17 mai, 2019

La rivière souterraine du cannabis

 

 

Le cannabis a envahi les cours d’école et les halls d’universités, et pas seulement. Au-delà de la dangerosité sanitaire du produit et des effets néfastes sur les consommateurs, il dessine une géopolitique de la criminalité et irrigue de nombreux quartiers dont il soutient l’économie. Notons d’emblée deux incongruités sémantiques. Premièrement, le terme de « quartier » utilisé pour désigner des espaces urbains tenus par les mafias et le banditisme. Dans le langage journalistique, quartier est un euphémisme et une litote pour désigner une zone dangereuse, à forte criminalité. Il y a ainsi les quartiers sensibles, désignant des espaces que l’on évite. Deuxièmement, le terme « zone défavorisée », qui désigne des zones urbaines sensées être pauvres, où les taux de chômage sont importants et, souvent, la criminalité forte. Ces zones seraient défavorisées, ce qui expliquerait, voire légitimerait, la violence qui s’y déclare et les dégradations. Ainsi de la Seine-Saint-Denis, du Mirail à Toulouse, des Minguettes, des quartiers nord de Marseille. Or rien n’est plus faux. Ces quartiers sont les plus favorisés de France : c’est eux qui reçoivent le plus d’argent public et le plus d’aides sociales. Très souvent, ils sont bien reliés en transports en communs, notamment en RER et en métros, comme Saint-Denis et le Mirail. À cela s’ajoutent de très nombreux équipements publics : écoles, collèges et lycées, bibliothèques, centres culturels et sportifs, etc. Si, lors des émeutes, ces bâtiments sont détruits et incendiés, c’est bien qu’ils existent. La Seine-Saint-Denis est à la fois l’un des départements les plus riches de France et en même temps l’un des plus pauvres, du moins du fait de sa population.

 

D’où une autre erreur d’analyse : présenter les habitants de ces quartiers comme pauvres. Sous le simple regard statistique peut-être, et encore. Il est vrai que les taux de chômage sont importants et les revenus faibles. Mais les populations y bénéficient de logements sociaux à bas prix, payé par d’autres, plus les nombreuses aides sociales. Enfin, se développe toute une économie parallèle, qui rapporte beaucoup et qui fournit un véritable travail. Et c’est là que l’on retrouve le cannabis.

 

Accroissement de la consommation de cannabis

 

La proportion d’usagers occasionnels et réguliers de cannabis parmi les 18-64 ans n’a cessé de croître : 4% en 1992 ; 8% en 2000 ; 11% en 2014. Ces chiffres officiels sont victimes de deux biais statistiques : d’une part ils ne commencent qu’à 18 ans, alors que la consommation se fait dès le collège, excluant ainsi de la recension une partie importante des consommateurs, d’autre part ils sont fondés sur la reconnaissance volontaire d’une telle consommation, qui est interdite. Les chiffres sont donc sous-estimés. Autant il est facile d’évaluer la consommation d’un produit légal et commercialisé (type sodas), autant il est plus difficile d’évaluer la consommation de produits illicites, et donc cachés. C’est à partir des années 1990 que la consommation de cannabis a commencé à se développer. Aujourd’hui, elle touche un jeune sur deux. En 1993, 21% des jeunes de 17% avaient expérimenté au moins une fois le cannabis. 43% en 1999 ; 50% en 2002 et jusqu’à aujourd’hui. On peut là aussi penser que ce chiffre est sous-estimé. Le nombre de consommateurs réguliers, c’est-à-dire au moins dix fois dans le mois, est estimé à 1,4 million. Il s’agit bien d’un grave problème de santé publique, doublé d’un problème criminologique. C’est un fait social majeur et atavique dont les conséquences négatives sont multiples.

 

Le cannabis : premier employeur de France

 

Le réseau du transport et de la vente du cannabis en fait aujourd’hui l’un des premiers employeurs de France, et l’une des principales entreprises de notre pays. Les criminologues estiment que 200 000 personnes vivent directement de cette activité, au même rang que la SNCF et devant EDF (130 000). Ces emplois clandestins sont essentiellement concentrés dans les quartiers difficiles et sensibles et diffusés parmi les populations immigrées. Les 200 000 emplois seraient répartis de la façon suivante : 110 000 détaillants et vendeurs de rue, 80 000 semi-grossistes, 8 000 grossistes, 1 000 têtes de réseaux. À quoi il faut ajouter toute la jeunesse qui tient la rue et fait le gué pour prévenir de l’arrivée de la police, des bandes rivales et des clients : les guetteurs et les rabatteurs. La marchandise est produite au Maroc. Les grossistes vont la chercher en voiture : elle remonte l’Espagne et la France. D’où l’importance des liens familiaux tissés entre le producteur marocain et le revendeur de Tourcoing ou de Strasbourg. Il y a bien des tentatives pour produire le cannabis en France, mais cela se heurte à des problèmes techniques et logistiques, les fermes de cannabis étant assez facilement repérables et donc destructibles. Sans compter les dénonciations de la bande rivale pour éliminer un concurrent.

