17 février, 2022

Coke en stock

La cocaïne submerge la France et l’Europe, détruisant les populations qui la consomment et les quartiers où elle est vendue. La coke est devenue une cause majeure de la criminalité. Dans un rapport de 2018, le Bureau des Nations unies pour la drogue et le crime (UNODC) estime que 192 millions de personnes dans le monde ont consommé du cannabis et 125 millions de la cocaïne et de l’héroïne. C’est un faible pourcentage par rapport à la population mondiale, mais c’est un chiffre en hausse et qui structure toute une géographie des flux de la criminalité. Les trafiquants ont toujours un coup d’avance par rapport aux policiers et ils parviennent à réorganiser leurs réseaux et leurs flux après chaque coup de filet ou arrestations. La vente de drogue se mêle aux luttes politiques et aux guerres pour tenir des territoires qui échappent au pouvoir, menaçant la viabilité même des États. Le Mexique est ainsi désormais un pays quasi perdu, corrompu et déstructuré par les cartels de la drogue, dont l’argent permet d’acheter policiers et fonctionnaires pour œuvrer en toute tranquillité, et armes lourdes pour tenir les territoires et combattre les concurrents. Les cartels de la drogue mexicains sont, en bien des régions, les véritables maitres du pays. Le Mexique est classé comme étant le deuxième pays le plus violent, derrière la Syrie en guerre (278 899 homicides depuis 2006 dont 80% des morts en 2020 étaient liés à la criminalité et au trafic de drogue soit 28 328 décès). L’Europe comprend deux États mafieux qui peuvent se muer en narco-État, le Kosovo et l’Albanie, menaçant l’équilibre et la stabilité de leurs voisins.

 

La France championne d’Europe

 

La France n’échappe pas à la vague de la poudre blanche. Consommation et criminalité connaissent une hausse constante depuis les années 2000, avec la difficulté inhérente à toute étude de la criminalité qui fait que les données sont parcellaires et qu’il est difficile d’appréhender la réalité du phénomène puisque celui-ci étant informel il est par nature caché. Les confinements n’ont pas ralenti la consommation de drogue et n’ont guère fragilisé les réseaux bien implantés. Un rapport de 2020 de l’INSEE estime que le trafic de drogue en France représente un chiffre d’affaires de 3.2 milliards d’euros pour 900 000 consommateurs annuels de cannabis et 600 000 de cocaïne. La France, pays du vin, de la bonne chère et de la gastronomie est aussi la championne d’Europe de la consommation d’antidépresseur et de cocaïne. Cette donnée témoigne d’un grave problème social dans le pays, d’autant que la cocaïne n’est plus la drogue des riches, des beaux quartiers et des publicitaires à la mode, mais qu’elle est devenue un produit consommé par des personnes beaucoup plus modestes et aux revenus plus faibles que les consommateurs des années 1990. La route de la coke passe désormais par les campagnes et les petites villes de province, minant des personnes déjà vulnérables et déstructurant les tissus humains. Cet étalement de la zone de chalandise de la cocaïne complexifie encore davantage la lutte contre les réseaux, la gendarmerie ne disposant pas des moyens nécessaires à une telle lutte.

 

Le même rapport de l’INSEE estime que 22% des 15-34 ans et 40% des 15-65 ans ont consommé du cannabis au cours de l’année précédent la réalisation de l’étude. La consommation de cocaïne concerne essentiellement la tranche d’âge des 18-25 ans. Compte tenu des ravages causés par cette drogue et des conséquences sociales et sanitaires lourdes c’est une bombe à retardement qui se prépare.

 

Si la consommation est en hausse, c’est aussi que les trafiquants ont su faire évoluer leurs modes de vente afin d’une part de déjouer la répression policière et d’autre part de s’adapter aux nouvelles tendances, notamment par la vente à domicile : diminution des points de deal, compliqués à tenir et aisément repérables par la police et augmentation de la vente mobile. Les vendeurs viennent à domicile livrer quelques grammes, en détournant les noms de la vente directe pour se prénommer « Uber shit », « Ubercoke » ou encore « Allo weed ». Des vendeurs plus mobiles, donc moins faciles à intercepter, qui peuvent ainsi toucher des territoires plus vastes et sécuriser leurs livraisons. D’où le fait que la coke quitte les banlieues et les centres-villes pour concerner dorénavant les espaces ruraux. Ce sont ainsi près de 300 000 personnes qui vivent de façon directe de la drogue en France, drainant avec elles tout un large écosystème qui s’accomplit dans le blanchiment d’argent.

