10 décembre, 2021

Polaris 21 : préparer la Marine à la haute intensité

 

Le chef d’état-major de la Marine, l’amiral Pierre Vandier, rappelle régulièrement que la Marine française doit se préparer à la guerre de haute intensité et se tenir prête à affronter des puissances étatiques. Les tensions en mer de Chine comme les accrochages réguliers en Méditerranée orientale (Médor) confirment la crainte d’une guerre ouverte et de batailles navales. C’est pour se préparer à cette guerre que la Royale a organisé la mission Polaris 21 en Méditerranée occidentale. Une mission interarmes et inter-nations qui s’est déroulée du 18 novembre au 3 décembre dernier.

 

L’objectif était de préparer les armées françaises à une guerre hybride, afin de fournir aux armées les moyens de couvrir tous les milieux et tous les champs de la conflictualité. Pour cela il s’agit d’agir simultanément en mer, vers la terre, dans les airs exo-atmosphériques, dans le cyberespace et dans les champs informationnels. La guerre de haute intensité que beaucoup envisagent est une guerre hybride, qui met en mouvement tous les domaines de la guerre.

 

Concentration des forces

 

Polaris 21 a rassemblé des nations alliées (Espagne, États-Unis, Grèce, Italie, Royaume-Uni) et des officiers de liaison étrangers, pour un total de 6 000 militaires, dont 4 000 marins français. Outre le porte-avion Charles-de-Gaulle et son groupe aérien embarqué, composé notamment de 20 Rafales, Polaris 21 a rassemblé 13 frégates, 1 sous-marin nucléaire d’attaque, 1 porte-hélicoptère amphibie, 6 patrouilleurs, 3 ravitailleurs et 3 états-majors. À quoi s’ajoutent des participations de l’armée de terre et de l’armée de l’air et de l’espace.

 

C’est donc une forte intensité de moyens qui a été engagée afin de donner la vision la plus réaliste possible d’un affrontement naval de grande ampleur.

 

L’opération s’apparente à un grand jeu de stratégie. La force bleue (Task Force 473), regroupée autour du porte-avion, affrontant la force rouge (Task Force 472) regroupée autour du porte-hélicoptère amphibie Tonnerre. À chacun ensuite de jouer sa partition, les soldats ne connaissant pas le scénario à l’avance.

 

Il s’agissait également de conduire des opérations en coopération afin de parfaire la Marine dans les situations de lutte anti-sous-marine, anti-aérienne et antisurface. L’objectif affiché par la marine française est ainsi de favoriser le respect du droit international et la protection des routes maritimes.

 

Cet exercice inédit et hors norme a permis de tester les capacités de la marine française et de mettre en action les théories et les réflexions sur la guerre hybride et la haute intensité.

 

Vers la haute intensité ?

 

Ce concept de haute intensité est un mantra depuis quelques années. Habitués aux guerres asymétriques, comme en Irak, en Afghanistan ou au Sahel, les nations occidentales ont pris conscience qu’une guerre d’égal à égal n’était pas à négliger. Si l’ennemi n’est jamais nommé, les États qui pourraient pratiquer ce type de guerre sont assez réduits : Chine, en cas d’invasion de Taïwan, Russie, en cas d’invasion de l’Ukraine, Turquie, dont les drones ont fait merveille en Libye et au Karabagh. Comme toujours pour la guerre, il s’agit de ne pas être dérouté, de ne pas avoir une guerre de retard et de s’y préparer pour dissuader les autres de nous attaquer. L’intérêt d’une mission comme Polaris 21 est donc double : à la fois, se préparer à la guerre et dissuader les autres de nous la faire. Elle permet aussi aux soldats de sortir de la logique de l’expédition de maintien de la paix, type Côte d’Ivoire, Mali ou Yougoslavie côté français.

 

Des opérations d’entrainement de ce type ont aussi été conduites dans les pays baltes où la mission Lynx est basée depuis 2017. Cette mission organise la présence de forces françaises et otaniennes dans les pays baltes afin de s’entrainer et de coordonner les forces en vue de protéger les territoires. Si le nom de la Russie n’est jamais évoqué, c’est bien contre elle que les troupes se préparent, anticipant une invasion ou, du moins dissuadent Moscou d’envahir la région. La menace n’est pas complètement imaginaire. Anciens territoires de l’URSS, les pays baltes disposent d’une très forte minorité russe, très présente dans les capitales et contrôlant une partie des activités commerciales des ports. Il y a une véritable méfiance à l’égard des Russes, renforcée par le retour de la Crimée dans le giron de Moscou.

