25 mai, 2023

Le G7 ou la fin de l’universalisme

La réunion du G7 à Hiroshima a démontré une nouvelle fois la fin de l’universalisme et l’isolement de l’Occident qui parvient de moins en moins à parler aux autres pays. Alors que le reste du monde se reconfigure, cette réunion du clan des 7 manifeste une rétractation occidentale.

Créé en 1974 à la suite du premier choc pétrolier, le G5 (États-Unis, France, Royaume-Uni, RFA, Japon) regroupe les principales économies du monde libéral. Une façon de se retrouver face à l’URSS et ses satellites, dans un club d’Occident, entre chefs d’État, pour parler de sujets économiques et politiques. Les premières réunions ont lieu dans la bibliothèque de la Maison-Blanche, ce qui montre bien qui est la puissance invitante et qui sont les invités.

Valéry Giscard d’Estaing innove en 1976 en organisant cette réunion au château de Rambouillet, en y conviant l’Italie et en instituant une présidence tournante. Puis le Canada rejoint le groupe pour ce qui se présente comme les 7 pays les plus développés de la planète. La disparition de l’URSS modifie la donne. La nouvelle Russie est conviée aux réunions dès 1994 puis officiellement intégrée en 1997. Ce qui témoigne d’une volonté réelle de l’intégrer aux puissances mondiales et de ne pas la laisser à la marge. On trouve encore des photos d’un autre temps montrant Chirac, Schroeder et Poutine, verre de bière à la main, riants de bon cœur. Nous sommes désormais loin de cela. Dans les années 2000, les réunions sont émaillées de nombreuses violences perpétrées par des mouvements anti-mondialisation. À Gênes, en 2001, les émeutes aboutissent à de multiples destructions et au décès d’un manifestant. Le mouvement antimondialiste est à son apogée, il organise des contre sommets, notamment à Porto Allegre au Brésil, accueilli par Lula, alors idole de la gauche européenne. Le fait qu’il y ait de telles oppositions démontre que ces réunions intéressaient, ce n’est plus le cas aujourd’hui : qui se préoccupe de ce qui a pu se dire à Hiroshima ou même lors des précédentes réunions ? C’est que depuis l’éviction de la Russie en 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée, et surtout à la montée en puissance de l’Inde et de la Chine, le G7 n’est plus le club de ceux qui peuvent dominer la planète.

Quel G7 ?

 

La création d’un G20 a cherché à ouvrir ces réunions à d’autres puissances économiques, qui ont émergé au cours des années 2000. Cela témoigne d’un rééquilibrage manifeste du monde : le G7 de 1976 n’est plus tout puissant. À quoi bon discuter de sujets économiques s’il manque la Chine et l’Inde ? Cette fois-ci, le Brésil fut invité, mais ses préoccupations ne sont pas à l’interdiction des vols aériens de moins de 2h ou à la réduction de la consommation de viande. Il y a deux générations, le G7 pouvait faire rêver : parce que les pays étaient puissants et développés. Mais depuis que l’horizon des membres est la fin de la puissance et le sabordage de l’économie par une volonté assumée de « décroissance », c’est-à-dire de retour de la pauvreté, il n’y a pas de quoi se rendre aimable par les pays du G20, ni par les autres.

À Hiroshima, on a beaucoup parlé de l’Ukraine, le président Zelensky s’invitant en hôte surprise. Si la guerre en Ukraine intéresse les Européens et les Américains, elle n’est pas un sujet pour le Japon. Du moins pas plus que la guerre au Yémen. Elle ne l’est pas non plus pour le Brésil, qui a d’autres problèmes plus urgents à régler que les combats de Bakhmout. On peut donc comprendre que Lula soit quelque peu agacé par Zelensky et par la monomanie des sujets abordés. Il en va de même des questions écologiques, dont la « décarbonation » de l’économie n’est au programme nulle part qu’en Europe, n’en déplaise aux gesticulations de Mme Borne. Bien que réuni au Japon, ce club des 7 est isolé, sa voix ne porte pas au-delà de son cercle, de plus en plus restreint. Conçu dans les années 1970 comme le club des pays développés puis, dans les années 2000, comme celui des champions de la mondialisation, il est désormais une réunion d’Occidentaux qui se parlent à eux-mêmes. Au même moment se tenaient le sommet de la Ligue arabe et un forum en Asie centrale, tout aussi important pour leurs protagonistes, prouvant que le monde est de plus en plus sorti de l’universel.

