31 octobre, 2024

Transport : taxer plus pour détruire un pays

La Grève, la grande œuvre de Ayn Rand, est censée être un roman. Depuis que le budget est en discussion à l’Assemblée nationale, la dystopie devient une réalité. Dans cette fresque américaine, les politiciens s’attaquent au rail, le cœur battant de l’Amérique, car le train permet les transports de marchandises et de personnes, donc la vie. Hank Rearden, l’un des acteurs principaux de la filière train, ne cesse d’alerter sur les conséquences dramatiques que les réglementations et les législations font peser sur le transport et donc, à terme, sur la puissance américaine. Rien n’y fait. Les réglementations sont toujours plus contraignantes. Et plus il y a d’accidents, à cause de ces réglementations, et plus les règlementations augmentent. Jusqu’au jour où Rearden et les autres font la grève, c’est-à-dire cessent de payer l’impôt, et rejoignent John Galt.

La vie de l’hémicycle, hélas, s’apparente de plus en plus à La Grève, mais en version réelle. Les attaques contre le transport : la voiture, le bateau, l’avion détruisent la compétitivité des entreprises et à terme la puissance française. Tout cela pour combler un déficit sans fin parce que les députés n’ont pas le courage de baisser les dépenses de la France.

Avion : détruire par sadisme

Un petit détour par la théorie géopolitique est nécessaire.

En géopolitique on étudie, notamment, les espaces, les points et les lignes. Les espaces, ce sont les pays, les villes, les lieux. Les points, ce sont les centres de décision : les aéroports, les ports, les usines, les lieux de pouvoir. Les lignes, c’est ce qui relie les points et traverse les espaces. Plus il y a de lignes, plus il y a de puissance. Couper les lignes, notamment en s’attaquant au transport, c’est couper la puissance.

Une anecdote permettra de le comprendre.

Il y a quelque temps je me rendais au Kazakhstan. Pour s’y rendre, la voie la plus directe est de faire Paris / Istanbul, Istanbul / Astana. À Paris, dans l’avion qui reliait Istanbul, les voyageurs étaient essentiellement des Africains. Ceux-ci n’allaient pas en Turquie, mais se rendaient au nouvel aéroport turc pour prendre ensuite une correspondance pour relier la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal. Les personnes interrogées m’expliquèrent que ce voyage était certes plus long qu’un vol direct Paris / Afrique, mais moins cher. Autrement dit, Roissy Charles-de-Gaulle, qui tient encore son rang de premier aéroport d’Europe, est en train d’être détrôné par Istanbul dans les liaisons avec l’Afrique.

On le comprend. Le nouvel aéroport d’Istanbul a été conçu comme la vitrine et le levier de la nouvelle puissance turque. Il a vocation à devenir l’un des principaux aéroports au monde, en devenant le hub vers l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

Roissy est ainsi en concurrence non seulement avec Londres, Amsterdam et Francfort, mais aussi avec Istanbul et Dubaï. La décision du gouvernement d’augmenter la taxe sur les billets d’avion de 9,5€ pour les vols en Europe à 120€ pour les vols internationaux est ainsi un coup de poignard planté dans l’industrie aéronautique. Roissy va perdre sa compétitivité au détriment des autres aéroports.

C’est oublier qu’un aéroport n’est pas qu’un lieu de transit de passagers. Roissy, c’est 80 000 emplois directs. C’est-à-dire des hôtels, des restaurants, des boutiques, toute l’activité économique nécessaire au fonctionnement d’un aéroport, mais aussi des sièges sociaux d’entreprise et des emplois indirects. Si à cela s’ajoutent les hausses fiscales prévues sur les entreprises, cela va faire beaucoup de raison de se délocaliser ailleurs en Europe, ou bien à Istanbul.

Dans des propos rapportés par Le Figaro, le ministre des Transports dit ceci :

«Beaucoup de Français ne comprennent pas pourquoi le billet de train est plus cher que le billet d’avion dans le cas d’un certain nombre de compagnies low cost».

Réponse donc du gouvernement : augmentons le prix du billet d’avion afin qu’il soit aussi cher que le train. On pourrait lui répondre que la libre concurrence sur les lignes ferroviaires permettrait une baisse des prix et une amélioration de la qualité, comme c’est le cas avec Trenitalia sur la ligne Paris / Lyon où le billet business est au même prix qu’un billet en seconde de la SNCF (avec en plus un café et un petit-déjeuner offert). Un billet de train Rome / Florence, durée 1h30, est là aussi deux fois moins cher qu’un billet Paris / Angers, dont la durée en train rapide est aussi de 1h30.

Augmenter les taxes va donc non seulement pénaliser le secteur économique et industriel, mais aussi l’ensemble des Français qui prennent l’avion pour leurs vacances. À quoi s’ajoute aussi la politique désastreuse sur les ports.

