24 avril, 2015

Peut-on être libéral et conservateur? La réponse de Charles Beigbeder à Gaspard Koenig

Article repris du Figaro

Dans une interview donnée au FigaroVox à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage, Gaspard Koenig défend un libéralisme libertaire et pourfend la pensée libérale-conservatrice qu’il juge «intellectuellement incohérente».

Dans la continuité du dialogue courtois déjà engagé entre nous, je souhaite montrer qu’il y a deux écoles de pensée philosophique irréconciliables au sein de la famille libérale: le libertarisme (ou libéralisme libertaire) qui puise ses racines dans le contractualisme de Hobbes, Locke et Rousseau, et le conservatisme libéral héritier de Burke, Chateaubriand, Tocqueville, Montalembert, ou encore Chantal Delsol. Gaspard Koenig se place dans le sillage du contractualisme individualiste là où, pour ma part, je préfère me référer à la notion d’enracinement et de personne, dans la droite ligne du conservatisme libéral.

Qu’enseignent les théories contractualistes qui ont inspiré la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, aujourd’hui inscrite dans notre bloc de constitutionnalité? Une philosophie de l’individualisme intégral: l’homme est une totalité à lui seul, il n’a pas besoin de cette mystérieuse alchimie des relations sociales pour devenir pleinement humain car il possède déjà en lui une forme de plénitude qui le constitue en individu libre et autonome. Ce n’est donc pas en vue de s’accomplir comme homme qu’il tisse des liens sociaux, c’est uniquement parce qu’il y est confronté sous l’empire d’une nécessité à laquelle il ne peut échapper. La présence de l’autre l’oblige à rompre une solitude de «monade» (pour reprendre l’expression de Leibniz que cite Gaspard Koenig), pour entrer en relation sociale par le biais d’un contrat: la sociabilité de l’homme n’est donc plus consubstantielle à sa nature; elle est une construction artificielle.

Dès lors, l’objectif des contractualistes est de concilier deux réalités qui semblent contradictoires dans leur essence: l’individu et les relations sociales. «L’homme est né libre et partout il est dans les fers» affirme solennellement Rousseau au début du Contrat social. Les relations sociales sont perçues comme un pis-aller nécessaire qui ampute la liberté humaine afin de permettre l’expression de celle de son semblable: «La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui» résume l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou pour citer Gaspard Koenig: «La loi doit punir ce qui nuit à autrui» (et uniquement cela). Autrement dit, autrui est considéré comme un obstacle à ma liberté que je suis contraint d’accepter afin qu’il puisse l’exercer à son tour. Cette limite, c’est celle de la loi. Comme le souligne le proverbe, «la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres».

Sans nier la part de vérité pratique que recèle une telle formulation dans un contexte donné, je maintiens qu’il est erroné de limiter la sociabilité de l’homme à un donné accidentel et qu’il est dangereux de dresser une antinomie de principe entre l’être humain et le cadre social dans lequel il évolue. Parce qu’on sera toujours tenté de croire que la liberté consiste à s’émanciper de tous les cadres qui, de la famille à la nation, en passant par la commune ou la profession, enfermeraient l’homme «dans des fers». Parce qu’un tel raisonnement produit des êtres déracinés de tout, à force de refuser de ne dépendre de rien! Parce que l’on confond risque accidentel et aliénation essentielle: une vie de famille peut altérer la personnalité d’un enfant si elle est pesante et renfermée sur elle-même; il n’en reste pas moins qu’elle constitue dans son principe un facteur indispensable d’épanouissement. Idem pour le travail qui peut détruire une personne si ses conditions d’exercice sont insatisfaisantes mais qui n’en reste pas moins dans son principe un bienfait. Idem enfin de la nation qui ouvre l’homme à l’universel et lui apporte en héritage une culture, une mémoire et une langue, même si son dévoiement peut déboucher sur le pire enfer qui soit.

En fait, l’erreur de base des contractualistes consiste à évoquer l’individu là où, pour ma part, je préfère employer le concept de personne. Simple différence de langage? Non, car les mots ont un sens. L’individu est une personne considérée hors de ses relations sociales, un être atomisé et désincarné, sans famille ni racines, bref une abstraction qui n’existe dans la réalité sociale que sous la forme la plus extrême de l’exclusion. À l’inverse, la personne devient pleinement elle-même par les relations qu’elles tissent et qui lui permettent d’être éduquée, socialisée et de devenir un héritier. L’individualisme libéral de Gaspard Koenig est donc une posture utopique qui pourrait conduire, à terme, à la destruction de tout lien culturel et de tout enracinement national.

Car en quoi consiste ce «jacobinisme libéral» qu’il appelle de ses vœux? À demander à l’État d’émanciper l’individu de tous les corps intermédiaires qui l’empêchent de pleinement se déployer, -au rang desquels se situent les corporations ou les provinces -, pour atomiser l’homme en face de l’État. Adieu les particularismes locaux, adieu la subsidiarité, adieu l’enchevêtrement des règles prises au plus proches des personnes concernées, adieu les contre-pouvoirs, place au pouvoir central froid et impersonnel, au Léviathan de Hobbes, au «plus froid des monstres froids» de Nietzsche, à l’uniformisation de la société, à la massification du corps social, à la solitude sans âme de l’individu en face de l’administration, au déracinement des personnes, bref à la mort des nations. Paradoxalement, c’est au nom d’une philosophie individualiste que l’on demande à l’État d’émanciper l’individu pour finalement lui ôter tout ce qui lui permettait de résister à l’omnipotence de ce même État.

C’est le mythe de la volonté générale théorisé par Rousseau, dont l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen porte toujours l’empreinte, quand elle affirme que «la loi est l’expression de la volonté générale». Car il faut bien comprendre ce que cela peut comporter de totalitaire: dans l’esprit de Rousseau comme des rédacteurs de la Déclaration, la loi n’est que «l’expression de la volonté générale», aucune volonté intermédiaire ne peut interagir entre l’individu atomisé et ses représentants omnipotents, aucune minorité ne peut être écoutée, aucune transcendance n’est tolérée. Qu’arrive-t-il alors lorsque la volonté générale se trompe?

Le plus grave n’est pas là. En bon philosophe, Gaspard Koenig veut distinguer morale et politique et précise que «la morale doit se forger dans l’espace civil» là où la loi ne doit punir que «ce qui nuit à autrui». Autrement dit, le pouvoir politique ne doit légiférer que pour permettre à chacun de conserver son espace de liberté sans nuire à autrui, laissant libre chaque individu d’adhérer à titre privé à sa propre morale. Il rejette donc l’idée de «valeurs communes» qui constitueraient le soubassement pré-politique d’une société dans un État de droit. Qu’un citoyen soit vêtu d’un barbe longue ou d’une burqa, peu importe, tant qu’il ne nuit pas à autrui! C’est là que le bât blesse: ne faut-il pas se mettre préalablement d’accord sur une morale commune pour considérer que tel ou tel agissement est susceptible de nuire à autrui?

