11 avril, 2019

Le dieu sauvage

C’est toujours amusant de relire, une fois adulte, les BD de son enfance : on découvre les héros sous un autre angle et l’on entre dans une dimension de la lecture qui nous échappait alors. C’est le cas des aventures d’Alix et de son camarade Enak, que Jacques Martin a dessiné, situant les héros dans des décors réalistes de l’Antiquité romaine. Alix appartient à la clientèle favorable à Jules César, luttant contre son rival de toujours, Pompée. Et c’est ainsi que débute le tome 9, Le dieu sauvage¸ merveilleuse fable sur l’État providence et ses désastres.

 

Résumons brièvement l’histoire. Alix débarque sur la côte de Cyrénaïque, dans la ville nouvelle d’Apollonia, une cité édifiée à la gloire d’Apollon, le dieu de la science et des arts. Il rend visite au gouverneur, lui aussi partisan de César. Un jour, des habitants découvrent la statue d’un dieu inconnu, enfouie près d’un puits, à l’extérieur de la ville. Ils veulent la ramener, mais les prêtres de la ville s’opposent à l’introduction de ce dieu sauvage, lui préférant Apollon. Mais plusieurs miracles surviennent : les enfants malades déposés sur la statue sont guéris et les aveugles retrouvent la vue. Face à tant de miracles, les prêtres et le gouverneur doivent s’incliner. La statue entre dans la ville et est déposée dans le temple, à la place de celle d’Apollon.

 

Alix poursuit ses aventures et découvre un complot contre le gouverneur et contre César. Il découvre aussi que la statue est un piège, qu’elle fut déposée près du puits par des ennemis afin de détruire la ville. Celle-ci a en effet des propriétés miraculeuses, mais maléfiques : elle provoque la destruction des bâtiments de la ville et elle tue tous ceux qui la touchent. Quand Alix revient à Apollonia, après avoir découvert l’identité réelle de cette statue, il ne reconnaît plus la cité prospère et dynamique qu’il avait quittée. Tout n’est plus que ruine. Les habitants les plus cultivés ont fui pour échapper à la mort, le commerce s’est arrêté, les théâtres ne jouent plus. La ville prospère de Cyrénaïque, qui se voulait une petite Rome est devenue un lieu de désolation. Le responsable en est la statue. Alix cherche donc à expulser ce dieu sauvage pour y rapporter la prospérité. Mais les habitants restants s’y opposent. Pour eux, si la ville va mal, c’est parce que l’on ne sacrifie pas assez à ce dieu sauvage. Plus la cité s’enfonce dans la misère, plus les habitants multiplient les sacrifices et les dévotions à l’égard de cette statue et toute personne qui tente de s’opposer à ce culte est attaquée et pourfendue par les citoyens. Tous ceux qui le peuvent ont fui la ville et sont partis rejoindre des cités plus clémentes.

 

La permanence de l’archaïsme

 

L’album date de 1970. On le croirait écrit aujourd’hui pour désigner cet État providence qui nous gangrène, mais que beaucoup veulent néanmoins défendre, du moins ceux qui n’ont pas fui la France. Le dieu sauvage est la divinité de l’irrationnelle et de l’obscurantisme qui a détrôné le dieu de la science, de la lumière et des muses : Apollon. Le discours politique d’aujourd’hui semble placé sous les auspices du dieu sauvage tant il est difficile de faire émerger une discussion scientifique, rationnelle, raisonnée.

 

On le voit notamment sur l’impôt où le discours se limite bien souvent à cette antienne : il faut faire payer les Riches. Le sacrifice des Riches permettra de rétablir la paix civile et la concorde et de faire couler le lait et le miel sur la société transformant le pays en terre de Canaan. Nos sociétés ultra technicisées vivent encore dans la religion païenne du sacrifice qui structure toute la vie sociale. La démonstration de René Girard se manifeste sous nos yeux. Le Riche, c’est l’autre bien sûr, tout comme il est évident que la richesse ne peut être que mal acquise. C’est donc justice que de faire rendre gorge au Riche, afin de calmer la colère du dieu sauvage et de mettre un terme au chaos divin pour établir la paix. J’étais, lundi dernier, invité à une émission sur France Inter pour parler impôt et fiscalité. Un des invités, membre des Économistes atterrés, a expliqué que « les Riches » sont riches parce qu’ils sont égoïstes. Qu’ils soient devenus « riches » par leur travail, par leurs efforts, par leur persévérance dans les difficultés ne lui a pas traversé l’esprit. Quelle différence entre vouloir faire payer le Riche et déposer un enfant malade sur la statue du dieu sauvage pour qu’il guérisse ? Aucune. La laïcité n’a nullement supprimé la religion archaïque de nos sociétés.

