8 juillet, 2015

Démocratie et GPA

« Si vous avez la force, il nous reste le droit »
Victor Hugo

Le 3 juillet 2015, la Cour de cassation a opéré un revirement face à ses jurisprudences traditionnelles dans une décision plus que politique. La question posée par deux arrêts, relevait de l’inscription à l’état civil de deux enfants nés de gestation pour autrui (GPA) à l’étranger, un an après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour non-reconnaissance de la filiation des enfants nés de mère porteuse hors de nos frontières,

  La cour de cassation a donc jugé dans ses deux arrêts d’espéces qu’une GPA ne justifiait pas, à elle seule, le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant ayant un parent français.Ce sont là les principes essentiels de notre droit qui sont en cause. Et notamment celui de la distinction entre la personne et les choses.

La « personne » est une invention juridique du droit romain qui a posé comme principe qu’un être humain, contrairement aux choses, est une personne, car elle n’est pas disponible aux autres ; elle n’est pas susceptible d’être cédée, même gratuitement.Si on admet qu’un enfant peut être donné, sous le seul prétexte qu’il est désiré, alors il est traité comme une chose. C’est pareil pour les mères porteuses utilisées comme « couveuses ». En leur accordant la qualité de « personnes », le droit a pour fonction première de protéger les êtres humains contre la force – ou les désirs – des autres êtres humains.

C’est pourquoi la GPA, dans son mécanisme-même, est une attaque contre les êtres humains et la protection essentielle que leur doit le droit.

Le pouvoir politique, une fois encore voudrait nous faire croire que « plus de droits » signifierait une société plus juste.

Une illusion consiste en effet à croire que nous réaliserons le destin de la démocratie en généralisant ses mécanismes. Une autre, que ce sera en concrétisant ses principes fondateurs jusqu’au extrêmes limites. Ce qui est le cas lorsque nous développons les droits sans aucune exclusive ni barrière, persuadés que toute extension de droits correspondait à un progrès, comme si la démocratie devenait de plus en plus parfaite à mesure qu’elle s’avance sur son ère.

L’homme d’autrefois concrétisait sa dignité par l’accomplissement d’une éthique, l’homme contemporain, par l’obtention de droits. Sa grandeur tangible s’exprime désormais dans l’expression d’un SMIC, dans l’enseignement gratuit, dans le droit à un enfant.

Les droits ouvrent aujourd’hui tout prétexte aux revendications de la complaisance. L’accumulation exponentielle de droits provient en partie de ce que nous  confondons la non interdiction avec la légitimation, supposant en d’autres termes que tout ce qui est toléré devrait être facilité, voire encouragé. Or, un comportement peut très bien se trouver permis, au nom de la liberté individuelle sans pour autant être légitimé ou facilité par des lois!

En tant que libérale, je ne m’auto-définis pas comme la somme des droits qui me seraient autorisés : droit à l’adoption, droit aux 35 heures, droit au logement et plus que tout, je ne demande pas à la république française d’assumer mes envies. L’analyse suivant laquelle le droit de vendre son corps (pour les loueuses de ventre) serait un absolu oublie cet autre droit tout aussi légitime que pourrait être celui de l’enfant à connaitre sa mère biologique.

Dans la mesure ou notre société impose le relativisme, personne n’a, de fait, le pouvoir d’organiser ces droits hiérarchiquement. Sauf la nation dans son expression populaire.

 

« Un temps pour rappeler au politique  que si L’égalité peut être un droit,  aucune puissance humaine ne saurait la convertir en fait. »

Honoré de Balzac

Auteur: Emmanuelle Gave

Emmanuelle Gave est titulaire d'un DEA de Droit des AFFAIRES de PARIS II (Assas), ainsi qu'un LL.M de Duke University. Lauréate du barreau de Paris, elle prête serment en 1996. Elle est Directrice Exécutive de L'Institut des Libertés depuis janvier 2012.

