30 janvier, 2018

La mafia Daech

 

Après une enquête de plusieurs années sur Daech, Clément Fayol et Benoît Faucon livrent un reportage sur les réseaux mafieux de cette organisation. C’est un vrai travail de journalisme d’investigation qui est réalisé dans cet ouvrage, Un cartel nommé Daech (2017). C’est-à-dire une enquête fondée sur des échanges et des rencontres avec des membres de l’organisation, sur des sources recoupées et vérifiées et sur des propos qui ne sont écrits que lorsqu’ils ont été vérifiés. Ce que montre l’ouvrage, c’est que Daech n’est pas uniquement un réseau terroriste, mais aussi un réseau mafieux, avec de nombreuses connexions dans le monde arabe et musulman. L’organisation fait beaucoup d’argent, ce qui lui permet de tenir et ce qui justifie aussi son maintien.

 

Toute proportion gardée, cela rappelle l’évolution des Farc en Colombie. C’était à l’origine une organisation terroriste de lutte marxiste, qui vendait de la drogue afin de se financer et de disposer des moyens financiers adéquats pour se fournir en armes. Puis, le temps venant, la lutte politique a été abandonnée au profit de l’activité mafieuse, plus lucrative. Si le discours politique est resté, c’était pour justifier l’existence de l’organisation, pour se donner une légitimité morale et pour attirer des hommes dans ses rangs. Mais de la criminalité politique les Farc avaient bien dérivé vers la criminalité mafieuse. Daech semble suivre la même pente : vente illicite de pétrole et d’armes, présence dans le trafic de migrants, comptes bancaires off-shore, l’organisation mute de plus en plus vers le réseau mafieux classique. Ce qui ne l’empêche pas de cohabiter avec une idéologie politique et religieuse.

 

Si l’État islamique a perdu l’essentiel de ses territoires, il demeure comme une organisation mafieuse ayant des liens avec des éléments du régime syrien, notamment pour la vente du pétrole. À partir de fin 2016, la pression sur la Turquie a été assez forte pour dénoncer les trafics de pétrole qui passaient par ce pays. La Turquie a vendu à Daech de nombreux fertilisants, utilisés pour fabriquer des explosifs. À la suite de la pression internationale, la Turquie a cessé ses approvisionnements en fertilisants, se privant du même coup du pétrole de l’EI. Daech a alors conclu un pacte avec le régime syrien pour lui donner du pétrole en échange de fertilisants afin de pouvoir construire ses bombes. Daech a ainsi laissé passer des voitures officielles syriennes pour assurer le trafic pétrole vs fertilisants. Alors que beaucoup voit Daech comme quelque chose d’irrationnel, l’enquête des auteurs démontre au contraire que l’État islamique est très rationnel et qu’il s’organise pour assurer leurs trafics.

 

Daech a des liens dans l’armée syrienne et irakienne, souvent avec des hommes qui viennent des mêmes villages ou des mêmes tribus que les membres de l’État islamique. Ces liens ethniques et familiaux prédominent sur les fractures idéologiques. Dès les années 2010, le parti Baas est au courant des faits et gestes d’Al Qaeda dans la région et notamment de la venue de plusieurs de ses membres en Syrie et à Damas. Mais le régime n’empêche pas ses venues et les laisse faire. Ils ont laissé grandir le terrorisme pour ensuite avoir un levier de négociation avec les pays occidentaux pour justifier de son existence. Laisser croitre le terrorisme était une façon de donner un rôle international au régime de Damas. De même, le régime a libéré plusieurs terroristes des prisons afin de leur permettre de rejoindre les groupes islamistes.

 

L’Iran a aussi abrité des membres d’Al Qaeda afin de justifier son rôle auprès des Occidentaux. Idem pour l’Arabie Saoudite, dont plusieurs ressortissants ont organisé des trafics vers la Turquie et la Syrie. Les Kurdes ont également vendu des armes à Daech, armes qui viennent des États-Unis. Reste à savoir si cela c’est fait malgré les États-Unis, ou avec leur accord, comme la CIA ayant financé Al Qaeda durant un temps. Daech n’est donc pas sorti de nulle part. L’organisation est le fruit de multiples connexions et de liens familiaux et ethniques. Plusieurs pays ont eu, à un moment ou à un autre, intérêt à Daech, ce qui explique sa montée soudaine. L’organisation a investi dans l’immobilier en Arabie Saoudite afin de réinvestir son cash et de solidifier sa situation financière. On retrouve des hommes de l’organisation dans le trafic d’œuvres d’art, notamment des objets volés dans les sites archéologiques contrôlés par l’État islamique.

 

Se rendre en guerre

 

Les auteurs ont interrogé plusieurs ressortissants français qui sont partis faire la guerre au Levant dans les rangs de l’État islamique. Il y a deux catégories de combattants de l’EI : les locaux (Irakiens et Syriens) et les étrangers, qui sont fanatisés et qui viennent pour de vraies raisons idéologiques, contrairement aux locaux qui sont là parfois malgré eux. Les locaux se sont souvent mis au service d’une organisation qui était présente chez eux et qui les payait pour combattre, souvent plus cher que les armées nationales.