« Il est impossible sans une morale commune, de s’entendre sur ce qui peut ou non nuire à autrui, et donc relever du champ politique. »

Gaspard Koenig cite l’exemple de l’avortement ou du mariage homosexuel et déplore l’attitude de ceux qui défendent des positions conservatrices en cherchant «à les imposer aux autres par la loi». Il y a confusion. À partir du moment où certaines personnes considèrent -à tort ou à raison, là n’est pas le débat-, que la légalisation de l’avortement ou du mariage homosexuel peuvent «nuire» à des tiers, en l’occurrence l’enfant, on sort du registre de la morale pour entrer dans celui de la politique qui arbitre les décisions afin d’empêcher la légalisation de pratiques pouvant «nuire à autrui». Autrement dit, il est impossible sans une morale commune, de s’entendre sur ce qui peut ou non nuire à autrui, et donc relever du champ politique.

Enfin, Gaspard Koenig propose une grille de lecture intéressante de la vie politique et juge périmé le clivage droite-gauche pour le remplacer par l’opposition libéral /étatiste. Distinction pertinente mais largement incomplète car elle omet de mentionner les clivages philosophiques: en effet, à la lumière des enseignements ci-dessus, il semble que la principale ligne de partage des convictions politiques s’opère désormais entre les «enracinés» d’une part, -qui croient en la valeur de la personne, aux liens qu’elle tisse, à l’héritage qu’elle reçoit, à la morale commune (ou anthropologie) qu’elle promeut- , et les «déconstructeurs» d’autre part, qui refusent toute limite à l’action humaine autre que ce qu’ils perçoivent comme pouvant nuire à autrui, et veulent émanciper l’individu de tout ce qui fait de lui une personne humaine. C’est cette voie-là que promeut malheureusement le talentueux Gaspard Koenig.

Auteur: idlibertes

Profession de foi de IdL: *Je suis libéral, c'est à dire partisan de la liberté individuelle comme valeur fondamentale. *Je ne crois pas que libéralisme soit une une théorie économique mais plutôt une théorie de comment appliquer le Droit au capitalisme pour que ce dernier fonctionne à la satisfaction générale. *Le libéralisme est une théorie philosophique appliquée au Droit, et pas à l'Economie qui vient très loin derrière dans les préoccupations de Constant, Tocqueville , Bastiat, Raymond Aron, Jean-François Revel et bien d'autres; *Le but suprême pour les libéraux que nous incarnons étant que le Droit empêche les gros de faire du mal aux petits,les petits de massacrer les gros mais surtout, l'Etat d'enquiquiner tout le monde.

50 Commentaires

Répondre à Hermodre

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  • Poipoi31

    30 avril 2015

    Excellente analyse, c’est le manque de valeurs communes liees a nos traditions, culture, religion qui gangraine notre societe actuelle.
    Destruction sciente? je suis portee a le croire…
    Nous sommes a la croisee des chemins: soit nous ouvrons les yeux et decidons de revenir en arriere, redefinir la communaute nationale, la « personne » comme vous le dites si bien, ou nous continuons vers l’individualisation a outrance jusqu’a destruction du Monde des Nations comme nous l’avons connu au profit d’une societe mondiale uniforme et docile….

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  • Samy

    27 avril 2015

    Merci pour votre article, je ne suis cependant pas convaincu par votre demonstration,

    Vous dites « Il faut se mettre préalablement d’accord sur une morale commune pour considérer que tel ou tel agissement est susceptible de nuire à autrui? »

    Le liberalisme classique est base sur la reconaissance d’un certain nombre de « droits naturels » (droit de jouir du fruit de son travail / droit de propriete, droit a la securite, etc.). Le liberalisme classique ne depend pas des resultats du dernier grenelle ou table ronde organise par le comite Theodule sur decision de nos politiques, comme vous semblez l’entendre. J’entend bien qu’il faille parfois faire preuve d’interpretation et qu’il n’est pas toujours aise de savoir si, et dans quelle mesure, ces droits naturels sont ou ne sont pas respectes. Cependant, cette approche me semble etre un moindre mal (vs jugee du bien fonde des choses en fonction de la « morale » du moment).

    Votre distingo binaire entre individu et personne ne reflete pas la complexite du reel.Il n’y a pas uniquement deux alternatives comme vous l’expliquez mais un spectre des possibles entre ces deux extremes. D’autres part une foultitude de types de lien social peuvent etre envisages, pourquoi ne pas les explorer?

    Pourquoi nos conventions morales et societales a cet instant ‘t’ seraient-elles « optimale » ou plus proprices a l’epanouissement et au development de l’humain et de nos societees que d’autre encore a decouvrir? A quelle date fallait-il mettre sous cloches nos conventions et normes sociale?

    Il n’y a evidemment pas de reponse intelligente aux questions precedentes. Le conservatisme pur et dur comme solution miracle pour une societe radieuse et appaisee, est-ce cela que vous proposez? Pourquoi ne pas l’etendre au domaine economique egalement? Avec des raisonements pareils on s’eclairerait encore a la bougie et on irait au buchez si l’on refuse d’admettre que la terre et plate.

    Je vais vous dire un secret: Il n’y a pas de systeme social optimal! Les deux liberalismes que vous decrivez sont tout autant utopiques / distopiques l’un que l’autre et doivent etre renvoyes dos a dos. Un liberalisme classique et pragamatique et surement le moindre mal, un brin conservateur parfois, mais point trop n’en faut! Laissez les hommes decides pour eux memes de ce qui est bon pour eux.

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  • Libéral amusé

    26 avril 2015

    Remarque légère, mais ces photos… comment s’étonner que le libéralisme reste incompris en France avec ces deux têtes à claques.

    Pour avoir des chances d’avoir un parti libéral ou incluant une composante libérale importante un jour, je trouve qu’il serait bien de voir où nos tendances se rejoignent plutôt que de débattre de manière stérile.

    Par exemple :
    – plus de laïcité
    – on sait tous pour notre culture judéo-chrétienne
    – des réponses aux questions écologiques (point faible de nombreux libéraux)
    – plus de pragmatisme sur la politique étrangère (intervention armées)
    – des réponses à la gestion dans la réalité de la création/destruction

    Voilà, autrement on restera comme les tribus gauloises à se chamailler pendant des lustres.

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    • nolife

      26 avril 2015

      plus de laïcité :

      – (encore) plus de laïcité ?

      ou bien

      – plus (du tout) de laïcité ?

    • Libéral amusé

      27 avril 2015

      – plus de laïcité
      – on sait tous pour notre culture judéo-chrétienne

      Un peu plus de laïcité dans le discours libéral. Notre civilisation est d’origine gréco-chrétienne, l’épisode romain ayant installé le catholicisme. C’est notre histoire et je me sens de cette culture mais avant les il y avait d’autres idées et philosophies qui furent écartées par le clergé en place.

      La liberté religieuse me convient, assez pour que chacun l’exerce personnellement. Avec tout le respect que je dois aux nombreux auteurs libéraux que je lis (dont et en premier M. Charles Gave) je trouve que les références nombreuses à la religion parasitent le discours et donneraient à nos contradicteurs l’image d’un libéral catho du 78, un bourgeois dans son confort rendant peu crédible nos idées qui seraient des idées de salon, un accident confortable, face à la réalité de la jungle, jungle contre laquelle le collectivisme apporte la protection.

