14 octobre, 2021

Pologne : bataille autour du droit

La bataille qui se joue entre la Cour constitutionnelle de Pologne et l’Union européenne engage l’ensemble des pays de l’UE. Ce n’est pas uniquement un bras de fer entre Varsovie et Bruxelles mais une confrontation autour de la définition du droit et de sa place dans la vie politique. C’est donc le sujet même de l’état de droit qui est en jeu.

 

Qui, en effet, possède la primauté : le droit national ou le droit européen ? Le premier est le fruit du vote des représentants des citoyens, le second est produit, pour l’essentiel, par des fonctionnaires inconnus de la population. Le bras de fer engage donc toute l’Union sur la définition même de la communauté européenne.

 

Guerre juridique

 

La décision, le 7 octobre dernier, du Tribunal constitutionnel polonais, de considérer que plusieurs interventions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) étaient contraires à la constitution polonaise et que cette dernière, ayant la primauté sur le droit européen, les interventions de la CJUE ne pouvaient pas s’appliquer, provoque une véritable crise sur l’essence même de l’UE. La présidente de la Cour constitutionnelle, Julia Przylebska, a estimé dans l’arrêt rendu que plusieurs articles de l’UE sont incompatibles avec la constitution de la Pologne et qu’en outre les institutions européennes « agissent au-delà du champ de leurs compétences. » La Commission européenne s’est opposée à cet arrêt. Elle s’est dite « préoccupée » et a déclaré vouloir utiliser « tous les outils » possibles pour « protéger la primauté du droit européen » selon les propos tenus par le commissaire européen Didier Reynders. Celui-ci a par ailleurs estimé que le droit européen prime sur le droit national et que les décisions de la CJUE ont un caractère contraignant sur la jurisprudence des États. Cela est même, selon ses dires, « au cœur de l’Union ». Au moins les choses sont-elles claires. Le commissaire belge a ainsi clarifié le débat en affirmant la dissolution du droit national dans le droit de l’empire européen. Quand il se dit prêt à utiliser « tous les outils » il ne ment pas puisque la Commission a annoncé qu’elle allait suspendre les aides que devait recevoir la Pologne. Une absence d’aides qui menace la fragilité de l’économie du pays. Les Polonais peuvent dénoncer ce qui s’apparente à un chantage, ils découvrent en réalité que l’indépendance politique n’est rien sans l’indépendance financière. Un pays qui dépend des subsides d’un tiers est l’esclave de celui-ci. Nous voilà bien au cœur de la philosophie politique.

 

L’Empire ou la nation ?

 

La Pologne est-elle un pays indépendant ou la région d’un empire, celui de Bruxelles ? Le commissaire belge a opté pour la logique impériale.

L’opposition est donc tout à la fois juridique et politique et porte sur la nature de l’Union européenne. Est-ce que l’UE est une communauté d’États, c’est-à-dire une association des États d’Europe ou bien est-ce un État en tant que tel, où les pays ne sont que des régions soumises à la capitale Bruxelles ? Si l’Union est une association d’États, alors le droit national prime sur le droit européen. Si en revanche l’Union est un État supranational, alors c’est bien le droit de l’UE qui prime sur le droit des pays. Le bras de fer entre Bruxelles et Varsovie est donc bien politique et se cristallise autour de la nature même de l’Union européenne. La réponse du commissaire belge Didier Reynders est sans ambiguïté : si le droit européen prime sur le droit national, alors c’est qu’il reconnait que l’UE est un État supranational. C’est aussi affirmer que les États n’ont pas de souveraineté juridique puisque les cours de justice de l’UE et les arrêts et décrets produits priment sur les cours des États. Ce qui se joue là engage la nature de l’UE et donc son avenir.

 

Les défenseurs d’une Europe supranationale ont toujours affirmé qu’il fallait d’abord passer par l’économie avant de faire avaler la pilule politique. La mise en place d’une monnaie commune unique était le premier étage de l’unification politique. Si des pays ont la même monnaie, ils doivent avoir peu ou prou la même politique économique et donc la même politique tout court. Après la monnaie c’est le droit, instrument invisible des citoyens, mais redoutable d’efficacité, qui est actionné pour opérer la convergence vers un État unique. Mais un droit qui échappe aux citoyens et au contrôle parlementaire modifie l’essence de l’État et sa structure.

