LES DYNAMIQUES LIBERALES DE L’HISTOIRE ECONOMIQUE DE LA FRANCE
LA DEFLATION LAVAL
par Nicolas BAVEREZ
Economiste
Ce cycle de conférence date de 1996, les lecteurs ne s’étonneront donc pas des références au Marc et au Franc.
La déflation Laval a été une expérience rare dans les années 1930: elle a été une tentative cohérente de baisse des prix, tentative qui s’est achevée par un échec très grave ayant fortement contribué au décrochage de l ‘économie française à cette époque. Cet échec doit être replacé dans le cadre plus large du « Bloc-or » : Laval n’a été que celui qui a donné l’expression la plus cohérente à cette politique qui faisait l’objet d’un large consensus en France au-delà même des milieux politiques, qui n’est pas sans rappeler la politique actuelle.
Introduction
La déflation est l’un de ces sujets actuels à propos desquels on oublie souvent que !’Histoire peut offrir des pistes prometteuses.
Ainsi en va-t-il du protectionnisme et du libre-échange : la France est considérée comme un pays protectionniste, qualifié de « colbertiste », quand l’Allemagne a la réputation d’être libre-échangiste. Cependant, on oublie que le premier traité de libéralisation des échanges a été signé entre la France et le Royaume-Uni avant la Révolution Française, et que dès 1860 fut conclu le grand traité de commerce franco-anglais Cobden-Chevallier, au moment même où la Prusse de Bismarck organisait le Zollverein (union douanière). Et Frédéric Bastiat était Français alors que Friedrich, lui, était allemand. Ce rappel peut à tort sembler éloigné des questions monétaires, qui présentent pourtant des traits similaires : la France est censée être le pays du laxisme monétaire et des partisans de la dévaluation, tandis que l’Allemagne serait le pays de la stabilité monétaire. Ceci est à la fois vrai et faux.
Il est tout à fait exact que l’Allemagne a fait deux fois au XXème siècle l’expérience de la disparition de sa monnaie : dans les années 20 et dans la période 45-48. Il est vrai que l’Allemagne s’est construite par trois fois de manière positive autour de sa monnaie, en 1870 avec la trizone, puis avec la réunification monétaire de 1990. Ce qu’on oublie de dire, c’est qu’en matière de disparition et d’effondrement de la monnaie, la France avait traversé ce type d’épreuve bien avant l’Allemagne. C’est en effet dès le !Sème siècle avec la banqueroute de Law, puis les assignats, que la France a fait cette expérience et les périodes de stabilité monétaire sont beaucoup plus longues que les périodes où la monnaie a été dévaluée. C’est d’ailleurs l’attachement extrême des Français à la stabilité de la monnaie qui peut expliquer leur goût fort peu libéral pour les exécutifs forts. L’histoire peut donc nous éclairer un certain nombre de points impoJttants, où la monnaie n’apparaît qu’un élément de configurations complexes qui renvoient aux institutions et à la politique. Le rapport des Français à la monnaie est donc beaucoup plus ambivalent qu’on ne le présente habituellement. La dernière conférence-débat a ainsi traité de la période marquée par la restauration du franc, ce nouveau franc dont Pinay ne voulait pas et qui lui a été imposé, de la même façon que Poincaré ne voulait pas de la stabilisation de 1928..
Parmi ces grands événements figure la période du « Bloc-or », qui n’est pas sans rappeler le franc fort, et qui est import ante. Car l’exception économique de la France n’est pas à chercher dans le soi-disant tropisme pour le protectionnisme, le colbertisme, l’étatisme. Elle réside dans les ruptures qui marquent le développement économique de ce pays. Et dans les ruptures du développement français au XXème siècle, il est vrai que la monnaie a joué un rôle majeur.