      Tout mon respect donc mais je pense avoir précisé ma pensée.

  • Bernard

    26 avril 2015

    Depuis 30 ans les impôts et les cotisations ne cessent d’augmenter, le secteur public ne cesse de croitre, actuellement il accapare 57% du PIB contre 45 % en 1981. En résumé les français travaillent de plus en plus pour donner à l’ état mais paradoxalement les services public se dégradent, la santé, l éducation, la justice, tout se dégrade par manque de moyens qu’ ils disent. Et ce n’ est pas fini, la dette et le chômage explosent. ……J’ attend des libéraux qu’ ils s’ intérèssent à celà en priorité.

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    • nolife

      26 avril 2015

      Pas uniquement à l’ « état » mais paient de plus en plus de cotisations sociales (pensions et soins de santé) pour une population vieillisante …

      Dans les pays anglo-saxons, ces frais sont comptés dans le privé d’après ce que j’ai entendu …

      Le principal problème est le vieillissement de la population …

  • Bernard

    25 avril 2015

    Pour une fois qu’ un libéral est invité dans des émissions de forte audience il faut que celà tombe sur ce doux rêveur utopiste de Koenig.

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    • idlibertes

      26 avril 2015

      Cher Bernard,

      cela n’est pas « tombé » cela s’appelle une attachée de presse de maison d’édition 🙂

  • Robert Marchenoir

    25 avril 2015

    J’ai lu l’interview de Gérard Koenig. Elle est consternante, et contribue à expliquer l’audience minuscule du libéralisme en France, voire l’hostilité qu’il suscite.

    Pendant des années, j’ai été stupéfait, lorsque je défendais le libéralisme, de voir des anti-libéraux m’opposer l’argument selon lequel il ne serait que la version inversée du marxisme. Je ne comprenais tout simplement pas cette assertion. C’est que, naïf que j’étais, j’ignorais à quel point le libertarianisme français est tordu. Koenig illustre ici magnifiquement cette perversion intellectuelle.

    Dès le début, cet agrégé de philosophie (rien que cela devrait nous mettre en alerte) se revendique de la filiation marxiste. Le journaliste lui demande :

    Les liens étroits que vous établissez entre le libéralisme et la Révolution Française tendent à faire de cette période de notre histoire une révolution libérale. Est-ce le cas ?

    Et il fait cette réponse stupéfiante :

    Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Karl Marx !

    Autrement dit, c’est vrai, puisque Marx le dit. La suite, où il détaille la position de Marx, montre sans ambiguïté qu’il la fait sienne. On s’attendrait à ce qu’un défenseur du libéralisme, quitte à se réclamer des théoriciens qui l’ont précédé, cite des penseurs libéraux. Pas du tout ! Il cite l’inventeur du communisme ! Et il poursuit en expliquant, en somme, que Marx pose les bonnes questions mais fait les mauvaises réponses. Le libéralisme ne serait qu’une hérésie du marxisme, une secte issue de la même branche :

    Cet individu libre, auto-suffisant, Marx le qualifie, en reprenant un concept de Leibniz, de “monade”. Marx y voit le signe d’une aliénation car il imagine une nature humaine supérieure qui s’épanouirait dans le communisme. J’y vois pour ma part la promesse d’une libération, l’avènement d’un individu autonome, affranchi des tutelles — fruit d’un combat millénaire contre les dominations politiques et sociales.

    Voilà. Tout est dit. Gérard Koenig est, comme les communistes, un utopiste. Il prône la « libération » de l’homme. C’est une « promesse ». Il s’agit d’un « combat millénaire ».

    C’est exactement le même discours que tiennent 100 % des politiciens qui se succèdent au pouvoir (tous socialistes) quand ils parlent sans cesse « d’émancipation » — sans jamais préciser émancipation de quoi.

    L’homme est dans les fers, il l’a toujours été, la société est méchante, et nous, nous, les chevaliers blancs de la politique, de la gauche, du libéralisme, nous avons été élus par l’Instance Supérieure pour le libérer. Ca fait mille ans que ça dure, ça ne se fera pas en un jour, on ne vous garantit rien pour demain, mais un jour, vous verrez, grâce à Nous, l’homme vivra enfin Libre, entouré de rivières de miel et de nymphettes pas farouches (voire de gitons complaisants ?).

    C’est la bonne vieille enfumade de l’Homme Nouveau que Gérard Koenig nous joue là. Il y a une Page Blanche, vous allez voir ce que vous allez voir : si vous me confiez le crayon, à moi Gérard Koenig, tout ça va Changer et je vais vous le faire aux petits oignons.

    Obama : « Hope and change ». Hollande : « Le changement, c’est maintenant ». Les communistes : « Un autre monde est possible ». Koenig : « La promesse d’une libération, l’avènement d’un individu autonome, affranchi des tutelles — fruit d’un combat millénaire contre les dominations politiques et sociales. »

    Plus loin, il rejette Tocqueville, l’un des fleurons de la pensée française et un modèle de sagesse, justement. Et c’est pour prôner l’ahurissant concept du « jacobinisme libéral ». Un peu comme le nazisme libertaire, voyez. Et ce sont ces gens-là qui nous reprochent d’être incohérents en associant le conservatisme au libéralisme !

    Il se réclame de Durkheim : “La vérité, écrit-il, c’est que l’État a été le libérateur de l’individu. C’est l’État qui, à mesure qu’il a pris de la force, a affranchi l’individu des groupes particuliers et locaux qui tendaient à l’absorber, famille, cité, corporation, etc. L’individualisme a marché au même pas que l’étatisme.”

    Koenig l’approuve pleinement : Paradoxalement, seul l’État peut assurer l’autonomie de l’individu, en garantissant nos libertés individuelles, en régulant les marchés, en prodiguant une éducation universelle (voire, comme je le défends, un revenu universel).

    C’est exactement le discours que tiennent 100 % des politiciens français, tous aussi socialistes les uns que les autres, qu’ils soient de « droite », de gauche, d’extrême-gauche ou « d’extrême-droite » : le bon vieux discours « républicain », « colbertiste », selon lequel l’homme, pauvre, nu et con, ne saurait s’en sortir sans la main ferme et bienveillante de l’Etat. Surtout l’homme français, qui n’est pas fait de la même pâte que l’homme anglo-saxon !

    Donc, Koenig veut que l’Etat « régule les marchés » (exactement comme Mélenchon), « prodigue une éducation universelle » (exactement comme le syndicat communiste FSU — pas question d’écoles libres hors contrat ni de chèque éducation), et réclame même « un revenu universel », summum de l’assistanat que certains libéraux auto-proclamés tentent de nous faire passer comme la revendication libérale par excellence.

    Au passage, je vois mal en quoi Gérard Koenig représenterait la tendance opposée au libéral-conservatisme, qui est, en bonne logique, le libertarianisme. Il représente surtout l’étatisme ! En fait, les libéraux-conservateurs sont beaucoup plus « libertariens » que Koenig. Mais qu’est-ce qui le distingue donc des politiciens au pouvoir ?

