Comme annoncé par les services américains, l’Iran a attaqué Israël dans une opération sans précédent. Pour la première fois depuis la guerre du Kippour (1973), le territoire israélien a été ciblé par un autre État. La crainte de l’escalade et de l’embrasement est réelle : le Moyen-Orient bascule vers l’inconnu de la violence.
Si la géopolitique étudie les rapports de force dans l’espace, elle s’intéresse aussi grandement aux représentations et à la façon dont les acteurs voient les événements et les ressentent. Dans cette guerre à mort entre Israël et l’Iran, l’étude et la compréhension des représentations est essentiel pour comprendre ce qui se joue.
Pour l’Iran : l’honneur et le statut
L’attaque du 13 avril fait suite au bombardement, le 1er avril, d’une annexe du consulat iranien à Damas. Dans ce bâtiment se tenait une réunion de hauts gradés et d’officiers généraux iraniens, dont plusieurs assuraient la coordination avec le Hamas. Israël les a épiés et surveillés avant d’intervenir pour les neutraliser.
Pour l’Iran, c’est un coup rude : la perte d’hommes de valeur, l’attaque en Syrie, considérée comme une arrière-cour de l’Iran, un lieu où les services iraniens sont chez eux. Dans cette frappe, l’Iran a perdu des hommes, mais aussi une partie de son prestige et de son honneur. Pour Téhéran, c’est une humiliation. Il lui fallait répliquer pour restaurer son honneur et surtout conserver son autorité auprès de ses proxys (Hamas, Hezbollah, Houthis) et de sa population. Depuis son installation en 1979, la République islamique d’Iran a fait de l’éradication d’Israël l’un des piliers de sa doctrine et le soutien à la cause palestinienne, un levier d’action pour son influence au Moyen-Orient. Confrontés à une révolte de plus en plus massive de la population, régulièrement réprimée, les mollahs se devaient de laver l’humiliation. Il en allait de leur honneur et de leur légitimité dans le monde musulman.
L’Iran a brisé un cadre : c’est la première fois qu’il vise directement le territoire israélien. Incontestablement, un seuil a été franchi, des barrières mentales ont été rompues. Mais tout en brisant ce cadre, Téhéran a voulu rester sous un seuil d’acceptabilité. Les États-Unis avaient été prévenus via le canal diplomatique irakien et des échanges sont en cours via la Suisse. Aucun dégât matériel et humain n’est à enregistrer puisque les missiles et les drones n’ont pas atteint leurs cibles. L’Iran s’est empressé de dire que l’épisode était « clos », qu’ils étaient quittes et qu’il fallait passer à autre chose. Ce qui n’est pas du tout le point de vue d’Israël.
Pour Israël : la dissuasion et l’existence
Après l’attaque du 7 octobre 2023, qui a porté la guerre au cœur même d’Israël en démontrant que l’État hébreu n’était pas invincible, que ses services de renseignement pouvaient être défaillants, que la main tendue aux Palestiniens n’apportait pas la paix, l’attaque du 13 avril est un autre traumatisme. Pour la première fois depuis 1973 un État, qui veut l’éradication d’Israël, a porté l’épée de façon directe. Ce n’est pas une attaque de milices ou d’organisation, tel le Hamas ou le Hezbollah, mais un État qui œuvre pour se doter de l’arme nucléaire. Le message est clair : le territoire n’est pas inviolable, l’armée israélienne ne fait pas peur, la dissuasion ne fonctionne pas.
Certes, il n’y a pas de morts et les dégâts matériels sont mineurs. Mais pour Tel-Aviv il va de soi que cette attaque ne vient pas clore un chapitre, mais en ouvrir un nouveau : c’est un exercice de l’Iran, qui a échoué, mais qui a appris, qui reviendra dans quelques années ou dans quelques mois, de façon plus directe et plus forte. Les Israéliens peuvent méditer le dilemme des Romains : « Faut-il détruire Carthage ? ». Et c’est là que la question des représentations est fondamentale.
