17 novembre, 2022

Souveraineté : un concept à préciser

Longtemps inexistant dans le débat public, le concept de « souveraineté » a débarqué en force depuis une petite dizaine d’années. Les confinements d’une part, la guerre en Ukraine d’autre part ont montré la nécessité d’une véritable souveraineté, comme garantie de l’indépendance et donc de la puissance des nations. Mais comme toujours, un mot trop employé finit par perdre son sens, voire à aboutir à l’inverse de ce qui était recherché.

Une souveraineté socialisante

Le danger du terme est de défendre une souveraineté qui aboutirait à un socialisme exacerbé. Retirer des pouvoirs à Bruxelles pour renforcer ceux de Paris n’améliorerait pas nécessairement la souveraineté de la France si cela devait aboutir à davantage d’administration et d’étatisme national. De même, l’autarcie et le made in France plutôt que le made in China n’est pas une réponse au problème, d’autant qu’il est impossible de se couper du monde et de tout faire entre les murs de l’Hexagone.

De la personne à la subsidiarité

Une bonne souveraineté est d’abord personnaliste, c’est-à-dire qu’elle repose sur les libertés des personnes. La souveraineté est un moyen, non une fin, en vue d’obtenir un bien plus grand, c’est-à-dire le développement tant matériel qu’immatériel des personnes. Une souveraineté qui irait à l’encontre des intérêts et des biens des habitants d’un pays serait absurde. N’attendons donc pas la venue d’un sauveur politique ou d’un homme providentiel. Chaque personne peut être souveraine, par la culture, l’histoire, l’éducation, l’usage des libertés fondamentales qui sont en notre possession. Une grande partie des libertés périssent non par restriction, mais par non-usage de celles-ci. Les confinements en furent un bon exemple : il était tout à fait possible, et légal, de sortir de chez soi, pour aller travailler et faire des courses, en remplissant les attestations nécessaires. Certains, pour diverses raisons, n’ont pas fait usage de cette liberté de circulation qui leur était octroyée.

Dans son célèbre ouvrage De la servitude volontaire, La Boétie a très bien démontré comment la tyrannie s’installe toujours par adhésion des personnes au sein d’un État. Un fait confirmé par toutes les expériences dictatoriales et totalitaires du XXe siècle.

Le deuxième concept de la souveraineté est celui de la subsidiarité ; une notion essentielle en philosophie politique, mais aujourd’hui oubliée. La subsidiarité, c’est permettre aux échelons inférieurs de faire et de n’accorder du pouvoir à l’échelon supérieur que si l’inférieur ne peut pas le faire. Une commune, regroupée en syndicats, peut très bien gérer la question du ramassage des ordures ménagères. Nul besoin donc que l’État s’occupe de cela. Les familles peuvent choisir l’école de leurs enfants voire, dans certains cas, se regrouper pour créer des écoles. En revanche, pour ce qui concerne la protection du pays, via l’armée, l’échelon national est le plus pertinent. La décentralisation n’est ainsi pas un gage de souveraineté ; c’est même parfois l’inverse. En transférant des pouvoirs étatiques aux régions ou aux départements, l’État a créé des féodalités locales, plus enclines à pratiquer le clientélisme électoral et l’achat de voix qu’à mener une politique de défense commune de ses habitants. Tout est donc question d’échelle et de sujets.

Troisième élément nécessaire à une bonne souveraineté : la concurrence. Un pays ne peut pas tout produire chez lui. Que la France n’ait ni pétrole, ni gaz, ni lithium, ni autres matériaux essentiels est un fait géologique contre lequel il n’est pas possible de se lever. Nous sommes nécessairement dépendants des autres, au même titre que les autres sont dépendants de nous. Le danger ne résulte pas dans l’existence de cette dépendance, mais dans le fait qu’elle soit unique. Avoir un seul fournisseur de gaz, par exemple la Russie, est particulièrement dangereux, surtout quand survint une crise. Faire jouer la concurrence afin de disposer de plusieurs fournisseurs (de gaz, de matières premières) est donc essentiel afin de réduire au maximum la dépendance. Il n’y a évidemment nulle situation parfaite, l’objectif n’étant pas d’atteindre 0 risque, mais de tendre vers 0.

Quatrième élément, l’indépendance financière. Disposer d’une monnaie certes, mais aussi d’un pays aussi peu endetté que possible. Il est d’ailleurs curieux que beaucoup de personnes se définissant comme souverainistes omettent la question de la dette qui est pourtant la servitude des peuples. L’une des premières actions d’une indépendance nationale est de se libérer de l’étranger en réduisant sa dette, ce que fit très bien de Gaulle lors de son retour au pouvoir en 1958.

