12 mai, 2023

Mayotte : la France enlisée

Les Comores ont longtemps été associées à Bob Denard et à des îles exotiques entre l’Afrique et l’océan Indien. Un archipel composé de quatre îles, avec pour capitale Moroni et une population d’un million d’habitants. Devenu indépendant de la France en 1975, l’archipel connait une destinée particulière puisque l’une des îles, Mayotte, la plus au sud, refuse l’indépendance et reste donc française. Deux référendums sont organisés à Mayotte, le premier en 1974 (dans toutes les Comores), le second en 1976 (uniquement à Mayotte) et à chaque fois les habitants votent majoritairement pour le maintien dans la France. Ce qui divise l’archipel des Comores, provoquant l’ire des responsables de Moroni.

En 2009, un référendum est organisé quant au statut administratif et la population se prononce cette fois-ci pour que l’île devienne un département d’outre-mer. En 2014, Mayotte intègre officiellement l’Union européenne. Ces deux événements récents renforcent les liens de Mayotte avec la France, rendant une indépendance plus difficile, et renforcent également l’animosité des Comores, qui n’ont jamais accepté l’indépendance de Mayotte.

Mayotte, une histoire particulière

Mayotte a en effet une histoire particulière par rapport aux autres îles de l’archipel. Elle est achetée en 1841, sous le règne de Louis-Philippe, a un monarque malgache, le sultan Andriantsoly qui, menacé par ses voisins, préfère que l’île intègre la France plutôt qu’elle ne tombe dans l’escarcelle des pays environnants. Un choix politique judicieux pour lui : plutôt que d’être envahi par ses voisins, mieux valait vendre son territoire contre une belle somme d’argent. Cela n’empêchera pas le sultan d’être assassiné en 1847. La juridiction de Mayotte est donc indépendante des autres îles des Comores.

En 1886, un protectorat est établi sur les Comores, avec l’accord du sultan. Puis, en 1912, ces îles sont intégrées à Madagascar sous le nom de « Colonie de Madagascar et dépendances ». Rattachement supprimé en 1946 quand Madagascar devient indépendant. Mayotte demande alors à devenir un département d’outre-mer, au même titre que la Guadeloupe et la Martinique, ce qui lui est refusé. De ce fait, cela crée une unité politique des quatre îles de l’archipel des Comores, unité qui n’a jamais existé à l’époque contemporaine. Ce qui explique que lors du référendum de 1974 la population de Mayotte exprime un choix différent de celui des autres Comoriens.

Mayotte étant française (depuis l’achat de 1841) alors que les autres îles sont un protectorat (depuis 1886), le statut juridique et politique des îles est différent. D’où le fait que les référendums ne soient pas globaux, mais distincts. Il en d’autre part impossible de donner l’indépendance à un territoire sans le consentement de la population qui l’habite. Si Mayotte vote contre, il n’est donc pas possible de leur donner l’indépendance, ce qui était pourtant le souhait des politiques français de l’époque qui y voyait l’aboutissement du mouvement de décolonisation. D’où cette différence de situation depuis 1974, qui n’est pas une séparation des Comores comme le disent les Comoriens puisque l’archipel des Comores n’a jamais été uni à l’époque contemporaine. C’est la France qui a créé cette unité politique. En revanche, il y a une unité démographique et religieuse puisque la population de Mayotte est composée de Comoriens musulmans, comme pour le reste de l’archipel.

Quand Azali Ousamani, le président des Comores, dit, dans un entretien paru dans Le Figaro le 9 mai « D’abord, je n’accepte pas le fond de la question. On ne peut pas être expulsé de Mayotte vers les Comores. Les Comoriens y sont chez eux. […] Selon notre Constitution, Mayotte est comorienne et je ne trahirai pas la Constitution. À Mayotte, il n’y a que des Comoriens ». Il exprime le point de vue des Comores qui est différent de celui de la France et qui n’est pas fidèle à la réalité historique. Au cours des deux derniers siècles, Mayotte n’a jamais appartenu aux Comores. En revanche, il est vrai que c’est le même type de population qui habite dans les îles.

