De retour dans le froid de ce rude hiver new yorkais, j’essaie de mettre un peu d’ordre dans mes idées après 13 jours dans 4 pays d’Afrique du Nord du Caire à Casablanca, en omettant toutefois la Libye.
Voyage d’affaires je précise, consacré à la promotion de nos activités auprès d’une trentaine de multinationales européennes et nord-américaines.
Je suis arrivé au Caire le 22 Janvier, je suis reparti pour Tunis le vendredi 24, jour d’un certain nombre d’attentats à la bombe qui ont fait des morts et des blessés. Ma dernière visite remontait à un an, sous le régime démocratiquement élu des Frères Musulmans, depuis renversé par la conjonction de la rue et d’un coup d’état militaire. Trois ans après la chute de Mubarak, nous voilà revenu à un Général récemment promu maréchal et bientôt élu Président par une majorité que l’on prévoit écrasante. Les principaux dirigeants déchus sont en prison dans l’attente de leurs procès, les manifestations en leur faveur ont été réprimées brutalement avec au moins plus de 1500 morts. Et le terrorisme frappe l’armée et la police du régime, mais aussi bien sur des victimes innocentes.
Certes les Frères Musulmans ont été écartés pour leur rigidité idéologique, impopulaire au Caire, mais soutenue assez largement dans le reste du pays, mais aussi et surtout pour leur incompétence à gouverner le pays. Notamment en matière économique et financière.
Les réserves de change ont chuté de $ 36 milliards il y a 3 ans a 15 ou 16.au début 2014.Les touristes ne viennent plus, les travailleurs égyptiens en Lybie sont revenus, seuls ceux du Golf continuent à transférer, l’aide du FMI a été suspendue, ainsi que celle de l’Europe, les bailleurs de fonds sont les monarchies wahhabites d’Arabie Saoudite et des Emirats, qui se sont substituées au Qatar et à la Turquie, soutien financier de la mouvance des Frères.
Les insurgés de Tahir square ont été grugés, ils ont été le déclencheur d’une révolution, qui a conduit à un processus électoral pour lequel seuls les islamistes étaient préparés, Frères et salafistes, les autres tendances fractionnées étant en désaccord sur pratiquement tous les chapitres de leurs agendas. On connaît la suite et le futur est peu réjouissant. Tous les ingrédients d’une guerre civile brutale sont réunies avec un scénario qui rappelle celui de l’Algérie il y a plus de 20 ans, lorsque l’armée a destitué le gouvernement islamiste démocratiquement élu. A suivi une guerre civile et un terrorisme qui ont fait plus de 200 000 morts.
Les milieux d’affaires soutiennent le gouvernement de transition, et souhaitent l’élection du « Field Marshall Abdelfatah Al – Seesi », qui battu froid par Washington est allé la semaine dernière chercher à Moscou l’endossement de Vladimir Poutine, comme aux beaux temps du Nassérisme…
Les finances publiques sont excessivement dépendantes des aides des pays du Golf, qui renflouent un pouvoir qui a renversé leur ennemi de toujours, les Frères Musulmans, qualifiés en Égypte de « culte fasciste », dont les dirigeants emprisonnés sont jugés pour complot et crimes de sang..
Le nouveau pouvoir devra traiter le problème d’une bureaucratie pléthorique et inefficace, ainsi que la charge budgétaire des subventions sur les produits de première nécessité, un montant annuel de $ 28 milliards, dont la moitié sur l’énergie.
La mémoire collective de la guerre civile d’une décennie est toujours dans les propos en Algérie, ceci explique que la population tolère un régime gérontocratique et corrompu qui se maintient dans l’indifférence quasi générale, tout plutôt que le retour aux années sombres. Des élections présidentielles sont prévues dans moins de 3 mois et on ne sait pas à ce stade si le Président Bouteflika sera encore candidat à sa succession, on le dit affaibli par son état de santé et nul ne sait s’il est encore en possession de toutes ses facultés.
