8 janvier, 2021

Sahel : l’impasse

L’année 2021 a débuté dans la douleur pour l’armée française avec cinq soldats tués, à chaque fois des morts causées par des explosions de mines. Il appartient aux services adéquats de l’armée de terre de vérifier la sécurité de ses soldats et la capacité des véhicules de transport à résister à ce type de charge. Mais au-delà de ces morts, ce pourrait être l’occasion de s’interroger de façon profonde sur la notion de terrorisme et ses corollaires : la lutte contre le terrorisme et la présence de l’armée française dans le Sahel.

 

Terrorisme : une erreur de concept

 

Depuis plusieurs années nous sommes victimes d’une intoxication intellectuelle autour de la question du terrorisme. Dire que nous sommes « en guerre contre le terrorisme » ou que nous luttons contre les terroristes n’a pas de sens. Le terrorisme est une stratégie militaire, non un adversaire. On ne lutte pas contre le terrorisme, de la même façon que l’objectif final ne peut être la lutte contre les conducteurs de chars ou les pilotes d’avion. Or depuis les attentats de 2001, le terrorisme est présenté comme une personnalité et un tout, chose qu’il n’est pas. Au moment de la guerre d’Indochine et durant la guerre d’Algérie, l’armée française ne luttait pas contre le terrorisme, mais contre les Vietminh ou les fellagas, qui faisaient usage du terrorisme comme stratégie militaire. Nous sommes ici intoxiqués par le refus de nommer l’adversaire que nous combattons, soit parce que nous ne voulons pas le nommer, soit parce que nous ne voulons pas reconnaitre que nous n’avons pas d’adversaire. Contre qui sommes-nous en guerre au Sahel : le Mali, le Niger, des groupes touaregs ? Apparemment non. Éventuellement on dira ici et là que nous sommes en guerre contre l’islamisme. C’est déjà un peu plus précis, mais c’est tout autant inexact : on ne combat pas des idées avec une armée et des déploiements militaires. L’existence de l’État islamique avait au moins cela d’utile que nous pouvions enfin lutter contre une entité définie et cohérente. Pour le reste, la lutte contre le terrorisme est un échec.

 

Le terrorisme en France, pas au Sahel

 

La présence française au Sahel a débuté avec l’opération Serval (janvier 2013 – juillet 2014) puis s’est poursuivie avec l’opération Barkhane (août 2014).

On nous assure ainsi que notre présence au Sahel est indispensable afin de lutter contre le terrorisme en France, sans que le lien de causalité ne soit jamais démontré. En quoi est-ce indispensable de se déployer au sud du Sahara pour éviter un attentat à Strasbourg ou à Lyon ? Des services de renseignement, de police et de justice adaptés ne seraient-ils pas plus utiles ? Cette présence militaire n’ayant pas « d’effet final recherché » clair, elle peut être sans fin puisqu’étant sans objectif. Elle est indubitablement utile pour les militaires : elle leur permet de s’entrainer en conditions réelles, ce qui est une nécessité, elle leur permet aussi de monter en grade et en avancement ailleurs que dans des bureaux d’état-major, ce qui est plus glorieux. Pour le reste, le lien entre nécessité de cette opération militaire et défense de la sécurité de la France reste encore à démontrer.

 

Le Sahel : cause de la Libye

 

Pour les comprendre, il faut sans cesse revenir aux causes des événements. Si la France a dû intervenir au Mali, à la demande de son gouvernement, c’est qu’une escouade de Touaregs armés menaçait de s’emparer de Bamako et de renverser le régime. Or ces Touaregs furent armés grâce à Kadhafi qui, avant d’être renversés, leur donnèrent les clefs de ses stocks d’argent et de munition. La cause directe de la déstabilisation du Mali et de la bande sahélienne où nous sommes aujourd’hui embourbés est l’intervention militaire franco-otanienne en Libye en 2011. Une intervention qui alla au-delà du mandat de l’ONU et qui créa un chaos dont nous ne sommes toujours pas sortis. Là réside une partie des causes des mouvements migratoires à travers la Méditerranée, le verrou libyen ayant sauté, puis la déstabilisation du Sahel. En quelque sorte, nous essayons de réparer les pots que nous avons cassés il y a désormais dix ans. À l’époque, c’était Alain Juppé qui était le brillant ministre des Affaires étrangères qui défendit avec vigueur cette opération. Remplacé ensuite par Laurent Fabius, qui voulut mener la même opération brillante en Syrie afin de « renverser Bachar ». Pour les remercier de cette clairvoyance et de cette haute contribution à la stabilité moyen-orientale, ils furent tous deux nommés au Conseil constitutionnel, dont l’un comme président.

