2 juillet, 2025

Révolte fiscale : la tentation de l’exil

« C’est Nicolas qui paie » a fait le tour des réseaux sociaux avant d’être repris par les médias, comme symbole de la révolte fiscale des classes travailleuses. « Nicolas » est devenu le personnage symbolique de ceux qui travaillent pour les autres et qui sont ponctionnés d’impôt. Si la question de la fiscalité et de l’usage de l’impôt est légitime, l’usage de ce personnage fictif n’est pas sans ambiguïté.

 

Désigner un « Nicolas qui paie » pour les autres, c’est désigner un groupe sacrifié contre un ou plusieurs groupes qui vivent du sacrifice, c’est-à-dire enfermer les personnes dans le groupe qui leur est assigné. Ici « Nicolas » contre « la retraite géante des boomers » et les « allocations sociales des immigrés » selon les récriminations habituelles. C’est donc utiliser une légitime méfiance face au trop d’impôt pour monter les populations les unes contre les autres.

 

L’État-providence, c’est la guerre

 

L’un des arguments des socialistes est de dire que l’État-providence conduit à la paix, car, en réduisant les inégalités, il diminue les tensions sociales. C’est exactement l’inverse : l’État-providence conduit à la guerre, qui est une guerre géographique, générationnelle, sociale. Face au ras-le-bol fiscal, on voit poindre une lutte entre générations : les « retraités nantis » contre « les actifs ponctionnés » et entre les populations : « les Français qui travaillent » contre « les immigrés qui vivent d’aides sociales ».

C’est une forme de guerre civile qui se déploie, qui déchire les familles lors des dîners et qui découpe le tissu social en développant un esprit de haine. L’impression de toujours payer pour les autres conduit à se méfier des autres et à les rejeter. Le respect de la liberté et de la responsabilité personnelles permet au contraire la pacification de la société.

 

Qui est Nicolas ?

 

On peut néanmoins définir un « Nicolas », c’est-à-dire le type de Français qui paie le plus d’impôts.

 

Nicolas, qui, ici peut être homme et femme, est un actif de 25 à 45 ans, diplômé, urbain, cadre, disposant d’un salaire relativement confortable, mais n’ayant droit à aucune aide et sur qui pèse le financement du système social. Nicolas paye la retraite de ses parents, tout en sachant que lui-même n’en aura pas, et qu’il doit à la fois financer la retraite par répartition et se préparer, via la capitalisation, sa propre retraite.

Pour tous les services, Nicolas paie deux fois : la première fois, par l’impôt, pour des services déficients auxquels il n’a pas droit ou qu’il ne peut pas utiliser et la seconde fois, par ce qui lui reste après imposition, pour financer l’école de ses enfants, sa santé, sa retraite, sa sécurité. Et visiblement, Nicolas en a assez de payer.

 

Dans un article tout à fait intéressant publié dans Les Échos, l’économiste Antoine Levy a tenté de répondre à cette question : où habite Nicolas ? Or, la cartographie est le travail premier en géopolitique. Cartographier un phénomène permet de mieux le connaître et d’en comprendre les dynamiques.

 

Nicolas des villes

 

Ce fameux Nicolas habite essentiellement en ville, soit en centre-ville, soit dans les villes périphériques. C’est donc un métropolitain ou un banlieusard, qui prend les transports en commun ou sa voiture pour se rendre à son travail. Nicolas est inséré dans l’espace de la mondialisation. Son travail s’effectue régulièrement avec des entreprises multinationales et avec l’étranger, lui-même voyage et est en contact avec le monde. Comme le fait remarquer Antoine Levy, Nicolas est l’anti gilet jaune. Mais Nicolas n’a pas nécessairement une meilleure vie que les gilets jaunes. Comme il est ponctionné d’impôt et qu’il ne bénéficie pas de la redistribution, son écart de revenu est faible avec ceux qui sont sur une échelle sociale inférieure.