Ceux qui pensent que le chapitre est « clos », comme le dit Téhéran, que l’attaque du 13 avril est seulement la réponse à celle du 1er, estiment qu’il faut éviter l’escalade, en rester là, et ne pas risquer un embrasement. C’est la position des États-Unis et de la France.
Ceux qui pensent que l’attaque du 13 avril est un test grandeur nature d’une attaque plus grande à venir, après celle du 7 octobre, que l’Iran, pour canaliser sa population de plus en plus vindicative à l’égard des mollahs, doit se lancer dans une guerre d’une part pour justifier un contrôle plus étroit des civils, d’autre part pour souder les Iraniens autour du patriotisme, estiment qu’il ne faut pas attendre. Carthage se préparant à l’offensive, il faut attaquer les premiers. C’est l’opinion majoritaire en Israël et c’est pourquoi il y aura une riposte, même si la nature et l’heure n’ont pas encore été tranchées.
Pour les Arabes : isoler l’Iran
Troisième protagoniste de ce drame, les pays arabes, de plus en plus excédés par l’Iran. Ceux-ci pensent désormais au développement et à leur rôle sur la scène mondiale, ils n’ont donc nullement envie de subir les conséquences de l’attitude belliqueuse de l’Iran. Le Qatar préfère organiser des coupes du monde et investir dans des clubs de football plutôt que d’embraser la région. L’Arabie saoudite a signé les accords d’Abraham (2020) pour faire la paix avec Israël. La Jordanie a mis son aviation au service de la protection d’Israël en abattant plusieurs missiles et drones et en abritant l’aviation française. L’Égypte est excédée de voir fondre ses revenus issus du canal de Suez à cause des attaques répétées des Houthis en mer Rouge. La Syrie ne veut plus être la base arrière du Hezbollah et ce qui reste de Liban aimerait ne plus être le jouet de l’Iran. Les Arabes subissent les conséquences de la politique iranienne et de cela ils ne veulent plus. Une coalition arabe contre l’Iran n’est pas à exclure, soit pour l’isoler, soit pour renverser les mollahs. Beaucoup veulent la paix et donc ne veulent plus d’un Iran qui est fauteur de guerre.
Chacun ses représentations. Mais à la fin, ce sera aussi une question de volonté et de puissance.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
verite verite
25 avril 2024TOUT RESTE SUPENDU A L ELECTION OU NON DE TRUMP /? LAISON DU TEMPT AUX TEMPT
verite verite
25 avril 2024TOUT RESTE SUPENDU A L ELECTION DE TRUMP ?/ ILS FONT TOUT POUR L EMPECHE D ETRE ELUE/? LAISONS DU TEMPT AUX TEMPT / VERITE
breizh
24 avril 2024surprenant de lire de tels propos par monsieur Noé :
– « la main tendue aux Palestiniens » ?
– « c’est un exercice de l’Iran, qui a échoué » ?
cette grille de lecture prooccidentale (les israéliens étant des occidentaux) n’es plus la bonne (elle ne l’a jamais été d’ailleurs).
bref très déçu par cet article qui ne perçoit pas que certaines représentations n’ont jamais été valables et que cela devient manifeste, malgré les récits occidentaux.
Robert
22 avril 2024Belle synthèse de la situation.
Au final, Israël fera ce que lui autorisera Washington.
La question est donc : Washington veut-il en finir avec l’ Iran à cette occasion et rapidement ?
Ou a-t-il intérêt à temporiser ?
Philippe
26 avril 2024Si le ticket Biden-Obama l’emporte les USA vont non seulement temporiser mais continuer d’ accomoder l’Iran aussi theocratique et fanatique soit il. Le but a très long terme de cet accommodement est un pari sur le retour au sein du concert des nations d’un Iran plus modéré . Si Trump l’emporte les USA reviendront aux sanctions economiques et a un activisme militaire pour faire pression sur l’Iran , lui faire reculer ses mercenaires du Yemen et du Liban . Il semble que l’Iran ait déjà tout le matériel pour assembler plusieurs tetes nuclèaires sur des missiles . Ici Israel peut mettre le holà de manière autonome . Période très délicate ..critique meme .
