Le prix Nobel d’économie a été remis à Philippe Aghion pour sa contribution à la démonstration du rôle de l’innovation dans le développement économique. Rien de bien nouveau : on savait cela depuis bien longtemps, mais il est toujours utile de le rappeler. Notamment à la classe politique française, qui continue de penser que c’est la consommation qui fait la croissance et la richesse, ce qui justifie toutes les aides sociales et subventions. Or, en matière d’innovation, ces derniers mois ont vu des annonces, des présentations et des réalisations tout à fait surprenantes qui annoncent des gains majeurs de productivité. Des innovations qui démontrent, une fois de plus, que les débats sur l’âge de la retraite et la fiscalité sont vains, tant le monde des ingénieurs et des inventeurs va beaucoup plus vite que celui des politiques.
La traduction enfin réalisée
Les progrès en matière de traduction automatique n’ont cessé de croître au cours des dernières années. Cette technique est souvent moquée à cause de ses imperfections et de ses erreurs. C’est oublier qu’elle ne cesse de s’améliorer, qu’elle fonctionne déjà beaucoup mieux qu’il y a cinq ans et qu’elle sera encore meilleure dans cinq ans.
Les traductions automatiques de textes ne posent déjà plus de problème et de nombreux outils le font très bien, comme DeepL et Chat GPT. La traduction automatique des pages internet permet d’accéder à des données et des informations encore inaccessibles il y a peu à cause de la barrière de la langue. Cette barrière n’existe désormais plus.
Le nouveau défi est celui de la traduction orale automatique, pour usage lors des réunions ou dans la rue, lors de conversations courantes.
You Tube assure déjà des traductions orales des vidéos. Il y a encore des points à perfectionner, mais c’est déjà bluffant. Des vidéos de Conflits peuvent ainsi être vues doublées en anglais ou dans d’autres langues. Là aussi, c’est un accès et une diffusion du savoir sans précédent.
Apple a mis sur le marché début septembre ses Air Pod 3 qui offrent une traduction orale immédiate. Je n’ai pas encore pu les tester, car c’est inaccessible dans l’UE à cause de règles européennes internes. Mais les démonstrations techniques et les tests réalisés par des amis confirment que le temps de latence est faible et la traduction fiable. Samsung développe aussi ce type de produits. Si des progrès sont encore attendus, c’est déjà un pas immense réalisé. Une fois au point, c’est-à-dire dans quelques mois ou quelques années, cela facilitera les voyages, les cours internationaux, les échanges économiques. Cette innovation apporte des champs d’évolutions majeurs.
Le robot de maison
Faciliter les tâches ménagères quotidiennes, disposer d’une « bonne » à domicile qui puisse effectuer les travaux pénibles. Depuis les années 1950, la vie ménagère n’a cessé d’être simplifiée grâce à l’innovation et au développement des robots. Lave-linge et lave-vaisselle, réfrigérateur et congélateur, four et four à micro-ondes, aspirateur, etc. Boris Vian s’en était moqué dans sa Complainte du progrès, mais c’est pourtant une immense révolution silencieuse aux conséquences sociales lourdes. En supprimant une grande partie des tâches ménagères, ces machines ont libéré les femmes d’un poids séculaire, permettant qu’elles consacrent leur vie à d’autres activités, notamment professionnelles. Si autant de femmes sont entrées sur le marché du travail à partir des années 1960, c’est grâce au développement des robots ménagers. Or, dans ce domaine l’innovation stagne depuis plusieurs décennies, hormis l’invention des robots tondeuses. Les multiples présentations de robots domestiques ouvrent des perspectives nouvelles. Ces robots repassent et plient le linge, rangent le salon, nettoient la vaisselle.
L’entreprise californienne Figure AI vient de présenter Figure 03, un robot humanoïde dédiée aux tâches ménagères. Une vidéo de présentation peut être vue ici.
On voit que les gestes sont encore mal assurés, un peu gauches. Mais c’est un début et il faut imaginer ce que pourra donner ce robot d’ici 5 ans. Figure AI envisage d’en produire 100 000 par an, au coût de 60 000 $. Un coût qui ne cessera de baisser et qui rendra donc obsolète le travail de nombreuses tâches domestiques.
Le bouillonnement d’innovation actuel rappelle un peu ce que nous avons vécu au tournant des années 2000, avec le déploiement des ordinateurs personnels dans les foyers, Windows 95, le mail. À l’époque, on ne savait pas encore trop à quoi cela allait servir ni ce que cela allait changer. Une génération plus tard, soit 25 ans, les gains de productivité ont été colossaux et les transformations industrielles majeures.
L’industrie sans les hommes
En Chine, la réindustrialisation passe par des usines sans ouvrier. Automatisation complète des tâches, usines qui travaillent jour et nuit, sans congé et sans grève. Un reportage de TF1 visible ici permet de découvrir ce type d’usine. J’ai eu l’occasion de visiter l’une de ces usines dans la région de Shanghai. Tout est propre, assez silencieux, calme. Des bras articulés qui travaillent, des chaînes de production qui se déploient. Sans ouvrier, pas besoin de chauffage, de climatisation, de lumière. D’où leur nom de dark factory puisque tout est sombre. Autant d’économie d’énergie et donc de réduction des coûts. Seuls des ingénieurs qualifiés sont présents, pour vérifier que tout fonctionne.
Et l’emploi ?
Face à ces transformations, la question lancinante qui revient est celle de l’emploi et du chômage. L’histoire économique a déjà répondu à cette question et Jean Fourastié a brillamment analysé la question dans son œuvre. La mécanisation détruit des emplois, mais elle en crée aussi, différents et en surplus. Fini les chauffeurs, les ouvriers, les professeurs de langues, les domestiques, les livreurs de repas. On voit très bien ce qui va être détruit et quels secteurs vont disparaître. Mais on ne voit pas, et on ne peut pas encore connaître, les secteurs et les opportunités qui seront créées. Avec l’informatisation de la vie professionnelle et domestique au cours des années 2000, de nombreux métiers ont été créés, que l’on ne pouvait pas prévoir. Il en sera de même ici.
Les métiers qui disparaissent sont des emplois qui sont déjà aujourd’hui difficilement pourvus : l’éducation nationale ne parvient plus à recruter des professeurs de langue, la RATP a un mal fou à recruter des chauffeurs de bus et de métro, de même pour les taxis et pour de nombreux emplois d’usine. Refuser la mécanisation au nom de la sauvegarde de l’emploi c’est ne pas voir que le marché a déjà tranché la question : ces emplois ont de plus en plus de mal à trouver preneur. Notamment en raison de leur pénibilité. La mécanisation est donc une réponse à l’emploi et à la compétitivité.
C’est aussi un sujet de compétition internationale. Dans trop de domaines, le monde avance sans nous. L’innovation et la productivité sont aux États-Unis et en Chine et l’Europe frôle le déclassement. Il y a donc urgence à remettre l’innovation au centre de la réflexion politique.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).