Qu’est ce que la déflation ? li y a une première définition étroite : c’est la baisse du niveau général des prix. Et puis, il y a une définition plus large : la baisse cumulée de la monnaie, des prix, de la production et du chômage, la monnaie étant un moyen de transmission essentiel de déséquilibre entre ces différents marchés. La démonstration a été apportée par le retour de la Grande-Bretagne au Gold Exchange Standard, décidé par Churchill en 1925, qui s’est conclue par une performance très négative de l’économie britannique dans les années 1920.
Aujourd’hui, j’aimerai essayer de défendre auprès de vous trois idées la déflation Laval a été une expérience rare dans les années 30 : elle a été à la fois une tentative cohérente de baisse des prix ; et une tentative cohérente qui s’est achevée par un échec très grave ayant fortement contribué au décrochage de l’économie française dans les années 30. Deuxièmement, cet échec doit être replacé dans le cadre plus large du « Bloc-or » : c’est dire que Laval n’a été que celui qui a donné l’expression la plus cohérente à cette politique qui faisait l’objet d’un large consensus en France au-delà même des milieux politiques. Dans un troisième temps on s’interrogera sur la comparaison que l’on peut essayer de dresser entre les années 1930 et les années 1990.
Qu’est-ce que la déflation Laval ?
- Quels ont été les résultats de cette expérience ?
Il faut rappeler que l’arrivée au pouvoir de Laval s’inscrit dans un contexte politique extrêmement difficile c’est la suite du 6 février 1934 qui a vu la rue s’exprimer avec une violence très forte contre la République parlementaire ; ensuite se constitue le gouvernement Doumergue, gouvernement d’union nationale qui avait comme projet de promouvoir la modernisation de l’Etat et qui échoue dans cette réforme de l’Etat, notamment en raison de l’opposition des radicaux, et notamment d’Henriot. Ceux-ci, conduits par Daladier, vont alors s’orienter vers la stratégie qui donnera naissance au Front Populaire. A la suite du retrait de Doumergue se succèdent deux gouvernement éphémères, Flandin et Buisson. Et l’on arrive donc à l’expérience Laval, qui est à l’époque l’homme incontournable puisqu’il est le seul capable, grâce à ses réseaux d’amitié, de trouver une majorité dans une chambre qui est celle de 1932, c’est à dire une chambre de gauche. Laval va, au sein de cette chambre de gauche, réunir une majorité de centre-droit sur un contrat de gouvernement qui a comme objectif principal la politique de déflation.
La politique économique
Le tableau économique n’est guère plus favorable que la situation politique. La France n’est entrée en crise qu’en 1931, à partir de la dévaluation de la livre britannique. Elle avait été protégée jusque là par l’avantage en matière de compétitivité de prix que représentait le franc Poincaré, sous-évalué de 10 à 20 %. Les industries exportatrices ont certes été touchées dès 1929 mais le gros du choc intervient en septembre 1931 sous la forme d’u n événement monétaire majeur : la dévaluation de la livre britannique. C’est d’ailleurs un des éléments de rapprochement que nous pourrons faire avec la période actuelle, dans les années 30
Comme dans les années 90, les Britanniques ont su « tirer les premiers », et nous verrons que cela ne leur a pas si mal réussi. Le paradoxe veut qu’ils ont été amenés par deux fois à dévaluer sous la pression, malgré l’opposition du gouvernement et de la Banque d’Angleterre, et que ce fut par deux fois un choix gagnant.
Revenons aux années 30 Laval arrive au pouvoir, sur le fondement d’un contrat de gouvernement clair pour conduire une politique de déflation, avec une majorité de centre droit, et ce en pleine crise économique, au moment où la production a très fortement diminué et où le chômage atteint en France son paroxysme. Il demande donc les pleins pouvoirs pour « lutter contre la spéculation et défendre le franc ».