19 Commentaires

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  • Philippe

    5 août 2015

    Chére Madame, non seulement l’ enfant à naitre est devenu une chose , une marchandise sujet de valeur d’ échange , mais la totalité du discours est  » chosifiée  » ou objectisée . C ‘est une politique de lavage de cerveau , de détournement des valeurs attachées à la personne, à l’ individu, à son autonomie. Sous la mascarade d’ une inflation de droits ad infinitum , un groupe politique capte et détruit la liberté individuelle , qui ne mérite plus aucun respect.Dorénavant c’ est la politique des choses, des objets qui supplante toute référence aux essences, aristotéliciennes. Ces choses sont bien entendu socialisée par le biais de l’ impot , du discours assomant de la dette ad vitam eternam, du nécessaire  » partage  » des richesses avec le sud de la planéte tandis que le gavage des prescripteurs des rentes de situations (Les Ponctionnaires ( pardon pour l’ astuce ), les  » médiacrates » , les oligarques ) , continue sans le moindre émoi .Deux petits livres de jean-Claude Milner démonte le mécanisme que je dénonce avec vous  » La politique des choses  » 2011 Verdier editeur –  » Pour une politique des etres parlants  » 2011 Verdier.

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  • Duff

    11 juillet 2015

    Sur un sujet juridiquement épineux, le grand malheur c’est que les médias manipulent les opinions comme d’habitude. Si vous voulez les liens, cherchez-les, je n’affabule pas : Le Figaro évoquait il y a quelques jours le cas de deux sœurs nées par la GPA : Bien dans leurs baskets, elles ne comprennent pas que la technique choque et provoque autant de débats, propagande habituelle. Il se trouve que quelques semaines avant un autre article paru ailleurs (je ne sais plus où j’ai lu ça) montrait que des enfants nés via la GPA souffraient de graves troubles d’identités et montraient les velléités que les enfants adoptés pour retrouver leurs racines biologiques ou leur mère porteuse et que ça entraînait des complications judiciaires inextricables.

    Scientifique moi même, je suis persuadé que la science va faire beaucoup de choses inespérées au cours de ce siècle (voir Carmat, ce qui compte n’est pas que les malheureux soient tous morts c’est que leur vie a pu être prolongée) c’est très encourageant. En revanche l’éthique va jouer rôle essentiel, je ne m’emballe pas devant le trans-humanisme à la différence de certains libéraux.

    Ce débat ne concerne que quelques enfants, comme les mariage gay dont je me contrefous et j’abhorre l’idée de légiférer pour régler le cas d’un pouillème de la population. Seulement les questions éthiques vont vite se multiplier : La fameuse citation « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » va prendre tout son sens bientôt: Nous vivons dans une société occidentale vidée de son âme humaniste et où ceux qui prétendent défendre la liberté sous toute ses formes s’égarent dans des considérations progressistes qui ont toujours aspiré à l’émergence d’un homme nouveau.

    cdlt

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  • Clauz

    8 juillet 2015

    Nous vivons dans une société ouverte. La société française va devoir faire face à l’avenir à la multiplication des GPA faites à l’étranger. Que cela nous plaise ou non!

    Maintenant comment vider les avantages de la GPA pratiquée à l’étranger?
    Que fait on des enfants ramenés en France avec un passeport français?

    1) On pourrait dire aux mères : « vous avez le droit de demander à visiter votre enfant, vous avez le droit de réclamer la garde exclusive ou partagée de l’enfant » puisque nous considérons que l’enfant ne peut ètre arraché à sa mère.
    >Le commanditaire de la GPA pensant ètre le propriétaire exclusif de l’enfant, se retrouverait donc à devoir gérer une garde partagée, ce qui n’était pas prévu!

    2) On pourrait dire aux mères : « vous avez le droit de demander une pension alimentaire au commanditaire pour garder l’enfant »
    >Le commanditaire de la GPA ayant perdu l’exclusivité de la garde pourrait aussi devoir faire face à un cout financier durant la vie mineure de l’enfant. Ce qui aussi n’était pas prévu!

    3) Enfin donner la possibilité juridique à tout enfants nés par GPA et résidents français de porter plainte contre le père ou le commanditaire pour les avoir privé de leur mère.
    >Tout commanditaire résident français se retrouveraient avec cette épée de Damoclès qui réduirait l’avantage de réaliser une GPA.

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    • idlibertes

      8 juillet 2015

      Cher Clauz,

      Je ne vois pas en quoi le fait que cela puisse se faire à l’étranger impliquerait que nous devrions procéder à un changement. C’est le discours fallacieux que nous avons entendu en son temps sur l’avortement.

      Nous sommes un pays de tradition de Droit Romain ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres. Que les USA, que Israël puissent légiférer sur ces questions est normal dans un pays de Common law. En revanche, dans nos pays de code civil ou la chose et les personnes sont strictement définies, nous ne ferons pas l’Économie d’une réflexion globale.

      Ainsi, personnellement je pense totalement stérile de parler du rôle de la mère porteuse ou de la donatrice etc etc en ce que ENCORE UNE FOIS, ce n’est pas la mère mon problème mais l’ENFANT.