 

Une autre vision de la démocratie

 

D’une certaine façon, la réponse du commissaire Reynders donne raison aux partisans du Brexit puisque ceux-ci s’opposaient à la primauté du droit européen sur le droit national britannique. Est-ce alors à dire que tous les États qui voudront maintenir la primauté du droit national sur le droit européen devront sortir de l’UE ? Le président polonais a rapidement réaffirmé que la Pologne souhaitait se maintenir dans l’UE. Elle a reçu trop d’aides de la part de Bruxelles et est trop dépendante aux facilités financières pour s’en détacher. Mais ces oppositions de fonds finissent par peser sur le sentiment européen qui n’est plus aussi évident que dans les années 1970-1990. Cette énième crise renforce le scepticisme à l’égard de Bruxelles et de l’Union et donne raison à ceux qui s’opposent à la construction actuelle de l’UE. Il ne s’agit pas uniquement d’une autre querelle entre les pays d’Europe de l’Est et Bruxelles, querelles qui ne cessent de s’étoffer depuis plusieurs années. C’est un défi posé à l’Union tout entière et, d’une façon ou d’une autre, il faudra que les politiques des autres pays y répondent, au moins par égard vis-à-vis de leurs citoyens. Si le droit européen prime en effet sur le droit national, et étant donné que les commissaires européens ne sont pas élus et que les juges européens échappent au contrôle des États et des citoyens, alors, sans le dire, c’est une nouvelle démocratie qui se met en place.

 

Où est le droit en France ?

 

Sur un autre registre, le même débat sur la question du droit s’opère en France. Quand le président de la conférence des évêques de France, Mgr de Moulin-Beaufort, dit que le secret de la confession est supérieur aux lois de la République, il exprime le fait que la conscience de chaque personne est supérieure à toute loi politique. Que des ministres s’en offusquent en disant que rien n’est supérieur aux lois de la République est inquiétant quant au peu de respect des libertés fondamentales. Les lois positives se changent et des lois « républicaines » peuvent être mauvaises et néfastes. C’est le cas des 35h par exemple ou du monopole de la collation des grades. Les lois doivent pouvoir être critiquées, dénoncées, modifiées ou supprimées. Affirmer la vénération de la loi est inquiétant. C’est contraire à toute la tradition libérale et à la philosophie politique classique. Le législateur grec Solon ne disait-il pas que « Tout peut être sacrifié au plus grand bien de l’État, tout, sauf ce que l’État lui-même doit servir. Car il n’est jamais une fin en soi. » La fin, ce sont les personnes humaines. L’État et la République ne sont pas des fins, mais des moyens au service de la finalité de la personne. La loi de la conscience est supérieure aux lois de la République, même si, malheureusement, les libertés fondamentales de la personne sont de plus en plus bafouées.

 

Toujours en France, l’exemple de la Nouvelle-Calédonie est éloquent. Un troisième référendum sur l’indépendance doit se tenir le 12 décembre. Les citoyens français de métropole en sont exclus ainsi que les Français installés dans l’archipel depuis 1994. Sans complexe aucun et sans inquiétude, la République retire leur citoyenneté à des gens honnêtes. L’édification législatif de ce référendum est pour le moins bancal et le gouvernement n’a ici aucun scrupule à bafouer les règles primaires d’une démocratie. Tout ce qui touche à la philosophie du droit touche à la constitution même d’une société et d’un État. De Varsovie à Nouméa, c’est la conception classique et nationale du droit qui est foulée.

 

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

13 Commentaires

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  • Faïk Henablia

    18 octobre 2021

    La primauté de la loi nationale est-elle, ainsi acceptable en cas d’opposition au droit européen, et inacceptable en cas d’opposition au secret de la confession?

