18 avril, 2019

L’apocalypse d’une nation

 

Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer.
Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
Je n’ai rien à offrir et rien à demander.
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Vous regarder, pleurer […]

 

Paul Claudel, La Vierge à midi

 

Cette fumée noire dans le ciel, c’est celle de la France et de notre patrie. Notre-Dame s’enroule tout autour de l’histoire de France, les grands événements de notre pays ont croisé sa route. C’est sainte Geneviève remontant la Seine pour aller chercher le ravitaillement nécessaire au siège de Lutèce. Ce n’était pas alors le bâtiment d’aujourd’hui ; les fondations de cette première église sont visibles dans la crypte de Notre-Dame. C’est Clovis et sainte Clotilde faisant de Paris la capitale de leur royaume et la nécropole de leur famille. C’est saint Louis, ramenant les reliques de la Passion et la couronne du Christ dans sa ville centrale, édifiant la sainte Chapelle pour y accueillir les reliques, présentées tous les mois à Notre-Dame. C’est Paul Claudel, touché par la grâce au pied de son pilier, converti à la foi et au Christ, devenant le grand poète que l’on connait. C’est le Général de Gaulle, descendant les Champs-Élysées et faisant chanter le Magnificat d’action de grâce et de remerciements pour la fin de la guerre et la victoire. C’est le bourdon de Notre-Dame sonnant le glas après le 11 septembre et les attentats qui ont touché la France. C’est huit siècles d’histoire de France, faits de gloires et de drames. Baptêmes, mariages, enterrements, sacres, guerres, Notre-Dame a tout connu.

 

Ce n’est pas seulement Paris qui pleure, mais toute la France et l’Europe et le monde, dont témoignent les nombreux messages reçus d’anonymes et de chefs d’État. Nous avons tous une histoire personnelle avec Notre-Dame de Paris. Mon grand-père y est entré, jeune soldat de la 2eDB, avant de partir vers Strasbourg. Mon père y a découvert les statues des rois abattues pendant la Révolution française. Celles-ci avaient été vendues comme pierre de travaux et avaient servi à bâtir un édifice, avenue de la Chaussée d’Antin. C’est là qu’il les découvrit en 1978 lors de travaux effectués dans la banque qui possédait l’hôtel. Les originaux se trouvent aujourd’hui au musée Cluny.

 

Grâce à Dieu, les trois rosaces du XIIIe siècle sont encore debout et l’orgue du XVIIIe est certes endommagé par l’eau, mais il n’a pas brûlé. La forêt de Notre-Dame, sa charpente de chêne dont certains dataient du Xe siècle a entièrement brûlé.

 

Les pays comme les nations s’incarnent dans des monuments qui attachent avec eux tous les siècles et dans lesquels s’exprime l’âme d’un pays. L’esprit s’incarne dans les lieux et l’île de la Cité c’est l’ombilic de la France.

 

Saint-Denis a été profané et personne n’a réagi. Depuis quelques mois de nombreuses églises sont attaquées et les réactions sont timorées. Ce soir, c’est Notre-Dame qui brûle et avec elle la nation française. La France s’est arrêtée, même le Président s’est tu. Hommage à nos pompiers qui ont lutté des heures durant pour éteindre l’incendie et qui ont risqué leur vie.

 

La cendre et le charbon

 

Que reste-t-il au-delà de la cendre et de la pierre calcinée ? Notre Dame est la reine de Paris, de l’Église et de l’espérance. La France divisée, la France désunie, la France en proie aux doutes et à une situation de quasi-insurrection toutes les semaines ; puisse la France se retrouver autour de sa cathédrale brûlée et détruite. Il ne reste que peu de chose de ce bâtiment vieux de huit siècles, comme il ne reste que peu de chose de notre culture et de notre histoire. Eschyle chassé de la Sorbonne. La maire de Paris qui installe des fontaines laides et un cœur horrible qui défigure la capitale. Et Notre-Dame qui brûle.

 

Puisse les Français se retrouver autour de la reconstruction de Notre-Dame. Ce que notre peuple a construit et sauvegardé durant tant de siècles, serons-nous capables de le rebâtir pour le léguer à nos enfants ? C’est beau, aussi, de voir ce peuple qui pleure pour sa cathédrale. C’est beau de voir ce peuple uni dans la douleur et dans le deuil qui souffre quand son cœur brûle. Notre génération qui pense n’avoir ni ennemi ni futur ni histoire se découvre ce lundi saint un défi à sa taille : rebâtir Notre-Dame. Il y a quelques jours, nous acclamions à la restauration et au départ des statues pour être rénovées, nous attendions la fin des travaux pour voir un bâtiment presque neuf et nous assistons à un feu immense qui détruit ce livre ouvert de l’histoire de France.

 

Il y a un siècle, c’est la cathédrale de Reims qui était détruite par la guerre ; elle fut reconstruite. Nos ancêtres ont rebâti tant de monuments détruits que c’est à nous désormais de relever ce défi, celui de notre génération, de témoigner que nous sommes capables, à l’instar de nos ancêtres, de bâtir une cathédrale. Ce ne sont pas les moyens matériels qui comptent, c’est la foi. La foi qui déplace les montagnes permettra-t-elle de rebâtir Notre-Dame ?