    Question : Dans le personnel politique contemporain, qui pourrait être qualifié de libéral ?

    Réponse : Personne, et c’est le drame de la France. Les rares qui à droite sont libéraux économiquement (et encore…) sont parmi les plus conservateurs sur le plan des moeurs.

    Nous y voilà. Les moeurs. C’est bien ce que je disais dans mon commentaire précédent : l’obsession sexuelle.

    Question : Vous semblez ne pas croire à une perspective libérale-conservatrice, pourquoi ?

    Réponse : Parce qu’elle est intellectuellement incohérente. Comment peut-on donner aux individus la responsabilité d’investir et d’entreprendre, en leur déniant la liberté de choisir leur propre vie, d’être maître de leur propre corps ?

    Le corps. Toujours l »obsession sexuelle. En fait, ce que reproche Koenig aux politiciens actuels, c’est qu’ils ne sont pas encore assez laxistes en matière de sexualité.

    A mon sens, le libéralisme s’imposera non par la désuète lutte droite/gauche, mais par une nouvelle génération, la génération Y, habituée à des modes de vie et à des structures professionnelles beaucoup plus autonomes.

    Ah, voilà. Koenig en sait plus long que tous les abrutis qui l’ont précédé, parce que, lui, il est jeune. Plus on est jeune, plus on est sage, chacun sait ça. Ca fait des millénaires que l’homme est dans les fers parce que personne, avant Koenig, n’a été jeune, mais lui, il est jeune et il va changer tout ça.

    Encore un point sur lequel Koenig épouse fidèlement l’idéologie des anti-libéraux au pouvoir : tous, ils n’ont que la jeunesse à la bouche. Depuis 1968, la jeunesse est une valeur. Koenig nous dit simplement : je suis plus jeune que les autres jeunes, donc filez-moi les clés du pouvoir, vous les trouverez dans la boîte à gants.

    L’illusion de toute-puissance de la jeunesse s’accompagne naturellement d’une fascination naïve pour les pouvoirs illimités de la technique :

    Les sujets qui hantent le débat public en France paraissent bien dérisoires quand on les compare à la vague immense qui arrive de Californie, avec le transhumanisme et le Big Data. Des chercheurs de très haut niveau, dotés de moyens colossaux (notamment grâce aux investissements de Google), sont tout bonnement en train de redéfinir l’humanité. Il nous promettent la vie éternelle via la combinaison de la génétique et des biotechnologies, la fin du capitalisme à travers l’économie collaborative, la disparition de la démocratie parlementaire grâce à des procédures sophistiquées de décision collective. Il y a là une magnifique promesse[…]

    Quand je vous disais que Koenig nous promet l’Homme Nouveau… Mieux que ça : il est tellement jeune qu’il croit à l’immortalité !

    Drôle de libéral, qui se réjouit d’une hypothétique disparition de la démocratie parlementaire (remplacée par des ordinateurs : quelle naïveté !), et même… de la fin du capitalisme, comme n’importe quel intellectuel socialiste de modèle courant, dont les opuscules allant dans ce sens encombrent les rayons économiques des librairies.

    Et comme n’importe quel politicien de carrière, énarque blanchi sous le harnois de la fonction publique, il nous sort son petit buzzword à la con, le truc qui fait smart mais qui ne veut rien dire :

    C’est ce que j’ai appelé le jacobinisme libéral 2.0.

    Il semble échapper au « jeune » Koenig que coller encore du « 2.0 » derrière tout et n’importe quoi, en 2015, c’est furieusement has been. Ca dénigre Tocqueville avec des airs dégoûtés, mais ça sort du « jacobinisme libéral 2.0 ». On mesure l’immense progrès intellectuel… Heureusement que nous avons affaire à un agrégé de philosophie !

    Sans surprise, l’utopiste Koenig dénigre aussi Margaret Thatcher, qui, elle, a eu le mérite d’instaurer réellement le libéralisme, dans un pays donné et à un moment de l’histoire. Non seulement il ne cherche pas à tirer les leçons de son oeuvre (Thatcher est trop vieille, je suppose), mais il a le culot de travestir outrageusement sa pensée, en répercutant l’une des plus belles calomnies inventées par les anti-libéraux :

    Elle-même se sentait très chrétienne, mais elle rejetait l’idée de valeurs communes centralisées, avec cette fameuse phrase: “there is no such thing as society” (la société n’existe pas en tant que telle).

    C’est un mensonge effronté. Les anti-libéraux, et Koenig à leur suite, exploitent jusqu’à la nausée cette phrase extraite de son contexte, en lui faisant dire exactement le contraire de ce qu’elle signifiait en réalité. Margaret Thatcher, dans l’interview où elle a prononcé cette phrase, était en train d’expliquer son opposition à l’assistanat. Elle disait en substance : vous ne pouvez pas toujours vous tourner vers la « société », en disant que c’est la faute à la « société », et que la « société » n’a qu’à fournir des allocations. La « société », prise dans ce sens, n’existe pas. La société, c’est vous, ce sont les gens, ce sont les familles et les liens de solidarité qu’elles entretiennent, en leur sein et les unes avec les autres.

    Ce que disait Margaret Thatcher avec cette phrase, c’est précisément qu’il y a des valeurs communes dans une société, des liens sociaux spontanés, une morale partagée, non pas évidemment « centralisée » en ce sens qu’elle viendrait de l’Etat (autre mensonge de Koenig), mais qui impose naturellement un dévouement au bien commun via le respect de certaines règles — les mêmes pour tous.

    Donc, Thatcher était précisément en train d’affirmer, non seulement l’existence de la société, mais son importance cruciale et irremplaçable ! Elle était simplement en train de récuser la conception socialiste de la société.

    J’accuse Koenig de mensonge sur ce point, par indulgence à son égard. Car l’hypothèse alternative serait encore plus consternante pour lui : s’il s’avérait qu’il n’a même pas lu, dans son intégralité, l’interview de Thatcher qu’il met en cause, avec les titres universitaires qu’il arbore et les prétentions philosophiques et politiques qui sont les siennes…

    Que retient-il de l’oeuvre de Margaret Thatcher ?

    Elle s’est prononcée très tôt en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité.

    Décidément, ces gens-là pensent avec leur slip. La mauvaise foi est patente : s’il y a une personne qui était en faveur des moeurs traditionnelles, de la famille, et a mis cette conviction en pratique dans sa propre vie, c’est bien Thatcher !

    Outre que la dépénalisation de l’homosexualité n’est nullement un point saillant de l’action de Thatcher, il va de soi qu’il s’agit de la simple correction d’un anachronisme, de l’abrogation d’une loi justement tombée en désuétude. Mais Koenig en tire argument pour attribuer à Margaret Thatcher un militantisme en faveur de la permissivité sexuelle qui n’existe que dans son imagination. Il suggère que si elle était vivante aujourd’hui, elle soutiendrait le mariage homosexuel et le militantisme homosexualiste, ce qui est évidemment grotesque pour qui a étudié un tant soit peu sa vie et son action.

