7 mai, 2020

Les points et les lignes

Un territoire, quelle que soit sa taille, est composé de points et de lignes. Comme dans les jeux d’enfants, la réunion de ces figures forme des espaces plus ou moins fermes et définis. L’épidémie de covid pose un problème de géopolitique internationale (diplomatie et relations internationales), mais aussi un problème de géopolitique nationale : l’organisation du territoire et son aménagement. C’est à ce second point que je voudrais m’intéresser ici.

 

La planification économique déborde régulièrement dans la planification territoriale. S’il est normal qu’il y ait des règles et des codes (dont le code de l’urbanisme), notamment pour protéger des espaces sensibles ou bien pour fixer des règles générales de construction et d’aménagement, la planification territoriale est bien souvent un échec. Une administration décide du lieu où les gens doivent habiter et travailler, en contradiction parfois avec les besoins des personnes.

 

Les fils non visibles

 

Les points, ce sont les lieux où l’on vit : domicile privé, lieu de travail, etc. Les lignes, ce sont les infrastructures qui permettent de relier les points : routes, chemins de fer, voies aériennes, infrastructures de communication. La politique d’aménagement actuelle consiste à couper les lignes et à bloquer les points, pensant qu’en empêchant les personnes de se déplacer on règlera les problèmes. C’est ainsi que de nombreuses mairies (et pas seulement Paris) décident de murer leur centre-ville pour empêcher les voitures de venir. Résultat : les commerces dépérissent et les activités professionnelles se déplacent en périphéries plus accessibles. La ville s’étend, détruisant des espaces végétaux et grignotant les terres agricoles. Empêcher la communication est la dernière chose à faire pour aménager correctement un espace.

 

Si l’on veut limiter les déplacements, notamment pour éviter les tensions humaines sur les sites et les transports, il faut rendre le déplacement inutile ou non nécessaire, mais surement pas l’empêcher. Or rendre un déplacement non nécessaire suppose de développer d’autres lignes et d’autres infrastructures, moins visibles, mais tout aussi importantes.

 

Cela a commencé avec le téléphone et le fax et se poursuit aujourd’hui avec le courriel et les communications vidéo. Nul besoin de se déplacer en effet, à condition d’avoir un bon réseau de télécommunication. Jadis, les fils téléphoniques étaient à l’air libre, aujourd’hui ils sont de plus en plus enterrés, pour des questions esthétiques et pratiques (éviter les ruptures causées par des branches mortes ou des arbres qui tombent). Mais les câbles sont toujours présents, sous la chaussée et les trottoirs. Si les points (domicile, bureau, etc.) ont l’impression de ne plus être reliés, ce n’est qu’un illusoire effet d’optique.

 

Christophe Chabert a réalisé une carte synthétique des câbles sous-marins : http://mindthemap.fr/cables-sous-marins/C’est un impressionnant entrelacs de fils et de lignes qui courent le long des littoraux. Sans eux, notre activité économique est impossible.

 

À ces lignes de télécommunication non visibles s’ajoutent les aqueducs et les voies de l’énergie. Eau potable, chauffage central, électricité supposent des usines qui fonctionnent bien, elles-mêmes alimentées par la matière première et capables d’exporter leurs productions vers les autres lieux du territoire. Parce qu’elles ne sont pas visibles, le risque est de croire qu’elles sont inexistantes et donc de ne plus comprendre les liens qui les relient.

 

En catimini, la fermeture des réacteurs

 

Il y a pourtant bien quelque chose derrière mon ordinateur qui s’allume ou l’eau chaude qui arrive et cela s’appelle l’énergie. Le point du consommateur étant de plus en plus éloigné du point du producteur, et la ligne les reliant de plus en plus non-visible, nombreux sont ceux qui ne comprennent pas la relation qu’il y a entre les deux. C’est ainsi que le 23 avril dernier, en plein confinement et en l’absence de Parlement, le gouvernement a publié un décret qui fixe les objectifs décennaux énergétiques. Ce PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) couvre la période 2019-2028. Il a notamment décidé la fermeture de 14 réacteurs nucléaires, soit le quart du parc nucléaire français. C’est un cas manifeste de trahison, d’une part à l’encontre des ingénieurs et des techniciens qui travaillent dans ce secteur qui emploie 250 000 personnes, d’autre part à l’encontre de l’ensemble des Français puisqu’une décision aussi importante pour notre avenir n’a pas été discutée publiquement. Le PPE prévoit que la part perdue du nucléaire sera remplacée par l’éolien et le photovoltaïque. Faire cela au moment où l’on discute de souveraineté industrielle est un manque cruel d’à-propos, tant cette décision nuit à l’industrie française pour placer le pays dans les mains des technologies et des matériaux chinois.