 

Et première source de violence

 

L’argent gagné irrigue les quartiers et favorise un enrichissement rapide. Voitures, grands écrans, vêtements de sport, jolies filles, tout peut s’attraper. Ainsi que les armes, élément indispensable pour tenir un lieu et faire place nette face aux autres bandes. D’où les règlements de compte, comme à Marseille et surtout à Grenoble, qui est la ville de France où la criminalité est la plus intense.

 

La nouveauté depuis les années 2000, c’est que cette criminalité n’est plus cantonnée aux zones classiques des banlieues à population immigrées des grandes métropoles. Désormais, chaque ville moyenne de province a son quartier sensible, avec sa criminalité, ses réseaux mafieux et son infiltration djihadistes. Le nord de la France peut aller s’approvisionner en Belgique et aux Pays-Bas, quand le sud est plus proche du Maroc. Nous avons parlé ici dans un précédent article de la ceinture islamiste Occitane ; le même phénomène se développe dans le Val de Loire. Orléans, Tours, Angers, Nantes : les voitures brûlées, les agressions de jeunes filles, les radicalisations islamistes, pour localisées qu’elles soient, sont une réalité en expansion. Ce sont des phénomènes nouveaux et croissants. La lecture de la presse locale est à ce titre très instructive.

 

Sur le territoire français, se sont illustrés les quartiers du Kercado à Vannes, Ozanam à Carcassonne, Presles à Soissons et Beaubreuil à Limoges. La police y intervient régulièrement, avec le Raid et le GIGN, sans que cela ne soit réellement efficace.

 

L’argent du trafic est ensuite recyclé dans les commerces locaux, installés grâce à des franchises fiscales. Il permet de payer les récalcitrants, ou plus simplement de les menacer, et d’employer la main-d’œuvre scolaire, qui trouve-là une activité plus rémunératrice et plus amusante que l’école. C’est donc toute une société parallèle qui se constitue et qui gangrène et dissout les efforts de construction sociale.

 

En avril 2016, l’Opac de l’Oise mandatait une société de sécurité privée pour sécuriser un immeuble gangréné par les trafics et ainsi protéger ses habitants. Deux jours après leur arrivée, ces hommes étaient chassés par les caïds locaux qui, pour faire diversion et agir tranquillement, avaient envoyé une bande pour détruire un bâtiment municipal et ainsi fixer la police. L’Opac dû se résoudre à déménager en catimini et au petit matin les familles restantes pour les mettre dans un autre bâtiment, et ainsi abandonner l’immeuble aux dealers.

 

Le cannabis ne crée par la sécession : il la renforce, la favorise et la rend visible. Il permet à une sécession mentale de s’exprimer dans les faits, assurant la prise de possession de certains territoires par les mafias criminelles. De cette criminalité du quotidien à l’islamisme, il y a un pas qui est de plus en plus souvent franchi. Ils ont l’argent, ils ont le pouvoir et le territoire. Ne manque plus qu’une idéologie pour donner un sens à une vie assez terne et une transcendance à des existences plates. L’islam, comme religion identitaire et omniprésente, devient le combustible parfait pour enflammer les esprits. Nous ne semblons être qu’au début d’un phénomène dont il est difficile de prévoir les évolutions futures.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

16 Commentaires

Répondre à Julianio

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  • kingxvi

    31 mai 2019

    Le parti socialiste/PCF a subventionné via le ministère de la culture pendant au moins 2 décennies tous les festivals où l’on fume du cannabis, en invitant des stars du reggae et compagnie en lien avec ça. Je parle même pas de la fête de l’huma.

    C’est une institution d’état, il faut voir qui tient réellement les rennes de ces mafias, quelles caisses noires sont alimentées, et c’est certainement pas momo qui est à la tête. C’est pas sûr non plus que ce soit christian.

    Bref, il y a une collusion d’intérêts qui font que ce n’est ni dépénalisé – ce qui assècherait complètement cette mafia – ni véritablement criminalisé / traqué / pénalisé.