Cinquième élément, participer à des alliances qui ne soient pas des servitudes. La souveraineté n’est pas une individualisation des pays : nul ne peut vivre seul et coupé des autres. Il est normal et logique que les États participent à des alliances, qu’elles soient militaires ou économiques. Mais celles-ci doivent être des alliances, non des servitudes. Ou pour employer un langage économique, une mutuelle non une sécurité sociale. Que des pays mutualisent leur force militaire, s’entendent pour définir des règles commerciales communes, créent des normes internationales afin d’ordonner les fonctionnements entre les pays sont choses tout à fait normales. Mais cela doit rester dans un cadre de mutualisation, même si, dans les faits, très souvent, un pays plus puissant que les autres prend le pas et impose son ordre.

Ces cinq éléments pourraient être complétés par d’autres. Ils se veulent des référents à développer non des propositions définitives. Mais ils permettent d’éviter un contresens sur la souveraineté qui n’est ni développement tout puissant de l’État ni atomisation des nations vivant fermées et recluses. La souveraineté ne doit pas être un cache-nez à socialisme qui conduise à l’étouffement des personnes, de leurs libertés et, in fine, de leur développement.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

19 Commentaires

Répondre à Roger Galinié

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  • Robert

    21 novembre 2022

    Cas pratique sur la notion de souveraineté :
    Un pays accueille sur son sol un bateau de plusieurs centaines de migrants, lesquels sont dispersés dans la nature au bout de quelques jours par décision de justice sans que l’on sache ce que sera leur devenir…
    Ce pays est-il souverain ?
    Vous avez trois heures.

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    • Patrice Pimoulle

      21 novembre 2022

      Oui. Il fait ce qu’il lui plait.

  • Steve

    20 novembre 2022

    Bonjour M. Noé
    « Où sont-ilz, Vierge souveraine ?…
    Mais où sont les neiges d’antan ! »
    En ce qui concerne la France, la souveraineté est avec les neiges d’antan depuis Pompidou : c’est désormais la finance internationale qui la détient.

    Pour paraphraser Fernand Raynaud:  » La souveraineté …. ça eût payé! Mais en France ça paye pus » …
    Il est toujours possible d’en disputer ( avant que le Commissaire T. Breton ne l’interdise) mais en usant de l’imparfait définitif!

    Cordialement

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  • Philippe

    18 novembre 2022

    Dans l’Etat jacobin centraliste , la souveraineté est confisquée par ,’Etat qui la délègue a qui bon lui semble SANS CONSULTER la nation. Exemple : le vote du traité de Lisbonne a été un viol de la volonté nationale qui s’était prononcée par referendum contre la constitution européenne . Les députès-senateurs qui ont voté le traité de Lisbonne ont bafoué la nation.
    Dans l’Etat girondin fédératif cela aurait été impossible .
    Dans le système suisse de votation c’était irréalisable .

    Il est inutile de parler de souveraineté en omettant de rappeler qu’elle réside dans le peuple .

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    • Dominique

      18 novembre 2022

      Vous ouvrez un débat.
      La souverainté du peuple m’apparait être une escroquerie, car elle suppose que la loi du plus grand nombre confère à un vote la Qualité qui serait gage de son Autorité.
      .
      Votre exemple emblématique a démontré que le peuple n’est pas souverain !
      .
      Avec cet a priori injustifié, et même invalidé par des penseurs ( cf. Jean Bodin ) de la supérorité du régime de démocratie sur le régime de monarchie, on en vient à accepter le régime de tyrannie puisque le tyran est élu par le peuple…
      Bien à vous

    • Patrice Pimoulle

      19 novembre 2022

      Vous avez tout faux. L’Etat est jacobin par definition: « deliberer est le fait de plusieurs, executer est le fait d’un seu » (Sieyes). L’Etat n’est rien d’autre que la personne morale de droit public representant la nation. La nation est souveraine, elle n’a que faire de donner des conseils ou des « consultations ». Le traite de Lisbonne a ete ratifie par la representation nationale; il est l’expression meme de la volonte generale.