 

Une mentalité coloniale diffuse

 

Toujours en Afrique, la France intervient en Centrafrique en 2013 avec l’opération Sangaris (2013-2016) afin de pacifier un pays en situation de guerre ethnique majeure. Si cette opération fut un succès à court terme, notamment en démilitarisant une partie des milices séléka et anti-balaka, elle n’a rien résolu sur le long terme, les violences étant reparties et avec elles les massacres de populations civiles. Les élections présidentielles qui se sont tenues le 27 décembre dernier ont certes permis l’élection d’un nouveau président, mais elles sont très loin d’avoir réglé un problème endémique qui est d’abord un problème ethnique.

 

Force est donc de constater que les opérations militaires que nous avons menées ces dix dernières années, si elles sont techniquement des succès à court terme et si elles permettent à l’armée française de se déployer sur des théâtres d’opérations réels, ce qui est nécessaire pour maintenir son niveau, elles ne résolvent pas les problèmes humains posés dans ces pays. Et elles ne peuvent nullement prétendre les résoudre puisque ces problèmes trouvent leurs origines dans des luttes ethniques et tribales qui ont débutées bien avant la première colonisation de l’Afrique (1880). Malheureusement, pour nos militaires et pour les populations de ces pays, certains pensent encore que la démocratie est la seule voie possible de la pacification et que l’imposition du modèle européen réglera les problèmes de ces pays. Couplés au mirage du « développement » qui dilapide une partie de l’argent collecté en France via des associations et des organismes humanitaires qui n’ont jamais pu démontrer leur utilité concrète, nous demeurons pour l’essentiel en Afrique avec une mentalité qui reste figée dans les schémas coloniaux. Bien que la plupart des pays africains ont obtenu leur indépendance en 1960, soit tout juste soixante ans, la mentalité coloniale, mère de l’intervention humanitaire et du mythe du développement, est encore loin d’être dissipée. Cela donne raison à des hommes comme Guizot, Bastiat ou Tocqueville, qui dans les années 1830-1850 s’opposaient aux aventures coloniales en considérant que chaque peuple devait être maitre et libre de son destin, sans que d’autres éprouvassent la nécessité de leur dire dans quelle direction il fallait marcher. Il n’est nullement certain que l’année 2021 permette de dissiper ces mythes.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

13 Commentaires

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  • Steve

    9 janvier 2021

    Bonjour M. Noé

    On croit toujours que les armées servent des états ou des groupes politiques. Mais ce n’est plus vrai car les états n’ont plus pour objet que de sauvegarder les bénéfices de leurs multinationales. Le sahel dans cette perspective n’est que la ligne de front avancée de la protections des intérêts économiques français en afrique de l’ouest plus au sud.
    On a bien vu avec Alsthom etc que le pouvoir américain , par sa « justice » a permis de kidnapper le n°2 du groupe -derrière Kron,- pour faire chanter la France.
    Et Carlos Ghosn, c’est la justice japonaise servant les intérêts du groupe Nissan
    En remontant un peu plus en arrière, il y a les mémoires explicites du Lt General du corps des Marines Smedley Butler .
    On peut toujours accuser Khadafi, mais pendant toutes les années où il a été accusé de terrorisme, jamais les pétroliers américains opérant en Lybie n’ont été inquiétés.
    Et les arsenaux de khadafi, à partir de Benghazi, ont été reroutés par la CIA vers ses proxy islamistes en Syrie!
    Nous ne devons pas oublier que ce sont les américains qui ont initialisé le terrorisme actuel en développant finançant et utilisant les groupuscules islamistes en Afghanistan, par exemple en privilégiant un fou intégriste comme Gulbuddin Hekmatyar sur un « modéré » Ahmad Chah Massoud, le Lion du Panshir.
    Al Qaïda sous Ben Laden c’est le diable, mais en Syrie, ce sont de bons démocrates financés et armés par les USA pour défaire Assad qui en bon allié de l’Iran et de la Russie, s’obstinait à refuser la passage des pipe line de gaz nat des émirats par la Syrie.
    Si vous avez lu la trilogie Fondation d’Asimov, vous pouvez imaginez que nous entrons dans la période des dynasties des Princes Marchands qui gouvernent le monde, règnent sur des cheptels de consommateurs asservis par les crédits et qui n’ ont pour objectifs que des rêves d’épiciers interplanétaires à la puissance 1000.
    Les conquêtes spatiales en cours d’élaboration ont surtout des objectifs miniers, puis politico militaires: extension du modèle Congo à la Galaxie!
    Cordialement