 

Le retour de la guerre

 

En novembre dernier, ce sont des chars américains qui ont quitté les pays baltes pour se positionner en Pologne, le long de la frontière biélorusse. Si le communiqué officiel rappelle que cet exercice d’entrainement est prévu de longue date et n’a pas de rapport avec l’actuelle tension biélorusse, personne n’est obligé de le croire.

 

La Russie se prépare elle aussi à des exercices militaires. Comme en avril dernier, elle masse des troupes à la frontière ukrainienne et s’entraine à une intervention. Kiev craint une invasion, Washington appelle à la retenue. Moscou a-t-il l’intention d’intervenir au Donbass, dont la guerre dure depuis 2014 ? Ou bien sont-ce seulement des exercices de routine ? Il n’empêche que les bruits de bottes sont de plus en plus présents.

 

L’Europe qui se croyait en paix perpétuelle est donc confrontée au retour de l’histoire. Sur toutes ses marges s’organisent des exercices militaires d’envergure, aucune armée ne souhaitant être dépassée par ses voisins. La guerre est présente à ses périphéries : Libye, Karabagh, Sahel, sans compter l’arme migratoire et l’action dissolvante des mafias. Pour un continent qui espérait vivre des dividendes de la paix, le réveil est brutal.

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

5 Commentaires

Répondre à THOMAS Claude

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  • beauchene

    14 décembre 2021

    Il y a une faiblesse sur ce type d’exercices militaires, c’est l’intervention d’une 5e colonnes sur les arrières, sur le territoire national comme l’indiquait récemment le général Desportes. Ce qui affaiblirait le front. Il me semble que ce scénario n’est pas appliqué.

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  • woiliwoilou

    11 décembre 2021

    La Russie a envahi la Crimée car la population était majoritairement russophone. Imaginez dans 30 ou 40 ans les idées que ça pourrait donner aux pays du Maghreb… ou à la Turquie… Nos dirigeants devraient dès aujourd’hui être jugés pour haute trahison !

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  • THOMAS Claude

    11 décembre 2021

    A propos de l’Ukraine, il est important de noter que, sur environ 50.000.000 d’habitants, il y a 12.000.000 de russes, conséquence de la politique de déportations massives des populations organisée par les bolcheviks et les staliniens, notamment Krouchtchev, qui était commissaire politique en Ukraine. C’est ce qu’on appelle une bombe à retardement.

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  • Steve

    10 décembre 2021

    Bonsoir M. Noé

    Parmi les « ennemis » susceptibles de déclencher une guerre de haute intensité, vous auriez pu dire que depuis plus de 40 ans le seul état ayant été en permanence en guerre de haute intensité ce sont les USA, dans leur volonté d’hégémonie globale qui leur vient de leur croyance , peut être un peu névrotique, d’être les seuls héritiers de l’empire romain, et d’avoir , comme Jules Ferry, à apporter la civilisation aux arabes, ce qu’il fit à la grande indignation des libéraux comme Bastiat, souvent cité en exemple sur ce blog.
    Cordialement

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  • Charles Heyd

    10 décembre 2021

    La Marine, Nationale ou autre, a toujours été entrainée à la guerre de haute intensité tout simplement parce que la lutte en haute-mer ne peut que rarement s’apparenter à des escarmouches frontalières où un sniper peut tuer des dizaines de soldats adverses sans qu’un conflit d’envergure ne soit directement envisagé; en mer, quand, ne seraient-ce que deux frégates échangent des coups (de canons ou mieux des missiles) on est directement dans un conflit de haute intensité; certes, ces dernières années la marine a été beaucoup impliquée dans des opérations de contrôle naval et contre la piraterie; mais cela est anecdotique, et ce sont des moyens directement prêts à des conflits de haute intensité qui étaient aussi utilisés pour cela. Et quand je faisais mes patrouilles en SNLE il n’a jamais été question de « guerroyer » comme ce qui se passe sur certaines frontières, même au Haut-Karabagh!

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