    De même les études épidémiologique, scientifique, qui montrent les effets néfastes réels du cannabis sont pas tant diffusées que ça. En tout cas pas au JT de 20h.

    Du reste, la France pourrait très bien demander au Maroc de détruire les champs, avec un satellite on sait où ils sont, et le Maroc le sait aussi.

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  • Tonton Flingueur

    22 mai 2019

    Matière à réflexion:

    – Étude de législation comparée n° 238 – novembre 2013

    Note sur La dépénalisation de la consommation de cannabis

    Allemagne – Danemark – Espagne – Pays-Bas – Portugal – Royaume-Uni (Angleterre) – Suisse – Uruguay

    http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=t877727_10&idtable=t877727_10|t8105887_7&_c=cannabis&rch=gs&de=20090521&au=20190521&dp=10+ans&radio=dp&aff=sep&tri=p&off=0&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn&isFirst=true

    – Comment le Portugal a gagné la lutte contre la drogue en ne la menant pas.

    La politique concernant les drogues menée par le Portugal est une alternative crédible au tout répressif.

    https://www.contrepoints.org/2017/03/31/284109-portugal-a-gagne-lutte-contre-drogue-ne-menant

    – True History of Marijuana Full Movie

    Cannabis has an incredible number of uses:

    – Industrial Textiles
    – Consumer Textiles
    – Paper
    – Building Materials
    – Foods
    – Biofuel

    The biofuel could pose a serious threat to the energy industry.

    Hemp seed (from its non THC cousin, the hemp plant) can be used as a food since it contains complete protein (ie all essential amino acids) and all Essential Fatty Acids.

    You can also lookup many testimonials on you tube from people who have survived cancer by using Cannabis Oil.

    https://www.youtube.com/watch?v=E96vow07OJc

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  • J

    21 mai 2019

    Pour ceux qui citent la Chine en modèle d’exemplarité et qui s’imaginent que la peine de mort a le moindre effet:

    https://www.nouvelobs.com/monde/20150624.REU9979/quatorze-millions-de-toxicomanes-en-chine.html

    La prohibition est et a toujours été un échec. Il est essentiel de saisir les mécanismes socio-économiques qui favorisent la consommation de drogue. Si nous prenons pour exemple la prise d’amphétamines aux Philippines pour pouvoir travailler plus longtemps, nous constatons que la pauvreté est un facteur clé. trois effets sont recherchés à travers l’emploi de drogues (effet apaisant (anxiolytique),euphorique (désinhibiteur) et stimulant). La question est sociologique, quels sont les raisons principales de consommation d’un groupe (d’une population) donné?

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    • Jean-Baptiste Noé

      22 mai 2019

      Il y a l’effet mimétique également et la pression sociale : beaucoup en consomme parce que c’est à la mode dans les milieux qu’ils fréquentent.

    • marc

      23 mai 2019

      14 millions sur 1,4 milliard, sa représente rien, comparer a au moins 50% de la population française qui ont teste le shit.
      Moi mes yeux voient 0 dealer a la sortie des écoles, 0 dealers dans les hall d’immeuble.
      Dans les boites de nuits, peut être, je sais pas ce qui s’y passe, mais les enfants ne peuvent pas entrer en boite de nuit !
      Je persiste, je suis parfaitement d’accord avec les Chinois, peine de mort pour les dealers.

      Faut dire que le libéralisme libertaire anarchiste a fait que toutes les industries se trouve en Chine, et que les chinois travaillent, pendant que les occidentaux, n’ont rien a faire, a part fumer, et a en faire le trafic.

  • Libre

    21 mai 2019

    Franchement je ne sais plus quoi panser du cannabis.Toute drogue (y compris alcool et le tabac) sont néfastes pour la santé.Maintenant je constate que la « guerre à la drogue » est un échec même dans les pays les plus radicaux (comme les Philippines ce qu’a reconnu publiquement par le président Duterte).Donc que faire?Etat policier complet (donc fin de la démocratie) ou légalisation comme dans certains états US?

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    • J

      23 mai 2019

      14 millions sur 1,4 milliard ça représente rien: Tout dépend. La question se pose non seulement d’un point de vue légal (est-ce que la substance addictive est autorisée comme l’alcool en Europe ou pas) ensuite vient la problématique du recensement. Les chiffres sont toujours approximatifs car il est impossible de cerner le nombre de consommateurs exact, donc comment recense-t-on? Et à partir de quels critères considère-t-on qu’une consommation devient addictive et que l ‘on peut parler de toxicodépendance (les ptits vieux dans les EMS qui veulent leur verre de rouge à midi sont-ils accros?)? Nombre de gens ont effectivement fumé des joints dans leur jeunesse, ç’est pas pour autant qu’on a viré toxico! Donc, là encore les chiffres indiqués doivent être interprétés avec prudence. Je souhaitais simplement indiqué qu’il est illusoire de croire que l’on peut fermer ou contrôler totalement les frontières et que les lois les plus répressives ne garantissent en rien l’abstinence. La Loi est un arrangement entre humains afin qu’une société puisse vivre dans un contexte donné (temps, valeurs, lieu), la Loi ne fait pas le réel.