      L’enfant a naître est il une chose? (seule façon de contracter)

      ou une personne?

      SI cette question, n’est pas résolue, je ne vois franchement pas l’utilité de partir en hypothèses d’équation de « oui mais si la donneuse d’ovocyte est inséminée par un père français mais donne la vie sur le territoire bulgare et déclare l’enfant au consulat belge alors quoi? »

      PS Pour avoir eu à inscrire des enfants français dans un consulat étranger, croyez moi, on ne revient pas avec un passeport français comme avec une cartouche de Malboro Expérience LARGEMENT partagée. On va vous demander votre suivi de grossesse, l’hôpital ou vous avez accouché à l’étranger etc etc et pour avoir un passeport, cela prend en général 6 mois et après que vous ayez une fiche d’état civil en règle.

    • Clauz

      8 juillet 2015

      Ce que je voulais dire c’est que même si la loi anti GPA est inscrite dans notre droit, elle est facilement contournable. Donc que proposez vous pour y remédier?

      Maintenant, admettons que l’on ait résolue la question, un enfant est une personne.
      Celà ne changera rien au mouvement actuel.

      Que faites vous alors des enfants nés par GPA à l’étranger (Belgique par exemple) et ramenés en France? Que faites vous des pères?
      Si l’on ne fait rien, alors la GPA est de facto autorisée en France.

    • idlibertes

      8 juillet 2015

      Je serais désolé pour eux mais c’est un peu la même logique qu’une personne qui rachète un bien recelé. Si par votre action, vous avez commis un acte illégal sur votre territoire, vous ne pouvez invoquer votre propre turpitude sous prétexte q’une tierce personne serait innocente dans la mesure ou vous avez crée cette situation.

      En général, si la loi est suffisamment bien énoncée et que les couples le savent, ils leur reste le choix de partir vivre dans le pays et en demander la nationalité (la belgique ne permet la GPA que par DON) mais il est hors de question de laisser faire le droit par terrorisme d’une poignée de fanatique capricieux.

    • idlibertes

      8 juillet 2015

      La Citadelle de Liège, le CHU Saint-Pierre de Bruxelles et l’Hôpital universitaire de Gand, voilà les trois centres qui proposent la gestation pour autrui en Belgique. Mais pour y avoir recours, il faut à répondre à de nombreux critères. Tout d’abord, aucune GPA de confort n’est pratiquée. Autrement dit, des contre-indications médicales doivent obligatoirement être prescrites pour le couple demandeur, notamment pour la mère intentionnelle. Cette dernière doit être dans l’incapacité de porter son enfant (suite à une ablation de l’utérus ou à des fausses-couches à répétition par exemple).

      Autre condition sine qua non: le couple intentionnel doit présenter une mère-porteuse dite « relationnelle ». Le plus souvent, il s’agit d’une sœur ou d’une amie du couple infertile. Mais attention, cette femme, déjà mère et âgée de moins de 40 ans, ne doit être rémunérée. Un véritable don de soi exempt de toute contrepartie financière. Seuls les frais médicaux sont pris en charge par le couple commanditaire. Les parents intentionnels doivent obligatoirement être les parents génétiques en fournissant leurs gamètes. La mère-porteuse n’a, ainsi, aucun lien génétique avec l’enfant.

      Donc inutile de préciser que cela ne s’applique par aux couples homosexuels dans le mesure ou l’ovocyte est de la mère.

    • idlibertes

      8 juillet 2015

      Ps il n’existe pas de loi contre la GPA per se, juste une interdiction de faire commerce du corps humain.

  • Patrick

    7 juillet 2015

    Très bon rappel sur le fait que l’enfant n’est pas une chose, les esclaves étaient traités alternativement soit comme choses soit comme personne, et il n’y a pas plus anti libéral que cela.
    ————-
    On comprend bien pourquoi le droit actuel désigne celle qui porte l’enfant comme la mère. On n’avait pas autrefois de meilleur critère.

    Mais aujourd’hui la science aidant, les mécanismes de la reproduction sont mieux compris, et les tests ADN sont très accessibles.

    Donc de deux choses l’une, le père étant le producteur des spermatozoïdes; soit la mère est la productrice des ovules, soit elle est celle qui porte l’enfant, mais un enfant ne peut PAS avoir DEUX mêres…

    Le premier choix est compatible avec la « GPP » (Gestation Pour les Parents, pardonnez le néologisme) le second ne l’est pas.

