13 juin, 2019

La peur et la camionnette blanche

Cela pourrait être un conte pour enfants, une histoire d’ogre qu’on leur raconte pour leur faire peur et ainsi les éduquer aux dangers de la vie réelle. Mais c’est ici une histoire vraie. Il se trouve que je suis élu au conseil municipal de Montesson (Yvelines) depuis 2008 et que je m’occupe de la communication de la ville. En novembre 2018, nous recevons un message d’un habitant nous informant qu’une camionnette blanche a été aperçue à proximité du collège. Le conducteur attire les jeunes filles en leur proposant de voir des chiens qui sont installés à l’arrière de la camionnette. Elles les caressent, elles jouent un peu avec eux, puis l’homme les kidnappe. Un tel signalement est effrayant et l’on se doit bien sûr d’en avertir au plus tôt les établissements scolaires et les parents d’élèves pour que les enfants soient prudents. On est donc tenté, de prime abord, de diffuser largement cette information. Information qui a d’ailleurs déjà circulé sur les réseaux sociaux et qui a été annoncée par les groupes officiels des associations de parents d’élèves.

Mais, même si tout est probable, plusieurs choses clochent dans cette histoire. La police municipale contactée nous dit qu’aucune plainte n’a été déposée. Une rapide recherche sur le net nous informe qu’il y a déjà des histoires de camionnette blanche, et qu’elles se sont toutes révélées fausses. Du reste, après deux jours d’enquête, il apparaît que cette histoire est une pure invention. La consultation des bandes de la vidéosurveillance montre qu’il n’y a eu aucune camionnette de ce type à proximité du collège et des écoles. Des enfants reconnaissent avoir menti. Nous sommes donc là en présence d’une rumeur, d’une fausse information. Mais celle-ci est très instructive.

La géopolitique de la peur

Dominique Moïsi a publié un livre très intéressant intitulé La géopolitique de l’émotion. Comment les cultures de peur, d’humiliation et d’espoir façonnent le monde. (Flammarion, 2008). La peur est apparemment irrationnelle. Elle s’empare des personnes et des foules et les amène à commettre des actes qu’elles ne feraient pas si elles pouvaient réfléchir froidement à la situation. En apparence irrationnelle seulement. Car en réalité les décisions prises sont tout à fait logiques au regard des informations captées et des dangers en présence.

Dans l’exemple de la camionnette blanche, il est logique que les parents d’élèves diffusent rapidement l’information : il faut protéger leurs enfants. Personne ne leur a reproché d’avoir diffusé une fausse information et de ne pas avoir pris le temps de la vérifier. Ici, on parle du principe de précaution. Mieux vaut mettre en branle toute une ville pour rien que de courir le risque d’avoir un enfant enlevé. Dans la panique, les personnes ont agi de façon très rationnelle : il y a moins de risque à propager une rumeur qu’à la vérifier. Imaginons que l’affaire soit vraie, mais que l’on prenne le temps de la vérifier. Comme cela prend un peu de temps si, dans l’intervalle, une jeune fille est enlevée, on reprochera à la mairie de ne pas avoir diffusé l’information. On jugera la mairie, et la personne qui s’occupe de la communication, responsable de l’enlèvement. Personne ne viendra temporiser la chose en disant qu’il fallait vérifier l’information et que propager de fausses rumeurs est quelque chose de grave. Derrière l’émotion et la panique, il y a la rationalité : nous avons intérêt à propager les rumeurs, nous courons un risque important à vérifier les rumeurs.

Dans un tel cas agit aussi le principe de foule. Celui qui va contre la foule est immédiatement jugé coupable. Que valent en effet le doute et le questionnement face à plusieurs témoignages qui affirment avoir vu une camionnette blanche et qui donnent des descriptions très précises de son conducteur ? Ces gens-là se sont auto-intoxiqués : ils sont persuadés d’avoir vu des choses qui n’ont jamais existé. Pour des enquêteurs, c’est ensuite très difficile de démêler l’écheveau, d’autant que personne ne voudra reconnaître qu’il s’est trompé et qu’il a menti, même si c’est involontaire.

