4 novembre, 2022

La fin du « couple » franco-allemand

 

 

Il aura fallu du temps pour que les autorités politiques admettent que ce qui n’existait pas, à savoir « le couple » franco-allemand, était bien une mascarade et une relation à sens unique. L’Allemagne, qui depuis des décennies n’a cessé de jouer sa partition solitaire et de défendre ses intérêts au détriment de la France, tout en donnant des gages pour que les Français continuent de croire au mythe de ce couple, ne prend même plus cette peine. Beaucoup en France en semble triste, comme si cette union avec l’Allemagne était une nécessité vitale pour nous.

 

Traité de l’Élysée

 

Lorsque Charles de Gaulle et Konrad Adenauer signent le traité de l’Élysée en 1963, il s’agit de sceller la réconciliation des deux pays et d’organiser un renforcement des coopérations, non de bâtir « un couple ». De Gaulle et Adenauer sont de la même génération, ils ont combattu lors des deux guerres mondiales, ils partagent la même foi et la même vision de l’homme. Qu’une amitié intellectuelle soit née entre les deux hommes est une chose, mais de Gaulle n’a jamais souhaité transformer cette amitié en soumission à Bonn. Il s’agit alors de sceller la fin des guerres et des affrontements et d’organiser une alliance contre la menace communiste. Signé en janvier, le traité est ratifié par le Bundestag en juin, en y ajoutant un préambule qui suscita l’ire du Général. Ce préambule, rajouté par la partie allemande, demandait en effet un renforcement de la coopération entre l’Europe et les États-Unis et la mise en place d’une défense commune dans le cadre de l’OTAN. Autant de choses contraires à la vision gaulliste, qui montra dès le début que les visions allemandes et françaises étaient discordantes. Pour la France, il s’agissait d’un traité d’amitié et de coopération quand l’Allemagne y voyait un moyen de renforcer son atlantisme, afin de devenir la première puissance en Europe. Si Bonn puis Berlin poursuivirent cette voie sans relâche, jusqu’à aujourd’hui, Paris s’est mis dans la roue de l’Allemagne, espérant y tirer quelques bénéfices.

 

La fascination pour l’Allemagne conduisit Giscard et Mitterrand à adopter les demandes émanant d’outre-Rhin sans guère de remise en cause. Sitôt intronisés président, Nicolas Sarkozy et François Hollande firent, dans la journée même, leur première visite internationale à Angela Merkel, beau symbole de soumission de vassalité au nouveau seigneur européen. Une Angela Merkel dont le bilan à la tête de l’Allemagne est des plus mauvais. Elle fut la reine de l’immobilisme, ne conduisit aucune réforme d’envergure, se soumettant à toutes les modes et toutes les pensées du moment. Elle vécut sur les bénéfices des réformes Schröder, affaiblissant l’Allemagne au gré de ses coalitions immobiles, la soumettant, sans aucune vision stratégique, à l’idéologie des Verts et à l’énergie des Russes.

 

Contrôle de l’Europe

 

Pendant que la France pariait sur un couple qui n’existait pas, l’Allemagne prenait le contrôle des institutions européennes, véritables leviers de la puissance germanique. En y mettant des Allemands aux postes clefs, en imposant sa taxonomie qui fit reconnaitre le gaz comme une énergie « verte », au détriment du nucléaire. Sans vergogne, l’Allemagne imposa les éoliennes à la France et à l’Europe, mélange de technologies germaniques et chinoises. Tout en soumettant son armée et son industrie de défense aux États-Unis. On lui offrit des postes clefs dans des entreprises françaises essentielles, comme Airbus et MBDA, afin de faire croire à l’existence de « champions européens ».

 

La tragédie allemande

 

Si la guerre en Ukraine a permis de lever le voile sur le mythe de ce couple, elle aura eu au moins quelques effets positifs. C’est ainsi que l’Allemagne annonce qu’elle veut réarmer afin de devenir la première puissance militaire en Europe, sans que cela ne semble susciter l’inquiétude de ses voisins. Les Polonais, les Hongrois et les Français devraient pourtant s’en inquiéter. Un réarmement qui se fera en matériel militaire américain, afin de bien montrer que la défense européenne n’existe que dans les couloirs de l’Élysée. La Pologne, toujours atlantiste, vient d’annoncer qu’elle avait choisi une entreprise américaine pour construire sa prochaine centrale nucléaire, au détriment d’EDF. Cela dit, comment en vouloir à Varsovie tant on sait qu’EDF a perdu son savoir-faire. Les centrales françaises tombent en perdition, une grève commencée en septembre menace la production électrique cet hiver et les programmes de construction en Europe ont pris du retard. S’étant laissé soumettre aux diktats allemands en Europe, la France a laissé dépérir son savoir-faire industriel.

 

Olaf Scholz ne fait même plus semblant. Il ne cherche même plus à faire perdurer le mythe du « couple » et Emmanuel Macron, loin d’en tirer les conséquences nécessaires, continuent de lui courir après, comme un amoureux transi qui veut retenir malgré tout celle qui l’a quitté. Il y a de la tragicomédie et du vaudeville dans cette farce politique du couple franco-allemand. Une partie trompée et cocue qui refuse d’ouvrir les yeux et qui continue de demander à être trompée. Dans une pièce de boulevard, ce pourrait être comique, quand il s’agit de l’indépendance et de la souveraineté de la France, c’est terriblement tragique.

