28 juin, 2018

La nouvelle route de la soie

 

La route de la soie fait rêver, parce qu’elle se rapporte aux échanges entre l’Orient et l’Europe, parce qu’elle touche une matière, la soie, qui se réfère au luxe et à la rareté, parce qu’elle véhicule une idée d’ailleurs, d’échanges, de découvertes, avec ses paysages majestueux et ses caravansérails. C’est donc assez naturellement que la Chine a repris cette dénomination pour évoquer les nouvelles routes de la soie dont elle veut faire un instrument de sa puissance.

 

Un projet d’expansion et d’influence

 

Le projet de nouvelle route de la soie a été officiellement lancé en octobre 2013 comme une liaison ferroviaire entre la Chine et l’Europe, à travers les pays d’Asie centrale. Il s’est d’abord appelé OBOR (One Belt, One Road) puis Belt and Road initiative. Il est le pendant terrestre du collier de perles, initiative chinoise pour contrôler l’océan Indien. C’est depuis Astana, au Kazakhstan, que Xi Jinping a officiellement dévoilé ce projet à fort potentiel économique, mais aussi politique. La Chine cherche ainsi une ouverture vers l’ouest. À l’est, elle est bloquée en mer de Chine par l’opposition du Vietnam, de Taïwan et du Japon. Au sud, c’est le sous-continent indien qui rivalise avec elle pour le leadership sur l’Asie ; l’Inde et le Pakistan étant de sérieux rival. Au nord, la Chine est bloquée par le désert de Gobi d’une part, et par l’immensité peu peuplée de la Mongolie et de la Sibérie. Se développer vers l’ouest est donc à la fois un moyen de contourner les oppositions de la mer de Chine et de l’Inde et d’étendre son influence vers une Europe dont elle peut faire un débouché.

 

L’autre enjeu est énergétique. Pour sa croissance, la Chine a besoin de pétrole, peu présent sur son territoire. La nouvelle route de la soie lui ouvre les portes de la mer Caspienne, du pétrole iranien et de celui de la péninsule arabique. Sans en donner l’air, elle peut devenir un acteur majeur d’un Moyen-Orient qui est déjà compliqué. Sa présence à Djibouti se renforce de plus en plus, le port étant par ailleurs inclus dans le projet de Belt and road initiative (BRI). Aujourd’hui, le pétrole qui arrive en Chine transite essentiellement par le détroit de Malacca. Or ce détroit peut être bloqué ou restreint par l’Inde et par les États-Unis. Pour la Chine, il est donc essentiel de s’ouvrir d’autres portes afin de ne pas dépendre d’un passage unique.

 

Il y a également un enjeu juridique. Les Chinois ont compris que les normes juridiques constituent un champ majeur de la guerre économique et de l’influence des États. Celui qui impose ses normes juridiques est quasiment certain de gagner la partie. Face à l’Europe, la Chine doit donc imposer ses propres normes, notamment sur les dossiers environnementaux, sociaux et politiques. D’où la question économique : en prenant en main l’économie d’un pays via le projet BRI, la Chine s’assure le leadership et est donc en position de force pour imposer ses lois.

 

Le dernier enjeu est enfin économique. La croissance chinoise stagne autour de 6.5% par an (dans la mesure où l’on peut faire confiance à ces chiffres). Le projet BRI doit permettre à la Chine de gagner de nouveaux marchés et ainsi de donner plus de mouvement à son économie.

 

BRI est donc un projet global qui repose sur une vision mondiale de la Chine.

Les points de réalisation

 

Au niveau ferré et routier, la Chine a investi dans plusieurs projets : le Transsibérien et ses dérivations (9 288 km), la voie express Pékin-Moscou (7 000 km), la voie ferrée Yuxinou-Lyon (11 300 km). Yuxinou était l’une des villes principales de la production de la soie à l’époque antique et moderne et Lyon le pôle de vente des soieries et la ville des canuts. Les Chinois savent inscrire leurs projets modernistes dans la longue tradition de l’histoire.

 

La Chine possède des participations économiques dans plusieurs ports : Rotterdam, Venise, Athènes, Monbasa (Kenya), Gwadar (Pakistan), Calcutta, Kuala Lumpur, Djakarta, etc. Ce collier de perles tisse une route maritime longue de 24 000 km qui est le pendant océanique de la route terrestre. Cela oblige la Chine à investir dans une marine marchande et donc à former des cadres pour conduire cette marine.

 

 

Un projet trop couteux et trop ambitieux ?

