Le séisme qui a frappé le Maroc est révélateur des inégalités de développement urbain entre les pays et du rôle majeur des ONG dans la géopolitique mondiale. Ce qui explique que le roi du Maroc se soit montré très prudent quant à l’aide internationale.
D’une intensité de 6,8 sur l’échelle de Richter, le séisme marocain a essentiellement touché des villages du Haut Atlas, situés sur une faille sismique bien connue des géologues. La ville de Marrakech a en revanche été peu touchée et a connu peu de dégâts. Dans la montagne, le bilan est lourd : près de 3 000 morts, des milliers de blessés, environ 50 000 maisons détruites ou endommagées. Ce qui contraint à reloger rapidement les personnes sans-abris, dans des tentes humanitaires dressées à la hâte dans des camps improvisés.
L’homme face aux risques
Ce séisme rappelle l’importance de la gestion des risques, chose à laquelle les sociétés humaines s’adaptent depuis toujours. Installations humaines en bord de rivière ou de mer, à flanc de volcan, en zone montagneuse ou sismique, les hommes ont toujours sous pesée leurs choix en fonction des évaluations des risques : que gagne-t-on et que risque-t-on à s’installer quelque part. Ce qui a donné lieu à de grandes inventivités pour limiter ces risques : polders hollandais pour construire sous le niveau de la mer, canaux et digues pour contrôler les fleuves et limiter les crues, aqueducs et barrages pour réguler l’eau. Toute l’histoire de l’humanité est une lutte pour prendre la mesure de la nature, en limiter la dangerosité et rendre vivable des zones qui ne le sont pas. Chose perdue de vue aujourd’hui où une vision fixiste et rousseauiste de la nature s’impose, sans prendre en considération le travail séculaire d’aménagement du territoire.
Si un séisme de cette magnitude-là avait eu lieu à Tokyo, il n’y aurait eu aucun mort et quasiment aucun dégât. Les normes antisismiques permettent d’affronter de telles secousses. Plus les pays sont riches, plus ils peuvent investir dans ces infrastructures couteuses, limitant ainsi les risques et protégeant leur patrimoine de la destruction. Une question se posera donc rapidement au Maroc, celle qui consistera à déterminer s’il faut reconstruire à l’identique ou s’il faut édifier les nouvelles habitations avec des normes antisismiques, plus onéreuses, mais plus sûres. Tout est question de choix politique et économique, dont les conséquences sont multiples.
Le risque de la corruption
Le BTP est l’un des secteurs économiques le plus exposés au risque de corruption. Il est si facile d’établir des pots-de-vin, des rétrocommissions, des marchés publics truqués, permettant d’enrichir les amis du pouvoir au détriment souvent de la qualité de la construction. C’est ce qu’a révélé le séisme turc : beaucoup de bâtiments se sont effondrés parce qu’ils n’étaient pas construits selon les normes antisismiques pourtant prévues dans le cahier des charges (et payées). Une corruption qui a touché l’entourage d’Erdogan et qui a motivé une partie de l’opposition lors de la présidentielle.
Même problème en Sicile, après 1945. La reconstruction des villes détruites fut un formidable tremplin pour la mafia, qui y trouva matière à financement et occasion à redressement après les coups de boutoir des années Mussolini. Le même risque plane aujourd’hui sur l’Ukraine, dont la corruption est systémique et bien antérieure à la guerre. Les grandes compagnies de BTP se frottent déjà les mains des juteux contrats à venir et les oligarques des détournements d’argent qu’ils pourront opérer. Plus que jamais après cette catastrophe, l’état de droit, le pluralisme médiatique, l’indépendance de la justice sont nécessaires si l’on veut éviter une croissance du détournement d’argent et de la corruption.
ONG, le jeu trouble
Dans un remarquable entretien pour Le Figaro, Sylvie Brunel a bien mis en évidence le jeu trouble des ONG et leur rôle dans la guerre informationnelle. Après une longue carrière dans l’humanitaire, qui l’a conduite à diriger Action contre la faim, Sylvie Brunel a poursuivi une carrière de géographe, devenant professeur à la Sorbonne. Elle est l’une des rares à travailler sur les politiques de développement, sur les actions des ONG et sur les usages politiques des catastrophes. Ses livres, notamment sur l’alimentation et l’agriculture, sont remarquables d’intelligence et de connaissance, et sont toujours des bouffées d’air dans la sécheresse ambiante.
Beaucoup ont en effet été surpris que le roi du Maroc refuse l’aide internationale, puis la limite a quelques pays (dont la France était exclue). Les ONG et l’aide humanitaire étant solidement situées dans le camp du bien, cela ne pouvait être que l’expression d’une désinvolture à l’égard de son peuple. Rien n’est moins sûr. Nombreuses sont les ONG à n’avoir de non-gouvernemental que le nom. Bien souvent, elles agissent par proxy pour le compte d’États, d’associations mondiales ou d’idéologie qui sont contraires aux intérêts du pays où elles interviennent.
Derrière l’aide, il y a la question essentielle de la souveraineté et de l’indépendance nationale : « L’aide humanitaire internationale va toujours des pays développés aux pays non développés. En tant que pays émergent, qui se veut interlocuteur de l’Europe et qui aspire à un statut de puissance régionale en Afrique, Rabat veut montrer qu’il est souverain, capable de piloter les secours, et ne pas se comporter comme un pauvre pays meurtri que tout le monde vient charitablement secourir » explique Sylvie Brunel. C’est le sujet essentiel du positionnement de Rabat sur la scène internationale et de l’image que le Maroc renvoie de lui-même.
