11 juillet, 2013

Vue de l’hiver arabe, suite et non fin…

Début Février, le site de l’Institut des Libertés publiait un papier sur un voyage professionnel dans trois pays d’Afrique du Nord dont l’Egypte.

Les évènements de ces derniers jours me conduisent, sans le bénéfice d’une nouvelle visite mais au travers des media, à proposer quelques pistes de réflexion sur ce qu’il est convenu d’appeler » le Printemps Arabe », à savoir la transition de régimes autoritaires vers des gouvernements élus, qui souvent utilisent le processus électoral pour restreindre les droits de ceux qui n’adhèrent pas à leurs valeurs.

Ceci devrait nous conduire à une interrogation plus fondamentale, démocratie ou libertés ? Cette critique avait déjà été formulée lorsque sous la Présidence de Bush43, les « neo con » soutenaient la démocratie de type dit occidental en Irak, alors qu’elle conduirait évidemment à la prise du pouvoir dans un pays a 60% + shiite par les thuriféraires et proxies des Mullah iraniens.

Fallait –il au contraire s’opposer à une telle évolution, au nom du principe révolutionnaire de 1793 en France, pas de liberté pour les ennemis de la Liberté… ?

Certes le passage soudain d’un processus électoral de pure forme a une élection ouverte et libre, dans une société ou la séparation des cultes et du pouvoir politique n’est pas naturellement acceptée, renforce le pouvoir d’influence d’organisations telles que les Frères Musulmans, ou le Hamas, pour l’obédience sunnite, et le Hezbollah pour les Shiites. Ces organisations, souvent persécutées sous le régime déchu, bénéficient de ce statut d’opposant historique, et le cumule avec le rôle éducatif, humanitaire ou social, pour légitimer – ou occulter –  auprès du plus grand nombre le message politique.

De fait, il faut garder à l’esprit que lors des élections parlementaires de 2011/2012, les suffrages cumules des Islamistes du Parti dit de la Reforme et de la Justice – ie Muslim Brotherhood- et des Salafistes du Al Nour, représentaient 69% des voix.De même Mohamed Morsi, le Président désormais déposé, avait été élu au suffrage universel direct au second tour contre un adversaire unique qui n’avait recueilli que 11% des voix.

Et la Constitution d’inspiration islamiste avait été adoptée par referendum par une majorité de 64% d’approbation même si Le  Caire avait voté non.La chute de Morsi ne pouvait venir de seules manifestations de rues, elle devait être actée par un coup militaire avec un « nihil obstat » américain.

Dans mon papier précèdent de février 2013, je soulignais le caractère autoritaire et versatile de Mohamed Morsi et de son entourage. Autoritaire dans son refus de compromettre avec toute forme de désaccord.Versatile par une absence d’expérience de gestion publique pour des dirigeants qui avaient passé plusieurs décennies dans une opposition tranchée,  réprimée, en exile ou en prison, avec de surcroit une expérience professionnelle d’ingénieur, de médecin,  d’enseignant..

Loin des réalités et contraintes du pouvoir  notamment au plan politique, leurs allies extérieurs – et financiers –  étant la Turquie et son gouvernement islamiste, dont le monde à découvert récemment les tendances autocratique et répressives, et le Qatar dont la stratégie géopolitique est désormais bien connue.

Dans les semaines qui ont précédé le coup d’Etat, les réserves de change avaient encore diminué de manière alarmante, et l’aide internationale, hormis les pays précédemment cites, était gelée. Le tourisme, j’avais pu le constater, était en chute libre, et les remises des travailleurs égyptiens en Lybie n’alimentaient plus la balance des paiements extérieurs, près d’un million d’entre eux aillant rejoint le pays pour augmenter le nombre de chômeurs.

De ce fait, les multinationales opérant en Egypte avaient les plus grandes difficultés à importer.La Banque Centrale gérant la pénurie.