Pourtant en dépit de toutes ces incertitudes et de la présence d’AQMI dans le sud et la zone frontalière libyenne, l’Algérie est tous les pays du Maghreb et d’Afrique du Nord celui qui a le meilleur potentiel de développement, ressources pétrolières et gazières, faible endettement, et réserves substantielles en devises.
Bon nombre de groupes industriels étrangers et notamment français ont des investissements importants en cours de réalisation, on mentionnera seulement Renault et Sanofi. Tout ceci pour le marché local, en substitution d’import et en dépit d’une politique restrictive qui soumet tout investisseur non « grand-fathered » a la règle d’un actionnariat algérien d’au moins 51%.
A l’est, la Tunisie, d’où est parti le printemps arabe, après une expérience de régime islamiste avec le parti Ennahda, lui aussi dans la mouvance des Frères, arrive au pouvoir par des élections libres en Octobre 20-11 – 51% de votants contre 40% seulement pour le scrutin d’approbation par referendum de la nouvelle constitution égyptienne – recueillant 37% de votes populaires et 41% des sièges à l’assemblée.
Fort habilement, le parti s’est temporairement retiré du pouvoir, en faveur d’une équipe de transition, qui a fait adopter par voie parlementaire en Janvier 2014 une Constitution qui reconnait l’Islam comme la religion de la Tunisie, tout en garantissant les droits des minorités et le statut de la femme.
Très probablement la prochaine assemblée élue donnera le plus grand nombre de suffrages a l’Ennahda, que ses adversaires divises accusent de duplicité et double langage.
Les oppositions laïques sont divisées, et leurs dirigeants manquent de crédibilité.
Des réformes économiques importantes sont attendues à commencer par le goulot d’étranglement du port de Tunis, dont l’absence de productivité est soulignée par tous les experts en logistique et les utilisateurs des milieux d’affaires qui vantent le succès de Tanger en zone franche marocaine.
Le pays étant aussi administré par un gouvernement à composante islamiste « modérée », avec une monarchie héréditaire plus libérale, l’économie marocaine est sans doute la plus entrepreneuriale de la zone.
Les autorités encouragent la création d’entreprises, et j’ai pu assister, sous l’égide de la Chambre de Commerce Américaine au Maroc, et d’une Fondation privée, Endeavor, a une soirée passionnante ou nombre de Start up ont présenté leurs réalisations et leur projets d’expansion notamment à l’international y compris hors de l’espace européen.
Le Maroc , doté d’une zone franche et de facilites portuaires, à l’ambition de développer des exportations notamment à destination de l’Afrique sub saharienne, les échanges inter Maghreb étant très faibles notamment du fait de la fermeture de la frontière terrestre entre Maroc et Algérie, sur l’affaire du Sahara Occidental.
Renault produit déjà dans l’usine Renault Tanger Méditerranée avec une seule ligne 170000 véhicules par an, et la capacité future atteindra 400000.
Pour les marchés d’exportation.le gouvernement marocain est partenaire par une institution publique, il a aussi octroyé des financements a taux bonifie sur 40 ans.
Renault simultanément démarre une chaine d’assemblage en Algérie avec participation publique, entrée en production programmée pour la fin 2014, avec 25000 unités, en substitution d’imports pour le marché local, montant à 75000 en 2017.
A ce jour, tous les véhicules commercialisés en Algérie, un des plus grands marchés au monde, sont importés d’Europe ou d’Asie.
Trois ans après le soulèvement populaire en Tunisie contre Ben Ali et la corruption établie de son entourage proche, on constate des situations locales contrastées mais bien peu d’avancées démocratiques au sens occidental du terme.
Le mouvement avait d’ailleurs commence en Tunisie par l’immolation par le feu d’un jeune protestataire qui se plaignait de ne pouvoir exercer son commerce.
Le paradoxe étant que l’idéologie des Frères Musulmans affiche un relatif libéralisme économique et une rigidité sur les questions sociétales alors que les mouvements attaches aux libertés publiques se situent dans une mouvance d’inspiration plus socialo-étatiste.