    Tout, dans cette interview, atteste de la dégradation intellectuelle et morale du débat français. Et ce n’est certainement pas de tels discours qui vont faire avancer la cause du libéralisme en France.

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    • El oso

      25 avril 2015

      Joli pamphlet. Je me suis régalé.

    • Josick Croyal

      25 avril 2015

      Idem !

    • Robert Marchenoir

      25 avril 2015

      Merci.

    • Homo-Orcus

      25 avril 2015

      Alors, le « jacobinisme libéral » est-ce possible ?
      Après l’excellente analyse de Robert, il me reste l’histoire pour démonter cette association idiote de termes ; comme si je vous annonçais que je connaissais un très bon charcutier musulman !
      Tout d’abord est-ce le jacobin assassin dont il s’agit ou du moine jacobin ? J’extrapole en me disant que c’est l’assassin qui est concerné.
      Pour comprendre la suite il vous faut brûlez vos Malet-Isaac .
      Mirabeau était en charge de la conjuration d’Orléans et Danton le sbire du duc devenant plus tard Philippe Égalité, le même qui se tire sur la nouille. Pour maîtriser cette troupe de malfrats, déjà en 1788, Mirabeau les incite à se réunir en club politique à la manière anglaise et ce fut le club breton. Ce club cherche un lieu de réunion et s’arrête sur l’ancien couvent des jacobins rue Honoré et c’est ainsi qu’il devint le club des Jacobins. Nous savons qu’ils étaient trente sous la Constituante : « Silence les trente voix ! » Mirabeau en séance.
      Je passe rapidement sur l’attaque des châteaux pour en arriver au coup d’état de 1792, les massacres programmés de septembre, l’abrogation de la monarchie par l’Abbé Grégoire (si si Abbé) et la proclamation de la république, mais quelle république, sous quel régime ? Celle de Platon la communiste, Solon d’Athènes, NON, carrément celle de Lycurgue de Sparte ! Pas étonnant que nos jacobins d’aujourd’hui vous considèrent comme des périèques et qu’un grand nombre aspire au statut d’Ilotes.
      Très rapidement, centralisation du pouvoir y compris le tribunal politique, la loi du maximum général, les spoliations, les vexations. On pourrait penser que ce drame humain s’est concentré sur Paris, que nenni, la province a dégusté aussi sous la tyrannie de tyranneaux et il me semble que c’est la meilleure source pour comprendre le fonctionnement malade d’un cerveau jacobin. À rechercher sur Gallica, les arrêts des représentants et proconsuls en mission qui font froid dans le dos.
      Avec le temps je me suis rendu compte que le meilleur moyen de comprendre la société dans laquelle nous vivons est bien l’histoire la plus efficace.
      « L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. »
      Tocqueville

    • Aljosha

      25 avril 2015

      Oufti, perso j’ai lu son livre avec intérêt (je n’ai pas votre bagage philosophique et historique), et l’idée de le lyncher ne m’a pas effleuré un instant.

    • Delatour

      26 avril 2015

      Robert Marchenoir, votre post est un chef d’oeuvre! Bravo!

    • Robert Marchenoir

      27 avril 2015

      Merci. Ceux que ça intéresse trouveront ici le texte intégral de la fameuse interview de Thatcher au magazine féminin Woman’s Own,en 1987, où se trouve la phrase, détournée de son sens par la gauche, « There’s no such thing as society » :

      http://www.margaretthatcher.org/document/106689

      C’est la source la plus incontestable, puisqu’elle vient de la Margaret Thatcher Foundation qui a collationné toutes ses déclarations.

      A noter que les interviews, par exemple celle-ci, sont restituées non pas à partir du texte publié, souvent édité par la rédaction du journal, mais à partir de l’enregistrement fait par les services du premier ministre au moment même de l’entretien.

      Il s’agit donc du document historique le plus authentique, puisqu’il est rigoureusement fidèle aux intentions de son auteur lorsqu’il s’est exprimé.

      Voyez aussi, à la fin du texte, la mise au point qui a été publiée à l’époque par le 10, Downing Street, suite à la fameuse polémique.

      D’autre part, Gérard Koenig déforme les positions de Margaret Thatcher sur l’homosexualité et les moeurs pour servir son point de vue.

      Ce n’est pas elle qui a dépénalisé l’homosexualité en Grande-Bretagne. Le rapport Wolfenden qui faisait cette préconisation date de… 1957, et la loi a été votée en 1967. Margaret Thatcher a été l’un des rares députés conservateurs à voter cette loi, mais elle n’était à l’époque que l’un des responsables de son parti.

      En revanche, les militants homosexualistes en ont fait leur bête noire, car, en tant que premier ministre, elle a fait voter en 1988 la « Section 28 », qui interdit aux écoles de présenter l’homosexualité sous un jour favorable, ou en tant que relation familiale acceptable.

      https://www.youtube.com/watch?v=8VRRWuryb4k

      http://www.margaretthatcher.org/document/106941

      Si elle a approuvé la légalisation de l’avortement, ce n’est pas par permissivité ou par idéologie libertarienne, mais par pragmatisme. Une caractéristique fondamentale des libéraux-conservateurs.

      Sa conception du rôle de la loi dans la régulation des moeurs ressort clairement dans cette interview de 1970, consacrée à la société permissive :

      http://www.margaretthatcher.org/document/101845

      Question du journaliste : Shouldn’t individuals decide for themselves? Isn’t this the point of the Permissive Society ?

      Réponse de Thatcher : Well now, I wouldn’t entirely take that view as a legislator, because I think as a legislator, you have to legislate to try to retain the good standards and the best things in your society. Now, if everyone had a very strongly religious view and acted in accordance with all the best principles, you would not in fact need to have so much legislation about these things as you have, but they don’t and that isn’t life and you know full well that it isn’t.

      C’est la société qui établit les bonnes règles morales, et la loi les entérine. Toutefois, lorsque la société s’égare… il n’est pas interdit au législateur de la ramener dans le droit chemin.

      Nuancée et pragmatique, donc. Tout le contraire du discours libertarien, abstrait, simpliste et désincarné. Au passage, on remarquera le lien entre le libéralisme de Thatcher et sa foi chrétienne.

    • Robert Marchenoir

      27 avril 2015

      Rectificatif : Gaspard Koenig et non Gérard, dans mon commentaire ci-dessus retenu au purgatoire de la modération, je suppose, en raison des liens qu’il contient…

    • Romain

      27 avril 2015

      Bcp plus intéressant que le machin de Beigbeider.

      Merci.

    • simple citoyen

      28 avril 2015

      Oui. A vrai dire je désespérais en lisant les commentaires de trouver ces arguments qui me paraissaient évidents. Merci d’avoir pris le temps de répondre l’évidence et avec talent.

