8 avril, 2021

Les guerres de l’information : un outil essentiel

La guerre, ce n’est pas uniquement un sujet d’affrontement d’armées et de soldats, c’est aussi la formation des esprits et l’importance accordée à l’information. Il faut faire, certes, mais aussi faire savoir et créer un véritable attachement à la nécessité de la guerre. La guerre de l’information est aujourd’hui cruciale, tant pour déstabiliser ses adversaires que pour mobiliser sa population. Ce n’est pas nouveau, mais ce qui change ce sont les moyens techniques dont on dispose dorénavant.

 

L’information autrefois : déjà l’idée, pas encore la technologie

 

Sans remonter à l’époque antique, la période médiévale a déjà connu ces enjeux de l’information et de la communication liés à la guerre. Jeanne d’Arc en est un bon exemple, qui stupéfie et impressionne par sa maitrise de la chose militaire, mais qui est aussi utilisée par le roi comme élément de « communication politique ». Refaire juger Jeanne pour casser le premier procès et la faire reconnaitre innocente est une nécessité pour Charles VII qui ne peut pas devoir sa couronne à une hérétique. Comme du reste les Anglais et les Bourguignons avaient tout intérêt à entacher l’épopée de Jeanne du halo de l’hérésie.

 

Le XVIIe siècle voit la publication de très nombreux imprimés et libelles, soit qui défendent l’action du roi de France soit qui la condamnent. Richelieu subit autant qu’il fait produire, s’entourant d’un groupe de scribes qui défendent les positions officielles du roi de France tant dans la Valteline que dans ses rapports compliqués avec les Habsbourg. Ce mouvement s’intensifie au XVIIIe siècle, notamment durant la guerre de Sept Ans. Les batailles menées au Canada et dans les Indes sont d’abord des batailles intellectuelles conduites dans les capitales et les chancelleries européennes. Au militaire et au diplomate s’ajoutent un troisième larron, dont le rôle est de plus en plus important, le publiciste ou le journaliste. C’est-à-dire celui qui pense, qui écrit et qui infuse les idées dans l’opinion. Un rôle accentué par le développement de l’imprimerie et la baisse du coût du papier qui ne fait que s’accentuer au cours du siècle et encore plus au XIXe siècle.

 

Bonaparte comprend l’importance cruciale qu’il y a à écrire et à faire écrire, en bien, sur ses batailles. Il le fait en tant que général républicain, en faisant connaitre à Paris ses combats en Italie puis en Égypte. Un art de la propagande porté au pinacle avec les bulletins de la Grande Armée publiés à partir de 1805 qui relatent les différentes campagnes de l’Empereur, et ce jusqu’en 1814. Julien Sorel et Marius (Les Misérables) lisent avec avidité ces bulletins qui ont contribué à façonner le mythe Napoléon et l’épopée du romantisme.

 

La guerre face à l’image

 

Outre le développement exponentiel de la presse et des journaux, de plus en plus indépendants, la guerre de l’information est confrontée à une nouveauté : la multiplication de l’image. Certes il y avait toujours eu des tableaux et des gravures, dont certains ornent encore Versailles, mais c’étaient des images limitées et fastidieuses à produire. La photographie d’une part, le cinéma d’autre part, changent totalement la donne. Avec l’appareil photo embarqué, l’apparition des pellicules et la facilité accrue du développement, le reporter de guerre peut naitre et prendre de l’ampleur. Le rapport à l’image est l’une des grandes différences qu’il y a entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Le Hongrois Endre Friedmann, plus connu sous son pseudonyme de Robert Capa, est l’un de ses grands reporters de guerre, passé par l’Espagne, le second conflit mondial et notamment la libération de Paris, puis l’Indochine, où il décède en 1954. Il co-fonde l’agence Magnum en 1947 à New York, avec notamment ses amis Henri Cartier-Bresson et David Seymour. Une agence photographique qui a regroupé parmi les plus grands photographes du XXe siècle, dont beaucoup ont couvert des sujets militaires.

 

De l’œuvre d’art, la photo peut sombrer dans la propagande la plus froide et, au lieu d’élever l’âme, exciter les passions les plus troubles. Une photo d’enfant malheureux, affamé ou blessé permet de faire tomber bien des raisonnements et parfois de provoquer des entrées en guerre. Entre l’art qui dévoile et qui élève et la propagande qui cache et qui manipule, la frontière est parfois très ténue. Force est de reconnaitre que les communistes ont excellé dans cette maitrise de la propagande, que ce soit par le cinéma, la photo ou l’affiche. Jean-Yves Bajon a publié en 2013 un recueil d’affiches maoïstes intitulé Les années Mao. Une histoire de la Chine en affiches (1949-1979) (Les éditions du Pacifique) qui analyse ce rapport à la propagande et l’usage fait de la guerre de l’image. Les affiches sont belles, bien dessinées, réalistes. On y voit des Chinois valeureux et fiers de leur pays, le défendant contre des ennemis que l’on suppose terribles, mais dont ils sortent toujours victorieux. La force de ces affiches est qu’elles sont parlantes même quand on ne comprend pas les inscriptions en chinois. Le soldat, le paysan, l’étudiant y sont toujours représentés en pleine grandeur, au service de la Chine et du projet politique de Mao.

 

Les réseaux sociaux aujourd’hui essayent de reprendre ce rôle de propagande, se faisant vecteurs d’images, de textes et de vidéos. Leur atout est celui de la force et de la puissance de frappe, leur faiblesse est celle de la division. Loin de créer une communauté mondiale et un vaste espace uni et coopératif comme beaucoup le pensait au début, les réseaux sociaux fonctionnent en communautés et accroissent la création et la séparation de ces communautés. On ne parle pas aux autres, mais aux autres nous-mêmes à l’intérieur de notre réseau social. Les masses ne sont plus touchées de façon aussi directe, même si le poids des mass medias demeure prépondérant.