    • Philippe

      19 novembre 2022

      A Dominique; le systéme suisse de Votation implique que la decision populaire est IMPERATIVE ; Les autoritès cantonnales ou nationales sont tenues de les appliquer. Le systéme représentatif ouvre la porte à tous les abus ; L’exemple du Traité de Lisbonne adopté par le Congrès ( Assemblée + Sénat ) a permis de circonvenir le rejet du peuple exprimé par le réferendum est la marque d’infamie des années Sarkozy.
      A Patrice : vous n’avez rien compris a ma remarque . Vous confondez l’Etat et la représentation parlementaire de la nation

    • Patrice Pimoulle

      21 novembre 2022

      A Philippe: en effet je suis trop sybillin; « L’Etat » et la representation nationale n’ont rien a voir; l’Eatest une fiction juridique, un « organe »; la represntation ationale est un principe; l’Etat – est l’organe d’execution de la volonte generale exprimee lors ds elections; si le FRancais vtent pour Saco, ils auront le traite de Lisbonne,

  • Cheunbaba

    17 novembre 2022

    Heureusement que JB Noé a le droit d’aller un peu plus loin que la définition d’un dictionnaire.

    Répondre
    • Dominique

      18 novembre 2022

      A ne plus utilser correctement la langue française, les analyses flottent au vent d’arguments qui sont sans liens avec le sujet.
      .
      C’est le triomphe des actualités sur l’Histoire, du déversement d’arguments qui étourdissent le lecteur, et des bons mots au lieu de conclusions construites.
      .
      On le constate dans nombre de commentaires et cela devient lassant.

  • Dominique

    17 novembre 2022

    Vous confondez avec, entre autres, le libéralisme. Commençons donc par ouvrir le dictionnaire de l’ Académie Francaise.
    .
    SOUVERAINETÉ – nom féminin.
    .
    ■ Autorité suprême.
    .
    Souveraineté héréditaire. Souveraineté élective. Souveraineté passagère. Souveraineté populaire. Souveraineté nationale.
    .
    Les droits de la souveraineté. Aspirer à la souveraineté. Usurper la souveraineté.
    La souveraineté du peuple.
    .
    Fig., La souveraineté de la raison, L’autorité suprême que la raison devrait exercer sur nos actions.
    .
    ■ Souveraineté désigne aussi la qualité et l’autorité d’un prince.
    .
    On lui dispute la souveraineté. Il possède ces terres en souveraineté, en pleine souveraineté.
    .
    En termes de Droit international, il désigne le Droit absolu qu’a tout peuple indépendant de régler ses propres affaires sans en devoir aucun compte à quelque autre peuple que ce soit.

    Répondre
    • Cheunbaba

      17 novembre 2022

      Heureusement que JB Noé a le droit d’aller un peu plus loin que la définition d’un dictionnaire.

    • Dominique

      18 novembre 2022

      Qui dans ces libres colonnes interdirait une parole ?
      Je dis seulement qu’il ne faut pas mettre la souveraineté à toutes les sauces. Laissons cela aux politiciens ignares.
      Elle est l’autorité suprême et rien d’autre.
      .
      C’est à partir de son écrasement, et de son reniement, que l’indépendance de notre peuple et ses libertés ont été perdues.
      L’individualisme adoré comme un veau d’or mène à son effacement dans notre esprit, et on ne parle plus que de souverainté alimentaire : le roudoudou remplace le Prince, qu’il soit le monarque ou le peuple.
      .
      On ne les restaurera pas la souveraineté en protégeant ci et là des droits individuels, en recherchant du gaz, en diminuant l’endettement etc.
      .
      C’est pourquoi un bon raisonnementl passe par l’emploi des termes corrects :
      .
      SOUVERAIN : adjectif. Et substantif.
      .
      ■ Qui est suprême, excellent, qui est au plus haut point en son genre.
      Le souverain bien. Vertu souveraine. Bonté souveraine. Souverain bonheur.
      Remède souverain, Remède d’une efficacité sûre.
      .
      ■ Souverain se dit particulièrement de l’Autorité suprême et de ceux qui en sont revêtus.
      Puissance, autorité, dignité souveraine.
      Un prince souverain. Souverain seigneur. Souveraine maîtresse.
      Cour souveraine, Tribunal qui juge sans appel. Jugement souverain, Jugement en dernier ressort.
      Droits souverains, Droits de souveraineté.
      .
      ■ Souverain, aine, s’emploie aussi substantivement et désigne Celui, celle qui possède, en qui réside l’autorité souveraine.
      Il faut obéir au souverain. Dans les démocraties, le peuple est le souverain.
      .
      Il se dit particulièrement des Princes souverains, des monarques. Grand souverain.
      Puissant souverain. Tous les souverains de l’Europe. Les ordres qu’il a reçus de sa souveraine.

    • Patrice Pimoulle

      19 novembre 2022

      C’est ca; la souverainete du roi s’oppose a la souverainete de l’empereur qui a justement la pretention de lui imposer sa suzerainete: « Le roi st empereur en son royaume ».

