Dans l’émission Legend, diffusée sur You Tube, celui qui occupe l’hôtel de Brienne, Sébastien Lecornu, a donné une version très personnelle du rôle du soldat et de l’armée. Une version qui démontre une méconnaissance de la chose militaire. Ce qui ne serait guère inquiétant si cette personne n’était pas ministre des Armées.
À une question de l’animateur de l’émission qui lui demande s’il faut envoyer l’armée « dans les banlieues », la réponse fuse :
« On va redire cette vérité : un soldat, c’est fait pour tuer sur ordre. Donc, les gens qui veulent envoyer l’armée dans les cités, c’est qu’ils veulent tuer sur ordre. (…)
Donc, si on déploie l’armée, on ne déploie pas l’armée contre son propre peuple, contre sa propre population. La militarité, je ne le redirais jamais assez, c’est tuer sur ordre, donc c’est très sérieux. Et c’est sûr que ce débat politique, médiatique, de réseaux sociaux, il n’y a pas un mois où on n’a pas un couillon qui vient sur un plateau pour dire il faut envoyer l’armée. Donc, moi, je veux bien qu’on dise il faut envoyer l’armée pour garder les prisons, il faut envoyer l’armée pour s’occuper des écoles, il faut envoyer l’armée pour s’occuper quand il y a des grèves…
C’est la célébration des valeurs de l’armée, donc cela c’est chouette, mais pourquoi ces valeurs existent ? L’ordre, le respect, le sport, mais ce n’est pas du folklore, c’est parce que la finalité de la mission à un moment donné c’est de tuer sur ordre, c’est l’ensemble de ça qu’il faut comprendre. »
L’extrait est à retrouver ici.
https://x.com/JBOOVII/status/1900172572588744760
Les erreurs syntaxiques et la pauvreté du vocabulaire ne seraient pas si graves si une langue ne servait pas, d’abord, à penser. Là réside le principal problème : la pauvreté de la pensée est la conséquence d’une pauvreté de la maîtrise de la langue. Il sera toujours possible de se rassurer en se disant qu’un bon politicien est capable de dire une chose, puis son contraire avec la même force de conviction.
Un soldat, c’est fait pour tuer
« On va redire cette vérité : un soldat, c’est fait pour tuer sur ordre. » En l’occurrence, ce n’est pas une vérité, mais une erreur. Le rôle d’un soldat n’est pas de tuer, mais d’assurer la sécurité du territoire national. Dans la pensée stratégique française, cela passe par la dissuasion. La sécurité nationale s’acquiert d’abord par le fait de dissuader l’adversaire de nous attaquer. Pour cela, il est possible de recourir à la dissuasion nucléaire, qui est l’un des volets de la dissuasion, mais aussi au déploiement et aux capacités des forces militaires : chars, avions de chasse, marine. Les marins qui naviguent dans les sous-marins lanceurs d’engins nucléaires ne le font pas pour vitrifier l’ennemi, mais pour dissuader. Ils ne sont pas là pour tuer. Les militaires qui s’entraînent tous les jours, qui mènent des missions d’entraînement dans les pays baltes ou qui forment les armées roumaines et ukrainiennes, ne sont pas non plus là pour tuer. Bien souvent, le fait de tuer manifeste l’échec de la mission : cela signifie que la dissuasion n’a pas été efficace. Le rôle d’un militaire est donc exactement l’inverse que ce que peut dire Sébastien Lecornu.
« La militarité, je ne le redirais jamais assez, c’est tuer sur ordre, donc c’est très sérieux. » Ce qui est moins sérieux, en revanche, c’est d’inventer des mots qui n’existent pas. « Militarité », cela ne veut rien dire. « Tuer sur ordre » : qui donne l’ordre ? Le président de la République, le colonel ? On tue pour quoi faire ? Tuer, s’il faut le faire, est un moyen, un outil, non une fin ou un objectif. Or, il dit bien : « la finalité de la mission, à un moment donné, c’est de tuer sur ordre ». Il présente donc le fait de tuer comme étant « la finalité de la mission ». La finalité de la mission, au Sahel et au Tchad, était-elle de tuer ? Si tel est le cas, les pays africains ont bien fait d’y mettre un terme et de renvoyer les militaires français dans leurs casernes.
Confondre les moyens avec l’objectif à atteindre est le premier pas vers la défaite stratégique, donc militaire.
L’armée est bien déployée en France
« Donc, les gens qui veulent envoyer l’armée dans les cités, c’est qu’ils veulent tuer sur ordre. » A priori, ceux qui veulent faire usage de l’armée dans les « cités » ne le souhaitent pas pour tuer les dealers et les criminels, mais pour rétablir l’ordre. C’est d’ailleurs ce que précise le site internet du ministère des Armées : « Le ministère des Armées est chargé d’assurer la protection du territoire français, de sa population et de ses intérêts. » Donc, s’il s’agit d’assurer la protection du territoire français, il est légitime de déployer l’armée sur le territoire national.
C’est le sens même de l’opération Sentinelle, déployée depuis 2015, soit depuis dix ans. Le ministre des Armées sait-il que des militaires sont déployés dans les gares, les aéroports et certaines rues sensibles « pour assurer la protection du territoire national » ? Que l’on sache, les soldats de Sentinelle ne sont pas là pour « tuer sur ordre ».