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  • Ockham

    9 janvier 2021

    Des stocks de Kadhafi capables d’alimenter encore quelques armées au blocage possible de beaucoup de routes stratégiques menant à un aéroport ou une artère vitale sur un coup de sifflet d’un imam ou d’un cheikh, il y a du grain à moudre. Il est vrai que l’islam s’entraîne et du même coup entraîne nos armées. Et ce de l’Afghanistan à l’Atlantique. Comme vous le soulignez la lutte contre le terrorisme à l’extérieur et la lutte contre l’islam « politique » à l’intérieur sont des expressions de science-po « top notch », armée de premiers de classe qui ne veulent pas voir que l’islam est très vivant. L’islam est politique, c’est une magnifique machine de conquête, souple et vivante qui permet de piller les stocks d’armes, d’envoyer des milliers de petits gars en camion vers la Libye, de redescendre avec des endurcis triés sur le volet, et de jouer une partie de poker dans le sable pour rafler un bout mou de ces états fantoches à majorité musulmane quiétiste. Cet ectoplasme a ses représentants dans tous les bureaux des gouvernements, des ONG et des organisations internationales. Il sait avant la fin de toute réunion de « sécurité » ce que ces diables de démocrate vont faire. Alors le command-car du capitaine saute au point dit ! Comme il ne faut pas être totalement négatif, les autorités musulmanes de El-Azhar ont condamné sous l’impulsion du président Al-Sissi les frères musulmans. Il reste à changer comme ce fut fait au 10ième siècle à changer quelques passages du coran qui alors n’étaient pas intangibles pour en faire une religion acceptable et non politique. Mais ça c’est une autre histoire que nos « top-notch » n’ont pas l’air de comprendre !

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  • Xavier.C

    9 janvier 2021

    Les temps que nous voyons devant nos yeux sont les derniers d’une époque à bout de souffle. Pour ceux qui suivent avec acuité ce qui se déroule aux US peuvent voir le côté magistral du plan Trump, très fin joueur d’échec et connaisseur de l’Art de la guerre.., Ceux qui vont plus loin peuvent lire, deux ans à l’avance (en 2018 et 19), au jour près ce qu’il se passe maintenant..!!! C’est juste impressionnant et quand je vois certains croire encore que Biden pourrait être président..!!! Je ne peux que vous conseiller de fouiller un peu mieux, vous serez étonnés et intrigués par cette capacité à écrire un 8 jan 2018, ce que nous voyons un 8 janvier 2021..!!! Et tout cela va changer la face du monde, une partie malfaisante de l’humanité va tomber, permettant aux autres de retrouver une nouvelle façon de vivre en harmonie…
    Soyez patient et confiant.. Ce qu’il se déroule, pour ceux qui ont des yeux pour voir, est hallucinant..!
    Nos garçons vont bientôt rentrer à la maison, il y aura beaucoup de traitres à la nation à mettre à l’abri…, pour longtemps.
    Merci
    Un indice, allez voir du côté des post de Q…! mais, c’est entre nous…!

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    • whitelander1

      9 janvier 2021

      « L’ADN des Américains : c’est 1776 » dixit le lieutenant-général Michael Flynn, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du Président Donald Trump.
      Grand spécialiste du renseignement et Dieu sait si le renseignement est déterminant à la guerre, Michael Flynn qui n’est pas un exalté, a déclaré à Alex Jones lors de son interview du 05 janvier 2021 :
      « Mon grand message est que la vérité va sortir et que Donald Trump continuera à être le président des Etats-Unis pendant les 4 prochaines années. »
      Souvenons-nous, Trump a eu l’intelligence de renvoyer ses supporters à la maison « go home in peace » avant que ça ne dégénère. Après le 6 janvier une rumeur vite démentie a couru que Trump avait pris l’avion pour la base de l’USAF à Abiliene au Texas.
      Aujourd’hui 9 janvier que va faire Trump ? Nul ne sait, mais dans les jours qui suivent, ce grand patriote américain risque encore de nous surprendre !

  • whitelander1

    8 janvier 2021

    Après l’assaut sur le Capitole, l’administration Biden tente de redéfinir le terrorisme intérieur ; ce n’est pas l’islam, ce n’est pas Antifa….devinez qui c’est ?