  • Dan

    17 novembre 2022

    Merci d’ouvrir ce débat
    J’approuve les propositions avec quelques nuances.
    Le 2ème concept me semble le plus important
    Concernant les féodalités locales – Un équilibre entre l’Etat et le local est important. Attention comme dit aux féodaux locaux. Attention aussi à l’Etat : Actuellement ce dernier transmet ses orientations ‘en fait des ordres- aux régions par les sraddet aboutissant aux plums. L’Etat contrôle leur application. Nombreux conseillers régionaux et départementaux veulent ou ne peuvent pas faire autrement que de s’y soumettre. Catastrophes parfois, en particulier avec l’injonction de créer des méga métropoles attractives, compétitives.
    La défense du pays est évidemment un besoin fondamental à traiter par l’Etat comme souligné dans le texte
    Être indépendants pour nos besoins fondamentaux : air, eau nourriture sains. On peut l’être pour la nourriture en France même après la migration des campagnards vers les villes.
    Air, eau et déchets doivent, à mon sens, être contrôler par l’Etat et les pouvoirs locaux. L’eau, par son parcours dans les sols puis dans les rivières emporte pesticides et autres éléments : ils vont impacter tout un bassin hydrographique et même la mer . De même la pollution par l’air impacte régions ou pays voisins.
    Être indépendants en énergie. Avec nos ingénieurs et l’étendue importante de nos côtes , l’hydrogène pourra nous rendre quasi indépendants en énergie. Au moins dans l’avenir.
    Ensuite il y a toujours eu des échanges entre pays.

    Répondre
  • PEQUOD

    17 novembre 2022

    Parfait, lumineux …
    Indépendance au sens romain, gage de paix

    Répondre
  • Cambournac

    17 novembre 2022

    Tout à fait d’accord !
    Merci de l’avoir mis en mots et simple à comprendre…
    Que n’y a-t-il pas plus de personnes qui raisonnent aussi juste…
    Cordialement.

    Répondre
  • Patrice Pimoulle

    17 novembre 2022

    De gros progres; du niveau BEPC le jeune Jean-Baptiste s’eleve au niveau d’un etudianr de 1e annee; mais je ne lui donne pas pour autant la moyenne. Procedons par ordre antichronologique; c’est le plus a la mode; mais ae pose la question ds proportions; entre un pays qui a 80 fregates et son allie qui en a 8, comment se repartit le pouvoir de decision?
    4e element: l’independance financiere: dans l’abstrait, certainement, mais si la nation souveraine choisit un modele de developement fonde sur une audacieuse politique de deficif actif afin de retablir la croissance, la confiance et l’emploi? En derniere analyse, c’est bien le peuple souverain qui a le pouvoir de decision.
    La concurrence: non, c’est le catechisme bien connu de la barbarie anglo-saxonne; pour aller de la Porte de St-Cloud a la Mairie de Montreuil, que est le meilleur systeme? Le monopole de la ligne 9, ou l’atomicite, la fluidite et la transparence? Tout le mode sait que la soie chinoise est moins chere que la soie du Lyonnais; est-ce une raisonsuffisante pour detruire la soierie lyonnaise? Tout le monde sait ue les voitures chinoises sont meilleures et moins cheres que les voitures francaises; est-ce une raison suffisante pour supprimer l’industrie automobile francaise?
    La souverainete n’est ni une fin ni un moyen. c’est l’expression de la liberte de la nation.
    L’opposition de Bruxelles et de Paris n’a pas de sens; le pouvoir de « Bruxelles » est celui des parties au traite, reunies en conseil europeen; si « Bruxelles » decide d’interdire les moteurs thermiques en 2035, ce sont les Etats parties au traite qui le veulent, et en remontant la filiere, les nations qui ont elu un president pour faire barrage a l’extreme-droite.
    2e element, la subsidiarite: la ouverainete ne se divise pas; il n’y a pas un peuple central et des peuples subsidiaires; il y a un peuple souverain qui s’organise en collectivits decentralisees, qu l’on appelle vulgairement « communes », et en circonscription servant a deconcentrer l’action de l’administration chargee d’applique la loi, expression de la volonte generale.
    Est-ce que vous comprenez mieux, maintenant?

    Répondre
  • Roger Galinié

    17 novembre 2022

    Pendant les confinements, le simple fait de se soumettre à cette triste farce qui consistait à s’autoriser soi-même à sortir relevait de la servitude volontaire. J’ai accepté de m’y soumettre lors du premier confinement, j’ai refusé lors du second, et même en restant chez moi je me sentais libre, souverain de mes choix.

    Répondre

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