C’est ainsi que les rumeurs se propagent, à vitesse accélérée avec les réseaux sociaux. Quiconque combat la rumeur ou bien prend le temps de l’interroger court non seulement le risque de l’accusation d’inertie, mais aussi se met à l’écart de la foule, ce qui n’est jamais bon dans un processus de bouc-émissaire. L’individu a intérêt à se fondre dans la foule et à rugir avec elle : là il sera au calme dans la tempête. Heureusement que, dans notre cas, la langue française dispose du conditionnel. Cela permet de diffuser une information tout en appelant à la vigilance quant à la réalité de celle-ci.

La chasse aux Roms

En mars 2019, la rumeur a pris un tour tragique débordant dans l’affrontement entre bandes roms et magrébines. Le 17 mars, deux hommes de la communauté rom sont accusés d’avoir enlevé un enfant maghrébin à bord d’une camionnette blanche. Le véhicule est stoppé par des membres de la communauté maghrébine et les deux occupants sont roués de coups. Ils parviennent à s’enfuir et à se réfugier dans un pavillon à Colombes (92). L’enlèvement est faux, mais la rumeur se propage. Le 25 mars, des « jeunes » conduisent des expéditions punitives contre les Roms dans plusieurs villes du 93. À Clichy-sous-Bois, une vingtaine de personnes armées de bâtons s’introduisent dans un pavillon squatté par 23 Roms. Ils les accusent d’avoir enlevé des enfants, probablement pour faire du trafic d’organes. À Bobigny, cinquante personnes armées de couteaux et de barres de fer incendient des camionnettes blanches de Roms. Des attaques sont signalées dans d’autres villes du 93. La police est intervenue toute la nuit pour séparer les belligérants. Vingt personnes ont été interpellées.

À l’historien, cela rappelle des textes du Moyen-Âge où déjà l’on trouve des rumeurs d’enlèvements d’enfants et des expéditions punitives. Cela touche au statut de l’enfant, qui est vulnérable et qui doit être défendu par la communauté. Mais il y a aussi un fond de vérité dans cette histoire. Des enfants enlevés, cela existe. Beaucoup sont ensuite utilisés dans le trafic d’organes et dans des réseaux de pédo-criminalité. C’est hélas une triste réalité, qui est menée par les mafias des Balkans et d’Europe centrale. Là aussi, dans ces pogroms, il y a une irrationalité apparente qui cache un fond de rationalité. Cela témoigne aussi d’une faillite de l’État central, qui ne parvient pas à assurer la sécurité de sa population ni à démanteler les mafias. Cela montre aussi que les populations ont besoin de sécurité, et que celle-ci se trouve souvent dans le groupe et dans la foule.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

17 Commentaires

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  • Steve

    19 juin 2019

    Bonjour M. Noé
    Vous relatez dans votre billet les décisions de groupes d’individus visant à se rendre justice par la force.
    Vous qui êtes un lecteur de René Girard, vous savez que c’est un des facteurs de disparition des civilisations ou des tribus: décider d se faire justice soi même et non d’avoir recours à un tiers qui arbitrera.
    le deuxième point d’une extrême gravité que cela met en évidence, c’est que la synchronisation de ces groupes sur de vastes portions du territoire de la république montre une totale perte de confiance dans l’Etat.
    Tout ceci est de fort mauvais augure pour l’avenir, non seulement de notre pays, mais de l’europe tout entière tant ce genre de phénomène est apparu dans plusieurs pays.
    On peut se demander quelle part a eu l’imposition de la culture populaire étatsunienne dans ce processus: la thématique profonde du western est bien celle-là: le shériff, le maire sont pourris ou ne servent que les riches, alors on confie au plus bas de l’échelle sociale, le garçon-vacher,cow boy, généralement illettré ( pas inculte, illettré)et assez frustre, le soin de ramener l’ordre à coups de flingue! On retrouve cette manière de voir dans les massacres d’écoles ou autres commis par des individus aux US ou dans la manière d’agir du gouvernement même voir Irak, Syrie, Viet Nam etc…

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    • Jean-Baptiste Noé

      23 juin 2019

      Je ne pense pas que la culture américaine ait eu une influence dans ces attaques de groupe. L’esprit grégaire et la mentalité tribale jouent partout; nul besoin pour cela d’avoir vu de western.