Le changement de régime ne s’étant pas traduit tant s’en faut, par une amélioration des conditions de vie du plus grand nombre, particulièrement au Caire, Alexandrie, et dans d’autres grandes cites, les difficultés économiques se cumulaient aux frustrations politiques pour alimenter une contestation de plus en plus vocale et virulente.Mais le pouvoir pensait avoir légitimité et durée, aucune élection n’étant prévue avant 3 ans.

Le régime continuait également à bénéficier en apparence d’une neutralité bienveillante des Etats Unis, et d’une disparition de l’armée de la scène politique, après un renouvellement assez large  de ses officiers généraux.La politique américaine en Egypte est largement dictée par le souci de maintenir l’état de paix avec Israël,  ratifie par plus de trente pays.

De ce point de vue, Morsi avait plus ou moins respecte la ligne jaune à ne pas franchir.Mais les vues aux Etats Unis évoluaient, notamment après certaines visites de parlementaires américains, de plus en plus critiques de l’administration égyptienne. Aussi sous l’influence d’intérêts économiques préoccupes par la dégradation de la situation conjoncturelle.Certains ont aussi mentionné le rôle ambiguë  joue par l’Ambassadeur en poste au Caire.

Mis en demeure de composer et d’ouvrir son gouvernement aux oppositions, tant salafiste que libérales, Morsi a refusé, pensant sans doute pouvoir compter sur l’abstention de l’armée.

Lorsque le chef d’état-major a rendu son ultimatum public, le Président a continué sur la même voix, précipitant sa chute.

Comme je l’avais écrit début Février, ce coup d’état militaire est une très mauvaise nouvelle, même si on nous assure que de nouvelles élections libres interviendront dans 6 mois après une révision de la constitution d’inspiration islamiste dans un sens plus modéré, sous 4 mois ?La rue est maintenant investie par les partisans de Morsi, et les Salafistes d’Al Nour, au départ rallies a la destitution du Président, se sont retirés, suite au plus de 50 morts provoquées par les tirs de militaires soi-disant attaques et menaces.

Le fossé se creuse entre les différentes factions opposées, le pouvoir est bien à l’armée, et le maintien de l’aide américaine – $1 milliard et demi par an – , en dépit du coup, vaut validation implicite.

L’Europe est bien évidemment absente – y compris au plan financier, deux grandes françaises, BNPP et Soc Gen ayant en début d’année vendu leurs implantations a des établissements du Golfe-  et la chute temporaire des Frères Musulmans ramènent les puissances régionales sunnites wahabites, Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis.

Ce retour en arrière est extraordinairement préoccupant, les choses ne peuvent qu’aller plus mal, on ne voit aucune solution même très partiellement satisfaisante à court terme.

Et la politique de l’autruche menée par l’administration Obama est largement responsable de cette situation préjudiciable à la présence étrangère, mais aussi à un bien être amélioré  de la condition du peuple égyptien.De ce drame il ne sort rien de bon ni pour les évolutions démocratiques au Moyen Orient, ni pour une société plus respectueuse des droits des minorités, et plus généralement des libertés publiques.

L’armée ne se comportera pas comme le despote éclairé type Frederic de Prusse dont Voltaire attendait en vain la défense des libertés.

 

 

Jean-Claude Gruffat

 

 

 

 

Auteur: Jean-Claude Gruffat

Jean Claude Gruffat est depuis Avril 2020 Managing Director chez Weild and Co, banque d’affaires indépendante présente dans plus de 20 États aux États Unis. Après une carrière dans la banque internationale chez Indosuez, puis Citigroup. Jean Claude Gruffat est le Chairman de Competitive Enterprise Institute, et un board member de Atlas Network, toutes deux think thanks libertariennes domiciliées à Washington DC. Il est également gouverneur de L’American Hospital de Paris. Titulaire d’un doctorat en droit public, et d’une maîtrise de science politique de l’Universite de Lyon, ainsi que ancien participant au Stanford Executive Program, GSB, Stanford University, CA.