Le principal objectif de cette politique consiste à défendre la monnaie, considérée comme une fin en soi et non comme un moyen au service d’autres objectifs. Cette politique se décline autour de trois grands piliers :
- l’équilibre budgétaire ;
- le refus de la dévaluation ;
- une politique internationale pacifiste, qui entend parvenir à un accord avec l’Italie et l’Allemagne. Nous n’aborderons pas cette question ici, mais méfions nous de tout anachronisme
Le programme de Laval
Contrairement à tous les gouvernements qui s’étaient succédés depuis 1929 et qui avaient oscillés, mélangeant des éléments assez hétéroclites, Laval avait une idée nettement arrêtée de ce qu’il souhaitait faire. Il se donna les moyens de cette politique et il mit donc en route toute une série de mesures déflationnistes, qui vont aboutir à des résultats tout à fait négatifs. L’objectif est tout à fait défini : il suffit de faire suffisamment baisser les prix français pour rattraper ceux de nos grands concurrents étrangers qui ont dévalué. Et à l’intérieur rétablir l’équilibre budgétaire en équilibrant les dépenses et en augmentant les impôts.
Quelles sont les mesures d’application de ces programmes ? Elles prennent la forme de décrets-lois qui vont effectivement organiser la baisse des prix et qui sont d’ailleurs préparés par des gens tout à fait compétents · Jacques Rueff et Charles Rist, notamment. Des gens qui ont contribué à la stabilisation Poincaré et qui commencent à avoir un certain nombre de doutes à propos de cette politique de déflation ; mais des gens loyaux qui vont appliquer fidèlement la politique que leur demande de mettre en oeuvre Pierre Laval.
Ces décrets-lois portent sur deux grands champs : le budget proprement dit et l’économie.
Sur le budget de l’Etat la mesure la plus spectaculaire et celle qui fit la célébrité de Laval, c’est la diminution autoritaire de toutes les dépenses publiques à commencer par le traitement des fonctionnaires. C’est ce qu’ont retenu la plupart des historiens de ces « décrets-lois scélérats ». Le paradoxe veut que, pour un certain nombre de produits, les prix ont diminué quand même plus vite et que sur moyenne période, dans les années 30, et même avec les décrets-lois Laval, il y a eu une augmentation significative du pouvoir d’achat pour les actifs occupés, y compris les agents publics. Mais les gens ont surtout retenu la diminution des feuilles de paie, donnant raison à Keynes sur la résistance des salaires nominaux à la baisse. Diminution aussi de 3% des pensions d’anciens combattants, ce qui est tout de même courageux pour un gouvernement de droite ; réduction autoritaire des intérêts de la dette publique, et hausse d’impôt. Voilà donc un gouvernement de droite qui s’attaque aux anciens combattants, aux rentiers, aux fonctionnaires : c’est suffisamment peu fréquent pour être souligné.
Côté économie : baisse des prix du pain, des loyers, du charbon, du gaz, de l’électricité, des engrais. Et ouverture d’une fenêtre de conversion des emprunts publics et privés : c’est à dire que pendant quelques semaines, tous les emprunteurs ont eu la possibilité de négocier quasi unilatéralement la baisse du taux des emprunts qu’ils avaient souscrits, y compris quand il figurait des clauses contraires dans les contrats qu’ils avaient souscrit. Voilà encore une chose tout à fait originale et importante.
Un quadruple échec
Malheureusement, ce courage et cette imagination aboutirent à un quadruple échec. Le plus étrange est l’échec monétaire et financier Laval va réussir à maintenir la parité du franc par rapport à l’or mais à un prix terrible en matière de fuite des capitaux. Conformément à la célèbre formule de Paul Reynaud selon laquelle une monnaie surévaluée est comme le gros gibier blessé poursuivi par les loups, les capitaux partent massivement de janvier 1935 à septembre 1936, les réserves en or de la Banque de France passent de 82 à 54 millions de francs, et ses réserves en devises s’effondrent de 16 à 1 milliard de franc. De plus, il y a un impact en matière de taux d’intérêt, car Laval est obligé de les augmenter pour tenir la parité. Le déficit public quant à lui diminue très faiblement, car les recettes fiscales s’écroulent et diminuent plus vite que les économies ne sont réalisées. Donc échec sur le plan monétaire et financier, sanctionné par les premiers départs du Bloc-or, notamment celui de la Belgique.
