28 novembre, 2025

France : la nouvelle délocalisation

L’espace géopolitique mondial est structuré par les points et les lignes. Qui contrôle les points peut donc y attirer les lignes, qui sont autant de flux de personnes et de marchandises. L’étude des lignes aériennes qui passent par les aéroports permet de comprendre comment s’organise aujourd’hui cet espace mondial, qui attire les dirigeants, les cadres, les activités économiques.

La Turquie veut ainsi faire d’Istanbul le grand hub aéroportuaire par où passent les lignes qui relient l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Par ses routes aériennes, la Turquie recrée son empire ottoman, ses lignes d’influence et de dépendance. En Afrique, Casablanca veut jouer ce rôle à l’échelle du continent, en devenant le point de passage obligé des différents pays.

Dubaï est une autre ville qui veut jouer ce rôle important, mettant à profit sa situation géographique pour devenir le carrefour entre l’Europe et l’Asie.

 

Carrefour mondial

 

Des pêcheurs de perles aux commerçants arabes en partance vers l’Insulinde, les cités du Golfe ont toujours été des ports de passage et de transit. Ces cités-États ont compris qu’elles ne pouvaient pas tout fonder sur la vente de gaz et de pétrole, cette rente énergétique qui a fait leur puissance et leur fortune. Il est nécessaire désormais de se diversifier, en investissant dans la finance et dans les nouvelles économies. Et aussi en développant une ressource naturelle, à savoir la position géographique. Dubaï joue donc pleinement de sa situation d’équidistance entre l’Asie et l’Europe pour devenir le point de rencontre indiscutable. Pour les Européens comme pour les Asiatiques, il est plus simple, plus rapide, moins fatigant, de se rendre dans le Golfe que dans l’autre continent.

 

Ce qui suppose de disposer d’infrastructures de qualité : des aéroports, des hôtels, des routes, des services de sécurité, de soin, de commodités qui répondent aux standards internationaux. Pour imposer un point comme lieu de référence dans le monde, l’organisation de salons internationaux peut être un bon moyen. C’est ainsi qu’en novembre s’est tenue la Dubaï watch week, salon horloger devenu incontournable, qui permet aux acheteurs, aux artisans, aux analystes de se rencontrer et d’échanger dans un environnement ensoleillé et futuriste. De tels salons sont des instruments de puissance, car ils attirent une population mondiale, des entreprises, des entrepreneurs, des personnes influentes. Ils sont des vitrines des pays et des villes, des démonstrations de modernité et de puissance. Des occasions de faire parler, et de mettre la ville aux premières loges.

 

Pour jouer ce rôle de carrefour, Dubaï et les autres cités qui y prétendent ne peuvent pas s’appuyer seulement sur leur position géographique. Il faut également proposer un environnement qui attire et fidélise.

Le levier fiscal en fait partie. Les zones franches, les facilités d’installation, la sécurité juridique et comptable sont autant d’atouts. Disposer d’un émirat fiscalement libre à quelques heures de vol de l’Europe est un argument de poids pour attirer les meilleurs et les capitaux. À quoi s’ajoute la nécessité de disposer de bonnes écoles où les cadres supérieurs peuvent scolariser leurs enfants. Des écoles internationales certes, mais qui disposent également d’une bonne pédagogie et qui stimulent les capacités intellectuelles des élèves.

De la même façon que la mauvaise monnaie chasse la bonne, la mauvaise infrastructure chasse les talents. Comprendre comment Dubaï valorise sa situation géographique, c’est dessiner en creux les mauvaises décisions prises en France, notamment sur le plan fiscal et éducatif.

 

Chasse au fisc

 

La décision récente de traquer les cryptomonnaies et d’en fiscaliser les gains ne rapportera pas grand-chose à l’État français. Mais elle envoie un message négatif à tous les entrepreneurs qui, connaissant le fonctionnement de ces technologies, auront tôt fait de se délocaliser dans des principautés fiscalement attrayantes. La folie fiscale qui s’empare de députés ignares en matière économique encourage aux départs des personnes formées et éduquées, qui trouveront ailleurs de quoi bien vivre et monétiser leurs talents. Mais leurs départs engendrent un affaiblissement du tissu économique qui pénalise d’abord les plus faibles.