Habitant en ville, il subit de plein fouet le coût du prix du logement, conséquence des nombreuses mesures socialistes qui ont visé à raréfier l’offre : loi SRU, normes écologiques, impôts divers, etc. Quand Nicolas parvint à acheter un appartement pour lui et sa famille, en s’endettant lourdement, il se rend compte que son voisin de palier, grâce à la loi SRU, dispose du même appartement que lui, mais avec un loyer dérisoire. Nicolas se sent donc floué.

Il est pris en tenaille entre les logements sociaux d’un côté, qu’il finance et auxquels il n’a pas accès, et les vastes logements vides de la génération au-dessus de la sienne, les retraités, qui ne remettent pas sur le marché leur logement (sauf au moment de leur mort).

Cette question du logement pèse lourdement sur la vie de Nicolas, obère ses économies et ruine son pouvoir d’achat.

 

La grève de l’impôt

 

À l’été 2018, j’avais publié avec Victor Fouquet, dans le journal L’Opinion, une série d’été consacrée aux révoltes fiscales. En quelques chapitres, nous avions repris, de l’Antiquité à nos jours, les grandes révoltes fiscales qui ont marqué l’Europe et la France.

 

Longtemps, la révolte fiscale fut une jacquerie, une montée de violence avec prise de châteaux, attaque des octrois, révoltes populaires. Comme la révolte des Maillotins (1382), qui a donné son nom à la place Maillot à Paris, ou la révolte des bonnets rouges (1675).

On n’imagine mal Nicolas se révolter de cette façon. D’une part parce qu’il ne goûte guère les impacts de LBD, d’autre part parce qu’il est complexe de battre le pavé quand on travaille et que l’on doit s’occuper de sa famille.

Nicolas n’est donc pas du genre bonnet rouge ou maillotin. Mais il y a deux autres formes de révolte fiscale, silencieuse, mais plus insidieuse, parce que plus efficaces, qui consistent à se révolter avec ses pieds.

 

Le premier cas est la révolte par démission silencieuse. Nicolas travaille moins, puisque travailler plus ne lui permet pas de gagner plus. Sa productivité diminue, il est moins impliqué, il ne cherche pas à progresser dans sa société, puisque cela ne lui rapportera rien. Nicolas est victime du nivellement par le bas. La fiscalité l’encourage à la médiocrité.

 

Le second cas est le départ via l’exil fiscal : Nicolas part vers des cieux meilleurs, c’est-à-dire des pays avec des prélèvements d’impôt moindre. Et vu les taux d’imposition français, il n’est guère difficile de trouver en Europe des pays qui ont moins d’impôt que la France.

Nicolas part en fin d’études et ne revient plus ou Nicolas part à l’aube de la quarantaine, en se disant qu’il reviendra en France pour les vacances. Et tous ces petits Nicolas qui quittent les villes françaises pour les villes européennes finissent par provoquer un blocage du système social qui ne parvient plus à être financé. Comme le faisait remarquer Margareth Thatcher : le socialisme ne dure que tant que dure l’argent des autres. Ou pour le dire autrement, l’État-providence ne peut durer que tant qu’il y a des Nicolas pour payer. La révolte fiscale de Nicolas, qui s’exprime par le départ, met donc à mal l’ensemble de l’édifice.

La révolte de Nicolas s’exprime par la géographie, qui est le changement de lieu et le changement de pays.

 

C’est une révolte silencieuse, mais où chacun peut compter le nombre de départs : tel étudiant qui trouve du travail dans son pays d’échange et qui ne revient pas, tel universitaire parti un an avec une bourse de recherche et qui reste sur place, tel cadre qui part dans une autre capitale européenne. Il y a toujours eu des départs, cela est sain et normal et participe aussi de l’attractivité française. Le problème c’est quand ces départs se font en trop grand nombre et quand une partie de la population estime, à tort ou à raison, ne plus avoir de bon avenir en France. Dans ce cas, ce « Nicolas qui paie » n’est pas tant le symptôme d’une révolte fiscale que d’une partie de la population qui n’a plus confiance dans l’avenir de son pays.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

11 Commentaires

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  • Explorer76

    16 juillet 2025

    Il faut rétablir le suffrage censitaire à tous les niveaux avec un vote proportionnel à tous les impôts payés sur le périmètre considéré. Au niveau national un vote proportionnel à l’IRPP+TVA+IFI+TICE+TIPP+ toutes les autres taxes. Au niveau local un vote proportionnel aux taxes foncières. Le système s’équilibrerait de lui-même en vertu du principe que le peuple souverain vote l’impôt en démocratie.

