De retour d’un voyage professionnel – du 13 au 23 Janvier – dans 3 pays d’Afrique du Nord, Maroc, Egypte et Algérie, je souhaite partager avec vous quelques observations deux ans après le « printemps arabe ».Bien évidemment, ces propos n’ont pas vocation à être généralisés à d’autres situations sur lesquelles je n’ai pas d’informations autres que celles rapportées par les media.
Néanmoins, au-delà des remarques propres à la situation particulière de chacun des pays visites, la question fondamentale me parait être la probabilité d’émergence après des transactions chaotiques, de régimes démocratiques pluralistes.
Commençons par l’Égypte, pays de 85 millions d’habitants, ou la Présidence – après une élection contestée ou l’opposition séculariste, et fragmentée s’était rassemblée tant bien que mal derrière un proche d’Hosni Murabak- avait été gagnée par le candidat des Frères Musulmans, Mohammed Morsi, ingénieur forme aux Etats Unis, qui s’est à l’usage révélé tout à la fois autoritaire et versatile.
Autoritaire car son action depuis sa prise de fonction a été largement dirigée vers une main mise progressive mais systématique sur tous les leviers du pouvoir, Parlement, ou les Islamistes de toutes tendances avaient une large majorité qui devrait être confirmée et consolidée après les élections d’Avril 2013, mais aussi Armée, ralliée ou à tout le moins dans une position de prudente expectative.
Subsiste le Judiciaire, mais la nouvelle constitution, adoptée par un cinquième du corps électoral, repoussée au Caire, devrait contribuer à juguler les velléités d’indépendance des magistrats.
Versatile car l’inexpérience des nouveaux dirigeants, d’origine professions liberales,dont beaucoup étaient en exil ou incarcérés, les conduit à prendre des décisions non réfléchies qu’ils doivent ensuite abroger dans l’urgence, créant ainsi une instabilité juridique préjudiciable à un climat favorable aux affaires, alors que le programme affiche du parti au pouvoir est plutôt d’inspiration libérale
Sur le plan économique, la population souffre d’un marasme que les dirigeants actuels ne sont pas en mesure de corriger.
Les réserves extérieures ont chuté, en partie du fait de la disparition de fait des touristes, une source traditionnelle importante de devises, aussi par le retour précipité d’un million de travailleurs égyptiens qui étaient en Lybie.
Le FMI a suspendu ses transferts a la prise d’un certain nombre d’engagements, et $4,8 milliards sont en attente mais toujours bloques.
$ 750MM sont dus au Club de Paris. L’Europe a promis un geste mais rien n’est débloqué et Morsi vient d’annuler une visite à Paris.
Les pays du Golf, notamment le Qatar ont promis/verse des subsides – dons, « soft loans » – mais leur réception est décalée, contribuant ainsi aux difficultés actuelles.Et les motivations de cette aide sont clairement, comme en Lybie et en Syrie, les objectifs de pérennité politique des dirigeants du donataire.
Pendant ma visite, des milliers de manifestants étaient en face de mon hôtel au Caire, protestant contre la non réception de leurs salaires dus par leur employeur, un sous contractant d’une entreprise dans le secteur de l’énergie elle-même dans l’attente de paiements publics non reçus du gouvernement.
Situation typique qui explique la chute de popularité du Président et de son gouvernement, avec une opposition de courants salafistes d’une part, et de sécularistes divises entre eux d’autre part.Dans un pays traditionnellement tolérant, la pression devient forte sur notamment les femmes avec une extension de l’habillement juge conforme aux canons de l’Islam rigoriste, et un sentiment diffus de défiance vis-à-vis du mode de vie occidentale.
Durant ma visite, une délégation bipartisane – de sénateurs américains emmenée par John McCain, séjournait également au Caire, prenait des contacts nombreux, mais restait dans une prudente attitude vis-à-vis du nouveau régime, l’objectif avoue étant de ne pas exacerber les sentiments anti Israël de l’administration Morsi.
De fait l’aide financière américaine est maintenue, même si certains intérêts prives parlent ouvertement de retrait.
Clairement les étudiants et milieux libéraux occidentalises qui allies objectifs aux Frères Musulmans, eux idéologiquement structures et organises, ont fait tomber Mubarak, ont le sentiment d’avoir été floue par l’obscurantisme allie à une inexpérience de la conduite des affaires dans un grand pays émergent complexe.
L’Armée est toujours le recours, ce serait une tragédie que cette transition conduise à une nouvelle dictature militaire. Mais le chemin vers un régime respectueux du pluralisme et du droit des femmes parait long et tortueux.