 

Ce qui menace la France aujourd’hui c’est donc une nouvelle forme de délocalisation. Non pas celle des usines et du tissu économique industriel, mais celle des talents et des entrepreneurs. Délocalisation des entreprises vers des cieux fiscaux plus cléments, délocalisation des cadres, des étudiants. Jusqu’ici, Dubaï et les émirats du Golfe ont attiré la main-d’œuvre du tiers monde, qui y trouvaient de bonnes payes et des rémunérations avantageuses : Philippins, Pakistanais, Indiens, vivaient le Golfe comme un nouvel Eldorado. Le visage étant en train de changer, ce sont les Européens éduqués et entreprenants qui vont pouvoir y trouver un exil, Dubaï exerçant ce levier de puissance des États-Unis qu’est celui du brain drain. Ce qui menace la France, c’est de devenir la Grèce du XXIe siècle : un espace où l’on viendra pour ses paysages, sa gastronomie et ses plages, passer quelques jours de vacances dans un pays communiste qui se tient encore un peu, avant de repartir dans des contrées plus clémentes et attirantes. Entre la puissance technologique chinoise et l’attractivité fiscale du Golfe, la France est prise dans un étau concurrentiel qui va la laminer.

TotalEnergies vient d’annoncer une cotation à la bourse de New York, premier pas possible vers une délocalisation financière. Pernod-Ricard, numéro 2 mondial des spiritueux, pourrait très bien se détourner du soleil marseillais pour d’autres soleils.

Jamais peut-être plus qu’aujourd’hui la fiscalité et l’éducation sont des facteurs attirants et répulsifs, c’est-à-dire des leviers de puissance, de développement ou d’effondrement. Il n’est pas trop tard pour en prendre conscience et opérer les bons choix.

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

9 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Pascal

    6 décembre 2025

    Outre la fiscalité et l’éducation, l’insécurité est un facteur répulsif fréquemment cité par les familles d’expatriés, surtout au regard de la forte ponction fiscale justement.

    Répondre
  • le chinois

    30 novembre 2025

    Oui, La République Française comme prestataire de services bas de gamme est le N° 1.
    Comme prestataire de service moyen-haute gamme est en queue.

    Rep pour têtards et médiocres.

    Répondre
  • Tanguy

    28 novembre 2025

    Depuis 20 ans aux US, je vois avec effarement les options de vols réguliers vers Paris disparaître depuis Miami et maintenant New York. American Airlines ayant supprimé son vol quotidien alors que Madrid et Barcelone en cumulent plusieurs…

    Répondre
  • Granikos

    28 novembre 2025

    La fuite des cerveaux et des autres, de France, a commencé il y a 35/40 ans. Depuis quelques années, l’Allemagne est touchée. Le phénomène prend de l’ampleur au Royaume-Uni. L’Europe se vide et part en vrille…

    Répondre
  • Michael

    28 novembre 2025

    Le nœud du problème c’est l information.

    Répondre
  • Patrice Pimoulle

    28 novembre 2025

    Ce n’est pas nouveau, c’est comme ce depuis un demi-siecle, ce qui importe, pour la Francem c’est de lutter contre les traitres de Vichy.

    Répondre
  • DARMON serge

    28 novembre 2025

    J’ai quitté la France il y a dix ans pour vivre dans la start up nation. Pas un jour je n’ai regretté ce choix. Quitter la France est la meilleure décision de ma vie et je ne suis retourné en France que quelques fois et toujours ce même plaisir de la quitter.

    Répondre
  • Karl DESCOMBES

    28 novembre 2025

    L’analyse est très juste, mais ce n’est pas dans le futur, c’est DEJA en grande partie fait.
    Les petits entrepreneurs intellectuellement agiles et innovants ne vont pas partir.
    Ils sont partis depuis trois ans.

    Un ami agent immobilier dans l’Est me dit que sur 10 belles maisons de CSP+ qu’il a vendu depuis 3 ans 4 l’ont été par des personnes qui s’expatrient.

    Répondre
  • Polo

    28 novembre 2025

    J’ai 65 ans,
    Je profite de la retraite pour monter une start-up
    Je me suis exilé et je m’en félicite tous les jours.
    Je ne supporte plus ce pays ou ceux qui dirigent n’ont rien compris.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!