Robert
26 avril 2024Philippe : Oui, la période est critique. L’ empire américain face face à trois problèmes. A court terme sur l’ Ukraine face à la Russie, à moyen terme sur l’ Iran face à Israël, et à plus long terme sur Taïwan face à la Chine.
Les deux premiers sont des conflits régionaux.
A mes yeux le dernier point est le plus critique. La Chine entend clairement ravir le leadership mondial aux USA, le résultat n’est pas acquis car les yankees ne se laisseront pas détrôner facilement.
L’ Europe dans tout cela ? L’ UE fait de la figuration , condamnée à suivre le protecteur américain.
L’ union fait la force dit-on : ce n’ est pas forcément vrai en géopolitique.
breizh
26 avril 2024« les arabes (et les perses) ont pour eux l’espace, le temps et le nombre » (Charles de Gaulle).
Yuri Benedikt
26 avril 2024@ Robert ; d’accord sur le fond ceci dit l’urgence c’est la guerre Iran vs Israel-Arabes sunnites-USA qui peut déraper très vite au conflit total et sans retenue quant aux types d’armes . En Ukraine , la situation va rester congelée encore pas mal d’années , et sur Chine-Taiwan , Pékin maintient la pression sans aller au conflit ouvert . Israel n’aura pas d’autre choix que de préempter . L’Iran n’aura pas d’autre voie que de passer en force si l’ équipe Obama-Biden pusillanime l’emporte en Novembre . Le passé démontre que la haine l’emporte presque toujours faute d’avoir la moindre vision d’une quelconque coexistence . le dicton arabe Al Wala’ wa al Bara impose le déni de tout ceux qui ne sont pas musulmans .
Nanker
22 avril 2024Excellent article mais le dernier paragraphe omet une donnée essentielle : la rue arabe. Je ne m’en félicite pas mais le fait qu’un pays de la Oumma ait osé frappé Israel sur son sol fait immédiatement de l’Iran un héros et un héraut de la cause arabe. Ce qui représente par contre-coup une grave défaite diplomatique pour les 2 pays qui prétendaient au titre : l’Arabie Saoudite et la Turquie.
Dit autrement : alors que MBS se rapproche de Tel-Aviv et que Erdogan parle dans le vide, les Mollahs ont eux osé punir Israel pour les massacres dans la bande de Gaza (encore une fois : je reprends ici le point de vue de la rue arabe).
Karl Smarx
26 avril 2024Ni le bloc sunnite arabo-musulman ( Egypte Arabie Saoudite Koweit Emirats Jordanie ) ni la Turquie ne veulent laisser l’ Iran continuer a s’implanter dans le Moyen-Orient , bloquer le canal de Suez , menacer les industries petroliferes . Donc le point de vue de la Cause Arabe ou Rue Arabe est un fantasme d’orientalistes gauchisants des années 60-70 . Le bloc sunnite offre un bien creux soutien verbal a la cause palestinienne , le Hamas s’est lancé dans une aventure ou il va très mal finir et on vient meme de voir la Jordanie et l’Arabie Saudite abattre des missiles iraniens lancés contre Israel . L’Iran soutient le Hamas comme la corde soutient le pendu.
Rabados
22 avril 2024« La main tendue aux Palestiniens n’apporte rien »… OMG !
On aimerait bien que cette affirmation soit développée et démontrée ! Depuis 70 ans que les Juifs colonisent la Palestine, tuent et cassent les maisons palestiniennes, violent TOUTES les résolutions de l’ONU, vous osez parler de main tendue !
Que le seul Premier ministre israelien qui ait voulu négocié sincèrement la Paix a été assassiné par un extrémiste juif, et vous osez parler de main tendue refusée par les Palestiniens !!
J’avoue que la seule utilité de vos articles sur le conflit Israélo-arabe est de nous annoncer les prochaines actions violentes israéliennes.
Comme le précédent qui parlait en des termes voilés d’en finir avec l’Iran et voilà que survient le bombardement du consulat le lendemain, piège tendu pour déclencher la guerre directe que vous appelez de vos voeux !