 

Comme toujours, sur le papier tout est beau. Comme souvent, la réalité est autre. Le projet BRI est extrêmement couteux et difficile à mettre en place. Son coût est estimé à 1200 milliards de dollars, mais on peut bien sûr penser que le coût réel est beaucoup plus important. Pour le financer, la Chine compte s’appuyer sur ses banques publiques. C’est donc un argent qui vient de l’État (donc des impôts) réinvesti dans des opérations menées par l’État, via des banques et des entreprises publiques ; en somme une opération de keynésianisme à la chinoise. Ce qui ne fonctionne pas ailleurs a donc toutes les chances de ne pas fonctionner ici. Derrière les belles présentations et les maquettes à vendre du rêve pointent la corruption et les détournements de fonds si coutumier dans ce pays. La Chine reste aussi très floue sur les réalisations effectives de la BRI. On sait seulement que le chantier doit être terminé à échéance 2049, pour le centième anniversaire de la révolution populaire menée par Mao. D’ici trente ans, il peut encore se passer beaucoup de choses.

 

Pour ce faire, la Chine multiplie les accords commerciaux avec les États traversés, ainsi que les projets de circulation : voies ferrées, routes, pipelines, voies maritimes. Rien n’est négligé pour édifier la route de la soie du XXIe siècle.

 

En visite en Chine cette semaine, le Premier ministre Édouard Philippe a demandé que les marchés publics soient transparents afin que les entreprises françaises puissent y concourir. Il a visité le port de Shanghai et initié un partenariat entre ce port et celui de Marseille. La nouvelle route de la soie déborde largement le cadre de l’Asie centrale pour déborder sur la corne de l’Afrique et la péninsule arabique. À ce titre, Suez devient l’un des enjeux majeurs de cette route, comme au temps de la présence anglaise en Inde. Ce projet devient une intégration eurasiatique qui relie le Pacifique à l’Atlantique. Projet très ambitieux, on peut se demander s’il est réellement utile.

 

Il sert incontestablement les ambitions de Xi Jinping et il démontre que la Chine ne se limite plus à son territoire et à sa sphère d’influence proche, mais qu’elle développe désormais une vision globale et mondiale des enjeux géopolitiques. Cela renverse aussi les perspectives : ce n’est plus l’Europe qui investit en Chine, mais la Chine qui investit en Europe. C’est dans ce cadre que s’inscrit le rachat du port d’Athènes, Le Pirée, qui est un point de contact essentiel de la route de la soie. Il en va de même pour les investissements dans les aéroports : les Chinois veulent contrôler les hubs et les terminaux des communications. Leur sphère d’influence, d’aucuns diront leur colonisation, se construit par une toile et non pas par la domination d’espaces continus. Il s’agit de contrôler les points névralgiques et de relier ensuite ces points par des lignes. De véritables fils de soie qui donnent encore plus de crédibilité à cette nouvelle route.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

17 Commentaires

Répondre à marc

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  • Pierson

    9 novembre 2022

    Merci pour cet article passionnant.
    Quels pays sont en faveur de ce projet BRI ? Et quels autres y sont en défaveur ? Cela n’est pas clair pour moi.

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  • igewenti

    1 juillet 2018

    Vous evoquez un concept interessant: l’imperialisme juridique.

    Si ce concept me parait tout a fait pertinent, d’aucuns savent que le loi chinoise est moins solide qu’un pudding anglais. Au royaume de Confucius, ce n’est pas la loi qui regne, mais le guanxi: The Rule of Guanxi.

    Concept bien entendu completement impossible a exporter. Impossible de faire de l’imperialisme juridique sur cette base.
    D’ou l’interet formidable de HK pour la Chine. Car le droit de HK est exportable, seduisant, securisant.
    – En politique interieure: The Chinese Rule of Guanxi
    – En politique exterieure: The British Rule of Law

    Il me parait evident que la capitale juridique de l’empire commerciale chinois est et restera HK.

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  • Ockham

    29 juin 2018

    Beau sujet. Les chinois ont faim. Ils achètent de la terre. Pour l’énergie fossile le gaz et le pétrole de l’Asie centrale font l’affaire en attendant la révolution hydrogène car certains de leurs trams roulent à l’hydrogène… Mais et vous le soulignez le plus important c’est probablement les codes et les normes.

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  • marc

    29 juin 2018

    Pourquoi la Chine sait ce qu’elle fait:

    elle va exporter des produits a haute valeur: téléphone, ordinateur, voiture, et importer des produits a faible valeur, tee-short, chaussure, truc en plastique…
    Est ce que 70 milliards de produits agricole équivaux a 70 milliards de voiture ? oui 70 milliards = 70 milliards, sauf pour l’État, car les paysans qui produisent les produits agricole sont peu payes, et donc ne paye pas d’impôts, alors que les travailleurs qui produisent les voitures gagnent plus que les paysans et donc payent des impôts a l’État.

    En bloquant les import de hautes valeurs, comme les voitures américaines taxées a 25 %, alors que les voitures chinoises sont taxées a 3%, les chinois empêchent les ventes de voitures américaines, et donc empêche l’État US de gagner de l’argent, donc Trump a eu raison de ne pas accepter le deal de la Chine d’acheter pour 70 milliards de produits agricole us pour combler le déficit avec les US.
    Les états occidentaux ne comprennent rien a l’Économie, et se tirent une balle dans les pieds(sauf Trump)

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  • NEVAO

    28 juin 2018

    Bonjour,
    les chinois ont souvent des projets à LT voire très LT.
    ils deviennent expansionniste et se constituent une flotte de guerre.
    cordialement
    NEVAO

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  • Guillaume_rc

    28 juin 2018

    Je ne suis absolument pas compétent pour savoir si ces projets sont réalistes mais Je note avec intérêt que la Chine a une réelle vision géopolitique et qu’en plus elle tient compte de son Histoire.
    Vision que j’ai vraiment du mal à appréhender de la part des dirigeants européens.

