22 juin, 2024

Nouvelle-Calédonie : miroir des failles françaises

Nouvelle-Calédonie : miroir des failles françaises

Les drames qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie révèlent les failles du modèle français et l’impasse stratégique de bon nombre de décideurs. Plusieurs problèmes émergent de ces jours de violence.

Premier problème, un mouvement qui ne fut pas anticipé. Si l’intensité du mouvement social a pu être sous-estimée, il est en revanche inquiétant que personne n’ait anticipé le fait que le dégel du corps électoral n’allait pas engendrer des manifestations violentes. Il est évident que pour les Kanaks indépendantistes (tous les Kanaks ne le sont pas), le dégel du corps électoral est inacceptable puisque cela signifie que les Français arrivés dans l’archipel au cours des vingt dernières années pourront voter et donc que les indépendantistes seront structurellement minoritaires. Cette absence d’anticipation témoigne d’une méconnaissance totale de la situation et donc d’un manque d’informations fiables et sûres. Le renseignement est cassé et ne fournit plus aux décideurs les bons éléments pour prendre des décisions justes. À leur décharge, les services de renseignement intérieur fournissent aux décideurs les informations que ceux-ci veulent voir et entendre ; bien souvent, il leur est demandé de modifier les rapports afin que ceux-ci collent avec ce qui est pensé dans les ministères.

Deuxième problème, la non-maîtrise du territoire national. Les exemples se multiplient, notamment les émeutes de juin 2023 et nous en avons une autre confirmation en Nouvelle-Calédonie : les forces de l’ordre ne sont plus capables de maintenir l’ordre. Six morts au moment où ces lignes sont écrites, la route Nouméa / aéroport coupée, des quartiers entiers bloqués, des habitants pris d’assaut par les groupes violents, des magasins pillés et détruits, empêchant tout ravitaillement, des pharmacies et des hôpitaux attaqués, empêchant les soins. En Nouvelle-Calédonie, l’État français n’a pas été capable d’assurer l’ordre. Par manque d’anticipation, mais aussi par manque de doctrine claire sur les opérations à conduire. Tout est venu après coup, sans anticipation, provoquant un accroissement de l’abcès.

Troisième problème, l’absence de vision pour la Nouvelle-Calédonie. Un processus avait été initié en 1988 dont les promoteurs espéraient qu’il aboutirait à l’indépendance de l’archipel. Ce ne fut pas le cas puisqu’à trois reprises les référendums aboutirent à un refus de l’indépendance. L’archipel restait sur les bras français avec des gouvernements qui ne savaient pas quoi en faire. Il y a certes le nickel, matière importante, mais qui ne sera pas éternelle. Longtemps, ces îles furent un bagne où furent envoyés notamment les auteurs de la Commune. Nous n’en sommes plus là. Aucune réflexion sur la place géostratégique de la Nouvelle-Calédonie, sur la projection de la France dans le Pacifique, sur les rapports de puissance face à la Chine et aux pays asiatiques. Dans ces conditions, à quoi sert la Nouvelle-Calédonie ?

Quatrième problème, l’absence de vision pour les outre-mer. Que ce soient les Antilles, Mayotte, La Réunion, les TAAF ou la Nouvelle-Calédonie, le regard porté est toujours celui du traitement par le social. Il n’y a aucune vision stratégique, aucune réflexion géopolitique, aucune pensée. Le RSA, Pôle emploi et la Sécurité sociale sont les seuls leviers d’action dans les outre-mer, partant du principe que seul le traitement par le social règlera les problèmes. Cela crée un système de rente où les populations locales vivent aux frais du contribuable français, tout en le détestant.

En 2021, les flux entre les régions de France étaient organisés de la façon suivante : l’Île-de-France paye pour les autres régions. Chaque Francilien était, en moyenne, contributeur à hauteur de 6 345€. À Mayotte, les habitants reçoivent en moyenne 4 395€ par an, Guyane : 4 305€, La Réunion 4 282€, Guadeloupe 3 603€. La première région de métropole, le Limousin, est à 3 599€.

Je n’ai pas de données pour la Nouvelle-Calédonie, mais on peut supposer de fortes disparités entre les populations vivant du nickel et celles vivant de la redistribution. Ce système de social-collectivisme arrive ici à bout de souffle.

 On peut s’offusquer des ingérences russes, azéries, turques et chinoises en Nouvelle-Calédonie, mais si c’est pour ne rien faire de ces territoires hormis y envoyer l’hélicoptère à argent magique, peut-être que ces pays feront mieux que nous.

Que faire ?

D’abord rétablir l’ordre et la sécurité en levant les barrages et en arrêtant les meneurs. La population civile y a droit et si l’État central n’est pas en mesure d’assurer la sécurité alors il est injuste d’y prélever des impôts.