 

L’obscurantisme scientifique

 

Le dieu sauvage se manifeste aussi dans l’obscurantisme scientifique. On le voit notamment avec le glyphosate. Alors que les scientifiques démontrent que celui-ci n’est pas dangereux s’il est correctement utilisé, il suffit d’un reportage biaisé sur France 2 pour que la peur s’installe. Idem sur le climat. La réitération médiatique du réchauffement climatique, l’accusation du carbone comme seule source d’un éventuel réchauffement vaut adhésion à la thèse. Et tant pis pour les scientifiques qui émettent des doutes, des réserves ou des objections. Il n’y a pas de débat il n’y a que des invectives. Vouloir introduire de la rationalité sur ce sujet, essayer de comprendre, donner la parole à un panel de scientifiques plus larges que les têtes habituelles du GIEC est interdit. Ici, le coupable n’est pas le Riche, mais le carbone. Un ancien ministre de l’environnement avait ainsi doctement affirmé qu’il fallait une planète sans carbone. Manque de chance, le carbone est ce qui permet la vie sur la Terre. Pas de carbone conduit à une planète morte. Dans la BD d’Alix, c’est le dieu sauvage qui est substitué à Apollon. Nous vivons la même chose aujourd’hui. Apollon est le dieu de la science, de la connaissance, des lumières et des arts, c’est le dieu de la rationalité et de la pensée et il est chassé par le fanatisme religieux et l’obscurantisme scientifique.

 

On dit souvent que les Français sont cartésiens, ce serait bien. Dans de nombreux domaines de la réflexion, la science et l’analyse sont remplacées par la peur, l’invective et la haine. On ne discute plus avec un adversaire, on l’abat. Quand Alix essaye de faire comprendre aux habitants d’Apollonia que la statue est dangereuse, ils le chassent à coup de pierre et le pauvre Enak manque de peu d’être lynché. L’adversaire devient un ennemi qu’accroît la haine mutuelle que les deux personnes se portent. C’est à la fois la rivalité mimétique et la montée aux extrêmes analysées par René Girard. Pour tuer quelqu’un, on lui accole une étiquette infamante dont il ne pourra pas se débarrasser, si possible un mot que l’on fait terminer par phobe. Elle devient ainsi un bœuf conduit à l’autel pour le grand sacrifice de la cité.

 

Ceux qui n’adhèrent pas au dieu sauvage n’ont plus qu’à partir. Apollonia s’est vidée de ses habitants. Il en va de même en France : environ 80 000 départs par an. Ce sont les diplômés qui s’en vont, les habiles et les débrouillards qui ont compris qu’il y avait des cieux plus cléments plus ou moins loin de la France. Pourquoi dépérir à Apollonia quand on peut vivre bien à Carthage ? La révolte fiscale d’aujourd’hui se manifeste par le départ des retraités au Portugal et en Italie et des travailleurs à Londres, Bruxelles ou Genève. Le gouvernement de Matteo Salvini a annoncé début 2019 des réductions d’impôts aux retraités d’Europe qui viendraient s’installer dans les villages du sud de l’Italie. La région des Pouilles, la Calabre et la Sicile ne manquent pas de charme, avec un immobilier moins cher et un soleil plus clément. En avion, les grands-parents peuvent facilement rejoindre leurs enfants qui travaillent à Londres. La fiscalité est en train de dessiner une géopolitique des âges en Europe.

 

Alix l’intrépide

 

Intrépide Alix qui parvient, grâce à son courage et à sa ruse, à renverser la statue du dieu sauvage. Il profite de la nuit et de l’endormissement de la cité pour attacher les pieds de la statue à son cheval et la tirer vers la mer. Une fois au fond de la Méditerranée, les destructions cessent et Apollon, la science et la raison, peut retrouver sa place. Alix est cet homme d’honneur qui se lève pour combattre les origines du mal, proclamer la vérité de la cité et sauver les personnes qui peuvent encore l’être. Face à la foule qui souhaite des sacrifices, c’est l’individu qui se dresse et qui prend sa part du combat. L’aventure finit bien, le dieu sauvage est vaincu parce qu’il restait des hommes de bien à Apollonia. Jacques Martin donne donc une leçon d’espérance aux enfants : il est possible d’être comme Alix et d’oser combattre l’injustice.