Échec sur le plan économique aussi avec une évolution paradoxale des prix : en dépit de toutes les mesures déflationnistes, l’indice général des prix a tendance à augmenter en raison de la reprise mond iale et de récoltes médiocres. Cette hausse des prix était la meilleure chose qui pouvait arriver à l’économie ; elle a malheureusement été freinée par la politique de déflation qui a provoqué un choc terrible sur la production la production industrielle diminua de 10 %, ce qui déclencha une nouvelle hausse de chômage. Les exportations diminuèrent entre le début de la crise et fin 1935 de 44 % en volume et de 82 % en valeur. La France avait raté la première reprise économique de 1933 et grâce à la déflation Laval, elle vit passer également le deuxième train de reprise de 1935 sans en tirer parti.
Sur le plan social la déflation, comme l’inflation, est une machine opaque à opérer des transferts et des redistributions de richesse. Simplement le sens des transferts est opposé : les retraités et les rentiers sont les grands bénéficiaires de la déflation ; en revanche, les revenus agricoles, les salaires, les bénéfices industriels et commerciaux, souffrent terriblement. Ainsi sur tout ce qui est retraite et rente, l’augmentation du pouvoir d’achat se situa entre 15 et 20 %, déplaçant la richesse vers le revenu non productif, la rente et les administrations publiques.
Les conséquences de tout cela furent très lourdes 1935 marqua le décrochage de l’économie française. Les entreprises, qui avaient commencé à s’ajuster à partir de 1933 cessèrent totalement d’investir à partir de 1935. Le système productif se dégrada de manière importante, les stocks augmentèrent, de telle sorte que l’économie française fut incapable de répondre à la reflation impulsée par Blum et le gouvernement du Front Populaire. De même l’échec de la dévaluation de septembre 1936 s’explique certes par son côté tardif, mais aussi par l’héritage considérable de la déflation Laval. Le programme du Front Populaire, que résume la première formulation du « ni-ni » : « ni dévaluation, ni déflation », démontre l’incapacité des dirigeants de l’époque à effectuer un choix clair. Laval lui avait su faire un choix clair, un choix tout à fait tragique pour la France : une économie qui s’effondre, une économie de rente qui s’affirme et une économie productive qui disparaît avec l’euthanasie de l’investissement et de l’emploi. Voici pourquoi cette déflation, outre son échec sur le moment eut aussi des conséquences à moyen terme très importantes qui n’expliquent pas la totalité de l’échec du Front Populaire mais qui rendent compte d’une partie de cet échec.
Le bloc Or
La compréhension de la déflation Laval est indissociable de la séquence économique du début des années 1930, placée sous l’égide du « Bloc-or « .
Car c’est bien le Bloc-or qui se trouve à l’origine de cette politique << aussi rationnelle qu’absurde », pour reprendre la formule de Jacques Rueff. Et le Bloc or trouve sa source tant dans les illusions nées de la réussite de la stabilisation Poincaré que dans la rupture brutale des pourparlers engagés à Londres.
Le Bloc-or est né de l’échec de la conférence de Londres, convoquée en 1933 pour tenter d’organiser une réponse collective à la crise. La décision de Roosevelt de tirer les conséquences de la crise de 1920 et sa volonté de reprendre sa marge de manœuvre a ruiné toute possibilité d’issue concertée à la crise et ouvert le cycle des dévaluations compétitives. Mais les principaux responsables de la rupture des négociations sont les dirigeants et les autorités monétaires français. Le ministre des finances de l’époque était l’otage de la Banque de France qui lui consentait les avances qui lui permettent de boucler le budget et de financer son déficit ; et les conditions imposées par la Banque de France pour continuer à réaliser ses avances sur le Trésor, portaient sur une parfaite i intransigeance dans le dossier de la parité or. C’est en raison du blocage français que Roosevelt finira par quitter la conférence et procéder à la dévaluation du dollar. Les Britanniques sont déjà partis, Roosevelt part, et la France va alors proposer à un certain nombre de pays de créer le « Bloc-or », notamment la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, la Pologne.
