Émoi dans le monde des commerçants : le BHV a noué un partenariat avec Shein pour ouvrir une boutique en ses murs. Tollé général au sein du microcosme français : les Mulliez (Auchan) s’y sont opposés, tout comme les grands acteurs de la distribution. Certaines marques ont quitté le BHV et son patron a dû défendre sa stratégie économique. L’arrivée de Shein est surtout le symbole des transformations de l’industrie textile. Et du mépris des politiques pour les plus pauvres.
Une marque populaire
Les avis autorisés sur Shein sont souvent négatifs, alors même que la marque est très populaire en France et largement usitée par de nombreux Français (et surtout Françaises). Les cris d’orfraie sont-ils légitimes et fondés ou bien sont-ils l’expression d’un snobisme de classe qui vise à faire de tout acheteur de Shein un « plouc ». Le même sentiment règne dans le monde du livre : il est bien vu d’acheter ses livres en librairie, mais mal vu de le faire via Amazon. Alors même que ce sont dans les supermarchés que les livres sont majoritairement vendus, et notamment chez Leclerc. Mais personne n’ose dire qu’il achète un livre le samedi matin en faisant ses courses, entre les légumes et le produit vaisselle. Le livre, pour être digne, doit s’acheter chez son libraire « de quartier ».
Plutôt que de critiquer Shein, il faudrait plutôt se demander pourquoi autant de Français achètent chez cette marque. Pour la question du prix ? Pour les coupes, le choix, la facilité d’achat ? Probablement un peu de tout cela. La paupérisation de la population, conséquence d’une politique fiscale délirante, aboutit en effet à ce que les personnes les plus modestes visent à l’économie. Plutôt que de vouloir interdire Shein, il faudrait plutôt chercher à baisser les impôts pour redonner de la richesse aux Français. Mais, vu les discussions du budget en cours, cela ne semble pas à l’ordre du jour.
Empêcher les échanges
Dans le même registre, les maires s’évertuent depuis de nombreuses années à rendre leurs centres-villes inaccessibles. Entre zones piétonnes, réduction des voies pour les voitures, suppression des places de parking. Et, surprise, quand on empêche la population de venir, elle ne vient pas, réduisant d’autant la zone de chalandise. En conséquence de quoi, les commerces ont moins de clients, et donc beaucoup ferment, avec des locaux commerciaux qui restent vides. La solution préconisée par de nombreux maires est de taxer davantage les locaux vides, pour forcer les propriétaires à louer et à baisser leur loyer. Face à de telles réductions de marges, il est peu probable que les propriétaires investissent encore dans l’immobilier commercial. La population étant empêchée de venir en centre-ville, elle se déplace dans les centres commerciaux périphériques ou procède par achat à distance et par livraison. Les décisions politiques engendrent donc des reconfigurations territoriales et spatiales. Mais beaucoup pensent ce que doit être la ville idéale : avec des vélos et des centres-villes emplis de commerces. Et veulent donc absolument imposer cette planification au reste de la population, qui ne semble guère s’y intéresser.
Routes du textile
La véritable révolution en cours est celle du textile, qui connaît une transformation majeure depuis quelques années. Longtemps, le modèle fut celui des collections automne / hiver, printemps / été, produites de façon décalées et acheminées en Europe depuis l’Asie. La mécanisation aidant, il est désormais possible de produire vite de petites quantités. Ce qui oblige à rapprocher les usines de fabrication des zones de vente. Des pays comme l’Éthiopie, la Turquie, la Tunisie et, en Europe, la Roumanie, sont en train de devenir des grands du textile. La main-d’œuvre est peut-être plus chère qu’au Bangladesh et au Vietnam, mais ce n’est plus vraiment un problème, puisque la mécanisation et la robotisation réduisent une grande partie de cette main-d’œuvre. Comme il est possible de produire en petite quantité et de s’adapter à la demande, on limite les stocks, et donc les immobilisations de capital, et on limite également les invendus. Fini les tenues d’été qui arrivent en mai alors qu’il fait encore froid : il est désormais possible de produire à la semaine, en s’adaptant ainsi aux conditions météo. Et donc de répondre immédiatement aux besoins. Ce qui est appelé « l’ultra fast fashion » est surtout une autre façon de produire, plus immédiate, avec moins de stocks, moins de distance parcourue et plus d’adaptation aux besoins. Ce qui réduit les gâchis et les invendus.
C’est cette révolution géographique qui est en train de se jouer dans le textile et dont Shein n’est qu’un symbole. En défendant les boutiques de centres-villes, qui ont quasiment toutes disparu ces dernières années, on reste accroché à un modèle industriel qui n’a plus court.
Le discours politique ambiant est un mélange de planification stupide et d’obscurantisme économique. Rien d’étonnant quand on voit le ministre des Affaires étrangères visiter l’usine Duralex pour vanter l’excellence française. En d’autres temps, les ministres se déplaçaient pour inaugurer Orly, le Concorde et les nouvelles lignes de TGV, pas pour se vanter de produire des verres de cantine. Aujourd’hui, dans de nombreux secteurs, les politiques sont un frein aux changements, aux innovations et aux inventions.
Refaire les villes
Alors que des décennies durant le BHV fut l’un des phares de Paris, le Bazar de l’hôtel de ville est désormais l’ombre de lui-même et en grande difficulté. Son propriétaire essaye de lui donner un nouveau souffle en y faisant venir des marques populaires et connues. L’avenir dira si son choix se révèle payant. Mais force est de constater qu’il agit et qu’il essaye.
On voit aussi comment une marque qui était uniquement en ligne cherche à s’implanter dans un lieu et à disposer d’une boutique. C’est le lot de très nombreuses marques de vêtements, qui ont commencé sur internet avant de s’implanter en physique. Preuve que cette nouvelle économie textile n’est pas qu’immatérielle et qu’elle s’inscrit aussi dans des lieux qu’elle façonne et organise. L’espace physique n’a pas disparu, mais il est en perpétuelle évolution.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).