 

Infiltration française

 

70% des arrivées de drogue sur le territoire français viennent par la mer. Le Havre est devenu l’une des portes d’entrée principales de la cocaïne en France. Les dockers sont en première ligne et subissent les menaces des trafiquants. D’après Christophe Cornevin (Le Figaro, 26/12/2021), 19 dockers ont été enlevés en France et 26 attaques ont été recensées dans le port du Havre. Toujours d’après Christophe Cornevin, les dockers ripoux se font rémunérer entre 10 et 20 000€ pour fournir des badges d’accès aux trafiquants afin de permettre le déchargement des paquets de drogue insérés dans les bateaux depuis les ports de départ. En 2020, 7,7 tonnes de cocaïne ont été saisies par les douanes au Havre. Les deux autres grandes portes d’entrée sont Dunkerque et Marseille. Résultat de cette hausse de la consommation en Europe et aux États-Unis, depuis 2018 la production de cocaïne a été multipliée par 4 en Colombie. En février 2020, le port de Marseille a vu une saisie record de 3,3 tonnes de cocaïne.

 

Grâce aux « mules » qui transportent de petites quantités de cocaïne, l’axe Cayenne-Orly représente près de 15% des flux de drogue arrivant en France. Un travail important pour les douanes françaises qui doivent repérer et arrêter les passeurs. 500 mules ont été interpelées en 2020 ; reste à savoir la proportion que représentent les personnes arrêtées par rapport à celles qui sont passées.

En dépit des moyens alloués par l’État et du contrôle des flux financiers, les routes de la coke ne tarissent pas.

 

Coke en Europe

 

En Europe, c’est Anvers qui est le premier port d’entrée de la cocaïne. En 2020, ce sont 65 tonnes de cocaïne qui ont été saisies dans ce port. Entre janvier et septembre 2021, les saisies sont montées à 80 tonnes. Si les estimations de la police des stups sont justes, à savoir qu’il faut multiplier par 10 le tonnage des saisies pour approcher le tonnage qui est passé, cela donne une idée de l’ampleur des flux qui entrent en Europe. À cela s’ajoute le fait que la cocaïne entrante est généralement de bonne qualité et qu’elle peut donc être coupée et diluée pour fournir un produit moins bon, mais en plus grand nombre.

Délaissant parfois les ports, trop surveillés et donc trop risqués, les trafiquants passent par l’Afrique, via le golfe de Guinée et s’allient aux mafias du Nigéria qui ajoutent le trafic de drogue au trafic de migrants. L’Espagne est également en première ligne, parce que plus proche de la Colombie et partageant une langue commune.

 

À l’échelle européenne, les trafics de drogue se sont complexifiés afin d’échapper aux contrôles et de mieux répondre à la demande. Si la criminalité est la face sombre de la mondialisation, elle s’organise néanmoins selon les principes économiques du marché avec réponse à la loi de l’offre et de la demande et adaptation constante aux clients. Le Mexique est désormais un pays tenu par les cartels, souvent plus riches et plus armés que les autorités politiques locales, favorisant la corruption à haute échelle et la pénétration de plus en plus forte des bandes criminelles. La drogue corrompt, au sens propre, c’est-à-dire qu’elle dissout les sociétés en détruisant les consommateurs et en fortifiant les groupes criminels qui en vivent et qui répandent ensuite la terreur et la destruction. Rien n’est jamais trop tard, mais la lutte contre les chemins de la coke devrait être une urgence vitale.

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

14 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Jean

    28 février 2022

    Merci pour ce papier qui donne un aperçu plus réaliste d’un problème trop souvent sous-estimée.
    Suggestion d’amélioration: une note en bas de page référençant chaque rapport et publication cités aurait été très fortement appréciée.

    Répondre
  • Dominique

    24 février 2022

    Bonjour ce problème a été créé par les Etats par la prohibition (interdiction) et à lire votre article et la plupart des réactions je vois que presque personne ne semble capable d’imaginer une légalisation. Si on regarde ce qui c’est passé aux états-unis avec la prohibition de l’alcool il est pourtant facile de comprendre que la répression actuelle n’atteindra jamais son objectif et que les conséquences de cette prohibition sont pire qu’une légalisation. Ne vous méprenez pas sur mes motivations: je ne consomme aucune drogue!