  • Hermodre

    25 avril 2015

    Et Nietzsche dans tout ça?
    Hormis la nécessaire mais trop brève allusion par M. Begbeder au monstre froid de l’État, personne (sic) ne convoque à la barre le plus fin psychologue des philosophes. Et pourtant, comment faire l’impasse de sa reflexion sur la morale, la personne, l’individu, plus d’un siècle après ses textes essentiels reversant une vision du monde qui reste si profondemment platonicienne chez nombre de nos penseurs du libéralisme?
    Comment parler de personne ou d’invividu lorsque Nietzsche n’a cessé de nous montrer l’illusion de l’unité, de l’identité, notions qu’il réfute au profit de celles de perspective, de relationalité, d’interactivité, de la fameuse et si mal comprise, et surtout dévoyée, « volonté de puissance »?
    Le multiple est en nous sous forme d’affects, de pulsions, d’adversité, alors comment oser parler d’Un et d’Autre alors que nous sommes tout autant les deux faces de Janus?
    « Malheur à moi, je suis nuance » (Ecce Homo, Pourquoi j’écris de si bons livres, 4): qui n’a pas saisi les implications d’un tel aphorisme ne peut trouver de voie à la question de la liberté et donc du libéralisme.

    Répondre
  • Gerldam

    25 avril 2015

    A mon humble avis, libéralisme et conservatisme ne sont pas plus cohérents que libéralisme et socialisme. En effet, le libéralisme est, par essence, adaptatif, alors que le conservatisme ne l’est pas, également par essence.
    Le libéralisme relève de l’ordre spontané et est orthogonal aux ordres conservateurs ou collectivistes.
    Il ne se situe pas sur le même plan. Il y a donc dans tout ceci, une profonde incompréhension, à mon avis du moins.

    Répondre
    • Robert Marchenoir

      25 avril 2015

      Vous caricaturez le conservatisme. Il ne consiste pas à conserver les comportements hérités du passé sans discrimination et par principe, mais à conserver ce qui a fait la preuve de son efficacité, tout en améliorant ce qui doit l’être.

      C’est l’autre nom de la sagesse, une notion qui a tellement été oubliée que le mot même ne se rencontre pour ainsi dire plus.

      La sagesse a été remplacée par la ratiocination, l’intellectualisme et les gens qui sortent des âneries à force de faire les malins.

    • Samy

      27 avril 2015

      « mais à conserver ce qui a fait la preuve de son efficacité » vous rendez-vous compte que ceci est une notion parfaitement subjective?

    • Robert Marchenoir

      27 avril 2015

      Non. Ce n’est pas une notion « parfaitement subjective ». Ce qui est « subjectif », c’est de s’enivrer de son intelligence en la laissant courir sans frein, et sans s’obliger à la valider par la réalité et l’expérience. Comme le font les libertariens.

      En somme, vous êtes en train de nous dire que tout se vaut, que la vérité n’existe pas, que le bien et le mal sont équivalents, qu’il n’y a pas de mode d’organisation de la société ou de règles morales qui soient meilleurs que d’autres.

    • simple citoyen

      28 avril 2015

      Une des incompréhensions majeures vient de la grille de référence, souvent si prégnante qu’elle n’est pas même perçue par celui qui l’utilise. Ainsi quand vous et Samy parlez subjectivité ou non des jugements, l’un se réfère à une décision individuelle et uniquement cela, l’autre lui attribue une porté sociétale au sens d’une politique. Les deux n’ont aucun rapport.
      Le relativisme est une conception sociétale, le libre arbitre est son pendant et non sa déclinaison individuelle. Dans la réalité politique les deux s’opposent souvent, et sont en tout cas la limite l’un de l’autre au sens où le premier est un outil politique alors que le second est le ressort de la liberté.
      En gros: les constructivistes et progressistes militent pour la liberté de faire comme ils le préconisent. Telle est leur conception de la liberté. C’est d’ailleurs symptomatique de constater que toutes les mesures qu’ils imposent se doivent de ne pas permettre un retour en arrière, ce que ne font aucune des autres forces politiques présentes. En ce sens ils ne veulent surtout pas garder ce qui marche au sens du corpus social puisqu’ils veulent imposer un monde nouveau. Ils se sont objectivement alliés aux collectivistes parce qu’ils désiraient historiquement détruire le même monde. Maintenant les choses se corsent puisque les collectivistes deviennent défenseurs de l’ordre établi (par eux croient-ils, ce en quoi ils se trompent à mon avis) qui leur est favorable, au sens où ils en sont devenu majoritairement la Nomenklatura. Ils lâchent la bride sur le sociétal, parce qu’ils peuvent facilement incorporer de nouvelles recrues et étendre ainsi l’horizon de leur pouvoir. Mais sur le fond ils sont voués eux-mêmes à la disparition. Les mouvements en cours sont bien ceux que décrit Beigbeder sur la fin de son article. Et dans cette partition ils ne défendent aucune des positions susceptible d’émerger. Eux qui ne sont que pouvoir (ce sont des rentiers nés, d’où leur succès dans la nouvelle économie de rente sous influence) seront totalement hors jeu, ce qui leur sera totalement insupportable.

    • idlibertes

      28 avril 2015

      Et ceci est le péché d’orgeuil, par essence. Celui du diable.
      Penser qu’il n’y a que subjectivité.

      Et je vous rejoints, il y a une telle chose que « le bien et le mal » , le dire est effectivement tellement naïf dans notre vieille Europe, que l’on préfère souvent en disconvenir mais est ce vraiment un hasard si les USA, justement, est une nation sous tendue par ce distinguo?

    • idlibertes

      25 avril 2015

      Non, le libéralisme ne réleve pas de l’ordre spontané; ceci est une notion libertarienne.

    • Romain

      27 avril 2015

      Donc Mises, Hayek, Milton Friedman sont des libertariens? Ainsi que toute l’école autrichienne?

      Ce n’est pas que cela me déplaise; je cherche juste à comprendre. Quel est donc ce libéralisme en dehors de l’école autrichienne?

    • idlibertes

      27 avril 2015

      Milton Friedman , école autrichienne??? il ferait bon voir.
      De plus, vous réduisez dans ce commentaire, à nouveau , le libéralisme à son étude monétariste, ce qui est assommant à la fin!

      L’immense avantage des visions de l’un ou de l’autre est de comporter une visée sociétale et philosophique se rattachant au droit, essence même du Libéralisme ne vous en déplaise.

      Ps MF ESt L’ecole de Chicago.

    • Josick Croyal

      25 avril 2015

      Geldam, je voulais retenir partie d’une de tes expressions, mais non, cela me semblait clocher à chaque fois…

      Je me rend compte que je fonctionne avec un canevas bio-physique (l’approche de deux québécois qui ne se connaissent pas) qui me permettrait de dire que :

      * Le libéralisme conservateur est orthogonal aux ordres conservateurs collectivistes.

      Le libéralisme est conservateur dans le sens où il intègre le fait que cela résiste, résistance qui s’exprime selon une logique bien précise que je commence à entrevoir et fait écho à ces notions de joug, de religare… Il actualise ce qui résiste, conserve.

      * Le libéralisme libertaire est parallèle aux ordres conservateurs collectivistes.