C’est une expérience intéressante parce qu’elle préfigure par bien des traités, le S.M.E. et le Marché Commun. A l’origine, le dispositif repose sur l’attachement à la parité or mais aussi sur un accord de change avec la possibilité d’intervention des banques centrales pour soutenir la parité des différentes devises. Le tout constituait bien un projet d’intégration économique européen, qui n’a jamais vu le jour, mais qui entendait créer une zone de stabilité pour favoriser la constitution d’une zone de libre échange.
La construction était donc audacieuse et ambitieuse. Pour ce qui est des dirigeants français le Bloc-or s’enracine également dans la stabilisation Poincaré qui avait permis aux Français d’échapper dans un premier temps à la crise, ce dont ils avaient conclu, de manière très légère que le choc était dû au laxisme monétaire coupable des anglo-saxons et que ses conséquences se cantonneraient dès lors à leurs économies : les Français qui savaient ce qu’était une monnaie et comment il fallait la gérer ne connaîtraient pas la crise, puisque le franc était la meilleure monnaie du monde et qu’il restait accroché à l’or. Le franc Poincaré fut ainsi défendu par les mêmes qui l’avaient mis en place et passé deux ans, de 1926 à 1928 à convaincre le président du Conseil de l’absolue nécessité de réaliser l’opération de stabilisation qu’il refusait. En dépit de sa réussite, la dévaluation du franc à hauteur de 20 % du franc Germinal avait traumatisé à la fois la classe politique qui était hostile à son principe et les milieux d’affaire, à commencer par les régents de la Banque de France Wendel et Rothschild en tête. D’où la double méprise sur la nature même de la crise qui n’était pas conjoncturelle mais structurelle et sur les conséquences des dévaluations compétitives dans un environnement de déflation.
Les Français vont donc imposer à leurs partenaires du Bloc-or une vision de la stabilité monétaire qui ne correspondait plus du tout à la réalité. D’où également la double crise qui explique la performance dramatique de l’économie française dans les années 1930 la crise internationale dont nous avons subi les conséquences contrairement à ceux qui avaient fait le choix de l’autarcie, avec les suites du krach américain, les faillites bancaires en chaîne, l’effondrement du commerce international et la tension mondiale des balances des paiements ; la crise proprement française, due à deux instruments redoutables, la surévaluation du franc qui atteignit en moyenne 15 % par rapport aux monnaies de nos partenaires et qui entraîna la chute dramatique des exportations tombées de 15 % à 6 % du PlB entre 1929 et 1935, les taux d’intérêts, qui augmentèrent en France entre la fin des années 1920 et le mil ieu des années 1930 de 3,9 à 5,6%, tandis qu’ils chutaient en Grande-Bretagne de 4,6 % à 2,9 % et aux Etats-Unis de 3,6 % à 2, 1 %. Partout ailleurs la séquence de la reprise voit succéder la dévaluation, la baisse des taux d’intérêts, un système qui souffre mais qui se remet progressivement en marche.
Un double blocage
La France se caractérise au contraire par un double blocage : externe avec la surévaluation de la monnaie ; interne avec les taux d’intérêts qui contribuent à briser et l’investissement, et la consommation. A partir de 1933, l’activité s’améliore partout dans le monde quand elle chute en France de 5 %. Pour le chômage, c’est la même chose : partant certes de niveaux très supérieurs en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, il diminue dans ces pays de façon significative alors qu’il augmente en France fortement. La faillite du Bloc-or est dès lors inéluctable, qui aboutira à la dévaluation de septembre 1936. Les derniers qui partirent, les Hollandais, souffrirent aussi beaucoup. Les Belges qui reprirent leur liberté dès 35 s’en trouvèrent mieux.