    Répondre
  • Gaétan

    24 février 2022

    La solution est simple.
    Le gouvernement doit installer des points de ventes de cannabis et de cocaïne.
    Voilà, il n’y aura plus de criminalité ou de drogues coupées.
    Tout le monde y gagnera, comme pour l’alcool.

    Répondre
  • JeanBart

    21 février 2022

    Résultats édifiants de la « war on drugs » lancé sous Reagan…
    Partout, tout le temps, la prohibition s’est revelée un échec.
    Amusant que ce point ne soit pas plus développé dans l’excellent papier de Noé.

    Répondre
  • Meduse

    21 février 2022

    Rien ne change ! On sais cela depuis longtemps ! Il était dit que le rpr parti politiques et serais financé par l’argent de la drogue ! Bref…

    Répondre
  • Jean François

    20 février 2022

    L’apparition des drogues de synthèse produites en laboratoire ( Fentanil) pourrait sonner le glas des héroïnes et autres cocaines cultivées, et par la même redessiner une géopolitique des continents abritants des États producteurs.

    Répondre
  • pouet

    20 février 2022

    Rien ne vaut la drogue pour apaiser et embrumer une population à qui on a promis le bonheur par le matérialisme/technologie/progrès dans un monde en pénurie d’énergie fossile parce que la terre est… ronde, donc limitée.

    Répondre
  • Frank Deljeune

    18 février 2022

    Le Mexique est aussi l’un des principaux territoires d’utilisation des crypto monnaies. Quelle est la relation entre crypto monnao et trafic de drogue ?

    Répondre
  • Bulgroz

    18 février 2022

    Il faudrait une fois pour toutes comprendre la distinction :
    – armes légères : armes pouvant être portées par un seul homme (pistolets, fusils d’assaut)
    – armes lourdes : armes devant être portées par plusieurs hommes ou un véhicule (mitrailleuses, canons).
    Je ne connais pas d’exemple de gang équipé d’armes lourdes (qui ne serviraient d’ailleurs pas à grand chose…).

    Répondre
  • andré-marie

    18 février 2022

    Au lieu de nous faire ch..r avec ce pseudo vaccin covid et le pass , faisons passer un test anti drogue à tout le monde et comme l’a écrit avant moi vos lecteurs, commençons par le haut de la pyramide et l’on va bien régler le problème.

    Répondre
  • JACQUES ERIC CHEVALLIER

    18 février 2022

    Nous pouvons constater à minima le laxisme de ce gouvernement, au point de se demander aussi si tout cela ne ressort pas de la corruption passive ? Surtout au regard des moyens deployés par le ministre de l’interieur pour matter la manifestation de la liberté qui a eu lieu cette semaine sur Paris ? Toute cette culture de mort participe à la dépopulation par la mise en danger de nos jeunes, et donc à la mondialisation qui enrichit, toujours les mêmes, ceux qui ont fait les grandes guerres…

    Répondre
    • Robert

      21 février 2022

      Il est vrai qu’un ancien président de la république, proche des milieux artistiques et connu pour son énergie dans l’action, avait été brocardé dans un sketch d’ humoriste avec de la poudre blanche sous le nez…
      Ceci peut expliquer cela…

  • Nanker

    17 février 2022

    « Rien n’est jamais trop tard, mais la lutte contre les chemins de la coke devrait être une urgence vitale »
    Et comme l’exemple doit venir d’en haut je propose de soumettre tous les candidats à l’élection du 10 avril à un test anti-coke. Cela nous débarrasserait d’office d’un prétendant… (un indice il concourt pour sa réélection mais chut…)

    Répondre
    • Charles Heyd

      17 février 2022

      Vous m’avez pris de vitesse pour la citation!
      Et je soutiens aussi votre proposition de demander un test anti-coke pour se présenter à une élection; on le fait d’ailleurs en cas d’accident de voiture ou lors de certains contrôles policiers; il existe d’ailleurs un outil tout à fait adapté à cela: le passe sanitaire! Mais je ne sais pas si le conseil constitutionnel trouverait cela très … démocratique!

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!