 

On peut imaginer ce qui arrivera en cas de pandémie en 2028 : nous n’aurons ni masque ni électricité pour faire fonctionner nos hôpitaux et nos activités vitales. Les écolo-communistes commencent à devenir extrêmement dangereux. Le concept d’indépendance vitale et de guerre économique ne semble pas compris par tout le monde.

 

Sabordage des librairies

 

On a vu une autre activité se saborder : celles des librairies. Alors que le ministre de l’Économie souhaitait, au début du confinement, que le livre soit considéré comme un produit de première nécessité et donc que les librairies puissent rester ouvertes, le syndicat des librairies s’y est vigoureusement opposé. Il est revenu à la charge le 19 mars quand le ministre a souhaité faire adopter une dérogation à la fermeture. Ce syndicat n’a cessé de répéter que les librairies devaient rester fermées. Il a dénoncé les libraires qui organisaient des drive et s’est ensuite plaint de concurrence déloyale à l’encontre d’Amazon qui continuait à livrer des livres. Amazon n’est nullement responsable de cette histoire, ce sont les librairies, via leur syndicat, qui se sont suicidées. Désormais, et selon le schéma bien connu, elles demandent des subventions. Amazon n’a pas tué les librairies, contrairement à ce que l’on entend trop. La vente par correspondance existait bien avant le géant américain. Dans les années 1970-1980, il y avait France Loisirs et différents clubs de vente à distance, qui ont pour la plupart disparu. La librairie a été incapable de s’adapter et elle est restée grosso modo un point de vente de livres, comme elle l’était il y a un siècle. Amazon permet d’accéder aux livres sur tous les lieux du territoire, ce qui détruit l’inégalité territoriale : un habitant de la Creuse a le même accès à une librairie universitaire qu’un Parisien du boulevard Saint-Michel. La vente à distance permet de rapprocher des habitants de services lointains, ce qui suppose des logistiques et des organisations de grande qualité, notamment les centres de tri et de stockage. La vente par correspondance permet d’égaliser les territoires et ainsi de rendre les points de moins en moins inégaux entre eux.

 

 

Dans beaucoup de capitales européennes, les librairies ont changé et sont devenues des tiers-lieux culturels. À la fois lieu de conférences, d’expositions, de ventes de livres, de réunions professionnelles. Elles intègrent des cafés, des restaurants, des petits salons qui permettent d’y donner rendez-vous et d’y travailler. C’est parce que le point a changé qu’il s’est replacé au centre des flux et des échanges et qu’il a maintenu son intérêt.

 

Le même phénomène est à l’œuvre pour les cafés et les bistrots. La cause principale de leur fermeture est le délaissement de la part du public. Si le café devient uniquement un lieu de débit de boisson et non plus un lieu de vie, il perd de son intérêt et de son avantage. Il sera toujours moins onéreux d’acheter les boissons au supermarché et d’inviter ses amis chez soi. Pour survive, les cafés doivent redevenir des lieux de vie, de réunion et de travail. L’essor du télétravail, s’il se confirme, est une chance pour eux : ils pourront devenir les lieux de réunion des personnes qui n’ont plus de bureau fixe. Ce qui suppose des aménagements : des lieux calmes et confidentiels, l’accès à des imprimantes, etc. La modification du point « bureau » par le télétravail peut donc conduire à une revitalisation du point « bistrot » s’il propose les services attendus.