Nombreuses sont les ONG à s’infiltrer dans les pays en détresse pour ensuite orienter la politique nationale non pas dans le sens du pays, mais dans l’intérêt de tiers qui ont profité de la catastrophe pour prendre les rênes du pays fragilisé. L’enjeu politique est donc double : démontrer que l’on est assez fort pour gérer la catastrophe seul, conserver sa liberté politique et ne pas se faire coloniser par d’autres. L’aide doit toujours être ponctuelle, circonscrite et provisoire, au risque sinon que les ONG deviennent des États dans l’État. C’est ce qui se joue au Maroc aujourd’hui. Raison pour laquelle le roi a choisi ses interlocuteurs et les pays avec qui il a accepté de travailler (dont l’Espagne et le Qatar).
Le risque est également réputationnel : à force de s’apitoyer sur les dégâts et les victimes, l’activité économique risque d’en pâtir, notamment le tourisme. Or un séisme qui touche la montagne de Marrakech ne concerne pas les cités balnéaires du littoral ni les infrastructures industrielles de Tanger Med. Pourtant, dans l’esprit de beaucoup, c’est tout un pays qui est touché et donc tout un pays qui est à éviter. C’est bien cette limitation géographique et politique qu’il est essentiel d’opérer pour que le Maroc ne se retrouve pas vassalisé par les émotions et les associations internationales.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Fiorese
25 septembre 2023Le Maroc est capable d’organiser les secours aux populations et la reconstruction des maisons et des bâtiments publics.
Ainsi il évitera d’être vu comme sous développé.
Vincent
26 septembre 2023Mais aucune maison ne sera reconstruite selon les normes… tout comme les bâtiments publics.
Vincent
23 septembre 2023La ville d’Agadir a été entièrement détruite par un séisme au début des années 60, seuls qq immeubles en béton construits selon les normes par les Français ont tenus.
Depuis une quinzaine d’années, des nouveaux quartiers se construisent avec des immeubles de 15 étages qui ne respectent pas les normes.
Parmi les constructeurs certains ont pour actionnaire de poids le Roi du Maroc.
Olivier
22 septembre 2023Ne croyez vous pas que le refus de l’aide de la France par le Maroc vient de la position d’E. MACRON sur le « Sahara espagnol » ,qui flatte donc l’Algérie ce qui rend furieux le Roi…Et Pourquoi sommes nous en disgrace au Qatar qui prefere Londres à Paris pour investir depuis qu’E. Macron les a froissé avec ses déclarations sur les droits de l’homme lors de la coupe du monde où il a été négligé et un peu repoussé derrière lors des cérémonies…diplomatie à l’envers?Ne vaut il pas mieux se taire comme nos amis etrangers…
Olivier
22 septembre 2023Que les ONG soient souvent politisées oui, c’est par exemple flagrant avec SOS Méditerranée. Mais dans ce cas présent comment auraient elles influé sur ou dans le pays ? Propagande distribuée dans des colis alimentaires ? Envoi d’espions ? Prosélytisme religieux chrétien ? Bref, à défaut d’exemples c’est pas clair. Je pense que c’est plutôt une forme d’orgueil et d’image, que nous n’avons pas à juger, chaque gouvernant n’étant comptable que devant son peuple.
Jepirad
22 septembre 2023Ne pas perdre de vue que le roi du Maroc est un excellent gestionnaire… De ses biens. Al Mada fonds d’investissement actif dans plus de 30 pays est majoritairement détenu par lui-même. Il a de quoi aider son peuple. A noter aussi qu’au Maroc toute nouvelle construction doit être conforme aux normes antisismiques. Pour des sites classés tels que Ouarzazate, il conviendra d’intégrer ces normes dans l’architecture traditionnelle. Les architectes savent faire. Cdt.
Philippe
22 septembre 2023Très bonne observation. Certaine OGM expose des idéologies qui support les politiques de certains états. La Chine est le parfait exemple. Le financement d’infra structures, dans certains états enrichissent les élites de ces pays sous-développé. Les paiements force ces états à importer que des marchandises Chinoise, ou à être les petites mains des compagnies Chinoise, qui paie moins qu’en Chine, mais exporte dans les payses développées. L’Ethiopie en est l’exemple parfait. L’Afrique est particulièrement affectée par ces OGM et gouvernements qui achètent leurs, soi disent prospérités économiques, aux détriment des petites classes sociale.
Tandem
22 septembre 2023Curieuse argumentation … Que reproche l’auteur à ces ONG qu’il ne cite pas ? Quels abus éventuels justifient ce terme de vassalisation ? Il y a là sans doute matière à une étude peut-être plus approfondie et à des termes plus clairs ! J’ai le sentiment que l’auteur marche sur des œufs et craint riposte, représailles ou plaintes pour diffamation … Je suis surpris que cette analyse, pourtant bienvenue, soit présentée avec aussi peu de précision. Nous avons besoin de plus de clarté.
Xavier Denoël
22 septembre 2023Merci pour ces clarifications qui évitent de tomber dans les préjugés !