 

L’apocalypse, c’est la révélation. La sidération et le bouleversement causés à l’ensemble de la nation par cet incendie sont la révélation de notre amour et de notre attachement à ce que nous sommes. C’est quand les êtres chers partent que nous nous rendons compte à quel point nous les aimons. C’est la révélation de l’amour pour Notre-Dame ; mais elle peut revenir. Ce bâtiment n’est pas un musée, c’est une église. Son rétablissement peut aussi être une reconstruction spirituelle et culturelle pour la France.

 

« Nous voici dans l’église-mère du diocèse de Paris, la cathédrale Notre-Dame, qui se dresse au cœur de la cité comme un signe vivant de la présence de Dieu au milieu des hommes. » Benoît XVI, vêpres à Notre-Dame, 12 septembre 2008.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

14 Commentaires

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  • Robert

    22 avril 2019

    Merci pour ce texte fort. La laïcité et le matérialisme ont tué la foi – en particulier la foi catholique – et la transcendance qu’ elle suscitait dans l’esprit humain. Nombre de français pleurent Notre-Dame comme ils pleurent… leur jeunesse !

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  • Gerldam

    22 avril 2019

    Avec les décisionnaires que nous avons, on peut craindre le pire. Dès que j’ai entendu parler d’un concours d’architecture pour refaire la flèche, j’ai prédis à mon épouse qu’ils choisiront le projet le plus laid et le plus loin de la foi des bâtisseurs d’antan.
    Si Viollet-le-Duc n’était pas parfait, au moins, il eut l’intelligence de faire une flèche dans l’esprit gothique, de même qu’il reconstruisit la basilique de Vézelay dans l’esprit roman.
    Mais avec nos modernes, quel phallus vont-ils inventer?
    De même, reconstruire la charpente avec de l’acier, quelle insulte aux charpentiers du Moyen-Age et quelle plus grande insulte encore aux charpentiers d’aujourd’hui, compagnons du devoir, qui ont perpétué, siècle après siècle, les techniques de jadis!
    Je ne sais si je vivrai assez longtemps encore pour voir le projet achevé, mais quelque chose me dit que, finalement, il vaut mieux qu’ils ne se pressent pas.

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  • Steve

    22 avril 2019

    Bonjour M. Noé
    Et joyeuses Pâques à tous, en dépit des morts, chrétiens et autres, au Sri Lanka et outre l’incendie de Notre Dame. Le 21 Juillet 1120, la Madeleine de Vézelay brûle, 1000 pèlerins en meurent.Aujourd’hui, aucun n’est mort. Reconstruite immédiatement après, la nef d’Artaud nous offre aujourd’hui la quintessence de l’enseignement chrétien dispensé au long de ses chapiteaux, (enseignement inspiré pour la première partie,de la Psychomachia de Prudence, et reprise d’ailleurs en partie au portail de Notre Dame de Paris et d’autres cathédrales de France. Notre Dame de Paris sera reconstruite, comme tant d’autres: nous avons oublié combien de ces édifices ont brûlé et combien sont en ruine ou oubliées. Cependant, je doute qu’un concours international d’architectes pour redéfinir la flèche y apporte quoi que ces soit: E. Viollet le Duc et le Compagnons maîtrisaient parfaitement la symbolique architecturale chrétienne comme le montre chaque détail de sa restitution de la Madeleine. Je doute que les architectes d’aujourd’hui en connaissent quoi que ce soit et s’en soucient le moins du monde. Ils feront étalage de leur ego. Je suis d’accord avec Denis Monod Broca, aussi vaudrait il mieux, à mon sens, simplement faire confiance aux Compagnons qui savent le métier et n’afficheraient que leur maîtrise. Ils redoreraient le blason des métiers et l’excellence des oeuvriers français aux yeux du monde et cela suffirait bien assez. Les temps qui viennent verront le christianisme changer de forme. Il a percolé dans nos consciences au long des siècles et fait, en partie, son œuvre. Contrairement à ce que « pensent » quelques forts « beaux esprits », il demeure puissant comme le démontre la crainte qu’en ont les dictatures de tout sorte. Notamment la Chine qui sait bien qu’il est le germe de la démocratie et du respect de l’Être, à côté duquel cette grande civilisation est malheureusement passée selon François Cheng.

    J’espère simplement que le petit alchimiste méditant que Viollet le Duc a placé dans les tours de Notre Dame, rappel de celui qu’il a découvert à Vézelay, sera encore là. Et puis, le coq épargné est un beau signe, il reviendra en temps se percher au sommet de Notre Dame pour appeler à de nouveaux jours.
    Cordialement

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  • Soljénitsyne

    19 avril 2019

    Comme vouq, j’espère et je pense sincèrement que l’incendie de Notre-Dame de Paris est un rocher tombé dans le lit d’une rivière.