      Voir le long commentaire de Robert Marchenoir, à ce niveau : « Durkheim : “La vérité, écrit-il, c’est que l’État a été le libérateur de l’individu. » »
      Ce libéralisme ne fait pas vraiment résistance… et réalise la facilité du « j’aime », fait dans l’attraction-gravitation. Il compléte l’ordre collectiviste, tente de l’orienter dans son sens (didact des groupuscules) .

  • Josick Croyal

    25 avril 2015

    Relativement à cette histoire d’individu et de relations sociales je dirais qu’il ne peut y avoir vraiment quête de l’Autre que dans l’espoir de retrouver ce qui nous COMPLETait.

    Comme il y a donc eu préalablement nécessairement brisure de plénitude, le lien réciproque ultérieur qui nous complète alors en nous UNissant à nouveau, nous unissant à l’autre, induit la notion de « relier » (religare), lien conJUGale.

    Rappelons qu’on peut comprendre Jupiter comme étant « le père du joug ». Et si la brisure initiale avait comme libéré un éclair lumineux (celui de Zeus), éclair aveuglant masquant la brisure et donnant l’illusion de liberté totale ?

    De là, deux courants : ceux qui se sont fait illusionner, rejetant toute forme de joug et ceux qui se mettent au travail, créant un nouveau sillon (les libéraux conservateurs).

    Répondre
    • Josick Croyal

      25 avril 2015

      Tout se passe comme si ces libéraux libertaires avaient été foudroyés par des micros NDE dite positive (expérience lumineuse -lumière électrale- de mort imminente).
      Ce serait également le cas de ces populations des pays sous-développés, population qui s’illutionnent « ne manquer de rien », pays qui ne peuvent alors être qu’en voie de rien du tout.

      Le remède consisterait à écarter ce flash plus ou moins conscient (ce que les libéraux conservateurs auraient fait d’entrée) qui donne un sentiment de plénitude et cloue sur place. C’est comme si l’on avait à faire à une secte.

      Voilà donc pour moi une piste intéressante.

      Ma bibliographie est hors sentier battue, recherches n’ayant pas socialement abouties. Je pense aux ouvrages de Pierre Lance dont son « La naissance des dieux ». Je pense à cette expérience de rupture et de libération lumineuse redécouverte par ce fils de sabotier mis en fosse commune à Cannes en 1958. Notre modernité a aussi sa rupture lumineuse, celle de l’ATP qui deviens ADP… Mais il ne s’agit pas de la même lumière.

    • Josick Croyal

      25 avril 2015

      En définitive, selon ce que j’ai développé sur ces derniers posts, les libéraux conservateurs semblent être pris en tenaille entre la ou les « pensées » libertariennes et celle « organique ».

  • Robert Marchenoir

    25 avril 2015

    Le libéralisme réel est toujours conservateur. Montrez moi un seul pays libéral, un seul dirigeant libéral ayant accédé aux responsabilités qui soit libéral-libertaire, et non libéral-conservateur. Je n’en vois pas.

    Il y a un autre point que j’aimerais évoquer : notre époque commence à être sérieusement marquée par une obsession sexuelle malsaine et dangereuse. Jamais on n’a autant parlé de sexualité. Jamais la liberté sexuelle n’a été érigée en principe à ce point, jusqu’à prétendre fonder toute morale et toute politique.

    En définitive, c’est cela qu’on trouve à la racine du libertarianisme. C’est essentiellement le rejet de toute limite posée à l’exercice de la sexualité qui motive les libéraux-libertaires.

    En témoigne la place centrale que tient dans leurs préoccupations le prétendu mariage homosexuel, qui concerne moins de 1 % de la population. Même le soutien à l’immigration de masse sans aucun frein se ramène, en définitive, à l’obsession sexuelle : il s’agit de réclamer la liberté de métissage, que l’état naturel et les moeurs spontanément établies réprouvent partout.

    Cette obsession est une pathologie, un déséquilibre mental. Il n’y a pas que le sexe dans la vie. Toutes les civilisations, de tout temps, ont établi des garde-fous sévères pour canaliser cette pulsion indispensable à la vie, et empêcher les destructions qu’elle produit lorsqu’elle prend toute la place.

    Baser une philosophie, une politique et une morale sur l’obsession sexuelle, c’est manquer singulièrement de sagesse et montrer qu’on n’est pas digne d’accéder aux responsabilités.

    D’ailleurs, aucun militant de cette mouvance n’y est jamais parvenu. Il y a sans doute une raison.

    Répondre
    • Josick Croyal

      25 avril 2015

      Passer du monde pastoral au monde agricole libère des aléas mais implique l’irruption du joug à travers ces deux bœufs (mâles castrés) sous le joug alors en mesure de retourner la sacro-sainte prairie pastorale et réaliser un nouvel espace qu’on a appelé le champ.

      Est-ce que cette transition du monde pastoral au monde agricole doit être considérée comme du libéralisme ?

    • Josick Croyal

      25 avril 2015

      La sexualité comme eldorado fusionnel : tout attire tout ! On passe à la trappe ce qui résiste, construit véritablement le monde. C’est le régne de la facilité.

    • idlibertes

      25 avril 2015

      Cher Robert

      j’ai la même analyse. Je ne comprends pas cette obsessions chez les libertaires de type Koenig de vouloir absolument que l’état, l’ennemi par essence, auteur de tous les pbs concède la « liberté  » de vendre leurs corps, de mourir etc.

      Au bout d’un moment, c’est un peu comme une crise d’adolescence, si vous pensez que les autres sont des ânes, qu’avez vous besoin de leur accord pour vous foutre en l’air par exemple. Si ce n’est que vous voudriez le faire « dans les clous »? Mais je croyais que de toutes les façons , seuls « les droits naturels valaient quelque chose » ? donc pourquoi avoir besoin que les institution reconnaissent quoique ce soit? Et parlons des institutions, elles ne devraient pas exister non plus puisque seule une police privée à grâce aux yeux des libertariens. Donc au bout d’un moment, on ne peut pas décrier tout un système de fonctionnement et en demander l’aval. C’est un attitude immature .

      Pour le reste, la position d’un libéral est simplement de demander que l’état nous foute bien la paix sur toutes ces questions qui relèvent de la morale indivuelle et basta cosi.

      Il est effectivement lassant de s’entendre dire comment éduquer sexuellement nos enfants ou nous mêmes vers plus de tolérance et la pédophilie éducationnelle de notre système a largement fait son temps de déviance.

    • Romain

      27 avril 2015

      > «En définitive, c’est cela qu’on trouve à la racine du libertarianisme. C’est essentiellement le rejet de toute limite posée à l’exercice de la sexualité qui motive les libéraux-libertaires.»

      Des libertaires, oui, tout à fait.

      Des libertariens, je dois être idiot, mais je ne vois pas pourquoi. Par exemple, Ron Paul ne me semble pas convenir à cette description.

      > «notre époque commence à être sérieusement marquée par une obsession sexuelle malsaine et dangereuse.»