Le fait que Mayotte soit devenue un département d’outre-mer pose plusieurs problèmes. Cela instaure le droit du sol, ce qui a créé une pompe à maternité, nombreuses étant les Comoriennes à venir accoucher à Mayotte pour que leur enfant soit reconnu comme français. Si Mayotte est pauvre comparativement à la France, elle est riche comparativement à ses voisins. Les aides sociales généreuses qui y sont versées créent cette fois-ci une pompe à aides sociales, qui renforce l’immigration. Comme la population des Comores et de Mayotte est la même ainsi que la culture et la religion, les échanges de population sont d’autant plus faciles.

Des populations comoriennes qui vivent dans des conditions difficiles, souvent dans des taudis, et qui se livrent à des actes criminels : trafics, routes coupées, violences contre les biens et les personnes. Ce qui explique l’action récente menée par le préfet ; une goutte d’eau à l’échelle des problèmes de l’île.

Mayotte : le fait démographique

Les éléments démographiques de Mayotte illustrent les problèmes de l’île. Je m’appuie ici sur un article de la revue Population & Sociétés, « Mayotte : plus d’un adulte sur deux n’est pas né sur l’île », paru en novembre 2018. Quelques chiffres mériteraient d’être actualisés, mais nous n’avons pas d’étude plus récente.

La population de l’île a très fortement augmenté : 23 000 habitants en 1950, plus de 300 000 en 2022. En 2017, le taux de natalité est de 38 naissances pour 1 000 habitants par an, ce qui équivaut à celui du Sénégal et du Nigéria. Or, 74% de ces naissances sont dues à des mères étrangères, essentiellement comoriennes (69%). Quant aux pères, nous dit l’article, ils sont pour moitié Français pour moitié étrangers. Proportion qui a évolué au cours des années 2010 puisqu’il y avait 28% de naissance avec deux parents étrangers en 2014 et 42% de naissance avec deux parents étrangers en 2017.

L’immigration des Comoriens vers Mayotte a longtemps été « régulière » puisque les Comoriens disposaient automatiquement d’un visa de 3 mois pour venir à Mayotte. Alors Premier ministre, Édouard Balladur a supprimé ce visa automatique, faisant passer l’immigration ipso facto, de régulière à irrégulière. Ce qui permet alors les expulsions. Jusqu’en 2010, il y a près de 25 000 expulsions par an. Déjà en 2015, plus de la moitié des adultes vivant à Mayotte n’y était pas née, dont une majorité était en situation administrative irrégulière. Le département de Mayotte a le record d’illettrisme, y compris chez les jeunes. Ce qui limite considérablement ses capacités de développement.

Couteuse outre-mer

Les problèmes de Mayotte sont à l’image des problèmes des outre-mer. Problèmes sociaux internes, coûts faramineux pour la France, attirance migratoire, insécurité. La Guyane, la Guadeloupe et la Martinique connaissent, avec leur histoire propre et leurs spécificités, des problèmes analogues à ceux de Mayotte. Les outre-mer sont pourtant les départements qui reçoivent le plus de la redistribution. Alors que les transferts nets par région se montent à 3 600€ par habitant en France, ils s’élèvent à 7 300€ pour les outre-mer. Le département qui reçoit le plus est la Guadeloupe, suivi de la Martinique et de La Réunion. Mayotte arrive en 5e position, derrière la Guyane.

La France manque d’une vision pour les outre-mer. Ces territoires sont toujours perçus sous l’angle des problèmes sociaux et de la redistribution sans qu’aucune stratégie globale ne soit définie et développée. Alors que ce sont des territoires qui pourraient être stratégiques, où pourraient être développés des ports puissants, qui pourraient connaitre un développement industriel et touristique important, rien de cela n’aboutit. La faute à une insécurité importante, qui détourne les investisseurs, mais aussi à un manque de vision et à un traitement uniquement keynésien, qui consiste à déverser de l’argent public en espérant calmer les contestations sociales alors que cela maintient la pauvreté. Les opérations de police actuellement menées à Mayotte ont leur utilité, mais elles ne sont pas suffisantes pour répondre aux grands défis des outre-mer.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

9 Commentaires

Répondre à Ockham

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • pythagore

    20 mai 2023

    le droit international est pourtant sans ambiguïté : l’ONU a toujours refusé le découpage de l’archipel comorien et l’État Français, membre permanent de cette institution y a été condamné par une vingtaine de résolutions. Pour l’ONU, cet archipel constitue bien un même pays.