Lors des JO de Paris, de nombreux réservistes et soldats du rang furent déployés sur les sites des JO et leurs abords pour participer à des missions de sécurité. Leur mission était-elle de « tuer sur ordre » en abattant les athlètes récalcitrants ?
Faut-il rappeler que l’armée est également déployée dans les outre-mer, notamment en Guyane, pour lutter contre les orpailleurs clandestins, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie. Avant d’occuper le siège des Armées, notre ministre à la longue carrière d’apparatchik politique fut ministre des Outre-mers (2020). Il doit donc être informé du fait que la Légion étrangère est déployée sur ce théâtre d’opérations. À moins que les outre-mer ne soient pas considérés comme faisant partie du territoire national. À notre connaissance, le déploiement de la Légion n’a pas donné lieu à un bain de sang à Nouméa ni à des tueries à Kourou.
Et que dire alors des gendarmes, qui sont certes sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, mais qui sont des militaires ? Quand on déploie un peloton de gendarmerie contre les gilets jaunes, c’est avec pour finalité de les tuer ? Il est même possible d’étendre les propos du ministre aux policiers. Eux aussi portent une arme, eux aussi ont le droit de tuer, sous certaines conditions. Faut-il en déduire que « la finalité de leur mission » est de « tuer sur ordre » ?
Le ministre critique le fait que l’on envoie l’armée dans les écoles ou lors des grèves. C’est pourtant ce qui est fait avec le SNU, où l’armée est transformée en éducation nationale bis. Lors de catastrophes naturelles, notamment des inondations, l’armée est bien déployée pour contribuer au secours des populations, ce qui est bien du ressort de ses missions.
Tirer sur le peuple
« Donc, si on déploie l’armée, on ne déploie pas l’armée contre son propre peuple, contre sa propre population »
Une telle phrase, compte tenu de ce qui se passe dans les outre-mer, est assez savoureuse. Les Kanaks et les Guyanais apprécieront.
Si on se limite au territoire métropolitain, on pourra se souvenir que la République n’a jamais hésité à déployer l’armée et à tirer contre son propre peuple. Ce fut le cas en juin 1848, et Flaubert en laissa des pages terribles dans L’Éducation sentimentale ; en 1871, quand il fallut mettre un terme à la Commune de Paris ; en 1948, lors des grèves insurrectionnelles conduites par le parti communiste, quand le socialiste Jules Moch fit envoyer la troupe pour libérer les puits de mine de Valenciennes. La finalité n’était pas de tuer, mais d’assurer la protection du territoire national et la continuité du service économique.
Sébastien Lecornu parle de « propre peuple » et c’est bien là l’un des nœuds du problème. Il n’est pas certain que, dans les espaces pudiquement nommés « zone de reconquête républicaine », la population se considère comme faisant partie du même peuple.
Là où il a raison, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’envoyer l’armée dans les zones hautement criminelles. C’est le rôle de la police, qui a les savoir-faire et les moyens techniques pour intervenir et rétablir l’ordre. Mais à force de laisser pulluler la criminalité, nous serons peut-être dans une situation où il faudra recourir à l’armée. Non pas pour tuer, mais pour mener sa mission première : protéger le territoire national et la population française.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Paul
27 mars 2025Eternel marronniers : Les Banlieues . Alors ni l’ armée ni la milice citoyenne mais la police avec 10 fois plus de moyens et surtout une Justice qui arrete son politically correct. Vous pouvez arreter tous les dealers , si ils sont relachés c’est un gachis d’energie . Et a la base , l’ education nationale doit etre confiée a des professeurs entrainés a combattre ; CAPES oui mais avec Ceinture Noire et licence de frapper .
PA
26 mars 2025Il me semble effectivement qu’un jour où l’autre l’armée devra intervenir pour récupérer des territoires en banlieue qui ne sont plus sous le contrôle de l’Etat français. Mais le moment n’est pas encore arrivé. La situation n’a pas encore assez dégénéré.
MmmH
24 mars 2025Le rôle de l’armée est de signifier la force de la France à l’ennemi. C’est tout. Il peut donc y avoir combat, avec ses conséquences.
Thiercelin
24 mars 2025Nous avons le précédent de la Bataille d’Alger, de janvier à octobre 1957. En condition préalable, le général Massu avait demandé les pleins pouvoirs et il les a obtenus. Cela signifie que pendant neuf mois la police et la justice ont regardé ailleurs…
Et les paras ont rétabli l’ordre, grâce à leurs moyens dont ne dispose pas la police : effectifs nombreux, camions, armement lourd, horaires de travail illimités.
En contrepartie, on peut dire que les méthodes employées étaient pour le moins brutales et ne respectaient pas scrupuleusement le code de procédure pénale : arrestations arbitraires, interrogatoires musclés, voire torture et exécutions sommaires…
Et aujourd’hui ce serait pareil. L’armée serait évidemment très efficace, mais à la condition que les contraintes judiciaires soient allégées…
Freeman
24 mars 2025Un soldat, c’est d’abord fait pour assurer la paix de son peuple et cela peut-être aussi à l’intérieur quand le danger est à l’intérieur. Question de bon sens. Si sa propre vie ou celle de sa famille en dépendait, ce monsieur changerait sans aucun doute son point de vue.