L’Écosse joue sa singularité au sein du Royaume-Uni. Mais face aux tentations indépendantistes et à la fin de la manne du gaz, son avenir est incertain.
Lors du référendum sur le Brexit, l’Écosse a majoritairement voté pour le maintien dans l’UE (62%), ce qui n’a fait que raviver la crise avec l’Angleterre et les tentations du grand large. Terre votant massivement pour le Labour, l’électorat écossais s’est ensuite détourné vers le parti nationaliste (SNP) qui a pris le pouvoir dans la région. Un parti nationaliste ancré à gauche, socialiste sur le plan économique, et dont l’un des anciens chefs, et Premier ministre d’Écosse, Humza Yousaf, était un Pakistanais musulman né à Glasgow. De 1999 à 2007, les Premiers ministres sont travaillistes. La bascule a lieu cette année-là, avec l’élection d’Alex Salmond, du SNP. Un SNP certes minoritaire, mais qui gouverne dans une coalition.
Contrairement à un présupposé, en Europe, les partis nationalistes ne sont pas de droite, mais de gauche. C’est le cas en Écosse, en Corse, en Catalogne, en Bretagne. Il n’y a que le parti nationaliste flamand qui fait exception à cette règle. Ces nationalistes sont foncièrement socialistes et opèrent une identification entre le peuple et l’État, ce dernier devant contrôler le peuple. C’est notamment ce qui se passe en Écosse, une terre de gauche qui a échappé aux travaillistes pour se donner au SNP.
Économie de rente
Avec 5,5 millions d’habitants, la population de l’Écosse représente 8% de celle du Royaume-Uni (74 Mds £). Par comparaison, l’Île-de-France a une population de 12,5 millions d’habitants et le premier PIB en Europe pour une région (765 milliards €).
Au XIXᵉ siècle, l’Écosse était un géant industriel. Glasgow régnait sur la construction navale, la Clyde Valley battait au rythme de la sidérurgie et du textile. Cet âge d’or a progressivement décliné à partir des années 1970, marquant le début d’une désindustrialisation douloureuse. Des bassins entiers se sont effondrés, entraînant chômage et pauvreté.
L’exploitation des hydrocarbures de la mer du Nord, amorcée dans les années 1970, a alors joué un rôle d’amortisseur. Aberdeen est devenue la capitale européenne du pétrole et du gaz, redonnant un souffle économique à l’Écosse. Mais cela a aussi créé une économie de rente, exploitée par les socialistes. Malgré tout, Édimbourg demeure une place financière et l’Écosse peut compter sur de solides entreprises, comme Weir Group (industrie), des majors énergétiques telles que Harbour Energy. Le tourisme est un autre pilier économique de l’Écosse, qui génère plus de 10 milliards de livres annuelles.
L’autre pilier économique est celui du whisky, où les grandes distilleries sont contrôlées par les grands noms des spiritueux, notamment Diageo (1er mondial) et Pernod-Ricard (2e mondial), qui possède entre autres Aberlour. La France est le premier marché mondial de consommation du whisky, ce qui n’empêche pas ces entreprises d’être pénalisées par les droits de douane américains. Cette industrie qui semble être la quintessence du local et du terroir est en réalité complètement mondialisée. Les consommateurs sont hors d’Écosse, les fûts qui servent à faire vieillir le whisky, et donc à lui donner ses spécificités, viennent des États-Unis, du Portugal et de France, les capitaux sont eux aussi étrangers et le whisky-tourisme contribue à attirer des visiteurs étrangers qui viennent découvrir le sol écossais.
Le besoin d’exporter
L’Écosse ne peut pas vivre seule et coupée du monde : elle a besoin d’exporter. Ses hydrocarbures, son whisky, sa pêche. C’est là l’un des paradoxes de cette région : socialiste et nationaliste, parfois refermée sur elle-même dans ses idées alors qu’elle a une nécessité vitale d’être connectée au reste du monde. L’Écosse ne vit que par ses exportations et par les flux commerciaux. D’où le problème du Brexit qui a rendu plus compliqué l’accès au marché européen et a donc accentué un sentiment de décalage politique avec le reste du Royaume-Uni. Symbole de ce décalage, l’ETA désormais nécessaire pour venir au Royaume-Uni. Un visa simple à obtenir et assez peu onéreux, mais qui ajoute une contrainte administrative là où auparavant un passeport suffisait pour les citoyens des pays de l’UE.
Problème budgétaire
En Écosse aussi, le budget est un souci.
En 2024, le déficit dépassait 10 % du PIB, bien plus que la moyenne britannique. Les dépenses publiques en Écosse excèdent largement les recettes fiscales générées localement, la différence étant comblée par des transferts depuis Londres.
Pour les partisans de l’union, cette situation illustre la dépendance économique de l’Écosse au Royaume-Uni et les risques d’une indépendance, qui obligerait soit à réduire drastiquement les dépenses, soit à augmenter les impôts. Pour les indépendantistes, au contraire, les hydrocarbures de la mer du Nord – bien qu’en déclin – et surtout le potentiel des énergies renouvelables offrent les bases d’une prospérité durable. Ils estiment aussi que le retour dans l’Union européenne, souhaité par une majorité d’Écossais, ouvrirait des débouchés commerciaux vitaux. Mais pour l’instant, l’Écosse vit sur les finances de l’Angleterre, ce qui crée une sujétion de la région avec son voisin du sud.
L’indépendance, régulièrement au centre du débat politique, est donc autant une question économique que nationale. Pour ses partisans, elle permettrait à l’Écosse de bâtir une stratégie économique plus cohérente avec ses choix énergétiques et son ancrage européen. Pour ses opposants, elle mettrait en péril la stabilité financière et priverait le pays du filet budgétaire fourni par le Royaume-Uni. Les hydrocarbures étant en déclin, beaucoup se demande ce qui pourra les remplacer. Le gouvernement actuel mise sur les éoliennes off-shore comme une promesse d’économie magique, sans que l’on puisse voir comment cela pourrait remplacer le gaz et le pétrole. Le débat sur l’indépendance permet de masquer l’essentiel : les fragilités économiques de la région et le vieillissement de son appareil productif.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).