    Répondre
  • Blondin

    17 mai 2023

    Intéressante l’interview du président comorien.
    « Selon notre Constitution, Mayotte est comorienne et je ne trahirai pas la Constitution. À Mayotte, il n’y a que des Comoriens »
    Ce qui indique que :
    1 – il s’assoit allègrement sur la volonté populaire exprimée par référendum
    2 – Il défie ouvertement la France en déclarant qu’une partie de son territoire lui appartient
    3 – La France, sauf erreur de ma part, verse pourtant aux Comores des sommes très importantes
    4 – Elle ne réagit pas lorsque ce président la défie ou lorsqu’il refuse de reprendre les clandestins
    Bravo !

    Répondre
  • Alain

    16 mai 2023

    La France a violé le droit international en séparant Mayotte du reste des Comores (elle refuse d’ailleurs que les Serbes du Nord Kosovo fassent de même, toujours le 2 poids, 2 mesures) et maintenant elle doit payer l’addition

    Répondre
  • Ahmed Thabit

    16 mai 2023

    Beaucoup de contre vérités. Mayotte depuis toujous, depuis de temps immémoriaux Mayotte faisait toujours partie de l’archipel des Comores. Ref récits anciens navigateurs arbes et portugais etc. C’est pour cela que les colonialistes français ont utilisé Mayotte comme tremplin pour conquérir les trois autres îles Comores

    Répondre
  • breizh

    15 mai 2023

    ici comme ailleurs, le problème est l’état providence (entre autre) et le choc culturel…

    Répondre
  • Patrice Pimoulle

    15 mai 2023

    C’est l’eternel probleme de « Paris et le desert francais ». Le celebre general de Gaulle declara,le 5 septembre 1961, en conference de presse a l’Elysee, que « le metier d’etre les possesseurs et le nourrisseurs de cette region, nous n’y tenons pas du tout ». Il avait tout compris.

    Répondre
  • GILOU

    15 mai 2023

    A Mayotte comme en Métropole, le problème de l’immigration est le même: ces territoies français sont entourés de pays dont les dirigeants n’ont que faire de leurs populations, ne pensent qu’à s’enrichir sur leur dos, ne peuvent, pour des raisons religieuses, en maîtriser la démographie galopante, sont trop heureux (voire encouragent) les départs de leurs citoyens vers d’autres pays et mettent tous les moyens pour les empêcher de revenir lorsqu’ils sont expulsés des pays d’accueil.
    Face à cette situation, la France encourage les entrées, légales mais injustifiées compte tenu de la situation économique de notre pays ou illégales. Elle joue donc le rôle de pompe aspirante (d’autres diront de poubelle) pour ces pays .
    Résultat: à ce jour, 20 à 23 millions de population d’origine étrangère en France, dont la plupart inassimilable compte tenu de leur culture, et qui donc, peu à peu, prend la place des indigènes.
    La solution: moratoire de 10 ans renouvelables sur toute immigration et remplacement des politiques couards par des politiques lucides et désireux de prendre le problème à bras le corps.