 

Pour qu’il y ait échange, il faut qu’il y ait un besoin chez un point et un service rendu chez un autre. Donc que l’information comme la communication puisse se faire au mieux. Finalement, le monde ressemble à une grande tapisserie : des points devants qui créent un tableau, reliés entre eux au revers par des fils non visibles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

18 Commentaires

Répondre à Emmanuel Depauw

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Blondin

    12 mai 2020

    Bel article, qui montre une fois de plus à quel point ceux qui nous gouvernent sont « loin du réel ».
    Le télétravail ou le travail « nomade » a énormément profité aux hôtels (et moins aux cafés). Entre deux rv, les bars d’hôtels (ou leurs salles de petit déjeuner) offrent du wifi et un plus de calme que les cafés « classiques », pour à peine plus cher. De même pour les rendez-vous. Et les hôtels rentabilisent ainsi un espace qui était jusqu’alors inoccupé en journée.

    Répondre
  • Alexandre

    11 mai 2020

    Vous dénoncez le communisme pour le promouvoir par le nucléaire.. allez comprendre.. une idée folle aussi bien engrammée que peut l’être le nucléaire, peut-elle seulement être discutée ?

    Et la radioactivité ?

    Le pire étant que vous n’avez même pas d’intérêts chez EDF.

    Le photovoltaïque est par contre bien une ineptie, contrairement au solaire thermique de production d’électricité, que ni vous, ni le gouvernement ne semblent connaître..

    Ineptie de l’espèce humaine..

    Je serais curieux de savoir ce que vous écrirez lorsque nous aurons notre Chernobyl..

    Au fait, Kiev est à nouveau sous la radioactivité de Chernobyl à cause d’incendies de forêts contaminées (elle est belle la légende de la nature qui reprendrait « ses droits ») et le Tricastin dégeule du Tritium depuis le 22 janvier de cette année..

    Des « petites fuites » sans conséquence j’imagine selon votre analyse ?

    Un tel niveau d’obscurantisme est à peine vraisemblable en réalité, celui du gouvernement comme le vôtre.

    A l’aune de l’antimatière, de la MHD, de l’univers bi-métrique, du solaire thermique, prendre la défense du nucléaire ou du photovoltaïque c’est comme promouvoir la lampe à huile après la découverte de l’ampoule..

    Répondre
  • Garofula

    10 mai 2020

    Le site mindthemap.fr est intéressant mais qu’est-ce qu’il est lent ! Très pénible, presque inutilisable.

    Répondre
    • Garofula

      10 mai 2020

      Sinon, quand ça veut fonctionner, on y trouve quelques perles gauchistes comme le démembrement du Brésil à cause de Bolsonaro ou l’oubli de Nantes en Bretagne. Au moins, c’est de la cartographie-fiction amusante.

  • Emmanuel Depauw

    9 mai 2020

    Tout comme le dé-confinement progressif, et peu encouragé par le politique, la fermeture des cafés participe a un contrôle de l’opinion tout a fait utile à nos classes dirigeantes afin d’isoler et noyer sur la durée, les individus qui pourraient remettre en cause le système ou au moins partager certaines remises en cause…
    Traditionnellement, depuis le XIXe, le café est non seulement un lieu de vie social, avec des gens facilement identifiables et « familiers » , mais aussi un vecteur d’échanges, de débat d’idées, de partage des points de vues sur des problèmes locaux, de réactions et de points de vue politiques.
    Ainsi isolé, l’individu qui a peu la pratique des fora et autres moyens modernes sur internet, n’aura plus qu’a se raccrocher à la propagande de radio et Tv « Pravda « .
    Je pense particulièrement à la France rurale, provinciale, populaire, qui a grossi les rangs des gilets jaunes et qui n’a pas trop voté pour LREM.
    Pour ce qui est du sabotage internet du Val de Marne, y voyez vous un sens particulier, ou était ce là simplement pour illustrer l’importance des lignes dans votre article ?

    Répondre
    • breizh

      10 mai 2020

      je ne sais plus qui a dit : « le comptoir d’un café est le parlement du peuple ».

  • puentedura

    9 mai 2020

    Pour la planification le problème c’est qu’elle est comme un Plan : bidimensionnelle et malheureusement sur dimensionnée. Pour la propension à se déplacer toujours plus loin et plus vite et plus haut, l’être humain devrait se souvenir qu’un bipède est avant tout un piéton à l’intérieur comme à l’extérieur de la maison.