Ports : la France prend l’eau

Disposer d’un acteur de classe mondiale comme la CMA-CGM est une grande chance. Le transport maritime représente près de 90% des échanges mondiaux. Entre 1970 et 2021, le fret mondial est passé de 2 605 millions de tonnes à 10 985 millions. Dans le même temps, le transit des ports français a stagné. Le livre de Paul-Antoine Martin, Le Clan des Seigneurs, explique très bien comment une caste de hauts fonctionnaires a fait main basse sur les ports de France et a empêché tout développement. À tel point que la France ne dispose d’aucun port de classe mondiale, Marseille et Le Havre étant très loin de Rotterdam et de Singapour.

Là aussi, la modification de la fiscalité en supprimant la taxe au tonnage et en créant un impôt « exceptionnel » sur les bénéfices va laminer les investissements possibles du secteur maritime. Alors que la France, notamment avec ses outre-mer, devrait être un pays maritime de rang mondial.

La même hystérie s’empare régulièrement des autoroutes, que certains voudraient nationaliser, alors que nous disposons, grâce à une bonne gestion des entreprises concessionnaires, d’un réseau de grande qualité, très bien entretenu, disposant d’aires de repos confortables. Ce qui est très loin d’être le cas de l’Italie et même de l’Allemagne. À ceux qui se plaignent des tarifs de péage, il faut rappeler que 50% du prix du péage est composé de taxes. Autrement dit, si ces taxes étaient supprimées, le prix pourrait être divisé par deux. De quoi favoriser les échanges et donc l’activité économique. Toute limitation des transports est une limitation de la puissance.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

21 Commentaires

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  • Alain

    3 novembre 2024

    L’aspect « impôts » n’est que la cerise sur le gâteau, le vrai but – déjà testé durant la covid – est d’assigner les gens à résidence où ils sont plus contrôlables comme le prouve l’actuel graal de l’écologisme: la ville 15 min !

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  • le guillou

    2 novembre 2024

    Dans les annees 90 j` ai refuse par deux fois le poste de sous-directeur des ports autonomes francais ( et outre mer..de ) car a l` epoque on m`offrait 15.000 FF alors qu`un bitard sortant de l` ena et en stage se tapait 17.000 FF…J` ai toujours reclame le meme salaire ayant trois ans de fac eco plus deux ans en ecole de com avec DECS en poche….Que nenni….Alors que le directeur des Ports lui-meme m` avait glisse en aparte lors d`un premier entretien,  » qu`il en avait assez des enarques qui ne servaient a rien…J` ai besoin d` un homme comme vous …Vous saurez parler a Bercy et a ces financiers…… » avait-il ajoute ayant certainement eu les rapports de mes premiers passages africains entre 1982 et 1991…Cote d` ivoire et Tchad ) Je suis donc reparti en afrique pour une 15aine d` annees apres 12 annees en suisse, et je suis desormais retraite des 60 ans et resident permanent panameen….La France est pour le moment foutue….
    Je suis de Panama la lente mais irremediable descente aux enfers, entre autre fiscaux , de mon pays d` origine qui semble voue a un nouvel Al Andalous au pire et au mieux a une libanisation metissee de grecification…Un programme que je supputais deja en 2008 quand je quittais definitivement mon ex-beau pays…pour le Panama…

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  • FP37

    1 novembre 2024

    Ce sont des exemples (on peut lire à ce sujet « SNCF La Machine Infernale » publié en 2004 au Cherche Midi) d’un mal profond: la droite au pouvoir augmente les impôts pour financer les politiques mise en place par les gouvernements de gauche qui ont précédé.
    La plupart des avocats, énarques et hauts fonctionnaires qui gouvernent semblent avoir d’autres préoccupations que de faire comprendre en quoi leur politique est bonne pour la France.
    Il serait, par exemple, judicieux pour réduire la dette et son coût que l’Etat vende toutes ses participations dans des sociétés industrielles ou commerciales ainsi que beaucoup de ses propriétés immobilières.
    Les contrôles qui n’existent pas aujourd’hui (sauf par la cour des comptes dont les avis ne sont pas suivis) seraient alors assurés directement par des actionnaires soucieux de leur patrimoine, exigeant une politique claire et capables de lutter contre les décisions nocives de l’Etat.

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  • jean

    1 novembre 2024

    Si je me souviens bien le réseau ferroviaire a été privatisé en Angleterre et ….. nationalisé – sous une autre appellation – quelques années plus tard. La raison? Accident pour faute de maintenance des voies et autres…. Il y a certains domaines qui devraient être exclusivement du domaine de l’État, ça laisse encore bien d’autres pour être privatisés et compétitifs.

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    • breizh

      3 novembre 2024

      c’est vrai qu’en France, l’état du réseau ferré nationalisé est exemplaire : on ne parle jamais d’accident ni de mort… Or il y en a (eu).
      Ce n’est pas le rôle de l’Etat d’entretenir un réseau ferré. En revanche, c’est son rôle de punir ceux qui sont responsables des accidents (et là on attend toujours).

  • John T

    1 novembre 2024

    Il n’y a en France malheureusement trop de Fonctionnaires et de politiques qui ne comprennent rien à l’économie et au business. Taxer pour payer les fonctionnaires et le train de vie de l’Etat et en plus maintenant l’immigration massive amènera la France à sa perte.

