5 décembre, 2025

Ukraine : le plus dur est la paix

Quel que soit le plan de paix final, pour l’Ukraine et pour la Russie, le plus difficile sera le temps d’après. Reconstruire le pays, gérer les blessés et les veuves, passer à une économie de paix, se repositionner sur la scène internationale. Le chantier est immense.

 

La paix finira-t-elle par arriver ? Donald Trump semble sur le point de parvenir à ses fins en imposant une paix à l’Ukraine qui scellera la perte des territoires de Crimée et du Donbass. Mais qui peut aussi assurer sa sécurité pour les prochaines années.

 

Ukraine : gérer la paix

 

La perte des territoires occupés par l’armée russe ne fait plus débat. Après la paix, l’Ukraine se réveillera sans la Crimée et le Donbass, amputée de près de 20% de son territoire. Des espaces qui sont peuplés de populations russophones et en situation de rébellion depuis 2014. Cette perte territoriale peut être une chance pour l’Ukraine : recentrée sur sa population ethnique, débarrassée de régions séparatistes qui pourrissent la vie du pays depuis plus de dix ans, l’Ukraine sera plus homogène et unie. Elle pourra ainsi se concentrer sur le défi de la reconstruction et sur son intégration dans le nouvel ordre mondial.

Cette reconstruction sera autant matérielle que morale.

Il faudra restaurer les villes rasées et les bâtiments détruits, ce qui nécessite des capitaux et du temps, mais ce qui est finalement le plus simple à mener. À condition que le pays purge ses réseaux de corruption et assure une transparence des fonds engagés et des critères d’attribution des marchés publics.

Mais la reconstruction la plus difficile sera morale. La réintégration des soldats dans la vie civile, le soin apporté aux mutilés physiques et psychologiques, la gestion des veuves et des orphelins. L’Ukraine devra faire avec des classes creuses et des populations réfugiées à l’étranger qu’il ne sera pas aisé de faire revenir et de réintégrer. Ce lien social est néanmoins indispensable pour rebâtir l’Ukraine de demain.

Après la guerre, il faudra aussi à Kiev retrouver la voie des élections, donc du débat démocratique, des médias indépendants, des controverses. Et son corollaire : le droit de regard et d’inventaire sur la façon dont la guerre fut conduite et menée. Quelle place aura alors Zelensky ? Sera-t-il vu comme le héros de la nation ou bien lui reprochera-t-on la perte de territoires ? L’Ukraine n’en a pas fini avec les débats sur la mémoire et l’histoire.

 

Kiev est déjà inséré dans les relations internationales et pourra aisément reconstruire son industrie, faire revenir des forces vives, attirer des capitaux et des professionnels étrangers. Si le pays a lourdement souffert de la guerre, l’Ukraine a plus d’atouts que la Russie pour assurer sa reconstruction.

 

Russie : le plus difficile arrive

 

La Russie a gagné la guerre locale, mais elle a perdu la guerre globale.

Localement, elle ressortira de cette guerre avec la Crimée et le Donbass, territoires qu’elle contrôlait déjà depuis 2014, via les proxys de la rébellion, mais dont elle disposera cette fois-ci officiellement. Dix ans de guerre pour posséder ce qu’elle avait déjà : le gain est maigre.

 

Au débit de Moscou : les morts et les amputés, frappant de plein fouet une démographie défaillante, annihilant les efforts de Vladimir Poutine pour redresser sa démographie. Sans compter les ingénieurs et les classes éduquées qui sont partis pour échapper à la guerre, et qui ne reviendront pas. La Russie va récupérer les populations du Donbass, mais voit partir ses meilleurs éléments.

À l’échelle mondiale, Moscou a perdu son influence dans les pays baltes. Tétanisés à l’idée de subir le même sort que l’Ukraine, ils ont rompu tous les ponts, chassant notamment les entreprises du port de Riga. Moscou se voit ainsi privé d’un accès à la mer Baltique.

En Asie centrale, même schéma : depuis 2022 celle-ci s’est tournée vers l’Union européenne et la Chine. Les steppes asiatiques ne sont plus l’étranger proche de la Russie. Ce qui est gagné au Donbass est perdu partout ailleurs : l’espace d’influence russe sort rétréci de cette guerre.

 

Dans les années qui viennent, la Russie va être un objet disputé entre les deux empires : la Chine et les États-Unis.

Pour Pékin, c’est la revanche de Mao sur Staline. La Russie va lui fournir le gaz et l’électricité dont a besoin son industrie pour gagner la course à l’IA et pour multiplier ses innovations. La Russie sera pour la Chine un réservoir de matières premières dans laquelle elle pourra puiser et dont les 120 millions d’habitants vieillissants et amputés des meilleurs éléments ne pèseront rien face au milliard chinois. La Russie a gagné des arpents du Donbass, elle a perdu la ressource majeure de ces années d’IA : de la matière grise.

 

Pour les États-Unis le plan est clair : empêcher cet assemblage de Pékin et de Moscou ; empêcher que l’énergie russe irrigue l’industrie chinoise. D’où le plan de Trump en apparence favorable à la Russie : il s’agit de maintenir Moscou vers l’Occident pour en faire son vassal.

Si la France disposait d’une politique, c’est la voie qu’elle devrait suivre : tendre la main à la Russie pour l’empêcher de tomber dans l’escarcelle chinoise, rouvrir les voies énergétiques pour que le gaz et le pétrole russes irriguent l’Europe et non pas l’Asie. Encore faudrait-il disposer d’une vision géopolitique, ce qui n’est pas le cas.

 

Après l’économie de guerre, qui consiste en un keynésianisme débridé, la Russie va devoir atterrir et passer à une économie de paix. Avec quoi ? L’inflation, déjà forte, va être amplifiée, les meilleurs sont partis, les structures industrielles sont vieillissantes.

Si, dans le plan de paix de Trump, l’Ukraine semble défaite, pour l’avenir, c’est la Russie qui est le plus en difficulté.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

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