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  • Pascal HERVE

    18 octobre 2021

    Cet article résume parfaitement la faillite de l’Union Européenne non pas dans son principe mais dans ses moyens .
    Une Union Européenne bâtie sur le droit et la concurrence et rien d’autre ne pouvait pas fonctionner.
    L’intérêt des Européens n’est pas celui des commissaires européens , l’argument selon lequel la commission ne fait qu’appliquer les décisions du conseil de l’Europe est une argutie car les chefs de la plupart des Etats européens laissent depuis des lustres la commission faire ce qu’ils estiment être le « sale travail  » nuisible à leur réélection .
    Il faudra bien redécouvrir un jour le principe de subsidiarité (dans sa véritable définition ) qui était pourtant l’un des piliers de la construction européenne à ses débuts.
    Aujourd’hui M Barnier tient un discours intéressant sur l’Europe (comme naguère François Baroin , François Fillon et quelques autres ) malheureusement ce discours est à 300 % l’exact contraire de ce qu’il a fait et dit depuis des décennies (et cela l’agace fort quand on le lui fait remarquer) et c’est aussi le contraire de ce qu’il dit à propos de la Pologne .
    Monsieur Barnier semble donc une mazette .

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  • Philippe B

    15 octobre 2021

    Cela fait plusieurs années que j’essaye d’expliquer à mes proches que l’union européenne n’est que le remake de l’URSS
    Cela me fait plaisir de lire un commentaire qui va dans le même sens
    Je pense également que l’EUROPE finira de la même façon : un jour nos amis les banquiers décideront de couper les vivres
    Je considère donc toutes ces péripéties comme faisant partie de la stratégie finale : l’explosion de l’Union.
    Les anglais ont quitté l’Europe car ils n’ont jamais eu l’intention d’y rester : ils ont toujours conservé leur indépendance monétaire !!
    Aucun des pays de la zone EURO ne voudra quitter l’UNION , a moins que le peuple ne descende dans la rue. Mais c’est peu probable

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  • Charles HEYD

    15 octobre 2021

    Excellent article mais cette phrase m’a fait sursauter: « Si le droit européen prime en effet sur le droit national, et étant donné que les commissaires européens ne sont pas élus et que les juges européens échappent au contrôle des États et des citoyens, alors, sans le dire, c’est une nouvelle démocratie qui se met en place. »! Une nouvelle « démocratie »? Vraiment?! Il y a d’autres mots mots que démocratie pour cela! Macron dirait que ce n’est pas non la dictature mais tout de même!

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  • Olivier

    15 octobre 2021

    Juncker avait dit en son temps qu’il n’y avait pas de choix démocratique possible contre les traités européens. Il faut souligner l’irrationnalité de la position de l’Union Européenne : si la souveraineté des peuples permet l’Union Européenne la légitimité de l’UE ne vient que des peuples, lesquels n’ont jamais entendus renoncer à leur existence et pouvoir souverain de décision ultime. C’est comme si l’UE postulait que l’individu peut décider librement de renoncer à ses droits humains pour se faire esclave. Ce qui se passe n’est rien d’autre qu’un coup d’Etat. Mais face à des peuples hébétés tout est possible…

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    • breizh

      15 octobre 2021

      la résurgence de l’URSS : l’union des pays socialistes européens… (UPSE)

  • breizh

    14 octobre 2021

    merci à la Pologne de refuser de se plier à la technostructure bruxelloise.

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    • Yvan

      15 octobre 2021

      Zemmour n’a pas ça dans son programme. Pour lui c’est rester dans L’UE, la soumission. Seul une sortie de l’esclavage permettra de retrouver la liberté. Il faut sortir de L’UE.

    • Pascal HERVE

      18 octobre 2021

      Mais non , je ne pense pas qu’il faille quitter l’Europe , il faut la laisser se « déconstruire » (c’est à la mode) , se déliter comme les dunes attaquées par les grandes marées , et peut-être , rêvons un peu , ce qui y est vraiment utile survivra-t’il?
      De toute façon l’U.E. à 27 pays était une chimère .

  • breizh

    14 octobre 2021

    que vaut une loi votée avec 450 députés absents de l’hémicycle ? rien, tout simplement !

    Ce n’est que de l’encre sur un papier.

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    • Pierre 82

      16 octobre 2021

      Malheureusement sur le plan purement juridique, une loi votée par 3 députés présents a exactement la même valeur que si elle l’était avec un hémicycle rempli…
      Il faudra penser à régler ce problème dans la future constitution, mais préalablement, il faudra renverser ce régime. J’imagine qu’on en a pour plusieurs décennies de descente aux enfers avant d’y parvenir.

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