Et aujourd’hui, vous annoncez la suite… en dépit de l’opposition du Monde entier. On l’aura compris, nous avons sur IDL un idéologue éminent de la cause du Grand Israel !
Patrice Pimoulle
22 avril 2024On ne peut pas mettre sur un pied d’egalite Israrel et l’Iran; la civilisation et la barbarie. l’occident a commis une faute en laiisant les ayatollahs s;installer, qui ont des le depart commencer a pendre et a egorger, et aujourd’hui a chercher la bombe atomique. Certes, Israel n;est pas un Etat particulierement sympathique; mais dams ;es circonstances presentes, c’est l’occident tout entier qui est engage’ mais au fait, l’occident existe-t-il?
Robert
26 avril 2024Oui. Pour le moment et jusqu’à quand ?
Pal Fekété
20 avril 2024La duplicité de l’ équipe Obama-Biden envers leurs alliés est permanente depuis 2009 . Obama a fait renverser Moubarak allié de 30 ans pour installer en 2011 Morsi le Frère Musulman. Ce jeu n’a duré qu’an an puisque l’Arabie Saoudite a fait renverser Morsi par l’armée égyptienne. Meme démarche déloyale d’Obama mais cette fois-ci passive en 2013 ou il prend soin de ne pas renverser Assad en Syrie alors que l’aviation franco-britannique étaient prete à décoller. Obama accorde en 2015 a l’Iran ( traité JCPOA signé par les USA mais jamais par l’Iran ) l’accès aux armes nucléaires dés 2025 ( dans 8 mois ) , sachant très bien les conséquences à venir. Obama fait verser a l’Iran 100 ( cent ) Mds $ . Trump arrive a la Maison-Blanche en 2018 et impose de suspendre l’accord JCPOA de 2015, l’Iran recule dans toute la région . Pas de guerre régionale et grande avancée diplomatique avec les accords d’Abraham qui établissent des relations complétes entre israel , le Maroc, les Emirats Arabes Unis, Bahrein avec l’accord tacite de l’Arabie Saudite . Retour de Obama avec Biden et réplique de la précédente trahison des alliés de l’Amérique ;Biden léve les sanctions economiques imposèes par Trump et verse meme une rançon de 6 Mds $ pour libérer 5 otages US . l’Iran reprend son expansion et arme les Houtis du Yemen avec l’objectif déclaré de bloquer la Mer Rouge et le Canal de Suez, le Qatar finance le Hamas et on arrive a l’attaque du 7 Octobre . Depuis 6 mois l’équipe Obama-Biden fait tout pour empécher la victoire compléte d’Israel sur le Hamas , retarde au Congrès le vote d’un budget militaire d’urgence à Israel et préfère compliquer la situation en liant ce vote a celui d’un autre budget d’urgence a l’Ukraine et à Taiwan . Ce stratagème politicien ne trompe personne , car Biden continue a laisser entrer sur la frontière mexicaine de 3 à 4 millions de sud-américains qui reçoivent sans tarder leur naturalisation et leur carte d’électeur pour le vote de Novembre 24. Biden est en train de voler sa reélection . L’Iran comprend donc que les USA sont un tigre en papier , bombarde le nord d’Israel tous les jours depuis 6 mois et lance 300 missiles sur Israel, interceptés par le bouclier israelien anti-missile Hetz ainsi que par l’aviation Jordanienne. Biden a dit qu’il ne fera rien pour aider Israel a éliminer la menace nucléaire de l’Iran . Ce qui amènera sans aucun doute Israel a prendre les devants dés le 2 Novembre . Aux USA les présidents faibles ont laissé des catastrophes ( Jimmy Carter ) qui n’ont été rattrapé que par un président fort ( Ronald Reagan ) . Gribouille n’était pas intelligent , Obama-Biden eux sont des traitres et des pervers . On ne peut plus se fier aux démocrates américains .
Michael
20 avril 2024Les arabes sunnites peuvent-ils réellement renverser le régime Iranien? Je crois qu’il y a longtemps qu’ils en ont envie et les mollahs sont toujours au pouvoir et même plus qu’avant…. De plus l’Iran est au seuil nucléaire.