    Répondre
  • sissou

    9 mai 2020

    Très intéressant et la carte des cables marin est surprenante de densité. Sous terre évidemment existe l’eau le gaz l’électricité et les réseaux cuivre et fibre de l’internet ce qui constitue pas mal de traits . Les différents opérateurs en ont créés de nouveaux et ce n’est pas fini…

    Répondre
  • Michel Bercovy

    8 mai 2020

    J’avais une sympathie pour les libraires mais une fois de plus le syndicat vient polluer la relation fragile qui persistait malgres des « fils » plus modernes. Degenerescence de la societe francaise contemporaine qui prone l’assistanat de principe plutot que l’existence, meme en l’absence de risque. Bon et bien tant pis pour pour le syndicat des libraires j’en profite pour commander la parenthese liberale sur Amazon

    Répondre
  • olivier cane

    8 mai 2020

    Il est vrai que le conservatisme à la française y est aussi pour quelque chose. Je vis en Malaisie, et ici, le moindre petit restaurant perdu dans la cambrousse offre le wi-fi gratuit à ses consommateurs. En ville, tous les cafés de type Starbucks, coffee bean et autres sont des lieux de travail et de rencontre, avec fauteuils et canapés un peu partout, ce sont des lieux de vie. Dommage que nos cafés, troquets et autres bars en France ne se soient pas mis à la page. La France (qui fut un temps au sommet technologique avec son minitel) n’a pas su évoluer et est aujourd’hui en retard de plus de 10 années au niveau des infrastructures de telecommunication, si l’on compare avec l’Asie, Chine comprise.

    Répondre
    • breizh

      8 mai 2020

      et après deux mois de confinement, il va être difficile pour les cafés qui ne sont pas morts d’arriver à investir…

  • Otto_West

    8 mai 2020

    Bonjour,
    merci pour cette approche très intéressante.
    Pour la carte, voici un lien sur un autre site. La carte des câbles est interactive.
    https://www.submarinecablemap.com/

    … et sur cette carte, aussi, des lignes et des points.

    Cordialement

    Répondre
  • Gourdon

    8 mai 2020

    réflexions très intéressantes. pour poursuivre on peut s’intéresser à l’ouvrage « La Rue: essais sur l’éconnomie de la forme urbaine » de jean-loup Gourdon, où l’auteur fait ressortir l’intéret de la rue comme surface de coexistance et d’échange entre le mobile et l’immobile a contrario des lignes purement fonctionnalistes qui ont artificilellement séparés et distanciés les points…(en écho au début du présent article)

    Répondre
  • GLARDON

    8 mai 2020

    je pense qu’en tout premier lieu, il serait nécessaire de redonner le goût de la lecture, mais dans le sens (je comprends et donne du sens ) à ce que je lis. Cela passe l’ éducation ….ainsi que le modèle, parents enseignants, qui expliquerons à leurs enfants, élèves que non ce n’est pas facile, et qu’il faut faire des efforts pour apprendre et lire le latin ou des langues étrangères, mais que le contre coup, récompense en sera gratifiant dans et pour leur avenir.
    Ouvrir des bibliothèques pour en ouvrir aujourd’hui n’a pas plus de sens que de multiplier la distribution de hochets qui seront comminatoirement qualifié d’éducatif . Hélas, la majeur partie des publications littéraire sont comme le reste, vanté à la télé alors qu’ils ne valent pas un clou, pour mémoire les digressions de martznef .

    Répondre
  • breizh

    7 mai 2020

    concernant l’échec de l’aménagement du territoire, les citées perdues de la république sont quasi toutes celles construites après guerre, et vantées dans un certain nombre de films de propagante quasi soviétique : https://www.youtube.com/watch?v=YCVxCw6GvFk

    Répondre
  • breizh

    7 mai 2020

    Excellente cette façon de présenter la géographie ! Cela permet une mise en perspective éclairante.

    Pour le PPE, l’Administration est toujours dans cette perpective du commissariat au Plan et les fonctionnaires énarques n’ont plus la formation scientifique des ingénieurs polytechniciens ou mineurs : un ramassis de bêtises pour grapiller quelques voix électorales.
    La tiers-mondisation du pays continue, tant une énergie disponible et bon marché est l’essence de notre niveau de vie.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!