Ensuite, deux possibilités s’offrent à la France : rester ou partir. Si on reste, il faut définir une doctrine claire, une projection et une vision géopolitique pour ces territoires. Ce peut être scientifique, océanographique, industriel, militaire, touristique ou un mélange de tout cela.

Si c’est pour n’avoir aucune vision et n’offrir que des aides sociales et des postes aux professeurs et aux préfets détachés, alors autant baisser le pavillon et rentrer le drapeau. En somme, aujourd’hui, le choix réside entre partir ou faire de la géopolitique et donc rester.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

9 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Danielle Bricard

    27 juin 2024

    Respecter l’identité d’un secteur du monde c’est-à -dire l’Histoire du lieu : géologie, géographie, histoire humaine. Ne pas se croire supérieur, mais constater que nous sommes des intrus désireux de s’intégrer, d’apprendre, de discuter.

    Répondre
  • Havel

    24 juin 2024

    Excellente analyse. Je m’étonne cependant d’une chose, c’est que l’Australie et la Nouvelle Zélande ne soient pas cités.

    Répondre
  • BADIN

    24 juin 2024

    Je n’ai pas l’intention de me mêler de problèmes qui ne sont pas de mon ressort. Je constate cependant que la vision à moyen ou – à fortiori – long terme n’est pas vraiment partagée par ceux qui sont au pouvoir depuis bien longtemps. Évidemment cela se paie un jour. Aujourd’hui en Nouvelle Calédonie comme en métropole avec les centrales nucléaires et la disparition de nos entreprises. Demain ce sera encore pire puisqu’il n’y a plus personne pour avoir le courage de prendre les décisions difficiles mais indispensables pour sauver ce qu’on peut encore sauver. Croit-on que cela se résoudra seul? Que les planqués de Bruxelles nous aideront à les résoudre? Il faut être inconscient (ou fou) pour y croire. Nous avons confié notre pays à des incapables ou plutôt des vendus dont le seul but est de le démolir. Ils y sont parvenus bien plus vite que ce qu’il a fallu pour le rebâtir après la guerre!

    Répondre
  • outters jean michel

    24 juin 2024

    Pensez vous que cette situation est une répétition à ce qui va se passer en Métropole. Merci

    Répondre
  • Eric

    24 juin 2024

    Je partage cette analyse. Vivre ensemble ne se résume pas à de la redistribution. Il faut encore qu’il y ait un but, une vision.
    Les enjeux d’identité et de lutte anti-coloniale ont été assez forts pour qu’une partie de la population se révolte en dépit la redistribution et du contrôle de l’opinion. Peut-être verrons-nous ceci en France métropolitaine.
    Un point inquiétant est notre perte de compétence en services d’ordre. Comme nous avons perdu le sens du dialogue en politique, le niveau de violence n’est plus dosé correctement (trop fort pour les gilets jaunes, les soulèvements de terres,…, trop faibles pour les voyous).

    Répondre
    • Patrice Pimoulle

      24 juin 2024

      La question est qu’une « autre partie de la population » pense qu’elle fait partie d’une « autre population ». Et on ne peut pas oublier que la conquete provient de la violence pure. Ol y a un precedent facheux: « le metier d’etre les possesseurs et le nourrrisseurs de cette region, nous n’y tenons pas du tout » (5 septembre 1961. Et comme pendant ce temps, les Chinois qqui ont les moyens, achetent la terre, que peut faire la Ve qui a choisi « un autre modele de developpement »? La solution ba de soi.

  • Philippe Marcel Landras

    24 juin 2024

    La France doit définir une sorte de Fédération entre le ex-colonies et la France. La Fédération Française serait responsable que pour : la politique étrangère, l’armée et la sécurité, la santé publique y comprit les hôpitaux, le commerce inter fédéral, le prélèvement d’un impôt fédéral pour supporter l’état federal. Le Brésil, le Nigeria, entre autres sont des fédérations.
    Chaque membre de cette fédération serait libre d’avoie un gouvernement d’état démocratiquement élue. Chaque membre de cette Fédération Français pourrait élire des représentent qui en tant que membre du Sénat Fédéral Français, paraient démocratiquement approuver tout changement des lois fédérales. Par exemple si l’état Français approuve les 35 heures de travail, parfait. Si l’état Calédoniens ou de Mayotte préfères les 40 heures, parfaitement autorisé. Même chose pour les retraites, chaque état membre doit manégée les comptes de chaque membre travaillant dans l’état. L’état federal gère les comptes des employées fédéraux sous control du Senat fédéral.

    Répondre
    • Patrice Pimoulle

      24 juin 2024

      Personne n’en veut.

  • Nanker

    23 juin 2024

    Excellente analyse… j’espère que vous saurez chuchoter à l’oreille du prochain 1er ministre. Les sciencepotistes et leur savoir en carton-pâte ont fait assez de mal à ce pays, il est temps que des gens ayant une vraie culture et une vraie intelligence conseille nos gouvernants.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!