n’est pas véritablement une théocratie. Le régime né de 1979 conjugue référents électifs, appareil révolutionnaire et primauté d’un clerc-juriste. Un montage qui relève moins d’une théocratie classique que d’un État idéologique où l’autorité religieuse absorbe la souveraineté. Cette architecture explique sa longévité : elle convertit la légitimité charismatique de 1979 en institutions, tout en gardant un horizon de projection qui lui permet de se maintenir. C’est ce double moteur, eschatologique et politique, qui continue de structurer la République islamique.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Raphael
16 septembre 2025Gharbzadegi : pathologie due a l’ Occidentalite telle une pourriture, un choléra ; qui s’incarne prècisement dans la superioritè technique qui impose le mode de production occidentale qui supplante le mode de production traditionnel persan . Autrement dit c’est un éloge de l’ arriération. Comme beaucoup d’ arriérés, ils adoptent une posture double , et imposent leur reve d’un temps figé tout en adoptant la technique occidentale qu’ils honnissent . Posture hypocrite et schizophrénique . Le rouage de base de cette révolution anti-occidentale est le Basij , petite frappe de la milice d’ Etat qui impose aux femmes le voile par la violence .Au sommet on a l’ Ayatollah Khamenei , docteur Folamour de l’ apocalypse nucléaire. Au quotidien l’ Iran » revolutionnaire » est incapable de fournir l’ eau potable a sa population.
Patrice Pimoulle
12 septembre 2025Et encore: « Du soucerain qui en assumait la destinee j’emportai une impression favorable nuancee d’inquietudeDon effort pour mener a l’independance, au redressement des consciences,et au gout du travail un peuple soumis jusque-la a des influences etrangeres trop accessible a certaines tentations et de nature indolente, meritaient le respect et la reussite.(,,,) L’Iran serait-il devenu assez fort materiellement et moralement pour rester maitre chez lui le lour ou sa posution geographique et ses richesses petroliferes feraient de son territoire un enjeu? Jusqu’ici il parait avoir reussi ».
C’etait en 1939.
Patrice Pimoulle
10 septembre 2025A titre documentaire, voici comment le general Weygand, chef de la mission chargee de representer la France au mariage du prince heritier d’Iran (avril 1939), decrit la ville de Koum:
« cette ville possede une tres belle mosqueel elle est le refuge de plusieurs milliers de mollahs fanatiques dont ls propsgsnde est redoutee duShah qui cependant n’a pas encore ose vider ce repaire « d’obscurantisme ».
Rob
8 septembre 2025Excellent papier qui permet de comprendre le fonctionnement du régime iranien et pourquoi il est stable depuis plus de 40 ans. A part les anathèmes de café du commerce, très rares sont les analyses explicatives sur ce pays dans nos médias. Bravo de vous être attelé à cette tache.