9 Commentaires

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  • jcgruffat

    15 août 2013

    Pour les Anglophones, je recommande la lecture de l’excellent papier de Fouad Ajami, Hoover Institute, Stanford, dans le wall street journal du 15 aout..

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  • jcgruffat

    14 août 2013

    Les evenements de ces tous derniers jours confirment le pessisme de mon analyse..
    Les positions de part et d’autres se radicalisent et les affrontements deviennent tres meurtriers.
    Le vice president El Baradei vient de demissionner, et la junte a annonce la nomination de 19 gouverneurs territoriaux pour la plupart militaires de haut rang.
    La rumeur circule que le chef d’etat major auteur du coup, Abdil Fattah El Sisi, se porterait candidat a l’election presidentielle.
    Toutefois comme me le confiait ce matin un de mes collegues tout recemment rentre de pres de 3 ans de sejour professionnel au Caire, il est illusoire de penser que la repression fera rentrer le genie du printemps arabe, y compris les Freres, dans le rang de la soumission.
    Et le radicalisme et les groupes terroristes recrutent dans ce contexte de repression politique combinee a la degradation de la situation economique.
    En depit du soutien financier des autocrates du Golf..
    Le Sinai est devenu une zone de non droit desormais bombardee par les drones et les missiles israeliens.
    Une visite recente de deux senateurs americains a ete sans effet, le departement d’etat et la presidence continuent a ne pas vouloir declarer qu’il y a eu coup d’etat, car ceci entrainerait la suspension de l’aide notamment militaire, et de facto la perte de tout levier dont l’Amerique pense encore disposer sur les nouveaux maitres du pays.

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  • Philippe

    12 juillet 2013

    Mr Gruffat vouz mis le doigt sur la plaie séculaire des pays musulmans: la libertè individuelle n’ y existe pas pour la simple raison que l’ Islam est un carcan . L’ individu appartient à son groupe religieux- l’ apostasie est punie de prison voire de mort. La femme est la propriètè de son mari, quelquefois meme ramenée a un morceau de patrimoine en concurrence avec d’ autres èpouses. L’ analphabétisme est toujours élevé (50 a 60 % de moyenne dans la plupart de ces pays cf. dernier rapport des Nations Unies PNUD ),l’ obscurantisme est la règle generale, les publications de langues non arabes sont dedaignèes (a peine 3% de traductions d’ ouvrages occidentaux dans la quantitè publiee ).Le despotisme est normal dans ces conditions.Le mot democratie est vidé de son sens.Meme la Turquie qui faisait les yeux doux a l’ europe vient de faire son aveu d’ autoritarisme.L’ armèe est donc un moindre mal, une riposte quasi-laique a la dèrive obscurantiste des frères musulmans . Obama a une grosse responsabiitè dans cette dèrive, li qui a tout fait pour faire chuter le precedent despote Mubarak.Quant à l’ europe elle joue aux petits marquis donneurs de leçons quand Israel se dèfend mais tournant la tete ailleurs quand Assad cumule 100,000 cadavres de civils.

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    • Jean.Vandenbrande

      13 juillet 2013

      Vous avez raison, mais le pire c’est que certains de nos savants en savent maintenant davantage sur l’origine de l’Islam. Celui-ci ne doit rien, ou pas beaucoup, à Muhammad, mort au moins10 ans avant que l’Islam ne soit conçu.
      Cette origine, purement militaire (les premiers Califes), nous éclaire sur le but réel de l’Islam et sur les moyens qu’il se donne pour triompher.

      La seule force qui détruirait cet emprisonnement des esprits provoquée par l’Islam, c’est celle de le vérité historique. Mais nous refusons de nous en servir car notre technologie se met au contraire au service de la propagande islamique en diffusant des récits purement mythiques que l’on met sur le même rang que la science historique. Et ces récits mythiques ont du succès parmi les faibles. D’autre part, ils intéressent ceux qui veulent dominer. C’est leur moyen de domination.

