6 juin, 2024

Mon Master : comment ruiner l’université française

Mon Master : comment ruiner l’université française

Chacun connait l’agilité et la puissance de l’université française. Des universités qui fonctionnent si bien que les inscriptions dans les formations privées explosent depuis cinq ans, en dépit des restrictions imposées par l’État, comme le monopole de la collation des grades. Il a donc été décidé de rajouter une couche de planification en mettant en place en 2023 la plateforme « Mon Master ». Une plateforme copiée sur le modèle de Parcoursup, elle aussi un immense succès pour le recrutement des étudiants en licence.

Les premiers résultats de Mon Master sont tombés le 4 juin avec son lot de surprises. On voit ainsi, dans une même promotion, le major de promo ne pas être pris dans un master quand celui qui est en milieu de classement est admis. La mise en place de la plateforme a saturé le système : les masters les plus cotés reçoivent plusieurs milliers de candidatures, parfois plus de 3 000, qui sont bien évidemment impossibles à sélectionner. Les responsables de master doivent donc s’en remettre entièrement à l’algorithme.

Assurer la planification

Le but de Mon Master est d’accélérer la planification. Chacun sait que les universités ne se valent pas et qu’au sein des universités il peut y avoir de très bonnes formations et d’autres qui sont mauvaises. Les meilleures formations sont donc très demandées et les moins bonnes restent avec des places vides. Dans un système normal, les masters qui n’ont pas assez d’étudiants devraient fermer. Mais avec Mon Master on peut désormais les remplir en leur attribuant d’office des étudiants. Voici les propos tenus par le ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau (Le Monde, 4 juin 2024) :

« Quelque 185 000 places sont offertes aux 200 000 candidats, argumente le ministère, et si « les masters de droit sont en tension, certaines universités, comme Brest, loin d’être saturées, ne remplissent pas toutes les places offertes »

Ces propos du ministre appellent quelques commentaires. S’il y a 185 000 places et 200 000 candidats, il n’y a pas nécessairement adéquation entre l’offre et la demande. Il peut y avoir beaucoup de places ouvertes en sociologie et psychologie et très peu de candidats ou, à l’inverse, beaucoup de candidats pour le droit, mais peu de place. Mettre en regard le nombre global de places et de candidats n’a donc aucun sens.

Deuxième élément : je n’ai rien contre l’université de Brest et sa faculté de droit, je ne la connais pas. Mais spontanément, on peut penser que si son master reste vide c’est que sa réputation n’est pas des meilleures. Celui-ci devrait donc soit s’améliorer soit disparaitre, ce qui serait sain pour tout le monde. Avec le système Mon Master, des étudiants en droit d’Aix-en-Provence, de Strasbourg ou de Montpellier, qui n’ont pas de master dans leur ville, vont être affectés d’office à Brest. Une belle mesure de planification, sans jamais se demander si les étudiants ont le niveau pour effectuer un master, et qui ne va jamais encourager les universités à s’améliorer.

Depuis 2016, la loi prévoit un droit à la poursuite d’étude, c’est-à-dire que tout étudiant en licence doit être accepté en master. C’est la disparition complète de la sélection et, avec elle, l’effondrement des universités.

Inflation des diplômes, saturation des filières, injustice envers les meilleurs étudiants, tout est réuni pour que tout échoue. Les meilleurs étudiants n’ont plus qu’à partir étudier à l’étranger, là où se trouvent des systèmes universitaires normaux ou bien dans l’enseignement privé. Depuis 2017, les différents ministres de l’Enseignement supérieur n’ont fait que gérer la planification sans jamais apporter le moindre bol d’air au système.

En 2023, le budget du ministère de l’Enseignement supérieur s’élève à 26,6 milliards €, dont une partie finance des formations sans intérêt et sans valeur. C’est sans honte que des professeurs mentent aux étudiants en leur faisant croire qu’ils auront un emploi à la hauteur de leur diplôme, que l’on maintient des formations que l’on sait mauvaises, qu’on laisse ouvertes des universités qui sont délabrées et sans intérêt. Mon Master n’est que la révélation de ce système qui ne fonctionne pas.