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  • Soufiane

    7 juillet 2025

    Si cela peut vous rassurer, cela fait 10 ans que j’ai quitter la France pour venir travailler en Asie. Maintenant j’y rentre !
    Un Nicolas qui rentre a la maison. Quoique je dois bien l’avouer, ce n’est pas de gaiete de coeur..

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  • Explorer76

    5 juillet 2025

    Cette révolte vient du fait que l’histoire de France depuis un demi-siècle (Giscard) a fait prendre conscience à son peuple que l’impôt est la sanction de la réussite privée pour la subvention de l’échec public. (Cf. la matrice de Friedman sur l’utilisation de l’argent)

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    • Patrice Pimoulle

      6 juillet 2025

      Vous n;aimez pas Giscardl cous penaez que Chirac=Mitterrand, Sarko-Hollande, jea-Michel Brigitte et Emmanuel, c’est mieux? Vous devez etre content.

  • Explorer76

    5 juillet 2025

    Un pays qui exporte des Bac+7 et importe des Bac-7 a tout compris de la gestion du capital humain (d’après C. Gave)
    La différence entre un état providence et un état totalitaire n’est qu’une question de temps (Ayn Rand)
    Le socialisme est une philosophie de l’échec, le credo de l’ignorance et l’évangile de l’envie. (Winston Churchill).
    Le fondement de l’état c’est d’élargir son périmètre, pour élargir toujours plus le périmètre du fondement du citoyen.

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  • LEJEUNE

    3 juillet 2025

    Trop d’impôts tue l’impôt. La seule voie de sortie pour la France est de baisser fortement les impôts. Ainsi le pourcentage plus faible sera sur une assiette fiscale plus importante et au final les recettes augmenteront. Et il faut baisser la dépense publique. Il faut virer tous ces hauts fonctionnaires énarques qui sont autant imbéciles que la hauteur de leur rémunération 20.000€ et plus par mois. Et sortir non pas de l’Europe mais virer Ursula et cette Europe technocratique et revenir à l’Europe des Nations. Et arrêter d’être les débiles serviteurs de l’état profond américain qui ne nous veulent pas du bien.

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    • Gaulois refractaire

      4 juillet 2025

      « Il faut virer tous ces hauts fonctionnaires [à] 20.000€ et plus par mois. ». Certes, mais cela ferait économiser combien, au total ? Disons pour dix mille bénéficiaires : 200 millions, ce n’est pas mal, mais insuffisant pour redresser la barre.

      « Virer Ursula et cette Europe technocratique », pour la remplacer par qui ? Emmanuel, qui rêve de prendre la place en 2027 ? Non, merci ! Nein, danke!

      « Et arrêter d’être les débiles serviteurs de l’état profond américain ». Bien sûr, à condition de ne plus être débiles, ni idéologiquement embrigadés en permanence ; et ça, c’est un vaste programme !

    • FP 37

      5 juillet 2025

      Les économies ne sont pas que dans leurs rémunérations mais surtout dans les décisions catastrophiques qu’ils prennent et chaque fois qu’ils prétendent régler un problème ils en créent de nouveaux. C’est une sorte de pyramide de Ponzi désespérément onéreuse.

  • Michael

    3 juillet 2025

    Pourtant de très grandes entreprises restent en France et leurs grands actionnaires aussi (Arnault, Pinault,…). il serait intéressant de se demander quel est le point de basculement. L’arrivée de LFI au pouvoir, sûrement, mais avant ça?

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    • LEJEUNE

      3 juillet 2025

      Très simple. Bernard Arnault est physiquement en France. Mais financièrement tout est en sécurité à l’étranger (Suisse par exemple). Donc le risque pour lui et les ultras riches est nul. En 10 minutes il peut partir de France.

    • Theo31

      4 juillet 2025

      Beaucoup de grandes transnationales ont leur siège social en Irlande ou aux Pays Bas.

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