    Une question : la Chine est présente à Djibouti. Elle n’est pas la seule. La France, notamment, y entretient des forces depuis longtemps.
    N’y a-t-il pas là une source de conflit ?

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    • jemapelalbert

      30 juin 2018

      en 2013 la France a muté la 13DBLE pour Abu Dahbi avec 65 Légionnaires au lieu de 300 (je crois), viré d’Abu Dahbi avec son drapeau elle se retrouve au plateau du Larzac avec 1200 hommes bientôt…. allez savoir pourquoi ?
      Reste à Djibouti : une embryon de troupes de marine et l’armée de l’air
      Pas de quoi concurrencer les US qui sont 5 fois plus nombreux et chez eux ! Car chaque caserne est un territoire US donc avec loi US , pas comme les Français qui « respectent » les lois djiboutiennes , autrement dit, qui se font raquetter (le US paient mieux) .
      Sans compter la base japonaise qui était entrain de se construire mais je n’ai pas vu les chinois… très discrets certainement !
      Alors à mon avis non il n’y a pas risque de conflit vu qu’il n’y a déjà plus d’européens mais les US+japon versus chinois, pourquoi pas…
      La France s’est désengagée à mon avis à la demande des US pour aller faire mumuse pas très longtemps aux EAU…

  • Steve

    28 juin 2018

    Bonjour
    Il y a près de 10 ans que la Chine a fait le choix d’un droit de type européen, proche du droit allemand, (que les chinois connaissaient assez bien car il est très proche du droit japonais) contre le droit de type anglo-saxon, suite à un équivalent de la Controverse de Valladolid, duel juridique entre une équipe de juristes européens et une équipe de juristes américains.
    Ce choix nous est plus favorable car il conserve le principe de normes juridiques: par exemple, quand vous passez contrat avec un artisan du bâtiment, vous trouvez des contrats type s’appuyant sur le respect des DTU. Aux USA, vous êtes quasiment obligés de recourir à chaque fois à un avocat pour passer des travaux simples, avec les coûts et les délais associés.
    Par ailleurs, les chinois aussi ont lu le Grand Jeu et savent que celui qui contrôle le max de population OCS = +3,5 milliards de terriens – avec l’adhésion récente de l’Inde et du Pakistan- et celle probable à moyen terme de la Turquie ( nouvelle majorité= AKP + nationalistes d’extrême droite anti européens) contrôle le monde.
    Pendant ce temps là, nous ne savons pas régler le problème du trafic de drogue dans le quartier de la Goutte d’Or et nous allons nous traîner à 80 kmh, (le taux de racket s’exprime désormais en km/h). Il paraît que cela fera moins mal quand nous serons dans le mur!
    Cordialement.

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  • PHILIPPE LE BEL

    28 juin 2018

    La route de la soie est en réalité une toile d’araignée.

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  • Sarcastik

    28 juin 2018

    Résumé en deux mots : la nouvelle route de la soie, projet économique incertain, projet politique certain. 😀

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  • Franz

    28 juin 2018

    Bonjour à vous tous et merci pour vos textes très intéressants. Une petite erreur s’est glissée dans cette analyse : l’Inde est le Pakistan = des rivaux.
    Au plaisir de vous lire encore souvent.

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    • Franz

      28 juin 2018

      Désolé pour le « est » qui aurait dû être « et » mais j’ai encore un peu de mal à taper sur une tablette… et j’ai validé trop vite ;))

    • Kiwixar

      28 juin 2018

      Inde et Pakistan : rivaux mais qui font désormais tout deux partie de l’OCS.

    • Jean-Baptiste Noé

      29 juin 2018

      Inde et Pakistan sont effectivement rivaux, et très rivaux, notamment au Cachemire.

      La Chine essaye de tirer profit de cette rivalité pour se rapprocher du Pakistan et contrer l’Inde.

      Mais le risque chinois pourrait aussi permettre de rapprocher les deux ennemis face à un danger plus grand pour eux.

  • marc

    28 juin 2018

    Je ne suis pas d’accord avec vous, la Chine sait ce qu’elle fait, elle voit a long termes.

    En tant qu’ancien exportateur de Chine, j’ai été touche de plein fouet quand le pétrole est monte a 150$, cela a renchéris le prix des articles, et donc mes clients achetais moins.

    Il vaut mieux investir dans des infrastructures que d’investir 500 000 euros dans de la vaisselle !!! Pour foutre l’argent en l’air, on est bon aussi.

    Répondre

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