Le sujet le plus préoccupant est la dégradation du climat politique, et la montée du terrorisme en Egypte, suivi par les incertitudes sur la succession Bouteflika en Algérie.
A mentionner la Lybie ou je ne me suis pas rendu, mais ou les entreprises notamment installées en Tunisie font par l’intermédiaire d’agents locaux, un courant d’affaires appréciable sur les produits de consommation. Dans un environnement ou le pouvoir central a abdiqué au profit des irrédentismes régionaux et tribaux, dans un pays où l’on estime le nombre d’armes par individu être de l’ordre de 4….
Facteur de préoccupation supplémentaire compte tenu de la porosité des frontières sahariennes et de la présence d’AQMI au Mali, Mauritanie, sud algérien,
D’où la sympathie manifestée récemment par l’administration américaine envers notre pays, seul puissance affrontant et tentant de réduire ce terrorisme militant.
Auteur: Jean-Claude Gruffat
Jean Claude Gruffat est depuis Avril 2020 Managing Director chez Weild and Co, banque d’affaires indépendante présente dans plus de 20 États aux États Unis. Après une carrière dans la banque internationale chez Indosuez, puis Citigroup. Jean Claude Gruffat est le Chairman de Competitive Enterprise Institute, et un board member de Atlas Network, toutes deux think thanks libertariennes domiciliées à Washington DC. Il est également gouverneur de L’American Hospital de Paris. Titulaire d’un doctorat en droit public, et d’une maîtrise de science politique de l’Universite de Lyon, ainsi que ancien participant au Stanford Executive Program, GSB, Stanford University, CA.
Poutine7
25 février 2014La vie est belle !
Quelques mois après le sauvetage de la banque Citi par l’Etat (pouah !) fédéral américain, on peut repartir en tournée mondiale pour vanter les avantages évidentes de la financiarisation délirante au détriment de l’économie réelle …
Vu de la Motte-Beuvron, ça laisse rêveur
jean-claude
24 février 2014Un scoop, mais en est ce un?
Bouteflika est candidat a sa succession pour un quatrieme mandat.
Amellal Ibrahim
26 février 2014Ce qui serait étonnant c’est un score en-dessous de 60 %
Mathias CORVIN
21 février 2014Merci Monsieur GRUFFAT pour ce reportage éloquant , ce n’est pas demain
que les pays d’Afrique du nord seront des « tigres industriels »…………
Trop de traditions mercantiles approximatives et de marchandages
laborieux et/ou combinards , grévent pour encore longtemps les mentalités !
Le commerce nomade tient lieux d’industrie, et les souvenirs d’investissements
monstrueux finissants en catastrophes dans l’Algérie des décennies 60/90 ,
laissent assez peu d’espoir d’un décollage d’industries légéres ou de
productions manufacturées de qualités suivies !
(j’ai le souvenir des flops de Renault VI…….et BERLIET……….les flops de
l’industrie sidérurgique …….!!!! etc quel gâchis …………………
Dans des pays oû les vols et détournements de produits et services sont
une industrie quasi folklorique……..les investisseurs ne se bousculent pas ,
d’autant que l’obligation d’un partenaire local majoritaire soit le contraire
d’une garantie , voire………. plutôt une menace !!!
Je vous trouve bien courageux et aventureux d’encore courir ces pays
instables pour longtemps,voire pour toujours peut étre ?????
A une autre époque , je payais des travailleurs locaux,pour qu’ils restent
chez eux………………celà coûtait moins cher que les vols et dégradations….
Jules
22 février 2014@ Mathias Corvin : vos remarques empreintes d’empirisme sont d’autant plus attristantes qu’elles sont absolument exactes : l’Islam n’a jamais été et ne sera jamais soluble ni dans la démocratie ni dans l’économie de marché (au sens moderne et occidental du terme).
Amellal Ibrahim
22 février 2014@Jules Jamais soluble dans l’économie de marché ? Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ?