20 décembre, 2012

Les Prix sont faits à la marge

A plusieurs reprises dans les échanges que j’ai eu avec les lecteurs sur les matières premières en général et leurs prix en particulier, j’ai mentionné dans une phrase un peu cryptique que « les prix des matières premières étaient faits à la marge » , comme tous les autres prix dans les marches libres d’ailleurs.De nombreux lecteurs du coup m’ont demandé ce que je pouvais bien vouloir dire par là. Je vais donc essayer d’expliquer cette notion absolument centrale, pour tous ceux qui cherchent à comprendre l’évolution des marchés financiers (et de l’économie) aussi simplement que je le peux.

Prenons le pétrole.

La consommation, c’est à dire la demande de pétrole est d’environ 85 million de barils / jour en ce moment.

Si la capacité de production, l’offre, est de 87 millions de barils par jour, et que donc il existe une capacité excédentaire d’environ 2 millions de barils par jour, personne ne se fait trop de souci et les prix sont stables, voir en légère baisse. Imaginons que des évènements politiques interviennent au Moyen Orient ou au Nigeria, qui réduisent l’offre de façon temporaire de 3 millions de barils par jour.

La demande devient supérieure à l’offre de 1 million de barils par jour ce qui représente un déficit de 1.1% entre la demande et l’offre.Le lecteur conviendra que 1.1% ne représente pas grand chose et pourtant sur ce déficit, les prix du pétrole vont s’envoler et passer de 90 dollars par baril à 120 ou 130, c’ est à dire une hausse de 40% ou 50 %, ce qui parait excessif.

Pourquoi?

La demande de pétrole est inélastique dans le court terme (autre notion économique importante), ce qui veut dire que si vous avez besoin de pétrole pour faire tourner votre usine, dans le court terme vous serez prêts à payer n’importe quel prix pour y arriver. Il va donc falloir que le prix monte jusqu’a ce que la demande baisse de 1 million de barils par jour , les plus faibles ou les moins capables de payer se décourageant les premiers. C’est à dire que le prix total que le monde entier va payer pour son pétrole va être déterminé par la demande marginale du dernier million de barils et non pas par la demande moyenne. Qui plus est si l’offre et la demande sont très proches, tout le monde sait qu’une dislocation entrainerait le prix à la hausse et tout le monde fait des stocks, ce qui contribue à faire monter les prix encore plus.Ce phénomène fonctionne dans les deux sens.

Imaginons maintenant que compte tenu du prix élève atteint par l’or noir, les Chinois décident de bâtir une trentaine de centrales nucléaires et de cesser de bruler du pétrole pour fabriquer de l’électricité (c’est le cas).La demande mondiale baisse à 84 millions de barils par jour, tandis que l’offre augmente en raison de nouveaux gisements mis en exploitation, disons de 3 millions de barils. Nous avons maintenant 4 millions de barils excédentaires.Les acheteurs vont se mettre à faire du « shopping », allant d’un producteur à un autre en disant : « Votre baril, vous, vous le vendez à combien ? », un peu comme sur la place du marché pour une botte de poireaux quand les étals sont en train de fermer.

Du coup, plus personne ne fait de stocks, les stocks existants sont liquides, et les prix s’écroulent de 30% ou 40 %…Le même phénomène existe dans tous les systèmes de prix libres, tels que les marchés financiers.La capitalisation boursière d’Apple est égale au nombre d’actions multiplie par le dernier cours, lui même le résultat de l’interaction entre le dernier acheteur et le dernier vendeur.Ce qui compte pour déterminer le prix, c’est donc les variations de l’offre et de la demande sur la plus récente période, qu’il est convenu d’appeler l’offre marginale et la demande marginale.  (ie :Dérivée première pour les matheux).

Allons plus loin et introduisons les attentes des opérateurs dans les marchés. Imaginons que ces braves gens pensent que la demande de pétrole Chinoise va monter jusqu’à la fin des temps de 5 % par an.Ils intégreront cela dans leurs calculs et achèteront du pétrole  « à terme » pour se couvrir contre l’inévitable hausse. Les prix aujourd’hui refléteront cette demande future, les arbitragistes étant la pour ça Cependant, ils font une légère erreur.

A la place de monter de 5 % par an, la demande Chinoise augmente de 2 % par an. Les prix s’effondrent…Et c’est ce point que les gens ont beaucoup de mal à comprendre.Si la demande passe de trés forte à simplement forte, les prix s’effondrent, puisque les prix sur les marchés à terme intègrent la demande très forte.Voilà pour quoi il est coutume de dire que dans les marchés, les prix  sont faits à la marge.

 

 

C.G

 

 

Auteur: Charles Gave

Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

18 Commentaires

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  • Jaedena

    1 janvier 2013

    Bonjour,

    « Lors de la messe de Nouvel An à Saint-Pierre de Rome, mardi, le pape a parlé de « foyers de tension et de confrontation provoqués par l’inégalité croissante entre riches et pauvres, et de la prédominance de la mentalité égoïste et individualiste, qui est également l’une des manifestations du capitalisme financier non réglementé ».

    Apres avoir lu Un liberal nomme Jesus, je pensais pourtant que le christianisme etait profondement individualiste.
    Le pape serait-il un dangereux collectiviste ?

    Cordialement.

    Répondre
    • Charles Gave

      2 janvier 2013

      Cher Jaedena
      Le Pape ne condamne pas le capitalisme mais le capitalisme financier, ce qui n’est pas du tout la meme chose
      Le Pape est peut etre en train de nous dire que ceux qui se sont empares des banques centrales ne les gerent peut etre que pour le profit des copains et des coquins qui les ont mis a cette place, et c’est peut etre cela qu’il appele le capitalisme financier?
      Si telle est l’explication, je suis d’accord avec Sa Saintete autant qu’on peut l;etre
      Le capitalisme ne peut fonctionner que si la monnaie est geree convenablement, par des gens autonomes et desinteresses, ce qui est loin d’etre le cas en ce moment
      Amicalement
      CG

  • Clasquin

    1 janvier 2013

    J’aimerais savoir si cette loi des prix s’appliquent à tous les biens, notamment l’immobilier pour lequel c’est peut-être moins pertinent en raison du fractionnement géographique du marché.
    Bonne année à tous.

    Répondre
    • Charles Gave

      1 janvier 2013

      Cher Clasquin
      En ce qui concerne les prix au m2 , cette notion s’applique
      La derniere vente dans le XVI va determiner en partie le prix du m2 dans le XVI
      L’ennui avec l’immobilier c’est que la plus grosse partie du stock d’immobilier a ete bati il ya longtemps et que les reglementations diverses et variees font que la plus grosse partie de l’offre est constituee par des constructions deja anciennes pour lesquelles le prix initial a peu a voir avec la valeur actuelle
      Pour l’immobilier, il faut cnsiderer d’autres chses comme le prix par rapport au salaire moyen , la demographie etc..La reponse est donc oui et non, le prix moyen ayant peu d’influence sur l’offre moyenne eventuelle
      Amicalement
      cg

  • jyves

    26 décembre 2012

    Excellent article, très pédagogique.
    Cependant, il faudrait distinguer capacité de production de production réelle, cette dernière étant conditionnée par le prix de vente (par exemple : la production de pétrole à partir de schistes bitumeux n’a d’intérêt qu’à un certain niveau de prix.

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  • PETRONE

    24 décembre 2012

    Bonjour à tous et surtout mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année arrivante qui va se révéler passionnante et pleine de surprises…

    Une petite aparté:

    Une émission télé qui s’appelle « superstructure » m’explique comment ont été construites les superbes serres de SINGAPOUR, 130 hectares de délires archi et une beauté à couper le souffle surtout quand tout le site est éclairé.

    Bref ma conclusion de cette émission c’est que j’étais passablement énervé de voir ce qui est possible ailleurs qu’en France.

    C’est pas ce genre de détail que l’on remarque notre déclin…. (çà commence à faire loin la tour Eiffel ou encore le Viaduc de Millau….)

    Allez bonnes fêtes quand même 😉

    Répondre
  • David

    24 décembre 2012

    Bonsoir Monsieur Gave,
    Je vous remercie pour cet article très intéressant.
    J’imagine qu’on peut faire le même raisonnement sur les prix de l’immobilier, c’est à dire que ce n’est que le jeu de l’offre et la demande sur une très petite partie du parc immobilier en vente à un moment donné (disons par exemple 1% des biens battis) qui fixe les prix (et par la même les primes d’assurances et autres..). Il suffit que ce marché très peu liquide soit tendu sur une zone donnée pour tirer tous les prix vers le haut.
    Ce qui est amusant c’est que c’est une situation ou ceux qui possèdent un logement se sentent « plus riches », alors que dans les faits si par exemple 10% avaient subitement envie d’échanger leur bien contre de la monnaie et bien les prix dégringoleraient.
    ça amène forcement à réfléchir.

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  • Homo-Orcus

    23 décembre 2012

    La fixation du prix à la marge est une réalité mais j’ai quand même des problèmes avec les matières premières. Nous avons les MP à extraire comme le pétrole et les MP à produire comme les denrées agricoles, la fixation du prix me semble différente. Le prix du baril tourne autour de 110 $ et à ce prix de nouveaux gisements deviennent exploitables. Le 21 déc. Statoil annonce l’exploitation d’un gisement connu depuis 31 ans mais resté dans les cartons au motif que jusqu’à maintenant il ne pouvait être rentable. Les paramètres estimés de ce gisement : Investissement 7 G$ – 55.000 barils jour – 250 millions barils sur 30 ans d’exploitation – 1ère extraction 2017. Donc, le jour où le premier baril va être extrait, le prix marginal va varier, normalement à la baisse… C’est alors que les Arabes vont réduire leur production pour maintenir artificiellement une demande ! Il me semble que le prix du pétrole est manipulé ou facilement manipulable et que le prix à payer sera toujours inflationniste pour justement permettre de nouvelles exploitations. Les MP à produire sont soumises à des aléas qui ne sont pas du domaine de la décision humaine et il me semble que le prix à la marge s’établit ou s’apprécie différemment. Si vous pouviez nous éclairer ? Bien cordialement

    Répondre
  • reporting

    22 décembre 2012

    merci pour ce cours d’éco. En sept ans d’étude sup et 3 profs d’éco plus tard je n’avais jamais entendu parler de ces notions de prix à la marge. Ces profs d’eco sont nuls ; ils se la pètent grave mais ils sont nuls. Et j’étais bon en éco.

    Répondre
  • Francois B

    22 décembre 2012

    Bonnes fêtes à tous – et surtout, merci pour cette passionnante année. Je sais que créer et animer un tel site est un boulot énorme – merci merci merci.

    Heureusement qu’il y a ce havre de pensée libérale sur le web!

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  • Homo-Orcus

    21 décembre 2012

    La marge a toujours menée l’humanité et pas seulement pour la fixation du prix de nos besoins. Prenez l’exemple de la démocrassie, 0.01% de plus et vous avez un super guignol en lieu et place d’un simple guignol, c’est super quand même ! Dans ce cas on ne parle plus de la « marge » mais ceux, la masse, qui sont cons sur « les bords ».

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    • ClauZ

      21 décembre 2012

      Lol 😀

  • charlesM

    20 décembre 2012

    Si je comprend bien, inutile d’investir dans les MP si on n’est pas un insider négociant. Bonnes fetes à tous!

    Répondre
    • dede

      28 décembre 2012

      A CharlesM, jouons un peu sur les mots : il n’est pas possible d’investir dans les matieres premieres tout court.
      Il est possible d’acheter des matieres premieres pour les consommer ou pour speculer a la hausse (ou les vendre pour speculer a la baisse) mais comme elles n’ont pas de rendement, il ne s’agit pas d’un investissement.

      A Charles Gave : personnellement, je fais plutot le tour du marche pour les tomates, les melons ou les fraises. Les poireaux peuvent generalement etre vendus le jour du marche suivant sans qu’ils n’apparaissent trop fletris : ma capacite de negociation est bien meilleure sur les tomates, les melons et les fraises. Pour ne rien gacher, ces produits sont generalement beaucoup plus chers, donc si j’obtiens 50% de rabais, je peux me payer un cafe a la terrasse du coin…

  • Louis Pirson

    20 décembre 2012

    Le prix d’une matière première, s’il dépend effectivement de la demande, ne varie-t-il pas aussi en fonction de son coût de production ?

    Imaginons que le cours du baril de pétrole 90 usd et que les cours sur le marché soient de 90 usd. Tous les producteurs qui ne peuvent extraire le baril à un coût inférieur à ce prix vont fermer leurs puits, faisant diminuer l’offre et donc augmenter le cours … ce qui permettra au pétrole de trouver un nouveau point d’équilibre. Ce sera d’ailleurs toujours une variation du prix « à la marge »

    Répondre
  • roger duberger

    20 décembre 2012

    Merci, belle démonstration. Tout est clair à présent.
    Joyeuses fêtes à vous et à tous ceux qui sont sur le site

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    • idlibertes

      21 décembre 2012

      Merci beaucoup. Méritées.

  • Eric63

    20 décembre 2012

    Bonjour, je ne connaissais pas précisément cette notion; mais l’explication est claire. Merci de cette vulgarisation !!
    Sur un autre sujet, j’espère que vous allez pouvoir nous donner quelques thèmes d’investissement « à risque maîtrisé » pour 2013.
    Peut-être après les Fêtes que je vous souhaite agréables.
    A bientôt

    Répondre

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