  • Oblabla

    17 juin 2019

    “vous enlevez une certaine population et immédiatement cela va mieux.”
    « Quelle discrimination infondée ! Une source? Une enquête épistémologique à l’appui? »
    Ah bon, parce que vous, vous avez la connaissance et l’expertise pour affirmer que cette assertion est infondée. Décidément « les donneurs de leçons » de Nicolas Lecaussin ne sont pas prêts d’être un bouquin hors actualité…

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  • jemapelalbert

    16 juin 2019

    Pasdamalgame…. certes mais la vérité est toute simple :

    1) la justice et la sécurité ont été sacrifiées sur l’autel de la liberté individuelle.
    2) nos prisons sont pleines de criminels en provenance à majorité de l’immigration 1,2,3,4ème génération
    3)le fait de fustiger l’un car ses propos sont dirigés vers une communauté (d’ailleurs le simple fait d’évoquer qu’il existe des communautés dominantes prouvent l’échec de l’intégration) ou de désigner la communauté en question, ne résoudra rien.

    Donc : laissons la police et la justice faire son travail et arrêtons de politiser tout et n’importe quoi .

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    • MadeInCH

      17 juin 2019

      Les libertés individuelles?
      En vrac:
      .
      -La liberté de s’exprimer est de plus en plus limités.
      – La liberté de se défendre est inexistante si l’on n’est pas de la bonne couleur.
      – La liberté de planter dans son jardon, ou d’enlever un arbre, ou de mettre une cabane de jardon se réduit rapidement.
      – La liberté de circuler dans son véhicule est de plus en plus limitée.
      – La liberté de partir en vacance loin, en avion ou en croisière, est combattue.
      – La liberté d’entreprendre est bien faible en France.
      – La liberté de posséder sa maison devient coûteuse.
      – La liberté d’économiser est combattue.
      – La liberté de converser entre amis est soumis à une surveillance « politiquement correcte » (droit de mise à l’écoute sans mandat d’un juge).
      – La liberté de dépenser son argent sans devoir systématiquement devoir rendre compte à l’Etat va devenir inexistante.
      – La liberté religieuse, ou la liberté d’afficher sa religion, est valable seulement pour une religion.
      – La liberté de choisir son véhicule est réduite.
      – La liberté d’aller aux putes est vachement limitée. Pas que j’en sois fan, je suis conservateur, mais vouloir interdire le plus vieux métier du monde… Quelle liberté!
      .
      Okay, des minorités jacassantes ont obtenu le droit d’exhiber leur cul en public, et exige que leur mode de vie sexuelle soit promue à l’école… Mouais.

  • Cincinnatus

    14 juin 2019

    A mon sens, et sans enlever l’impact fort de notre cerveau « reptilien » quand il s’agit de protéger nos enfants, ce type de rumeur est ressenti d’autant plus durement par les parents que l’institution judiciaire est extraordinairement laxiste en ce qui concerne les abus faits aux enfants, notamment dans le cadre de la pédo-criminalité. Hormis les rares cas trop médiatisés pour être ignorés, la sentence est soit ridiculement faible soit carrément inexistante. S’intéresser un tant soit peu à ce sujet est à la fois glaçant, révoltant et incompréhensible devant le peu d’empressement de la justice et de la police à tout mettre en œuvre pour faire la lumière sur ce problème. Il est donc assez normal que la rumeur se répande comme une traînée de poudre dès qu’un enfant est en jeu.

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  • Ockham

    14 juin 2019

    Depuis Saint Nicolas de Turquie et le joueur de flûte de Hameln, l’enfant -autrement dit l’avenir – a failli finir dans le saloir ou emporté en Transylvanie sombre et effrayante. Ces craintes reviennent vivantes. Qui savait, il y a 30 ans, que certains quartiers de Berlin, Birmingham, Paris ou d’Italie du sud, etc. … étaient pratiquement interdits à tout européanisé standard ? Très peu. Est-ce le fait maintenant connu de tous que la police a sur ordre des politiques, de ne plus mettre les pieds dans ces quartiers qui fait peur? No wave please, no wave, disait un petit ministre de l’intérieur français ! Un crachin d’argent de temps en temps suffit. En de nombreux endroits de la planète, c’est gestion courante. Il est donc possible que ces malfaisants fassent peur parce que c’est simplement su et les réseaux sociaux diffusent l’angoisse ressentie aussi rapidement qu’une foule en place de Grève au Moyen-Âge. Étrange époque ultramoderne et nouvellement moyenâgeuse.

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  • MLB

    14 juin 2019

    Vous n’auriez pas entendu parler d’une rumeur de réchauffement climatique?

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    • Garofula

      17 juin 2019

      L’invention du RCA à base de gaz carbonique est l’équivalent de la camionnette blanche pour les climato-terroristes.