  • Le corbeau

    12 juillet 2013

    @Ibrahim : que vient faire Allah dans ces commentaires ? C’est justement parce que l’islam ne veut pas de la séparation des pouvoirs politiques et religieux que le moyen-orient est en grande partie terre de guerre et de pauvreté. La religion doit être réservée à la sphère privée ! N’oubliez pas que ceux qui suivent une religion sont appelés des « croyants » et non des « savants » !

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  • jcgruffat

    11 juillet 2013

    Merci mais je ne suis pas sur..
    La Grande Bretagne n’a pas de constitution ecrite et pourtant me parait un exemple a suivre a beaucoup d’egards.
    L’essentiel me parait etre un equilibre des pouvoirs, et l’independance du judiciaire.

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  • Marius

    11 juillet 2013

    « Fallait –il au contraire s’opposer à une telle évolution, au nom du principe révolutionnaire de 1793 en France, pas de liberté pour les ennemis de la Liberté… ? »

    Non, mais tout se joue dans la Constitution…. Une bonne Constitution libérale, qui borne dans le marbres l’Etat et qui déclare les Droits de l’Homme, doit être la base pour éviter les dérives liberticides des élus. Tout le problème est là… arriver a implanter la laïcité d’Etat pour derrière arriver a écrire et faire appliquer une Constitution libérale pour un Etat minimal.

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  • Amellal Ibrahim

    11 juillet 2013

    Un classique qui ne doit surprendre personne ici, l’état égyptien subventionne le gasoil, ce qui donne :

    http://www.rfi.fr/sites/filesrfi/imagecache/rfi_43_large/sites/images.rfi.fr/files/aef_image/station_0.jpg

    Pénurie sur pénurie, en plus de ça, c’est l’armée qui gère tout ça …

    Sinon, recommandation du Prophète Mohammed (saws) dans ce cas :

    [hadith rapporté dans Al-Boukhari, Kitab al-manaqib, hadith n° 3338. Le hadith dit :
    « Les gens questionnaient le Messager d’Allah -Prières et bénédiction d’Allah sur lui- à propos du bien, alors que moi je le questionnais à propos du mal, par crainte qu’il ne m’atteigne. J’ai demandé : « Ô Messager d’Allah ! Nous étions dans une époque de paganisme (al djâhiliya), puis Allah nous a fait don de ce bien (l’Islam). Y aura-t-il après ce bien un [autre] mal ? » Il me répondit : « Oui. » Je lui demanda : « Est-ce qu’après cet autre mal, le bien reviendra ? » Il dit : « Oui, mais il y aura en ce bien des impuretés… » Je lui demanda : « Qu’est ce que ces impuretés ? » Il dit : « Des gens qui ne guideront pas dans la voie dans laquelle j’ai guidé. Tu y reconnaîtras des choses [conformes à la loi d’Allah] et tu en ignoreras d’autres. » Je lui demanda : « Et après ce bien, y aura-t-il un mal ? » Il dit : « Oui, il y aura des prêcheurs qui appeleront vers les portes de l’enfer. Celui qui leur répondra, ils le précipiteront en enfer. » Je lui demanda : « Ô Messager d’Allah ! Décris-les nous ! » Il dit : « Ils sont de notre souche, ils parlent notre langue ! » Je lui demanda : « Que devrais-je faire si j’assiste à cela ? Le Prophète -Prières et bénédiction d’Allah sur lui- dit : « Reste avec le groupe des musulmans et leur dirigeant. » Je lui demanda : « Et s’ils n’ont pas de dirigeant (Imam) ? » Il dit : « S’ils n’ont pas de dirigeant, éloigne-toi de tous ces groupes, même s’il te faut mordre à la racine d’un arbre jusqu’à ce que la mort te saisisse. »

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