Donc échec définitif de la première grande tentative d’intégration monétaire et économique européenne : le Bloc-or a effectivement superposé une crise proprement européenne à la crise mondiale. Echec diplomatique également car cette faillite a laissé des traces non seulement économiques mais politiques. Ainsi les grandes difficultés ressenties par la France pour convaincre les Anglais et les Américains de la réalité des menaces fascistes et nazies ne peuvent être dissociées des tensions violentes provoquées par la question monétaire. Et puis, dans l’ordre interne, et de manière très comparable avec la situation actuelle s’affirme une cohérence perverse entre un pays vieillissant, dominé par les rentiers, la déflation, l’effondrement de l’activité et de l’emploi, la dissolution du lien social et la montée des extrémismes.
Eléments de ccomparaison
. C’est en cela que je voudrais essayer de fournir quelques éléments de comparaison entre les années 1930 et les années 90.
Bien sûr, il existe deux grandes différences. D’abord, en dépit d’une succession de chocs externes assez violents depuis le premier choc pétrolier, l’effondrement du système bancaire, l’effondrement du commerce international et des paiements mondiaux ont été évités. Si, vaille que vaille, tous ces chocs ont été surmontés, c’est grâce aux effets d’apprentissage des gouvernements et des autorités monétaires, et en premier lieu de ceux qui ont la responsabilité première de ce système, c’est à dire le gouvernement américain et la Fed.
La seconde divergence est à chercher dans le fait que l’économie mondiale a continué à croître, échappant à la spirale déflationniste où les prix, l’activité et l’emploi s’entraînent naturellement à la baisse. Tout ceci n’en rend que plus paradoxale la persistance de l’exception française de la déflation et du chômage de masse.
Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, la croissance est en hausse et le chômage en baisse partout dans le monde, sauf en Europe et plus spécifiquement dans le couple franco-allemand. Une rupture historique en 1989, qui a clairement ouvert une nouvelle phase de l’histoire politique, diplomatique et économique. La référence normale et logique, si l’on veut parler de série statistique, doit être fixée en 1989 et non 1986 comme le fait la Banque de France. Si l’on choisit 1989 les choses s’éclairent · en Asie 8,5 % de croissance, aux Etats-Unis 3,5 %, en Europe, 2,1 %, et en France 1,1 %.
Sur le chômage : en France aujourd’hui 12,6 %, dont les deux tiers d’origine structurelle, avec une hausse moyenne de 1 % par an ; en Allemagne plus 300 000 chômeurs par an, un chômage qui dépasse 4 millions de personnes, et qui atteint 10,6 % de la population active ; en Grande-Bretagne, il est passé de 10 à 7,2 % ; aux Etats-Unis, le taux de chômage a été ramené à 5,2 %, soit une situation de plein emploi. C’est dire que contrairement à la vision française d’une crise continue et permanente depuis 1974, des chocs très divers et très variés sont intervenus qui n’ont pas empêché de créer des richesses et des emplois dans le monde, à l’exclusion des pays qui se sont enfermés dans une logique déflationniste.
Deuxième spécificité française, ce sont les conséquences sociales et politiques des choix qui ont été faits : aujourd’hui on voit que les transferts de l’Etat providence représentent 30 % du revenu national, soit un montant identique au montant de la rente au début du siècle. Les taux d’intérêt et l’Etat providence se combinent pour fabriquer une double machine à transférer du pouvoir d’achat et des revenus des gens qui travaillent vers les inactifs. Donc s’est mise en place une bulle spéculative du secteur public, financée par des obligations, et une bulle spéculative de droits sociaux fictifs, qui sont distribués à une partie de la population. Ceci provoque des tensions très fortes sur la répartition de la valeur ajoutée et des déséquilibres majeurs entre les générations, car on reporte la charge de la distribution financière d’un certain nombre de droits sociaux sur les actifs futurs dont on sait qu’ils seront moi ns nombreux et qu’ils devront affronter une croissance faible et un chômage persistant. Les effets politiques et sociaux ne sont pas moindres puisque le laminage des classes moyennes comme dans les années 30, encourage et nourrit l’extrémisme politique .