  • Gaulois

    14 juin 2019

    Thème extrêmement fécond que celui de l’autosuggestion et de la manipulation des foules.
    Dans notre société, les légendes urbaines trouvent un terreau fertile à leur épanouissement.
    Autrefois, on évoquait à mots couverts les clientes qui disparaissaient par des trappes aménagées sous les cabines d’essayage de commerçants corrompus.
    Pour les rumeurs d’enlèvements d’enfants avec un fond de vérité, la plus célèbre se réfère au compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, Gilles de Rais,
    Pour les rumeurs récentes, il y eut celle provoquée par Orson Welles en 1938 et qui créa un certain émoi parmi les auditeurs de « la guerre des mondes ».
    Dans ce récit, la couleur attribuée au véhicule n’est pas anodine. De même, par suggestion subliminale, la mode a été celle de la coupe de cheveux militaire, qui effaçait certaines différences ethniques dans le creuset du « vivre ensemble » ; puis vint la mode du port de la barbe, attribut viril culturellement marqué. Quant aux blondes, elles ont été tellement traitées de sottes qu’elles ont disparu du paysage. Autant de stéréotypes qui se sont imposés avec succès.
    Le panurgisme est même dévoyé à l’envi par une poignée de décideurs d’instituts de sondage, et rien ne peut dessiller la vision des gens, puisque c’est la foi idéologique qui s’exprime à travers leur jugement, et non pas leur raisonnement.
    Et en effet, il est plus confortable et reposant de se fondre dans la pensée unique que de réfléchir.
    Mais une société qui ne rêve plus que d’être subventionnée par autrui, qui pense par procuration, quel avenir a-t-elle ?

    Répondre
  • marc

    14 juin 2019

    L’état central ne parvient pas a assurer la sécurité !

    Mais c’est l’état central qui développe cette insécurité, je le vois de mes yeux en Chine ou au Japon, vous enlevez une certaines population et immédiatement cela va mieux.

    Jamais de poubelle brullee en chine, ni de voiture, ni dealer de drogue, ni no go zone, et il n’y a pas de CAF, APL, RSA, CMU …

    Faut pas chercher midi a quatorze heure.

    Répondre
    • Arnaud

      14 juin 2019

      « L’état central ne parvient pas a assurer la sécurité ! »
      On parle bien du même Etat qui est régulièrement secoué par des scandales divers et variés sur ses dirigeants? Sans exemplarité, ce n’est pas étonnant qu’il ne parvienne pas à maintenir la sécurité.

      « vous enlevez une certaine population et immédiatement cela va mieux. »
      Quelle discrimination infondée ! Une source? Une enquête épistémiologique à l’appui?

      « Jamais de poubelle brullee en chine, ni de voiture, ni dealer de drogue, ni no go zone, et il n’y a pas de CAF, APL, RSA, CMU … »
      C’est touchant de penser cela, mais c’est oublier la dictature (d’un point de vue occidental) qui est en place. Certes elle assure la sécurité, mais qu’en est-il du bien-être?

      En bref, si Internet est une place de libre discussion, il serait de bon ton de ne pas en faire une place où tout est dit à tout va.
      A bon entendeur !

    • marc

      15 juin 2019

      @arnaud
      Le bien etre ? il y a 30 ans la chine n’existais, aujourd hui, elle est la 2eme puissance mondiale.
      venez voir Shanghai, Pekin, Canton, Shenzhen…Paris est une poubelle a cote.
      Chez nous on met le terroriste du Bataclan, en prison avec salle de sport privé, au cout de 6000 euros par mois au frais du contribuable. En Chine, on execute les terroristes !
      Le libéralisme libertaire gauchiste égalitarisme est une maladie mentale !

  • calal

    14 juin 2019

    libanisation du pays en cours + crise economique et financiere probable = probabilite d’ennuis futurs en forte hausse.

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  • Philippe

    14 juin 2019

    La  » rumeur d’ Orléans  » en 1969 ne vous dit rien ? Rumeur qui fut reprise a Amiens …des enlévements de jeunes filles dans des magasins de mode tenus par des commerçants juifs , qui les droguaient et les expédiaient par cargos vers les bordels d’orient . Un classique de l’ antisémitisme et du délire collectif .

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    • Jean-Baptiste Noé

      15 juin 2019

      Edgar Morin a d’ailleurs réalisé et publié un livre sur cette rumeur d’Orléans.

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