 

Les étrangers qui partent en Irak transitent par la Turquie, mais sans utiliser réellement de réseaux. Ils se rendent en Turquie et essayent ensuite de voir comment passer dans l’État islamique, souvent en passant par le Kurdisant. Il y a également des voies de passage qui se font dans l’autre sens : de l’Irak vers l’Europe. Plusieurs combattants de Daech sont passés en Europe par les voies migratoires. En 2017, l’organisation a envoyé plusieurs centaines de ces personnes en Europe pour créer des cellules dormantes afin de pouvoir les activer lors d’attentats. Les auteurs ont ainsi mis la main sur des listes de passeports émis en 2017 pour des personnes qui sont venues en Europe et qui sont aujourd’hui surveillées par les services de renseignement. Cela montre que Daech a préparé sa perte de territoire et a anticipé sa réorganisation pour muter et poursuivre son combat autrement.

 

Comme toute organisation mafieuse, Daech fonctionne de façon pyramidale. Les chefs qui sont à sa tête planifient les actions terroristes, en relation avec des hommes de la base.

 

Quid de l’islamisme ?

 

Si Dach est une organisation mafieuse, se pose alors la question de son idéologie et de la place de l’islamisme dans son fonctionnement. Les auteurs ont trouvé des témoignages de plusieurs personnes dégoutées par la rapine et la corruption de certains de ses membres, déçues qu’il n’y ait pas plus d’organisation idéologique et que l’islamisme ne soit pas davantage porté. Des combattants ont ainsi pu quitter l’EI pour aller vers Al Qaeda, qu’ils trouvaient plus pur au niveau idéologique.

 

 

 

 

Des incultes et des barbares ?

 

Cette organisation est portée par des gens intelligents qui maîtrisent les codes culturels occidentaux, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies. Daech a construit des drones et des voitures téléguidées pour faire des attentats ainsi que des gaz chimiques de haute technicité. L’image de barbares sanguinaires associée à l’EI est fausse. L’organisation compte de nombreux cadres intelligents, des personnes parfois formées dans les écoles françaises et européennes et de haut niveau intellectuel. Ce ne sont pas des incultes sanguinaires. Ils ont su se rendre désirables et devenir le drapeau de la contestation contre l’Occident et ainsi attirer des personnes du monde entier. Ils savent jouer de la propagande et attirer à eux des personnes nombreuses. Cela confirme l’inanité de la théorie du choc des incultures ainsi que le discours culpabilisateur à l’égard des pays occidentaux. Les combattants de l’État islamique ne sont pas uniquement des jeunes paumés en quête d’horizon. Si ceux qui commettent les attentats ou égorgent des prisonniers peuvent être des gens très simples, les cadres sont tout à fait au fait des réalités mondiales. Ce sont des personnes qui savent ce qu’elles font, qui prennent plaisir à mener une vie d’aventures et d’expériences violentes et en tout cas une vie plus grande et plus grisante que le fait de vivre un halo quotidien dans une banlieue française. La perspective de gagner de l’argent facilement, de se dépasser dans la vie ordinaire, d’avoir des aventures à raconter, de combattre un état social européen détesté attire bien des personnes, qui parlent de façon rationnelle et posée de leur engagement. Les auteurs relatent plusieurs échanges en direct ou via des applications informatiques qui confirment cela.

 

La criminalité est l’élément dominant de Daech, doublé d’un vernis idéologique qui lui donne une dimension eschatologique et transcendantale plus grande. À cela s’ajoutent les intérêts de puissances extérieures qui manipulent l’organisation ou la laissent faire afin d’avancer leur propre agenda. Finalement, on retrouve ici les motivations des Bédouins lors de l’expansion des Arabes dans la péninsule arabique et le monde méditerranéen : la soif de territoires, de richesses et de gloire. Des motivations très humaines en somme pour des gens que l’on pense à tort barbares et retranchés de l’humanité.

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

8 Commentaires

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  • Jepirad

    7 février 2018

    Bonjour, et merci pour cet éclairage et de donner envie de lire le livre.
    S’agissant de « barbarie » il me semble que les gens utilisent ce terme à l’endroit de Daesh dans l’acceptation « cruel et inhumain » ; ce qui est le cas non ? C’est bien une organisation barbare.