    Répondre
  • Ockham

    14 mai 2023

    Merci pour ce travail. Vous émulez ainsi beaucoup de réflexions. L’expérience que des parents proches enseignant à Mayotte m’ont rapportée, m’a fait penser et me confirme quelques années plus tard en lisant votre analyse que cette île est le futur de la France et même de l’Europe de l’Ouest si ses dirigeants continuent la logique absurde de la violente révolution française. Elle était certes bien intentionnée cette profonde révision chaotique libérant les gueux que nous étions avec son droit du sol et sa règle de la loi écrite votée par une assemblée au temps de la diligence. Avec une petite expérience personnel d’assemblées publiques, il est facile de constater que toute assemblée attrape vite la larme à l’oeil – résister c’est du fascisme – sur les misères du monde et vote volontiers des dépenses car « nous » ne sommes pas des sauvages surtout avec l’argent des autres. Réunissez une assemblée loin de ses mandants et ils voteront toujours des dépenses à 110 % et jamais l’affreuse rigueur fasciste 2+2 = 4. Ensuite une avalanche de décrets pondus par des premiers de classe élevés au biberon de la République et signés par les mêmes de même formation vont prescrire des dispositions aux juges de ceci suivi du juge de cela vérifié par le juge ad hoc etc ; … formant un long processus qui – et c’est normal – aboutissent à la libération totale dans la nature avec CAF et CMU de tous les contrevenants quand les camions de CRS retournent à la caserne. Alors le flux double, quadruple, … et les ministres font tout pour que la faillite soit légale en envoyant plus de CRS et GIGN d’un coté et de l’autre les assemblées votent les lois et les crédits inadaptés puis les juges se saisissent très juridiquement du flux qu’ils libèrent. Ainsi les fonctionnaires fonctionnent à vide parce qu’il n’y a apparemment aucune volonté politique en vue à tous les étages en particulier pour ces possessions lointaines, confettis d’empire totalement dépassé. Etre fonctionnaire n’est pas une opprobre au contraire c’est un honneur mais encore faut-il qu’il y ait au moins des politiques à la tête des institutions. Si le fait que le recrutement des « politiques » ne peut se faire que parmi les fonctionnaires, il y a un gros problème car il faut tout revoir ! Ce n’est pas un mince constat. En attendant Airbus 800, navires ultra rapides (payé par la république !) et associations souvent financées par l’état ou les collectivité s locales donc les impôts œuvrent à plein régime pour accueillir la planète en roulé boulé sur le tapis du pays des Droits de l’Homme devant des autochtones ébahis.

    Répondre
  • Ockham

    14 mai 2023

    Merci pour ce travail. Vous émulez ainsi beaucoup de réflexions. L’expérience que des parents proches enseignant à Mayotte m’ont rapportée, m’a fait penser et me confirme quelques années plus tard en lisant votre analyse que cette île est le futur de la France et même de l’Europe de l’Ouest si ses dirigeants continuent la logique absurde de la violente révolution française. Elle était certes bien intentionnée cette profonde révision chaotique libérant les gueux que nous étions avec son droit du sol et sa règle de la loi écrite votée par une assemblée au temps de la diligence. Avec une petite expérience personnel d’assemblées publiques, il est facile de constater que toute assemblée attrape vite la larme à l’oeil – résister c’est du fascisme – sur les misères du monde et vote volontiers des dépenses car « nous » ne sommes pas des sauvages surtout avec l’argent des autres. Réunissez une assemblée loin de ses mandants et ils voteront toujours des dépenses à 110 % et jamais l’affreuse rigueur fasciste 2+2 = 4. Ensuite une avalanche de décrets pondus par des premiers de classe élevés au biberon de la République et signés par les mêmes de même formation vont prescrire des dispositions aux juges de ceci suivi du juge de cela vérifié par le juge ad hoc etc ; … formant un long processus qui – et c’est normal – aboutissent à la libération totale dans la nature avec CAF et CMU de tous les contrevenants quand les camions de CRS retournent à la caserne. Alors le flux double, quadruple, … et les ministres font tout pour que la faillite soit légale en envoyant plus de CRS et GIGN d’un coté et de l’autre les assemblées votent les lois et les crédits inadaptés puis les juges se saisissent très juridiquement du flux qu’ils libèrent. Ainsi les fonctionnaires fonctionnent à vide parce qu’il n’y a apparemment aucune volonté politique en vue à tous les étages en particulier pour ces possessions lointaines, confettis d’empire totalement dépassé. Etre fonctionnaire n’est pas une opprobre au contraire c’est un honneur mais encore faut-il qu’il y ait au moins des politiques à la tête des institutions. Si le fait que le recrutement des « politiques » ne peut se faire que parmi les fonctionnaires, il y a un gros problème car il faut tout revoir ! Ce n’est pas un mince constat. En attendant Airbus 800, navires ultra rapides (payé par la république !) et associations souvent financées par l’état ou les collectivité s locales donc les impôts œuvrent à plein régime pour accueillir la planète en roulé boulé sur le tapis du pays des Droits de l’Homme devant des autochtones ébahis.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!