Le refus du changement

Les professeurs d’université en sont les premiers responsables. Ils se plaignent beaucoup, et à raison, d’être transformés en pion d’un système administratif de plus en plus tentaculaire qui les empêche de réaliser leurs véritables missions : transmettre et chercher. Mais dès que des mesures d’ouvertures sont émises, ils sont les premiers à s’y opposer et à les refuser. Tout ce qui s’apparente à de la liberté éducative et de la concurrence est attaqué et refusé. Ce faisant, il contribue à dégrader l’image de l’université et à empêcher sa rénovation. Or il n’y a pas de pays puissant et entrainant dans le monde sans très bonne formation universitaire. C’est à la fois un enjeu social, pour que l’on cesse de mentir aux étudiants et à les mettre dans des voies de garage et un enjeu politique, car il y va du développement et du rayonnement du pays.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

17 Commentaires

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  • CDL

    13 juin 2024

    La faute à Jospin et les imbéciles qui le suivirent, mais à l’X ô combien respecté concours, sans corruption du jury comme ce fut le cas avec le Macron et Le Brigitte homme femme pour les deux hommes à l’Ena dans une seule copie de français…. oui la faute à Jospin…. car avec l’X « d’avant Jospin » nous avions des vrais X au service de l’état pour centrales nucléaires, un TGV inouï, un RER parfait, un pont de Normandie etc…. bref une perfection industrielle indépendante énergétiquement, avec le couillon Jospin des années 80, au lieu d’avoir 80 lauréats par an au concours de l’X, nous en avons plus de 300 désormais…. ET issus de bacs donnés à 99 % de la population candidate au diplôme bac, quelle abysse, les chiffres parlent d’eux-mêmes : bac à 25 % en 1975, bac à 65 % en 1985, bac à 80 % en 1995, bac à 90 % en 2010, bac à 99,8 % en 2023…. la chute est vertigineuse et l’intelligence aussi, nous devons nous emparer du sujet de l’éducation et éradiquer le jospinisme imbécile………… pour redevenir un peuple de génies dans toutes nos régions… Paris n’existe plus en tant qu’intelligence depuis en gros 1980, c’est un ramassis de trafiquants de diplômes faussement parisiens…. juste genre Paris pour faire du show-off à l’américaine encore plus imbécile…. oui des génies avec accès pour tous car là seul réside le succès de la pensée française…. pensons à Jules Vernes à Lille tiens !

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  • Nox

    11 juin 2024

    Heureusement il reste les Grandes écoles… Mais cette spécificité française n’est pas prise en compte par les classements internationaux.

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  • Nanker

    10 juin 2024

    « Mes Bac+5 ne lisent jamais de livre. Lire un article de presse spécialisée est déjà un défi. Faire un calcul de pourcentage est compliqué ».
    C’est effarant, tout simplement effarant.

    « Je donne des cours de marketing dans des écoles privées »
    N’y-a-t-il pas un problème sur ce plan? J’ai vu ce genre d’écoles pousser comme des champignons depuis 30 ans, et ne peut-on pas dire que leur « business model » est d’encaisser des frais de scolarité plantureux en promettant un avenir de « winner » à des gens qui, effectivement, ont plutôt des profils de vendeurs de prêt-à-porter.

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  • Pierre

    10 juin 2024

    J’ai été aux premières loges du fonctionnement d’une faculté de droit (équipe de direction).

    Bien que les juristes ne soient pas catalogués parmi les gauchistes invétérés, j’ai pu constater que les enseignants membres du conseil de faculté validaient systématiquement les propositions des « syndicats » étudiants, qui ne pouvaient que dévaloriser les diplômes :
    – abandon de la distinction entre matières fondamentales (dont la validation était impérative pour l’obtention du diplôme) et facultatives ainsi que des notes éliminatoires : on peut désormais obtenir une licence de droit avec un 0 en droit civil…
    – introduction progressive de la compensation des notes : d’abord au sein de l’UE, puis entre UE d’un semestre, puis entre semestres et enfin entre années d’un diplôme : le 0 entre droit civil peut être contrebalancé par une bonne note en anglais…

    En résumé : abandon de l’exigence au profit du nombre d’étudiants (pour peser au sein de l’université, les UFR se livrent une guerre des effectifs).