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  • Ockham

    2 février 2018

    Exact. Daech est bien dans le sillage de l’islam d’origine. Mohammed qui fut au début de sa carrière un apprenti caravanier a vécu dans une ambiance de pillards invétérés. Ces pillages mutuels menaçaient un brillant avenir qu’il a génialement entrevu. Un flot de valeur ajoutée coulait entre les deux géants qu’étaient alors la Perse et Constantinople lesquelles s’épuisaient aussi en guerre sans fin. Sur ce plan c’est un génie à la Bonaparte qui a remis de l’ordre avec un système militaire (une petite tribu juive en fit les frais), avec entre autre un bruyant lever des couleurs à 5 heures du matin pour faire l’appel! Tout est resté en l’état et le sillon a été reproduit à l’identique avec la même raideur et le même étouffement total de toute initiative scientifique à commencer par le rejet de l’imprimerie qu’ils nous ont livrée. En plus la moitié du genre humain, les femmes, restent cantonnées dans l’espace-temps patriarcal. Le moteur musulman humain marche sur un seul piston par rapport au standard! Le seul progrès copié tient à sa propension à manier les explosifs de Nobel sur des femmes et des enfants. Pour le reste les caravanes passent et la charia s’applique. Il est temps que quelques arabes ou égyptiens qui ne sont pas des idiots changent d’espace-temps.

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  • sassy2

    1 février 2018

    Parmi les ayants droits de ce cartel on pouvait trouver Bruxelles et cie représentée par merkel obama.

    Sinon ce que je retiendrais de cette farce qui ne reposait in fine que sur des 4*4 et rien n’a changé depuis l’afghanistan 1, Mitterand ayant armé ben laden utilisant des 4*4 face à l’URSS,
    (
    http://www.alfuttaim.com/home/Automotive/brand?className=Distributors&brandSelector=Category&Brandcategory=AFGCorporate_design/Businesses/Automotive/Categories/Distributors
    ?
    ) sont les résultats réalisés lors d’entraînements de SAS munis de simples… quads.
    Lesquels stages de perfectionnement furent peut être arrêtés eu égard à leur efficacité.
    Poutine a ensuite sauté sur l’occasion.

    Ce qui est intéressant est qu’on peut y voir la césure partielle entre UK -ou une partie de l’establishment anglais- et les autres à cette époque (en 2014 avec notamment le refus de bombarder assad?).

    Ensuite vient le Brexit.
    Dont je suis fort enclin à penser qu’une partie de l’establishment l’a soutenu à fond (mutation de la banque=>il faut virer des surcapacités…, fin de l’immigration ponzi…), une autre ayant choisi le fanatisme (meurtre de joe cox?).

    Ensuite vient Trump.
    Pour continuer avec les « complots »:
    http://www.voltairenet.org/article199521.html
    Ayez en tête s’il vous plaît la conclusion, et demandez-vous qu’est ce que le brexit sinon un SHORT EURSS
    (dont pour l’instant le timing est bon: en effet, les actions diplomatiques dont obama merkel furent les représentants ont TOUTES FOIREES -mise à part les millions de migrants/esclaves de l’eurss toujours pour le moment en europe-)

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  • Guy Mailhot

    31 janvier 2018

    Si tu veux être un voleur, deviens un communiste. Si tu veux être un voleur et un assassin, deviens un islamiste…

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    • Jimmie

      1 février 2018

      Pour l’instant les communites ont assassiné infiniment plus de gens que les islamistes…

    • Charles Heyd

      1 février 2018

      cette formule « si tu veux être un voleur … voleur et assassin … » est à la fois juste et très réductrice, je m’explique:
      – effectivement Daech pratique à la fois le vol et l’assassinat au vu et au su du monde entier et c’est pour cela que l’on peut reprocher aux « élites » musulmanes leur silence; il ne s’agit pas d’ostraciser des populations entières mais imaginez un seul instant des catholiques se réclamant de Rome pratiquer des meurtres comme ceux commis par Daech! Le monde entier sommerait le pape de les désavouer publiquement; je pense d’ailleurs qu’il le ferait avant même que des âmes charitables ne le lui demandent;
      – dire ou sous-entendre que les communistes ne seraient, ou n’auraient été, que des voleurs est plus que faux; le stalinisme, via son goulag et ses famines organisées est responsable de millions pour ne pas dire de dizaines de millions de morts; et je ne parlerai ni de Mao ni de Pol Pot!

      la gravité des crimes commis par des idéologies criminelles ne tient pas seulement au nombre de morts causés; ici s’applique bien l’adage: qui vole un oeuf vole un boeuf;
      c’est entre-autre pour cela que des personnes hésitent à condamner des organisations comme Daech car pour l’instant, et malgré le Bataclan, le 11 septembre, et j’en passe, Daech est en effet infiniment moins meurtrier que le communisme ou le nazisme; mais nul doute que des organisations comparables n’auraient rien à envier aux totalitarismes précités si elles se trouvaient dans des contextes identiques.

  • Denis Monod-Broca

    31 janvier 2018

    « Des motivations très humaines en somme pour des gens que l’on pense à tort barbares et retranchés de l’humanité. »

    Eh oui, il est bon parfois de rappeler de telles évidences.

    Les hommes ont des motivations humaines. Et on se trompe toujours quand on traite autrui de barbare.

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