 

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

14 Commentaires

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  • Faïk Henablia

    13 avril 2019

    Rien à dire sur l’antienne de faire payer les riches.
    En revanche, cette transition vers l’environnement!
    « L’éventuel réchauffement global »?
    Vous qualifieriez sans doute, aussi la déforestation,le plastique dans les océans et la disparition des espèces animales d’éventuels et d’obscurantisme scientifique?
    Même si la cause de l’envirennonnement a été incontestablement déconsidérée par l’église gauchiste qui s’en est emparée, je n’arrive pas à comprendre pourquoi être libéral consiste à nier le problème et à l’ignorer.
    Je suis libéral et,en même temps, très préoccupé.

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  • Gaulois

    13 avril 2019

    Merci pour cet excellent article, Mr Noé.
    En effet, rien n’est bien nouveau sous le soleil et le veau d’or est toujours debout.

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  • Steve

    12 avril 2019

    Bonjour M. Noé

    Pendant des années, nous avons vu des réclames pour cigarettes mettant en scène des médecins… la question de la tricherie, de la tromperie dans la publication scientifique est devenu un vrai sujet préoccupant. Alors, dire  » des scientifiques disent…. » ne peut plus être admis en preuve sans avoir soigneusement étudié les obligations diverses des scientifiques concernés.
    Vous avez raison sur le Carbone, il y a eu des périodes pendant lesquelles le taux de carbone dans l’atmosphère était bien supérieur à celui d’aujourd’hui et bénéficiait en premier lieu aux plantes. On pourrait s’interroger dur le fait que pointer le Carbone du doigt a le mérite de détourner l’attention de la pollution aux pesticides, plastiques, déchets informatiques etc…. qui empoisonnent les eaux et les êtres vivants en ne profitant qu’aux comptes en banques….
    Et justement, puisque vous parlez des riches, prenons l’exemple de l’amiante: pendant des années, les autorités françaises ont nié , études à l’appui la nocivité de l’amiante alors qu’il est répertorié cancérogène en Suède depuis 1905, mais bon hein! les scientifiques suédois, ça vaut quoi par rapport aux nôtres? Enfin, toutes ces années de tergiversations ont permis aux actionnaires de l’amiante de s’enrichir justement du fruit de leurs efforts et de leur travail. Aujourd’hui encore, les scientifiques russes ne disent pas que l’amiante n’est pas dangereux mais qu’il est impossible d’arriver à un consensus sur le sujet. L’amiante n’a pas fini de tuer.
    Cordialement
    Il faut quand même saluer l’attitude de Stephan Schmidheiny qui a consacré beaucoup de sa fortune gagnée dans l’amiante à dédommager les victimes…..

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    • Jean-Baptiste Noé

      12 avril 2019

      Certaines fois en effet, la science est mise au service de mauvaises causes, à cause d’un manque de liberté des scientifiques, contraints ou achetés par des intérêts non charitables.

  • Jo Sedley

    12 avril 2019

    Excellent article !!! Avec une comparaison bien trouvée ! Bravo !

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  • Alexandre

    12 avril 2019

    Qui doit dire la science et qui doit politiquement parler en son nom ?

    La science est très souvent invoquée pour justement justifier les « sauvages » et pour permettre à qui fait de la politique de faire accepter ses choix ou son ontologie.

    L’évocation de la science c’est comme l’évocation de l’intelligence artificielle, cela permet de faire de la politique sans avoir à assumer ses choix, en déléguant ses choix à de tiers artifices.

    « Ce n’est pas moi qui veut cela, c’est la science », ou « ce n’est pas moi qui veut cela, c’est l’intelligence artificielle ».

    Mais comme la science et les IA ne sont que de la politique, in fine ce n’est plus la question de la science, mais celle de l’ontologie et de la démocratie qui est posée.

    Le glyphosate est un très bon exemple.

    Je ne suis pas spécialiste de cette question, aussi je ne me prononcerai pas, mais qui choisissons-nous de croire scientifiquement ?