  • marc

    21 mai 2019

    Etant en Chine mon opinion est toute faite:

    Aucuns dealers a la sortie des écoles ou dans les hall d’immeuble, pas de bobo babacool de mai 68.

    Peine de mort immediate, est la meilleur solution.

    Répondre
  • Francis

    20 mai 2019

    Devant tous ces problèmes, quartiers « sensibles », immigration illégale massive, islamisation de la France, violence résultante, la réaction politique des Français est encore très timide.
    Est-ce du à l’éducation ou plus précisément à l’enseignement, largement dominé par des idées de gauche « vertueuse » depuis 40 ans ?

    Je parie qu’aux prochaines élections municipales, Hidalgo arrivera encore en tête dans le 10em et le 18em arrondissement malgré Stalingrad et Prote de La Chapelle.

    Les esprits sont formatés. Et le profil politique des enseignants n’est pas prêt de changer.

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  • Robert

    18 mai 2019

    Un petit exemple personnel qui illustre bien vos propos. J’ai travaillé dans les quartiers nord de Marseille, et pratiquant la natation j’avais deux piscines à 5 minutes en voiture de mon bureau.
    J’ai ensuite travaillé dans le centre-ville de Marseille, à deux pas du Vieux-Port. La piscine la plus proche était à 15 minutes de métro plus 10 minutes de marche.
    Les plus défavorisés en équipements publics ne sont pas ceux que l’on croit…

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    • Francis

      20 mai 2019

      Pour les mêmes quartiers défavorisés à Marseille, il faut ajouter les hopitaux: l’Hopital Nord et l’Hopital « Européen » sont parmi les hopitaux les mieux équipés de la région.

  • Kiwixar

    18 mai 2019

    « Ils ont l’argent, ils ont le pouvoir et le territoire »

    Et les armes.

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  • Julianio

    17 mai 2019

    Merci pour cet article.

    J’ai 45 ans et j’ai longtemps été contre la légalisation du cannabis. J’ai récemment changé d’avis.

    Les raisons économiques et sociales que vous invoquez justifient à elles seules que ce marché soit réglementé et contrôlé, au même titre que les débits de boissons et d’alcool : ce serait une manne en termes de TVA et de taxes diverses (je fais confiance à l’Etat pour en trouver quelques unes), d’économies en terme de coût social et de la délinquance, étant observé que celui qui veut consommer peut tout à fait consommer sans risque en France.

    Le système actuel favorise les réseaux délinquants et ne permettent aucun suivi des consommations et des produits.

    Enfin, et peu de gens en ont conscience, le cannabis disposerait de propriétés médicales et thérapeutiques extraordinaires : notamment en ce qui concerne les troubles de l’appétit (anorexie) et certains états dépressifs. On pourrait une prescription sur ordonnance à l’expérimentation dans un premier temps.

    Voilà une source de financement importante qui ne ferait du mal qu’aux délinquants.

    On pourrait parler aussi des fraudes à la carte de sécurité sociale…

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  • Arthur

    17 mai 2019

    Nous devrions légaliser comment se fut le cas aux Pays-bas. les trafiquants se verraient ruinés en quelques semaines.

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  • calal

    17 mai 2019

    si une situation perdure et se developpe,c’est qu’il y a une volonte derriere. Si nous ne comprenons pas cette les motifs derriere cette volonte ,c’est que cette volonte n’est pas la notre et ne nous est pas profitable.

    « in a trade,if you dont know who the sucker is,then it’s you… »

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    • gerald B

      17 mai 2019

      « c’est qu’il y a une volonté derrière » :
      Pas très compliqué à comprendre Calal. Ça perdure car il s’agit d’un commerce, avec des vendeurs et des acheteurs, qui est criminalisé.
      Le problème sanitaire concerne les jeunes dont le cerveau est en pleine formation et donc très sensible.
      Il faut règlementer ce commerce comme pour celui de l’alcool et le tabac. Maintenant que les caisses de l’état sont vides, comme chez nos voisins, la loi va sans doute évoluer…

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