 

L’image de la guerre et la parole sur la guerre

 

L’information et la propagande demeurent des enjeux essentiels de la guerre d’aujourd’hui. En Centrafrique, Français et Russes mènent une lourde guerre d’influence pour s’attacher les bonnes grâces des populations et des gouvernements locaux afin de maintenir leur influence dans le pays. Cela passe notamment par la création de faux comptes Facebook qui délivrent une information positive sur les pays pour lesquels ils travaillent. La Chine a investi les réseaux sociaux, notamment via ses ambassades, pour délivrer des messages offensifs qui tranchent avec le langage timoré et retenu de bon nombre d’ambassadeurs. Les pays financent des chaines de télévision en espérant toucher des populations larges pour les convertir à leurs vues. La France n’est pas en reste avec TV5 Monde et les différents canaux de France24, même si leur efficacité et leur utilité restent à démontrer. À cela s’ajoutent des guerres de communiqués et d’interprétation lors des enquêtes conduites par des organes de l’ONU sur des frappes militaires et des bavures potentielles. Avec là aussi, des conflits d’interprétation, de communication et de diffusion.

 

La guerre de l’information et de la désinformation est bien évidemment importante, cruciale même, pour les États comme pour les entreprises. Le risque majeur néanmoins est de la faire passer au premier plan et d’oublier que la communication est un outil, non une fin. Inutile de déployer des trésors d’inventivité en propagande si on oublie d’abord de définir un but et un objectif à atteindre. Richelieu avait certes ses publicistes, mais ils étaient au service d’un objectif précis, favoriser la prise de la Valteline. Sans finalité et sans stratégie, la tactique de la communication n’est rien, tourne rapidement à vide et, même en étant très importante, fini par tourner en rond et par ne toucher personne.

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

11 Commentaires

Répondre à jemapelalbert

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  • Béret vert

    15 avril 2021

    L’antidote à l’entre-soi des communautés du net existe avec les livres souvent bien moins manichéens que le monde dont nous nous entourons.

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  • Ockham

    14 avril 2021

    Vous avez mis le doigt sur ce que McLuhan écrivait en termes sibyllins : The Medium is the message. Le nouveau médium que j’appelle le SOI pour Smartphone, Ordinateur, Internet, ouvre un nouvel univers de communautés où les apostasies barbares et les conversions béates ne manqueront pas non plus dans cette floraison de communautés sans espace à la fois divergentes ou convergentes. Toutefois comme le livre a tué les familles nobles médiévales jusqu’à obtenir la tête d’un roi et créer l’état-Nation, le SOI va lézarder les nations et leurs langues. Le médium SOI est le méta-concept des messages et de leur contenu. Il s’en suit des conséquences redoutables pour les rêveurs du long fleuve tranquille car la force et la puissance, comme vous l’écrivez, du nouveau médium vont s’attaquer évidemment aux institutions beaucoup plus rapidement qu’au XVIIIème siècle.

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  • Ockham

    14 avril 2021

    Votre paragraphe sur les réseaux sociaux est juste et remarquable.

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  • jemapelalbert

    13 avril 2021

    Oui je pense aussi que plus personne ne crois plus en rien …ni en personne… plus aucun journaliste n’est crédibles et ceux qui le sont doivent se battre pour prouver qu’ils sont intègres.

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  • sissou

    12 avril 2021

    Si je peux apporter une remarque. Les jeunes ne regardent plus la télé ! C’est un grand changement lié aux flux d’internet. Une fracture s’opère entre les anciens et les jeunes ils n’ont pas les mêmes informations….du tout !

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  • Steve

    10 avril 2021

    Bonsoir
    Télérézoo , mon beau miroir, dis moi que je suis guerre la plus belle !

    Cordialement

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  • Dan Jéquier

    9 avril 2021

    Bonjour,
    Merci pour votre réflexion pertinente. Je pense que vous auriez pu faire aussi référence à l’excellent ouvrage de Edward S. Herman et Noam Chomsky réédité dans sa traduction française chez Investig’action en 2019 :  « Fabriquer un Consentement »
    A conseiller à vos lecteurs pour comprendre comment les pouvoirs en place souvent quelque soit leur tendance politique usent des médias pour couvrir leur exactions d’une aura politiquement correcte…

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  • jld73

    9 avril 2021

    Bel et bien tout çà, mais il semble que la lecture de CHOMSKY _1988_ complèterait utilement le tableau et donnerait aux médias un autre rôle autrement plus trouble, non ?

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  • Pierre 82

    9 avril 2021

    Très intéressante réflexion à propos des réseaux sociaux et aux blogs tels que celui-ci. En l’appliquant à moi-même, je sais que je ne fréquente que des sites qui sont de mon avis, ou plutôt correspondent à ma sensibilité. Donc je sais que je m’isole de plus en plus dans un entre-soi…

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    • jld73

      9 avril 2021

      A l’inverse de vous, je m’applique _me force_ à lire des sites qui annoncent le contraire de ce que je pense. Çà a l’avantage d’éventuellement faire évoluer ce que je pense et parfois le conforter.

    • Pierre 82

      12 avril 2021

      @jld73

      J’ai dû arrêter de lire les informations officielles par prescription médicale. C’était vraiment trop mauvais pour ma tension artérielle…

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