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  • MAS

    8 juin 2024

    Penser qu’il y a des formations mieux que d’autres est une fraude et une idée des anglo-saxons pour la reproduction d elite conformiste et servile car justement, Charles gave explique les limites du diplôme alors que fe qui importe est d’être AUTODIDACTE donc ENTREPRENEUR DE SA VIE , la formation universitaire étant une base intéressante à optimiser son même, ni plus ni moins .

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  • CRETIEN

    8 juin 2024

    Je l’ai exprimée dans un article du blog de leon, consacré à  »des pratiques aussi bizarres qu’effrayantes » au sein de CHU de l’AP-HP (titre de cet article), bien que ce soit « une affaire à ne pas ébruiter », titre d’un autre article de ce blog iconoclaste pour que l’on cesse de mentir parce qu’il y va du développement du pays.

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  • Edward

    7 juin 2024

    La France a besoin de médecins et d’ingénieurs. Elle regorge de sociologues psychologues, marketing etc… Il faut cibler les bourses vers ces métiers, et ceux qui sont demandés par les employeurs. Tel était le sens de la réforme de Mme Pécresse. Mais alors que faire des enseignants qui préparent au chômage?

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  • Floreska Maroneski

    7 juin 2024

    Le naufrage continue et s’accélère. Pour les plus anciens qui ont connu l »école des Fans, Jacques Martin et ses petites plaquettes « 10/10 ! tout le monde a gagné » deviennent donc une réalité au niveau des Masters. On assiste à une quasi distribution gratuite et aléatoire de diplômes. On accélère le phénomène de la médiocrité au pouvoir. Je prie pour qu’un homme ou une femme providentiels, comme la France en a connus avec Jeanne d’Arc, Napoleon, ou De Gaulle nous sorte de ce marasme.

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  • Bernard

    7 juin 2024

    Démolir la France et tout ce qui a fait sa grandeur ! Tous les moyens de ces naufrageurs sont utilisés… toujours plus pernicieux…
    C’est pas moi, c’est l’algorithme le responsable.
    Chers enfants de France, à défaut de diplôme ces salopards vous invitent à la guerre. Ils sont le plus abject de la création….

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  • Blondin

    7 juin 2024

    Très instructif, comme d’habitude.
    Un témoignage : J’ai trois enfants. Aucun des trois n’est allé à l’Université car aucune formation valable n’existe dans leurs domaines respectifs (arts plastiques, aéronautique, commerce).
    Etant dans la tranche « pas assez pauvre pour être aidé, pas assez bien payé pour être riche », je suis donc obligé d’emprunter et de faire des sacrifices financiers pour payer des écoles très coûteuses.
    Mais bon, je peux encore me le permettre.
    Quid de personnes ayant à peine de quoi boucler des fins de mois ?
    Le système soi-disant égalitaire est en fait d’une injustice crasse.
    Les personnes qui ont torpillé (et continuent de le faire), l’Université française sont des criminels.

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  • Leonardo

    7 juin 2024

    On voit que la méthode de l’écran de fumée ne sert qu’à retarder les prises de consciences et constats sanglants. Tout se passe comme si les décideurs fuyaient le réel.
    Exemple : aux US, les psychologues font 8 ans d’étude, un PHD et gagnent leur vie voir font fortune chez McKinsey ou dans la tech. En France, les meilleurs s’entre tuent pour entrer en master de clinique à Descartes et finiront au SMIC durant 10 ans à zoner dans les couloirs des hopitaux et parfois créer un cabinet poussif en ville où ils facturent 60 Euro la séance .

    Nous sommes des gueux. DES GUEUX. L’idéologie dévsatatrice qui a poussé au « droit aux études » a oublié l’exigeance de l’excellence et de la compétition internationale. Nos jeunes sont condamnés à zoner. Pourquoi ? Car plutôt que de collaborer avec les entreprises en s’adaptant aussi à leurs besoins, trop d’universitaires se drappent dans la haine du privé et fustigent l’économie de marché. BRAVO MELUCHE.

    Au fond, on n’a que ce qu’on mérite. Et les meilleurs se barrent aux US ou en Suisse.

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  • loulou

    7 juin 2024

    Je donne des cours de marketing dans des écoles privées. Une de mes étudiantes en master est maintenant vendeuse dans une boutique de mode. Son travail : dire bonjour, présenter les produits, encaisser, faire le réassort, ranger. Avant, c’était niveau Bac Pro vente. Les diplômés Bac Pro Vente étant aujourd’hui à moitié capable de parler et d’articuler une pensée, à peine capable de faire une addition simple, les boutiques recrutent maintenant des Bac+5.