    Pour la même raison que l’on a supprimé le Délai de viduité, la legislation mérite un toilettage.

    Répondre
    • idlibertes

      7 juillet 2015

      Cher Patrick,

      Le problème avec la GPA n’est pas, en tout cas à ce stade de savoir qui serait la mère.

      Nous sommes ici dans la nécessité de qualification de l’enfant en tant qu’objet ou en tant que personne. Question que le législateur DOIT résoudre .

      Après, je pense que réduire le lien animal du nourrisson avec sa mère est une erreur dans le développement futur de l’enfant en ce qu’il est prouvé que des femmes qui viennent d’accoucher ont avec leur bébé une hormones d’attachement (que l’on retrouve parfois entre chien et maître, étrangement)

    • Clauz

      7 juillet 2015

      Je croyais que la législation avait déjà qualifié l’enfant en tant que personne et non en tant qu’objet?!

    • idlibertes

      7 juillet 2015

      Bonsoir,

      Alors la loi ne définit pas de statut juridique pour l’embryon; on assiste depuis l’avènement de l’avortement et par suite des lois bioéthiques à des circonvolutions sans fin ou les magistrats qualifient de sorte « d’enfant en devenir » mais en même temps qualifier des embryons d’enfants auraient un impact sur les successions (embryons congelés) sans parler dés lors de la remise en cause de l’avortement.

      C’est la raison pour laquelle je me régale à l’avance dans ce débat afin de voir comment Taubira et ses comparses trotskistes vont réussir à résoudre ce problème juridique.

    • Patrick

      7 juillet 2015

      « C’est la raison pour laquelle je me régale à l’avance dans ce débat afin de voir comment Taubira et ses comparses trotskistes vont réussir à résoudre ce problème juridique. »

      J’ais quand même un peut peur des « solutions » qu’ils pourraient trouver.

      « qu’il est prouvé que des femmes qui viennent d’accoucher ont avec leur bébé une hormones d’attachement »

      Je partage avec toi la qualité de cet argument, notamment parce qu’il porte sur la nature humaine.

      Ce qui me parait plus difficile, est d’exclure le critère des gamètes et d’expliquer à des femmes qu’elle ne peuvent pas avoir leur enfant avec leurs ovules, qui leur ressemble, du simple fait d’un accident de la vie, qu’une autre en serait la mère si l’intervention se faisait.

    • idlibertes

      7 juillet 2015

      L’autre option serait de considérer que la porteuse serait une sorte d’utérus sur pattes. Pas tellement plus réjouissant ….

    • Patrick

      7 juillet 2015

      Le lien hormonal mère enfant est indiscutablement très fort après l’accouchement.
      Mais, si on ne peut avoir les deux, j’ai tendance à penser que le lien génétique est plus fort sur le moyen long terme.
      Heureusement pour les pères …

    • idlibertes

      7 juillet 2015

      Je n’ai pas du tout envie de choisir entre la peste et le choléra.

      Franchement, ne pas ouvrir cette boite de pandore me parait infiniment plus simple. La stérilité a existé de tous temps et les couples ont appris à le traverser. Comme d’autres affrontent des périls de la vie. Des morts soudaines du nourrisson, des enfants qui naissent avec des handicaps, etc etc.

      Je ne vois pas bien en quoi le rôle d’une société moderne serait de trouver des solutions légales à tous ces problèmes humains qui par définition , sont sans fin;

  • FrancisC

    6 juillet 2015

    Paradoxe: au moment où le client de la prostituée est sanctionné, l’utilisateur de la GPA est peu à peu légalisé.

    La phrase de Pierre Legendre qui date déjà d’une quinzaine d’années résume bien la situation:  » le droit n’est plus qu’une machine à enregistrer des pratiques sociales ».

    Répondre
    • Patrick

      7 juillet 2015

      Bien vu !

    • Fucius

      10 juillet 2015

      Il y a plus grave: On ne distingue plus la État et société, puisqu’il est admis que la loi a pour fonction d’entériner l’acceptation sociale (« mariage gay »).

      Autrement dit nous somme dans un régime de type fasciste (« Tout pour l’État, rien en dehors de l’État, rien contre l’État »), ce qu’ont bien perçu les libéraux qui se sont élevés contre cette loi scélérate, et bien qu’un compréhension superficielle des événements puisse donner à penser le contraire.
      Un État libéral ne légifère qu’en rapport avec des nécessités objectives, pour le reste il défend la liberté et la propriété.

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