20 novembre, 2025

Mali : les djihadistes sont de retour

La nouvelle junte militaire au pouvoir avait chassé la France, bien décidée à prendre son destin en main, et celui de son pays. Le bilan s’avère désastreux : le Mali est plus divisé que jamais, la partie nord échappe au contrôle de Bamako et les djihadistes sont en mesure d’opérer un blocus de la capitale. Mais si, cette fois-ci, le pays devait tomber, le salut ne viendra pas de la France.

 

Au Mali, les groupes affiliés à Al-Qaida gagnent du terrain. Leur progression vers le sud, accompagnée d’un blocus de carburant autour de Bamako, traduit l’affaiblissement profond de l’État malien.

Alors que le gouvernement malien s’appuyait sur les Russes de Wagner, ceux-ci ont aggravé le problème au lieu de le réduire. Leur brutalité, leur violence dans leur pratique de la contre-insurrection ont réveillé l’esprit de résistance et ont ligué contre eux une partie des peuples du nord. Numériquement faibles, les Russes ont misé sur la peur, la punition collective et la destruction pour forcer les populations à céder. Or, ce modèle ne fonctionne pas dans un environnement où les loyautés sont fortement ancrées localement. Au contraire, il a favorisé un regroupement des groupes rebelles autour d’un ennemi commun.

 

Le rôle clef des Touaregs

 

Les Touaregs jouent dans cette dynamique un rôle déterminant. En s’en prenant à eux, les forces russes ont ravivé les ressentiments et, dans certains cas, poussé des factions touarègues à se rapprocher des djihadistes du JNIM. Ce mouvement de convergence rappelle la situation de 2013, lorsque les djihadistes s’étaient appuyés sur des factions touarègues pour asseoir leur contrôle du nord du Mali. Ce type d’alliance, fondé sur la logique du « moindre mal », demeure toutefois fragile : la coopération entre groupes ethniques distincts peut conférer une puissance militaire immédiate, mais crée aussi les germes de futurs affrontements.

L’ethnicité est au cœur du conflit. Le JNIM est un assemblage de groupes peuls, touaregs et hausa, une mosaïque plus qu’une structure centralisée. Cette diversité lui offre un large ancrage territorial, mais rend le mouvement vulnérable aux rivalités internes. De son côté, l’État malien est affaibli et ne contrôle plus de vastes portions du territoire. Plusieurs acteurs non étatiques envisagent ouvertement la lutte armée, ce qui accentue la fragilité générale.

 

Les djihadistes peuvent désormais marcher sur Bamako, comme en 2013. Mais en s’éloignant de leurs bases du nord, ils se heurtent aux peuples du sud, qui veulent empêcher leur mainmise sur le pays. Prendre Bamako ne leur assurerait donc pas un contrôle certain du Mali. Ainsi, les Bambaras, qui ont toujours été opposés aux djihadistes, pourraient s’opposer aux Touaregs. Tout comme les Dozo et les Dogons, dont les milices sont bien armées et qui savent mener des combats de guérillas. Si ces peuples étaient attaqués, ils pourraient se renforcer et opposer une résistance durable, transformant une éventuelle offensive en guerre d’usure.

 

L’Algérie aux premières loges

 

Dans ce contexte, l’alliance sahélienne annoncée entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso apparaît en grande partie symbolique. Les trois États disposent de capacités militaires limitées, souffrent de faiblesses internes et manquent de coordination. Ils ne constituent donc pas un appui crédible en cas d’effondrement sécuritaire. L’Algérie demeure la véritable puissance de la région. Son armée sait mener des guerres de contre-insurrection, l’État est bien centralisé autour d’Alger et le pays a des intérêts immédiats : en cas de dissolution du Mali et du Niger, sa sécurité serait directement menacée.

Une prise de contrôle du nord du Mali par les djihadistes pourrait la pousser à intervenir, même si une telle opération serait risquée, complexe sur le plan logistique et politiquement délicate. Le terrain désertique, les distances et la crainte d’importer l’instabilité rendent toute décision algérienne extrêmement prudente.

 

Face au djihadisme

 

L’État islamique au Sahel pourrait lui aussi profiter de la situation. Si le JNIM devait se diviser, l’ISGS chercherait à étendre son influence en occupant les espaces laissés vacants. Le Mali pourrait alors connaître un paysage insurgé encore plus fragmenté, avec des groupes islamistes rivaux luttant simultanément pour le contrôle du territoire. Preuve par ailleurs que l’islamisme est une question secondaire et que le sujet principal demeure le contrôle du territoire et de ses ressources. Il s’agit d’abord d’une guerre pour contrôler des espaces et des biens, sur laquelle est déposé un vernis islamiste afin de donner une cause noble et à dimension internationale.

 

Pour la suite des événements, deux hypothèses sont donc possibles.

 

Dans la première, la coalition djihadiste demeure centrée sur les dynamiques locales ; le Mali se fragmenterait alors selon des lignes ethniques sans nécessairement basculer dans un djihadisme international.

 

Dans la seconde, les djihadistes parviendraient à maintenir une coalition suffisamment forte pour transformer la région en une zone refuge, à l’image de l’Afghanistan des talibans. Il pourrait devenir une zone d’accueil et d’entraînement des djihadistes africains et asiatiques. Ce qui aurait de lourdes conséquences sur les pays voisins (Niger, Tchad, Algérie), mais aussi sur l’Europe. Pour l’ensemble des pays, ce serait le pire des scénarios.

 

Si le Mali venait à s’effondrer, le Niger et le Burkina Faso seraient immédiatement déstabilisés. La France ayant quitté la région, il n’y a plus de force stabilisatrice capable d’éviter l’effondrement. L’armée française pourrait-elle intervenir de nouveau ? Il faudrait pour cela que les pays lui demandent et qu’il y ait un mandat de l’ONU. On voit mal comment des gouvernements militaires, qui ont bâti leur légitimité sur la haine de la France et son rejet, pourraient opérer une telle volte-face pour devoir leur salut à Paris. Dans tous les cas, l’armée française obéira et une telle opération ne peut dépendre que de la volonté politique. Mais, si cela devait arriver, se posera nécessairement la question du budget. Ce type d’opération coûte cher, or, comme chacun sait, l’État français n’a plus d’argent et l’armée française est dans un état de délabrement avancé. Le Mali et le Burkina devront donc se débrouiller seuls.

 

Puisque la crise malienne vient essentiellement des revendications touarègues, une solution possible serait une forme d’autonomie du nord, susceptible de ramener un équilibre politique minimal. Le Mali officialiserait donc sa partition entre un nord blanc et un sud noir, ce qui mettrait un terme à des lignes de frontières artificielles. Mais si le Mali venait à imploser, les autres pays de la région du Sahel seraient nécessairement touchés.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

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