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  • Gaulois

    19 avril 2019

    Merci pour cette très belle leçon de théologie, Monsieur Noé ; merci à votre grand-père et aussi à votre père, qui a fait renaître des statues inestimables de leurs cendres, telles un phénix ; comme quoi « Rien. Rien ne meurt jamais. Le fleuve coule, le vent souffle, les nuages passent, le cœur bat. Rien ne meurt jamais » (Phrase finale du film « Elephant Man »). Et il est parfois des coups du bon Dieu ! même s’Il se fait discret « au milieu des hommes ».
    Dans son livre « Les états d’âme », Christophe André écrit : « Elie Wiesel raconte dans « La Nuit » une scène horrible dans un camp de concentration : les nazis ont pendu un jeune garçon, dont le corps décharné est si léger qu’il n’arrive pas à mourir. Tous les déportés ont été rassemblés devant la potence. Face à cette torture insoutenable, une voix s’élève : « Où est Dieu ? ». Et une autre répond : « Il est là. ». Avec nous. »

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  • Artiste

    19 avril 2019

    Puisque Philippe s’interroge sur la reconstruction de la flèche dans une optique moderne,je lui suggère un minaret,on gagnera du temps.

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    • Charles Heyd

      19 avril 2019

      Très drôle mais tellement pertinent! Et, j’ajouterait, si on n’a pas d’architectes assez bons en France il n’y qu’à demander à Erdogan, le turc, lui il sait construire des minarets suffisamment hauts!

  • jean SEGUR

    19 avril 2019

    Bonjour,
    7 pour cent des français déclarent aller à la messe de temps à autre.
    La moyenne d’age est comprise entre 60 ans et 90 ans.
    Dans vingt ans 90 % de ceux cis auront disparu
    Ce qui correspondra à la fin des travaux.
    Combien de fidèles ou de cohortes de chinois et autres viendront ‘regarder’ ce monument ?
    Après avoir fait le plein dans les boutiques de luxe.
    Ce monument sera le parfait alibi des tours opérators pour vendre une destination, et rien d’autre. Le luxe se frottera les mains, le business est sauvé.
    La France aura disparu.

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  • Denis Monod-Broca

    19 avril 2019

    Question de foi en effet.
    La foi, celle des évêques qui la voulurent, celle des fidèles qui la financèrent, celles des artisans qui y participèrent, guida la construction de Notre-Dame.
    Mais aujourd’hui ?
    Quelle foi peut guider sa reconstruction ?
    Notre-Dame appartient à l’Etat et l’Etat est laïc, se veut sans foi, revendiqué même son absence de foi.
    Alors ?…
    Faut-il faire fonds sur la foi en la beauté, en la compétence des architectes, dans le talent des artistes, en l’habilité des artisans, en la technique moderne, dans le pouvoir de l’argent ?
    Cette foi-là ne remplace pas la foi, elle peut guider un projet magnifique qui attirera les touristes du monde entier mais qui aura achevé Notre-Dame.

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    • breizh

      19 avril 2019

      l’Etat est laïc, mais ses dirigeants sont profondément incultes, voire anti catholiques (voir leurs premières réactions uniquement émotionnelles).
      le seul espoir est qu’un tel chantier de restauration, c’est 10 à 20 ans, soit bien plus que le mandat de ces gens-là.

  • Philippe

    18 avril 2019

    Si on veut cristalliser un sursaut , il faut le faire en partant de la tragédie de Notre-Dame pour remonter et démonter un passé très rècent , plutot que trop lointain pour 95% des citoyens . Le  » temps long  » est pour les historiens , le  » temps rapproché  » est pour les décideurs actuels .
    1973 : fin de la capacité de réescompte du Trésor aupres de la Banque de France
    1977 ; arret GISTI du Conseil d’Etat qui améne à la  » réunion familiale  »
    1981-1995 , le règne de Mitterrand , dit François l’ Arsouille
    1992 ; Traité de Maastricht
    1995-2007 : le régne du  » roi fainéant  » J.Chirac dit Chirac d’Arabie
    2002 ; l’ Euro remplace le Franc et les monnaies nationales .
    2005 ; Victoire populaire du NON au Réferendum sur la constitution européenne
    2007-2012 : le régne de Sarkozy , et son  » métissage impératif  »
    2007 ; Reniement du vote des citoyens de 2005 par le Traité de Lisbonne
    2012 – 2013 – 2015 : Les attentats islamistes
    2007 – 2012 : le régne de Flamby
    2017 ; le viol de l’ élection présidentielle et le régne de Macron soucieux des  » doigts  » de l’Homme
    2018-19 : violente répression des  » Gilets Jaunes  »

    Si il y a d’autres étapes de la  » déconstruction  » de la France et de sa dissolution dans la drogue de l’ angèlisme  » européen  » n’ hésitez pas à les ajouter .

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  • Kerdrel (de) Arnaud

    18 avril 2019

    Cher Monsieur depuis que vous écrivez vos chroniques, je voulais vous dire à quel point ce que vous dîtes est important pour moi ainsi que pour beaucoup d’autres gens qui vous lisent. Continuez continuez… Nous avons besoin de vous de Charles Gave, de sa fille Emmanuelle, de Jean-Jacques Netter et de tous ceux qui à I.D.L. font ce magnifique travail de remise à plat.

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