Ligue arabe : le retour de la Syrie

Le sommet de la Ligue arabe fut marqué par le retour de la Syrie et de Bachar al-Assad, exclu depuis plus de 10 ans. Pour Damas, c’est une réintégration officielle dans le concert des nations, pour un pays qui est toujours au ban des Occidentaux, toujours soumis à un embargo qui provoque des drames humanitaires et qui aujourd’hui tue plus que la guerre, qui a pratiquement cessé. Assad, celui qui devait être renversé facilement et ne tenir que quelques semaines, est toujours aux commandes de Damas, treize ans après le déclenchement des hostilités. Pour l’Occident qui s’est coupé de la Syrie et qui a rompu tous les ponts, ce retour dans la Ligue arabe est d’autant plus un camouflet que les Européens ne savent pas comment revenir dans le jeu oriental. L’Arabie saoudite s’est rapprochée de l’Iran et est sur le point de trouver un modus vivendi. Des négociations sont en cours au Yémen pour trouver une solution à la guerre qui traverse le pays et qui verra probablement la victoire des Houthis. La Syrie a d’autant plus besoin du soutien de ses alliés arabes qu’il lui faut d’importants capitaux pour reconstruire le pays. De quoi exciter les prêteurs et les entreprises du BTP qui lorgnent déjà sur un marché des plus prometteurs. Damas et Alep sont les nouveaux eldorados des familles saoudiennes de construction. En accueillant Assad en leur sein, ces pays démontrent qu’ils sont moins soumis aux injonctions occidentales et qu’ils sont désormais prêts à aller à l’encontre de la diplomatie européenne.

Il en va de même pour les pays réunis lors du forum d’Asie centrale, qui ont compris que l’Eurasie était la grande zone économique et politique de demain. Tout comme Lula n’a que faire de poursuivre ses liens avec la Russie et de ne pas céder aux injonctions de Zelensky.

Sur la photo finale du G7, encadrant les chefs d’État ou de gouvernement, figurent Charles Michel, le président du Conseil européen et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. La présence des représentants des institutions européennes se voulait une preuve du poids géopolitique de l’Union européenne ; elle n’est que la démonstration du rétrécissement du G7 à un club d’Occidentaux. Loin d’être, désormais, la figure de proue de l’économie mondiale, le G7 est la manifestation de l’Empire américain.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

20 Commentaires

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  • David Lejeune

    30 mai 2023

    Je ne comprendrais jamais comment ils pouvaient tenir des réunions efficaces en étant autant nombreux. Déjà qu’à trois ca peut parfois dérailler…

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  • mempamal

    28 mai 2023

    Biden dénonçant la Russsie belliqueuse … á Hiroshima c’est au dela du cynisme.

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    • Robert

      3 juin 2023

      Oui, il est extraordinaire de voir comment, dans les média occidentaux, la responsabilité des américains est minorée concernant la guerre en Ukraine.
      Car c’ est bien l’ expansion de l’ OTAN à l’ est, et la prochaine intégration de l’ Ukraine dans l’ organisation, qui a déclenché l’ agression de Poutine.
      Lequel avait prévenu de la ligne rouge depuis des années.
      Oui, cette guerre a été voulue par les USA….

  • DAURAT Bernard

    26 mai 2023

    avis totalement partagé qui m’a permis de mieux comprendre les enjeux ! merci mais vous ne m’avez pas répondu pour utiliser au mieux les trente mille euros qui vont m’arriver par la vente d’une voiture de collection moi qui suis en dessous du seuil de pauvreté a 71 ans donc mon seul capital je vous écoute souvent et vous êtes le seul que je comprends ! donc bien sur rien banque mais après comment faire pour être sur de ne rien perdre …merci a vous faites attention a vous on vous aime..bernard

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  • Dominique

    26 mai 2023

    Si la guerre en Ukraine intéresse les Européens et les Américains…

    Une façon de ne pas dire que les USA font la guerre à la Russie.

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  • Eric

    26 mai 2023

    Le G7 me fait penser au Smilblick avec Joe BIDEN en Papy MOUGEOT , ridicule…..

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  • Jean-Marie Edouard GLANTZLEN

    26 mai 2023

    le G7 est la manifestation de l’Empire américain.

    Américain ou mieux états-unisien vraiment ?

    Ne serait-ce pas plutôt l’empire de Schwab, Gates avec les straussiens qui manipulent les présidents US après le président Einsenhower et son célèbre testament politique prémonitoire ?

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  • Patrice Pimoulle

    26 mai 2023

    Excellente synthese et plaisante a lire.