      +1
      C’est la seule chose qui intéresse 99% des gens (des boucs et des chèvres devrait-on dire?).
      Ce n’est pas évident de tenter d’essayer de discuter avec des communistes/socialistes/collectivistes/etc. eu égard à leur incohérence et incompétence intellectuelle, mais c’est effectivement quelque chose qui ressort: l’entrave est cette fameuse «morale», ces «valeurs traditionnelles», qui dit qu’on ne construit pas l’avenir en fricotant à qui mieux-mieux. Et c’est assez cohérent avec le fait d’être étatiste: maman-état s’occupe de nous (job, oseille, appart, études, pensées, etc.), et nous, nous pouvons nous intéresser à ce qui compte vraiment, c’est-à-dire les mœurs. L’important est de choper et d’être chopé, et d’augmenter sa valeur… :-/ Tout le reste n’est que entrave à cette «liberté». Et de fait, la loi la plus liberticide jamais votée en France ne vient-elle pas de passer comme un lettre à la poste? Alors que le mariage des queues-leu-leu a fait descendre combien de gens dans la rue?

      > «Jamais on n’a autant parlé de sexualité. Jamais la liberté sexuelle n’a été érigée en principe à ce point, jusqu’à prétendre fonder toute morale et toute politique.»

      Sodome et Gomorrhe?

      Personnellement, cela me semble logique: la société et sa morale se façonnent selon les gens qui la composent.

      Et si on pense que les politiciens sont des résidus de fonds de cuvettes des chiottes (avec raison, n’est-ce pas), ne sont-ils pas quelque part le reflet de la société qu’ils prétendent représenter? La comparaison avec Sodome et Gomorrhe est-elle fortuite ou la déchéance est-elle réelle?

      > «D’ailleurs, aucun militant de cette mouvance n’y est jamais parvenu. Il y a sans doute une raison.»

      Ils sont trop occupés à écouter leurs pulsions.

      Néanmoins, bien que aucun politicien ne se prétende ouvertement libertaire, il suffit de les regarder pour constater leur absence de moralité et leurs mœurs dissolues.

      > «Baser une philosophie, une politique et une morale sur l’obsession sexuelle, c’est manquer singulièrement de sagesse et montrer qu’on n’est pas digne d’accéder aux responsabilités.»

      N’ont-ils pas une sagesse différente?

      > «Cette obsession est une pathologie, un déséquilibre mental.»

      Personnellement, elle n’a pas mes faveurs. Mais chacun n’est-il pas libre de vivre comme il l’entend?

      > «Toutes les civilisations, de tout temps, ont établi des garde-fous sévères pour canaliser cette pulsion indispensable à la vie, et empêcher les destructions qu’elle produit lorsqu’elle prend toute la place»

      De toutes les civilisations qui ont été sélectionnées par le processus darwinien, n’est-ce pas?

      En conclusion, bien que je sois d’accord avec vous, ne faudrait-il pas laisser ces boucs et ces chèvres vivrent comme ils l’entendent?

      Romain

  • El oso

    24 avril 2015

    Ces débats philosophiques me fatiguent.
    Je leur préfère de beaucoup des vues pragmatiques sur le rôle de l’état.

    Répondre
    • Josick Croyal

      24 avril 2015

      Je partage El Onso… De plus cela me donne l’impression d’être un rustre (mes relations sociales « intellectuelles » se limitent quasi à poster sur ce site, c’est dire si je suis un ours)… Néanmoins, j’y cherche ce qui pourrait me parler…
      « une forme de plénitude »… Celle-ci peut-être individuelle et/ou sociale… Personnellement, ce qui semble important à mes yeux, c’est la rupture d’avec cette forme de plénitude-paradis primaire. En d’autres termes, ce qui compterait, ce serait « l’accident », ce qui brise cette belle unité, unité paradisiaque. C’est à mon sens ce qui met en route… et c’est ce qui me semble le plus important pour exister vraiment, ne pas seulement être un homme de la tribu.

  • Bernard

    24 avril 2015

    Je préfère un libéral réaliste comme Miss Thatcher qui gagne les élections et révolutionne la société à un libéral utopiste qui écrit des livres.

    Répondre
  • Fucius

    24 avril 2015

    Le seul principe social objectif est celui de non agression, qui fonde le libéralisme
    Or ce principe fonde aussi la pensée conservatrice.
    En effet les faux-droits, les droits-à, sont permis par le pillage des autres.
    La non-agression protège totalement la transmission.

    La propriété découle de la liberté, car on possède ce qu’on a acquis sans agression.
    On en est responsable puisqu’on ne peut faire assumer par autrui les conséquences de ses actes sans les agresser.
    Par conséquence, le propriétaire d’un lieu y est exerce l’autorité morale. Il est responsable de ce qui s’y passe, de ce qui y entre.
    Qui s’y introduit sans son autorisation est un agresseur.
    Qui s’y introduit à son invitation est sous sa responsabilité civile.

    Voilà pourquoi, par exemple, la pure application de la non agression interdit l’avortement: Le foetus est certes dans le ventre de sa mère, mais il ne s’est pas introduit dans sa propriété contre son gré. Il y été introduit par l’action de sa mère et de son père, qui sont donc responsables. Le meurtre du bébé est donc un crime, et faire payer les autres une agression envers eux. Les responsables doivent assumer.
    Il en va de même sur les autres sujets: Le conservatisme, c’est le libéralisme pur et simple.

    Répondre
  • Jackie

    24 avril 2015

    Merci beaucoup pour ce billet.
    Ce genre de débat se fait rare dans le paysage audio-visuel français.

    Répondre
  • Donfra

    24 avril 2015

    Passionnant, merci

    La question de fond est à mon avis transcendance ou immanence?
    la réalité est-elle une donnée extérieure ou seul le « moi » existe-t-il ?

    Répondre
  • Bernard

    24 avril 2015

    Certains libertariens comme le fondateur de Paypal, Peter Thiel ,voudraient reconstituer des sociétés sans État comme des villes flottantes en eaux internationales………….Certains libéraux sont aussi rêveurs et bisounours que les gauchistes pur sucre. Que vaudrait une telle utopie face à la menace d’ un missile ou d’ un sous marin ennemi ????

    Répondre
  • Candide

    24 avril 2015

    bonjour,

    merci pour la retranscription de ce billet particulièrement brillant. J’adhère beaucoup plus à ce point de vue qu’à celui de Gaspard Koenig. Cela dit, c’est un intervenant intéressant qui alimente le débat et oblige à aller au bout des choses.

    Des débats à ce niveau, on en redemande.

    Cependant, plutôt que des déconstructeurs, j’aurais tendance à parler de constructivistes, car s’ils veulent abolir la culture, c’est pour créer homme nouveau façonné par leur idéologie.

    Répondre
  • Bernard

    24 avril 2015

    Que l’ on soit de gauche, de droite, libéral, étatiste il y aura toujours un clivage à l’ intérieur même de ces groupes entre les réalistes pragmatiques d’ un coté et les utopistes rêveurs de l’ autre. Perso je trouve que les rêveurs utopistes sont potentiellement dangereux.

    Répondre
    • Aljosha

      27 avril 2015

      Rien sur le jeu de Paume ?

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Les livres de Charles Gave enfin réédités!