    Nous avons un énorme problème. Nous sommes en train de créer une génération de frustrés à qui on dit qu’ils vont être Bac+5 et donc cadre intellectuel, tout en leur donnant des diplômes où aucune compétence intellectuelle réelle n’a été développé.

    Mes Bac+5 ne lisent jamais de livre. Lire un article de presse spécialisée est déjà un défi. Faire un calcul de pourcentage est compliqué. Ils savent utiliser le vocabulaire du marketing, manier les concepts simples, mais dès qu’une difficulté de raisonnement apparait, ils sont perdus, me regardent avec des yeux hagards et cherchent à copier sans réfléchir ce qu’ils connaissent déjà. Une a écrit dans sa copie d’examen l’instanté pour instant T.

    Bref, il est temps de remonter nos exigences de qualité, dès le collège.

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  • Yves

    7 juin 2024

    heureusement mon fils n’a pas eu a supporter ce parcours!!
    merci pour cet article

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  • denis lesage

    7 juin 2024

    Moi même responsable de Master et connaissant très bien l’envers du décor (et notamment comment (« bien ») sélectionner les dossiers reçus, plus de 500 pour une vingtaine de places…) vos propos sont en partie faux. Le remplissage correct de la plateforme et la fourniture des documents demandés par les candidats eux même est déjà un premier filtre pour ceux et celles incapables de suivre des consignes simples (des bac +3). De vous à moi il faut vraiment être idiot pour ne pas savoir bien remplir son dossier et inclure un CV bien fait (ça s’apprend) et une lettre de motivation réfléchie (ça s’apprend). Techniquement, cet outil est bien fait (ce n’est que sa seconde année de fonctionnement) mais perfectible. Le vrai problème est : « le droit à »… la poursuite d’étude. Une licence obtenue aux forceps en 5 ans n’est absolument pas un sésame. Dire à un jeune qu’il ou elle a atteint son maximum intellectuel avec une licence n’est pas un gros mot, ni un scandale, c’est le principe de réalité. Beaucoup ne sont pas conscient de ce qu’implique un futur niveau bac +5. Vous pointez du doigt l’adéquation entre places et débouchés, c’est vrai. Je vous réponds que l’université (y compris les meilleures) gère, avec les moyens du bord, un enseignement de masse, les fameux plus de 90% d’une classe d’âge au bac. Je nuance donc vos propos et vous réponds que étrangement ce sont toujours les moins bons candidats qui vont se plaindre.

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  • Philippe T

    7 juin 2024

    Tailleau mes amis et Retailleau je vous le dit …

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  • Yves

    7 juin 2024

    Très intéressants vos points de vues.
    Chaque fois.

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  • Robert

    6 juin 2024

    « Les professeurs d’université en sont les premiers responsables… Dès que des mesures d’ouvertures sont émises, ils sont les premiers à s’y opposer et à les refuser. Tout ce qui s’apparente à de la liberté éducative et de la concurrence est attaqué et refusé. »
    Vous me rappelez la remarque de Dominique Reynié qui s’appliquait au pays dans son ensemble et qui correspond à l’état d’esprit général dans ce pays :
    « Il y a maintenant 40 ans que les choses se dégradent sans qu’aucun problème de fond ne soit traité.
    Nous sommes au stade de l’effondrement systémique.
    Je ne suis pas certain que notre pays ait le sens de la réforme, sinon on l’aurait montré avant. Par contre le pays a l’habitude des ruptures brutales.
    Il va falloir prendre des décisions extrêmement désagréables dans un pays qui a perdu l’habitude de supporter des décisions désagréables quoi qu’on en dise.
    C’est une révolution mentale qu’il faudrait faire en peu de temps je ne suis pas sûr qu’on en soit capable.
    Ce sont tous les Français qui ne sont pas raisonnables et ne sont pas suffisamment sérieux. C’est un peu facile. Vous ne pouvez pas renvoyer aux dirigeants la responsabilité de ne pas prendre les décisions que de toute façon vous ne leur laisserez pas prendre.
    La responsabilité tient aux 49 millions d’électeurs. »

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