    Après une brève recherche les agences de régulation des USA, du Canada, du Japon, d’Australie, de l’Union Européenne, de l’ONU et de l’OMS, semblent conclure que le glyphosate n’est pas cancérigène (après des études sur animaux), cependant d’autres institutions internationales et toutes les études indépendantes concluent que le glyphosate est ou est probablement cancérigène, notamment l’Agence Internationale de recherche sur le cancer.

    Pourquoi choisissez-vous de croire certaines agences plutôt que d’autres ?

    Je n’accorde pour ma part aucun crédit scientifique aux agences internationales étatiques ou gouvernementales et je m’étonne que vous contredisiez le GIEC du fait de sa structure étatiste, mais que vous ne contredisiez pas aussi les structures étatistes qui sont les seules à nier le caractère cancérigène du glyphosate.

    Le problème du glyphosate est le même que pour le bisphénol A dans les boites de conserve. Si on interdit le glyphosate est-ce que les producteurs ne vont pas le remplacer par des produits encore plus dangereux ? Depuis l’interdiction du Bisphénol A les producteurs le remplacent par des produits parfois encore plus dangereux..

    La science n’est pas un choix et n’impose pas de choix.

    Soit on accepte que les pauvres mangent de la merde, s’empoisonnent, nous coutent une fortune en frais de santé et en réparations de l’environnement, alors que les riches se paieront des produits bio poussés en serres contrôlées et stockés dans des boites de conserve en verre sans bisphénol A, soit on ne l’accepte pas.

    C’est un choix politique et la science ne dit rien de ce que doit être ce choix.

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  • Ockham

    12 avril 2019

    Très juste, l’enfant c’est l’avenir comme le riche c’est l’investissement donc l’emploi.

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  • PHILIPPE LE BEL

    12 avril 2019

    Bonjour,

    Je ne sais pas si cela est une bonne idée…
    L’Etat italien est surendetté (+130% du PIB), les banques italiennes ont massivement acheté cette dette… et sont elles-mêmes en faillite ou dans une situation très délicates pour une partie importante d’entre elles.
    Donc acheter un bien immobilier là-bas… c’est juste bon pour se prendre une super taxe exceptionnelle pour le remboursement de la dette… Bref, tous ceux qui sont immobiles ou scotchés se feront tondre.

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    • Charles Heyd

      12 avril 2019

      En France on n’en est qu’à environ 100% et je pense que les 130% sont atteignables; alors faut rester en France?

    • PHILIPPE LE BEL

      13 avril 2019

      Effectivement, bonne question que l’on peut légitimement se poser.
      Heureusement les réponses de l’exécutif au Grand Débat s’annoncent surprenantes paraît-il. On va être sauvé de quarante ans de gabegie.

  • Philippe

    11 avril 2019

    En Italie , Pouilles , Sardaigne , Sicile et dans certaines parties lointaines des centres de la Toscane , les municipalités vendent des maisons – a restaurer – pour UN euro . Vous avez trois ans pour faire les travaux . Comptez 80,000 € pour remettre en etat une petite maison de 100/ 120 m2 avec jardin .

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  • JLP

    11 avril 2019

    Excellent!!

    Quoique je ne serais pas opposé à faire payer certains riches : Jean Marc Ayrault et ses nombreuses retraites chapeau, François Hollande et ses 20000 à 30000 euros par mois selon le nombre de conférences gratuites données, Edith Cresson, Lionel Jospin…et leurs voitures de fonction etc etc.

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  • Roger

    11 avril 2019

    Monsieur,
    Idée effectivement intéressante que de relire avec un autre regard ses lectures d’enfance.
    Au niveau de la pression fiscal, nous pourrions ajouter l’instabilité permanente et l’inconstance pour ne pas dire l’hystérie de nos élus qui ne contribuent pas à créer un environnement de confiance et motivant pour l’investissement.
    Un point m’interpelle tout de même dans votre article : si en terme de fiscalité sur les retraités vous pensez à la CSG, je ne vois pas bien pourquoi à revenu égal, un inactif ne devrait pas s’acquitter de mêmes taxes & impôts, et au même taux, qu’un actif.

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  • Tomsouville

    11 avril 2019

    Effectivement, Alix fut un excellent souvenir d’enfance. Le parallèle que vous effectuez serait également valable pour le communisme et l’UE…
    Ne serions nous pas en phase de régression anthropologique ?
    Bonne journée et merci pour cet article.

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