L’or hier, le mark aujourd’hui
Pour évaluer la politique mise en place depuis la fi n des années 1980, il est indispensable de revenir sur ses origines et ses objectifs. L’objectif comme dans le cas de Laval n’était ni médiocre, ni stupide. Simplement, cette politique monétariste qui s’inscrivait aussi dans le projet européen de la monnaie unique a été imaginée en complément du grand marché et à la fin des années 1980, dans une période marquée non seulement par une bonne croissance mais aussi par une Europe qui continuait à vivre dans le cadre de la guerre froide, avec le mur de Berlin, le rideau de fer et un certain nombre de conséquences qui s’ensuivaient. Ce projet élaboré dans ce contexte historiq ue a été appliqué avec u n durcissement croissant dans un monde qui n’avait plus rien à voir avec lui : récession post-guerre du Golfe d’une part, chute du mur induisant un formidable appel d’air qui a complètement rebattu la donne géopolitique d’autre part. Le maintien du dispositif initial constitue à mon avis à la fois une erreur et une rupture, car on est passé de la désinflation compétitive à la déflation, donc d’u ne conception i n terne de la stabilité monétaire – la lutte contre l’inflation -, à l’arrimage franc-mark, u ne conception externe de la stabilité monétaire.
Ainsi a triomphé une même conception nominaliste de la monnaie, définie par rapport à un étalon de valeur posé comme absolu l’or dans les années 1930,aujourd’hui le mark. Cette conception n’est pas seulement archaïque, dans un système de change flexible et un contexte déflationniste, mais grosse de risques : encore faut-il en effet lier son sort au vainqueur de la redistribution des cartes provoquée par la crise. Dans les années 1930, le choix de l’or fut catastrophique. Celui du mark modèle allemand auquel on fait perpétuellement référence est, sinon un modèle en crise, du moins un modèle en mutation, pour la raison objective décisive qu’on a affaire à une Allemagne réunifiée avec tout ce que cela implique de comportements différents de celui de l’Allemagne divisée du temps de la guerre froide.
Un consensus qui s’endurcit
Le refus de tirer des conséquences de cette réunification allemande a évidemment des conséquences politiques majeures mais aussi des effets économiques et monétaires. Pour ce qui est de l’économie française et de l’Europe en général, nous observons que les choix arrêtés à la fin des années 1980 ont été maintenus par tous les gouvernements de gauche et de droite depuis cette époque là ; il est remarquable de constater que l’élection d’une chambre introuvable, puis celle d’un président de la République qui s’était présenté comme un candidat de rupture, n’ont provoqué aucun changement. Bien au contraire, le dispositif initial n’a cessé d’être durci. Cela montre la force du consensus fabriqué autour de cette politique.
Ce consensus et cette politique méritent que l’on s’interroge sur leur bien fondé tant il est désormais évident que l’idée européenne ne sort pas vraiment grandie de l’aventure le S:ME. a plus ou moins explosé, l’enchaînement des dévaluations compétitives a perverti le grand marché, les économies française et allemande divergent.