    Normalement, l’occident a un sens: Rome, Paris, puis « l’Entente Cordiale » 1904), le commandement integre (1918), t les « 160 annes d’emitie franco-americaine ». L’occident a gagne les deux guerres mondiales et la guerre froide. Le centre geometrique de l’occident se trouve naturellement sur l’Atlantique. Tout est donc simple: il suffisait d’offrir a la Russie ex-sovietique une paix de reconciliation. Les Etats-Unis ont choisi au contraire de tenter d’infliger a la Russie une paix de vengeance. Alors est venue une 2e guerre froide, puis cette guerre ukrainienne qui est bien, a l’evidence, la 3e guerre mondiale entre l’OTAN et la Russie. Pourquoi? Avons-nous des reproches a adresser a la Russie? Non; mais alors a qui profite le crime? Les Etats-Unis sont bien les seuls responsables de l’affaire. L’explication se trouve vraisemblablement dans les bases morales des Etats-Unis. N’oublions pas que les Etats-Unis sont fondalement des Anglo-Saxons. c’est-a-dire des barbares que Charlemagne n’a jamais pu romaniser: d’ou leur meconnaissance de la civilisation europeenne, et un blocage au stade du « contrat », du « marche ». c’est-a-dire de la speculation, et du « demantelement des monopole », c’est-a-dire de toute vie sociale. En 1971, ils se sont trouves ruines par la guerre du Vietnam, et ils ont « suspendu » la convertibilite du dollar: le dollar est devenu de facto une monnaie de papier. A partie de la, ils ont pratique une politique de fuite en avant, avec la mondialisation qui a entraine la crise de l’energie d’abord et la crise de l’ecologie ensuite. Mieux: leur veneration pour le « marche » a conduit la speculation a vendre la rotalite de laur appareil de production a la Chine.

    Le resultat et la .

    Face a la Russie, qui a su rester une civilisation et un Etat, les Etats-Unis, comme la cigale de la fable, se trouvent fort depourvus; sur la plan militaire, leur industrie ne leur permet pas de faire face a la puissance de la Russie; le dollar cesse d’etre la monnaie de reference, alors que l’on se dirige vers un nouveau systeme reposant sur l’or. La jeunesse americaine est demoralisee. La guerre ukrainienne est bien, pour l’occident – submerge par la barbarie anglo-saxonne – l’epreuve de verite.

    La Syrie et l’Algerie font partie des conquetes de l’URSS sur l’occident dans les anees 50; on ne voit pas la Russie contemporaine y renoncer… Ce qui est a nous est anous…

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  • Christian Legros

    26 mai 2023

    Un article de plus pour nous montrer avec une excellente analyse à quel point le monde change et comment nous en sortons. Je ne l’ai donc pas lu en riant (sans S !): la politique de Mme Borne, sur la ligne de celle de Bruxelles, est fidèle à ses origines socialistes et funeste à la prospérité des Français. Il est inédit qu’un gouvernement décide d’une politique de paupérisation accélérée de ses citoyens.

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  • Marit

    26 mai 2023

    il manquait Blanche -Neige ! On avait pourtant les 7 nains . . .

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    • Francesco

      26 mai 2023

      Excellent

    • Francesco

      26 mai 2023

      Vendeuse de layettes. La blanche neige de l’Europe vassalisée aux US

    • Charlier Jean François

      27 mai 2023

      En vous remerciant pour le divertissement. Il est toutefois évident que l’Eurasie sera prochainement dominatrice sur plusieurs aspects. Il est déjà constaté que divers pays/nations se mobilisent afin d’investir massivement dans cette nouvelle zone qui va continuer de se développer de façon constante. L’Europe, quant à elle (ou plutôt fidèle à elle-même) se contente de regarder et d’arborer un manque d’ambition permanente.

  • harnois

    26 mai 2023

    bel article… mais vous oubliez de dire que le terme G7 est aujourd’hui erroné puisque deux pays sont en réalité en huitième et neuvième position au titre des puissances économiques mondiales. On peut d’ailleurs se demander quand la France sortira de ce classement, sans doute assez rapidement vue l’incurie de ses dirigeants.

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  • Robert

    25 mai 2023

    Votre analyse est pragmatique et la phrase de conclusion résume parfaitement la situation.
    La Chine est à la manoeuvre pour prendre le relais de l’ imperium américain.
    Rendez-vous dans 20 ans…

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    • Charlier Jean François

      27 mai 2023

      Faudra t’il attendre 20 ans ?

    • Robert

      31 mai 2023

      M. Charlier : 20 ans si les choses se passent  » en douceur « … Sinon ça va faire mal !

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