L’Algérie – visitée une troisième fois en 18mois, au moment de la prise d’otages sanglante dans le Sahara à la frontière libyenne qui a ravive dans l’opinion algérienne, mais aussi dans les milieux d’affaires étrangers, le souvenir d’années noires avec 200000 victimes de tous bords – est l’exception dans le printemps arabe en Afrique du nord.
Le régime en place est toujours celui qui a succédé à la colonisation française en 1962.
Une autocratie militaire, gérontocratique, et largement corrompue.
Mais séculariste…
Confronte à des manifestations au printemps 2011, le régime a lâché du lest, utilisant la carotte – des distributions de primes dans le secteur public mais aussi prive -, qui ont alimente le marché des acquisitions automobiles, toutes importées, contribuant ainsi à la congestion accrue de la circulation à Alger et sa périphérie – mais aussi le bâton.
Quant au Président, il aurait pris l’engagement de ne pas se représenter en 2014, ce qui n’est aucunement une garantie d’évolution vers un régime plus transparent..
Si le régime est ouvertement et sévèrement critique dans des couches très larges de la population, le souvenir des années 1990 écarte toute tentation de retour au pouvoir des Islamistes dont les éléments les plus radicaux, le GIA, ont constitué le noyau fondateur d’AQMI.
Si mes interlocuteurs largement dans le secteur privé étranger exprimait des inquiétudes, c’est bien parce que le consensus est celui – face à une attaque sur des installations gazières ou pétrolières jamais ciblées dans le passe trouble du pays, que les objectifs des groupes lourdement armes – merci à nos dirigeants qui avaient arme les milices anti Qaddafi en Lybie, maintenant l’opposition en partie djihadiste en Syrie – sont bien les intérêts prives étrangers qui alimentent 90% de l’économie exportatrice algérienne.
Dans ce contexte, d’autres attentats sont attendus que les autorités réprimeront avec la même brutale rigueur.
Un mot enfin sur le Maroc, ou un courant islamiste dit modéré – j’attend toujours que l’on me donne le sens exact de cette qualification – participe à un gouvernement de coalition qui au moins dans la forme soutient une monarchie attentive et moins répressive que sous le souverain précèdent.
Mais la situation du plus grand nombre demeure précaire et pour jauger son désespoir il suffit de voir au petit matin les longues files devant le Consulat d’Espagne à Casablanca.
L’Espagne atteinte légalement ou autrement étant le point d’entrée dans l’Eldorado Européen.
Le niveau de vie est très inférieur à celui de l’Algérie et les classes dirigeantes échappent largement à la fiscalité.
Ceci alimentant un Islam plus radical et anti monarchique, pour l’instant peu visible mais bien présent.
Ces pays pourraient se développer plus rapidement et plus efficacement si leurs frontières notamment commerciales étaient ouvertes.
Ce n’est hélas toujours pas le cas, notamment entre l’Algérie et le Maroc, notamment du fait de la dispute territoriale sur le Sahara Occidental.
Faut-il pour autant regretter le passe dont nous nous sommes en Occident satisfait pendant des décennies ?
Je ne le pense pas mais reste néanmoins extraordinairement attentif et prudent face à ce qui se passe et surtout ce que l’on doit anticiper sur la rive sud de la Méditerranée.
Et notre soutien aux éléments éclairés et pluralistes de ces sociétés civiles doit être plein et sans compromission même s’il leur appartient a eux seuls de provoquer les évolutions que nous espérons pour eux.
Jean-Claude Gruffat
Auteur: Jean-Claude Gruffat
Jean Claude Gruffat est depuis Avril 2020 Managing Director chez Weild and Co, banque d’affaires indépendante présente dans plus de 20 États aux États Unis. Après une carrière dans la banque internationale chez Indosuez, puis Citigroup. Jean Claude Gruffat est le Chairman de Competitive Enterprise Institute, et un board member de Atlas Network, toutes deux think thanks libertariennes domiciliées à Washington DC. Il est également gouverneur de L’American Hospital de Paris. Titulaire d’un doctorat en droit public, et d’une maîtrise de science politique de l’Universite de Lyon, ainsi que ancien participant au Stanford Executive Program, GSB, Stanford University, CA.
Ben Oït
5 février 2013Merci pour cet article très instructif.
Voyager est un excellent, si ce n’est le meilleur, moyen de s’informer. Malheureusement cela n’est pas toujours possible.
Aussi c’est un plaisir de lire ceux qui en ont eu l’occasion.
Merci d’avoir partagé vos sentiments au retour de ce voyage professionnel.