Sur le plan économique français, u ne crise nationale a de nouveau été superposée à la crise mondiale. Les taux d’intérêt ont été en moyenne de 7,2 % depuis 1981, ce qui avec une inflation de l’ordre de 2 %, implique que l’économie a dû supporter des taux réels supérieurs à 5 % pendant 7 ans dans un contexte économique extrêmement difficile. Cela a des effets de long terme terribles. Non seulement l’investissement productif à disparu, la consommation reculé, mais comme le souligne Jean-Pau\ Fitoussi l’arbitrage entre le passé et le futur dont les taux sont le pivot a été profondément altéré : u ne société qui a des taux d’intérêt réels de ce niveau est une société qui ne croit pas en son avenir, ce qui se vérifie un peu davantage chaque jour. Donc première arme à casser la croissance et l’emploi : les taux d’intérêt. Deuxième arme à casser la croissance et l’emploi : la parité du franc. Vis à vis du dollar, la surévaluation depuis le milieu des années 1980 atteint 20 % en moyenne. Et la part de notre commerce extérieur qui est libellée en mark ne représente que 13 % tandis que la part libellée en dollars dépasse 50 %.
Quoiqu’on puisse dire sur le franc-mark, l’impact de la surévaluation par rapport au dollar est massive et affecte plus de la moitié de notre commerce extérieur. Sur le plan monétaire et financier, la volonté de rétablir l’équilibre budgétaire sans croissance est vouée à l’échec, les recettes s’effondrant plus vite que les économies engagées. Depuis deux ans, les taux d’imposition ne cessent d’augmenter tandis que les recettes fiscales nettes diminuent. Sur le plan de la monnaie, le franc est de nouveau une monnaie en crise chronique, qui sert de cible facile à la spéculation.
La moindre des aberrations des choix effectués n’est pas qu’on a dissout la politique dans la politique économique, résumé la politique économique à la monnaie, et la monnaie à la parité du franc et du mark. Quelle que soit l’importance de la monnaie, elle n’est qu’un instrument au service de l’économie qui elle même ne saurait prétendre résumer l’histoire d’une nation.
Il n’est certainement pas inutile de méditer aujourd’hui la phrase de Keynes selon laquelle « Un pays riche peut avoir une très mauvaise monnaie, et un pays pauvre en avoir une très bonne ». Nous gagnerions à étudier plus attentivement l’exemple des Anglais qui ont fait, à leur corps défendant et sous la contrainte, un choix gagnant d ans les années 1930 comme dans les années 1990. La France certes, a effectué par deux fois des choix volontaires qui se sont révélés perdants. Il est donc plus que temps de dissiper les passions pour raisonner, et de retrouver des idées claires afin d’agir. La mondialisation ou les cycles économiques ne sont nullement des fatalités. Aujourd’hui, non par l’effet de la fatalité mais du fait d’erreurs graves de politique économique, la France court le risque de manquer le mouvement de croissance mondiale qui naît sous nos yeux, porté par le progrès technologie et l’ouverture de nouveaux continents au développement.
Jean-Baptiste Say avait conclu son cours qui inaugurait la première chaire d’économie politique du Collège de France, en s’adressant à ses élèves en ces termes « Et maintenant Messieurs, produisez ! ».
La France est désormais confrontée au même problème il lui faut retrouver d’urgence la volonté de produire des richesses et des emplois au lieu de chercher un improbable salut dans quelque nouvelle utopie, la fin du travail se substituant au mythe de la société sans classe.
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Auteur: idlibertes
Profession de foi de IdL: *Je suis libéral, c'est à dire partisan de la liberté individuelle comme valeur fondamentale. *Je ne crois pas que libéralisme soit une une théorie économique mais plutôt une théorie de comment appliquer le Droit au capitalisme pour que ce dernier fonctionne à la satisfaction générale. *Le libéralisme est une théorie philosophique appliquée au Droit, et pas à l'Economie qui vient très loin derrière dans les préoccupations de Constant, Tocqueville , Bastiat, Raymond Aron, Jean-François Revel et bien d'autres; *Le but suprême pour les libéraux que nous incarnons étant que le Droit empêche les gros de faire du mal aux petits,les petits de massacrer les gros mais surtout, l'Etat d'enquiquiner tout le monde.