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  • Patrice Pimoulle

    1 novembre 2024

    C;est une niaiserie de dire que la concurrence permet la baisse des tarifs, tout simplement parce que levout de sfacteurs de production (terre, travali, capital), dont les memes pour tout le monde.

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    • Guy

      2 novembre 2024

      Ben non. Ça dépend comment ces facteurs sont utilisés, lesquels sont choisis etc. Dans un monopole d’État (pléonasme car il ne peut y avoir de monopole que par l’État, organisation monopolistique par excellence), personne, du directeur général aux employés, n’a la moindre incitation à mieux utiliser les facteurs de production puisqu’ils savent qu’ils seront payés par l’impôt quoi qu’il arrive. Par l’exemple, la SNCF touche plus en subventions (plus de 10 milliards d’euros) que son chiffre d’affaire, sans parler des innombrables distorsions à la concurrence dont elle bénéficie contre l’avion et la voiture, surtaxés.

  • Patrice Pimoulle

    1 novembre 2024

    Monsieur Noe, la concurrence, c;est l’atomicite, la fluidite, la transparence. Or sur la ligne Lyon-Turin, il n’y a ni atomicite, ni fluidite, ni transparence. Il s’agit en realite d’un retour a la feodalite. c’est-a -dire un systeme dans lequel le seigneur (le ministre) baille (cede) a un feal L »l’operateur ») l’office de l’exploitation d’une ligne de chemin de fer, au meme titre que le four banal, le moulin banal ou le taurea banal.. Pour les choses serieuses, SNCF et Trenitalia peuvent aller dejeuner ensemble. A Lyon, il y a le choix,Mais la liturgie de la concurrence est respectee. C.est l’essentiel..

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  • Henry

    1 novembre 2024

    Magnifique analyse. La greve dans le roman mentionne ,se traduit en France par delocalisation.

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  • Guy

    1 novembre 2024

    Excellent article. Tout s’éclaire si on comprend qu’étant un parasite, l’État finit par étouffer l’hôte (les contribuables) sur lequel il vit, ce qui engendre sa propre perte par disparition de l’hôte.

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  • Estelle

    1 novembre 2024

    C’est une autre façon d’appauvrir la France pour en faire un pays du tiers monde 🌍 telles sont les intentions de Macron et sa clique et ses prédécesseurs 🤪 dramatique pour nous peuple français qui sommes la risée aux yeux du monde…

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  • Bernard

    1 novembre 2024

    Bonjour à tous,

    Ayant opéré dans le transport routier, en tant que transporteur, je me rappelle avoir chargé plusieurs fois des containers à Anvers ou Rotterdam pour livraison dans la région PACA…
    Cela pour être sûr que les marchandises ne seront pas prises en otages par des dockers cotisés…

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  • Patrice Pimoulle

    1 novembre 2024

    La puissance francaise,,, Laissez moi rire.

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  • HANLET

    1 novembre 2024

    « Quand votre seul outil est un marteau, tous vos problèmes ressemblent à des clous. » (Proverbe russe.) Nos politiques n’ont qu’un outil, l’impôt et les taxes…

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  • Thomas T

    1 novembre 2024

    Rien à rajouter, hélas

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  • Daniell

    1 novembre 2024

    Tout à fait d’accord. Enfin une analyse honnête de ce secteur d’activité essentiel. Merci.

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  • Jérôme

    1 novembre 2024

    Merci pour cette analyse.
    Que pensez vous en plus de la réduction de la vitesse sur les routes (. 80 km/h, multiplication des ronds points et écrases gendarmes etc) sur l’activité économique ?

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  • Michael

    31 octobre 2024

    Le départ de France s’accentue. Voir le fractionnement de l’empire Bolloré en entités cotées hors de Paris (Londres, Amsteram). Vivendi à vocation de pure holding, semble-t-l, est une SE, donc, bien que restant cotée à Paris, peut aisément quitter la France. Réponse au budget Barnier, mais surtout à la tendance de fond dans lequel il s’inscrit, que, au plan purement fiscal, avait tenté de casser Macron, mais sans cohérence en termes de dépenses.
    Totalenergies, LVMH, Atos, pour ne citer que les têtes de groupes que je connais, sont des SE.

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  • PAK

    31 octobre 2024

    Article très interessant .Ne connaissant pas le livre de M Martin, j’ignore ce qu’on fait ces misérables hauts fonctionnaires à ce sujet. Mais je me rappelle surtout qu’une des plaies pour les ports français était ( et est sans doute toujours) le privilège des dockers, merci la CGT, qui rendait très onéreux les ports français et faisait préferer les autres ports européens, Anvers, Gênes ou Barcelonne pour livrer vers la France et c’était il y a plus de 40 ans.

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    • Patrice Pimoulle

      1 novembre 2024

      La Ve est cogeree avec le parti communiste depuis 1941. On n;y touchr pas, c’est une question de dogme.

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