Israël frappe tous azimuts, mais avec précision. Ce mardi 9 septembre, ce sont des responsables du Hamas vivant au Qatar qui ont été visés. Ce qui met dans l’embarras les États-Unis et fait craindre une extension de la guerre.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le flou demeure sur les objectifs atteints par les frappes. Si les autorités s’accordent pour dire qu’il y a eu cinq morts, l’identité des victimes n’est pour l’instant pas claire. Ce sont des responsables du Hamas qui étaient visés, mais nul ne sait pour l’instant s’ils ont bien été atteints. Est ainsi annoncée la mort de Khalil al-Hayya, fils du chef du Hamas, mais sans que cela puisse être vérifié. On parle également d’un très proche collaborateur du dirigeant ainsi que de gardes du corps. Les principaux chefs du Hamas, qui étaient apparemment visés, ne semblent donc pas atteints par les frappes, ce qui est le signe d’un certain échec de l’armée israélienne.
Ambiguïté qatarie
Cette attaque n’est pas sans soulever des problèmes moraux. Le Qatar est un pays neutre, qui ne prend pas part à la guerre de Gaza, et qui subit une frappe dans sa capitale.
Mais le scandale est aussi sur la présence de ces chefs du Hamas à Doha. Le Qatar est un lieu de refuge pour bon nombre de dirigeants du Hamas, qui vivent dans ce pays à l’abri et éloignés des souffrances des Palestiniens. Une présence du Hamas à Doha qui a été un temps soutenue par Israël, puis tolérée. Et c’est là l’autre ambiguïté. Plusieurs années durant, Israël a favorisé le Hamas comme concurrent de l’OLP, alors son principal adversaire, en lui apportant aides et financements via le Qatar. Mais les temps ont changé et l’attaque du 7 octobre 2023 a bouleversé la perspective. D’adversaire utile, le Hamas est devenu un ennemi irréductible. D’où les frappes à Doha, comme auparavant à Téhéran et à Beyrouth.
Ce que veut montrer Israël c’est qu’il n’y a aucun lieu au Proche-Orient où les dirigeants du Hamas peuvent être à l’abri. Israël dispose d’un très bon système de renseignement, de capacités militaires de longue portée et d’une grande tolérance des autres pays à l’égard de ses opérations. Beaucoup condamnent, mais laisse faire ; le fait accompli ignore le droit.
Les États-Unis étaient bien évidemment informés de l’opération : disposant d’une base militaire au Qatar, ils surveillent chaque mouvement dans la zone. Mais le communiqué officiel de la Maison-Blanche se montre très réservé sur cette opération. L’attaque israélienne contre des responsables du Hamas à Doha « ne promeut pas les objectifs d’Israël ni de l’Amérique », a ainsi déclaré la porte-parole de la Maison-Blanche, ajoutant que le fait de frapper au Qatar rendait Donald Trump « très mal à l’aise ». Une façon de dire qu’on laisse faire Israël, mais que l’on ne soutient pas son initiative. On peut le comprendre : le Qatar étant un allié des États-Unis, ils n’ont pas envie de se mettre à mal avec eux.
Cette opération a été totalement assumée par Israël, dont le gouvernement se montre inflexible depuis les ripostes menées contre les attaques du 7 octobre : « Hier, à la suite des attaques meurtrières à Jérusalem et à Gaza, le Premier ministre Netanyahu a donné instruction à toutes les agences de sécurité de se préparer à la possibilité de cibler les dirigeants du Hamas », a ainsi indiqué un communiqué conjoint de Benjamin Netanyahu et du ministre de la Défense, Israël Katz. Et c’est bien ce qui s’est passé mardi, dans une configuration tout à fait inédite.
Quelles suites ?
Il est probable que rien ne se passera, mais une confiance est rompue entre Israël et ses voisins. L’attaque à Doha ne fait pas porter la crainte que sur le Hamas, mais aussi sur tous les pays de la région : elle démontre qu’Israël est prêt à frapper partout, y compris dans les pays qui ne sont pas ses adversaires. Elle risque de conduire à une certaine arrogance, voire hubris, portée par les sentiments d’impunité et d’invulnérabilité. Frapper les chefs est une chose, mais si Israël veut vraiment arrêter le Hamas, ce sont aussi les flux financiers qu’il faut frapper, ce qui est beaucoup plus contraignant pour un certain nombre de pays.
Pendant ce temps, la guerre et les drames humanitaires se poursuivent à Gaza, avec cette question lancinante : que vont devenir les Palestiniens ? Une déportation vers l’Égypte n’est pas à exclure, même si tous les acteurs récusent cette opération. En échange d’une très grosse compensation financière, Le Caire pourrait accueillir des Palestiniens sur son sol, et les loger dans une ville nouvelle créée dans le désert. Un scénario régulièrement évoqué depuis 2023, qui semblait farfelu alors, mais qui devient de moins en moins improbable. Ce qui ne serait pas sans causer de nombreux problèmes, notamment une extension du Hamas en Égypte et donc une déstabilisation potentielle. Le Proche-Orient n’a vraiment pas besoin d’un pays de plus qui soit aussi déstabilisé que l’a été le Liban.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).