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  • whitelander1

    8 janvier 2021

    Etre un terroriste, tout dépend de quel bord vous êtes ? Hier, dans la France occupée par l’Allemagne hitlérienne, le terroriste c’était le FFI résistant. Aujourd’hui, c’est le djihadiste. Demain, ce pourrait être le patriote « complotiste », ce qui n’est pas exagéré, lorsqu’on reprend les dires de l’actuel CEMA, lors de son déplacement en décembre 2019, au Mali, avec le Président de la République ?
    début de citation
    Nous sommes ici pour assurer notre sécurité pour les 30 ans qui viennent […] car si nous laissons le chaos s’installer, les Etats sahéliens vont s’effondrer sur eux mêmes, laissant la place à l’Etat islamique ce qui provoquera une pression migratoire sur l’Europe, avec tous les risques populistes que cela entrainera.
    fin de citation
    Alors que fait-on là-bas loin de chez nous ? Vous l’avez compris : éviter d’abord « les risques populistes », chaque patriote pouvant devenir un terroriste.
    Le G5 Sahel est donc un abcès de fixation qui permet l’islamisation et l’africanisation de la France en douceur sans faire de vague.

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    • whitelander1

      8 janvier 2021

      Et pendant ce temps là !
      Le gouvernement prévoit de déplacer 2500 migrants par mois dans nos campagnes. Si c’est pas jouer avec le feu ?
      « Mentalité coloniale diffuse » disiez-vous ?
      C’est alors que l’opération Barkhane sera démontée pour venir faire de la « pacification » dans l’Exagone.

  • Thyssen

    8 janvier 2021

    Comment un pays pauvre peut-il se défendre contre un agresseur équipé de moyens colossaux par rapport aux siens.
    Le « terrorisme », même si cette option est inacceptable, est la seule voie possible pour eux ».
    Que faisons nous chez ‘eux’ depuis plus de cinq siècles.
    C’est facile à deviner.
    Non les soldats Français en OPEX ne sont pas morts pour la France.
    J’ai fait mon service dans les troupes aéroportés, à Fort Lamy camp Dubut (pardon, N’Djamena) il y a plusieurs décennies.
    Ce que l’on m’a fait faire m’a profondément écœuré et a transformé le petit con que j’étais en humanisme, cela a été le plus grand bouleversement de ma vie.
    J’attends depuis longtemps un homme qui,comme Trump, dira qu’il veut ramener ses piou-piou au pays mais qui tiendra sa parole, lui.
    Le terrorisme n’est t’il pas un autre chemin vers la peur?

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  • michel hasbrouck

    8 janvier 2021

    Ces guerres permettent aussi à un tas de personnalités politiques de parader dans la cour des Invalides en faisant croire qu’elles ont une large vue politique et des coeurs pleins de compassion

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  • Olivier Collomb

    8 janvier 2021

    Erreur de fait sur Tocqueville qui n’était pas hostile à la conquête de l’Algérie. Voir dans les Oeuvres Completes le volume algerien.
    Guizot non plus.

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  • Charles Heyd

    8 janvier 2021

    Les guerres de faible intensité ont certes au moins un mérite: elles permettent l’entrainement de nos forces dans des conditions réalistes et de tester un certain nombre de matériels; mais il y a un mais: notre armée, de Terre surtout, déjà pas très reluisante suite à toutes les restrictions budgétaires, est en train de subir une guerre d’usure aussi bien sur le plan humain que matériel; combien d’hélicoptères au tas ou usés prématurément, combien de camions ou véhicules blindés légers? Il ne manquerait plus qu’on y engage aussi nos chars Leclerc! Et tout cela, mais vous l’avez souligné, sans qu’on sache pourquoi et contre qui nous nous battons là-bas!
    Il y a aussi le fait que, comme avant les guerres de 1870 et 1914, nos armées préparent des guerres de guérilla mais qu’on néglige une « vraie » guerre comme celle que que nous avons livrées contre l’Allemagne ou même celle d’Indochine au plus fort de conflit. Zemmour rapportait les mots du général Bugeaud (1840/1850 environ): « je suis à la tête de guerriers nomades qui courent après des nomades! » (à peu près!). Et par ailleurs la lutte contre l’intégrisme et même le terrorisme sur le sol français n’est pas un succès éclatant. Mais là au moins on ne peut pas incriminer l’armée.

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  • breizh

    8 janvier 2021

    bien dit monsieur Noé !

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  • Hidalgo

    8 janvier 2021

    Très bonne synthèse du colonialisme actuel et des conséquences qui en découlent.

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