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

21 Commentaires

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  • cdnrbt

    15 novembre 2022

    Quand est-ce qu’en France les gens qui travaillent gagneront plus ques les hommes politiques ou ceux qui ne font rien?

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  • Dominique

    11 novembre 2022

    Pour faire court : les lunettes gaullistes ne permettent pas de voir au delà de l’hexagone, et qui en porte ne peut pas voir le monde tel qu’il est, d’où l’incapacité d’avoir une pensée géopolitique.
    C’est un mal français que d’admirer de Gaulle et Napoléon qui menèrent le pays à sa perte, et d’ignorer Vercingétorix, Clovis, saint Louis, Henry IV, Louis XIV et tant d’autres.

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  • UltraLucide

    10 novembre 2022

    Un conseil de discours à l’Allemagne pour le gouvernement français:
    (D’un certain Jacques Brel, chantre des amours mortes et déçues…)
    Laisse-moi devenir
    L’ombre de ton ombre
    L’ombre de ta main
    L’ombre de ton chien
    mais, Ne me quitte pas
    Ne me quitte pas
    Ne me quitte pas … »

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  • Patrice Pimoulle

    8 novembre 2022

    Cet article est vraiment nul. Il n’y a pas place pour deux Etats. Ils doivent donc s’entendre, adefaut l’un d’eux est vouer a disparaitre; lequel, de celui qui pratique la politique « louis-philipparde » de Raymond Barre (Jacques Delors) ou de celui qui « choisit un autre modele de developpement » a le plus de chance de survivre?

    On est plus au Moyen-Age ou il y avait un Dieu au ciel, un empereur en occident et un roi en France. Ni Chateaubrind ni de Gaulle n’ont reussi a retablir l’equilibre europeen fonde sur les traites de Westphalie de 1648.

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  • Patrice Pimoulle

    7 novembre 2022

    Tres mauvais travail, d’une consternante debilite. On se croirait revenu a Paul Deroulede, au Reich allemand, a la ligne bleue des Vosges… au XXi siecle! La reconciliation franco-allemande ne date pas de de Gaulle, mais repose sur une note du MAE en date du … 14 juillet 1948, prenant en compte la conference de Londres qui tedait a la constitution d’une republique allemande; or il n’y apas de place pour deux en Europe, et le rapprochement etait une evidence. Meme si de gaulle etait, sans aucu doute, eu europeen sincere, sa plitique manquait un peu de …nettete. Ce n’est qu’apres avoir installe en Algerie une republique pro-sovietique (1962), que, revenant au grand dessein de M. de Polignac (1829),’il s’est interesse a la rive gauche du Rhin; las, les choses avaient change depuis 1829, et l’Allemagne etait devenue elle aussi, occidentale et atlantique ; »les Allemands sont des cochons ». Il a fallu attendre le duo Chirac-Mitterrand, les guignols de l’Info, pour que la France s’autodetruise; les Allemands n’y peuvent rien.

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    • UltraLucide

      10 novembre 2022

      Depuis Bismarck, la volonté de puissance et de domination de l’Allemagne sur l’Europe continentale est un fait accompli, de façon constante et évidente, et ce malgré quelques éclipses de 20 à trente ans. A tel point que la France n’est plus l’ennemi n°1 de la Grande Bretagne depuis 1904. Ignorer volontauirement cet état de fait ne mène nulle part. Même Himmler a fait un appel du pied à De Gaulle vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour une alliance franco-allemande….Non, mr Noé a raison, les politichiens français, tous de plus en plus nuls depuis De Gaulle, ont maintenu en vie cette chimère impossible parce ce que c’était l’intérêt de leur caste, et pas celui de la France.

  • Ockham

    7 novembre 2022

    Les Allemands sont repartis « solo », c’est une erreur. Les Français ne font pas mieux. Ils font sourire tout le monde avec leurs jérémiades sur leur industrie car ils n’ont jamais eu la tête industrielle. Ils produisent plus de science-po que de soudeurs ce qui est une grave erreur structurelle au moins depuis Giscard sinon Frédéric II le Grand ! Enfin tous les deux finissent sans énergie fossile. L’un fait du nucléaire -12 ans pour construire une centrale !- et l’autre se met dans les pattes de l’ours riche en gaz qui a dû sacrifier beaucoup de pots de miel pour attirer cette grosse mouche avide d’énergie. Comment pouvions nous faire autrement ? L’un compte sur le tourisme et le luxe plus des déficits et l’autre sur ses machines avec d’énormes excédents, à l’aune française, pour ne pas décroître. Chacun dans son art est remarquable. Mais le train de vie de l’état français comme la fabrication de machines pour l’énorme Chine demande toujours beaucoup d’énergie … car il faut en plus approvisionner deux démocraties qui ne fonctionnent qu’aux promesses dispendieuses de services publics, aux garanties des droits de l’homme pour la terre entière avant ceux de leurs citoyens et au pouvoir d’achat de chaque citoyen jusqu’à son droit aux Maldives. Bref nous sommes à l’image de l’Amérique sans pétrole. Sans pétrole elle n’existerait pas ! Cela ne fait rien, il faut bien avoir des idées. Lesquelles ? Là les discours deviennent confus sinon bipolaires.

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    • Patrice Pimoulle

      7 novembre 2022

      Les Allemands sont repartis « solo »: ce n’est pas de la faute des Allemands si la France a « choisi un autre modele de developpement »; d’ailleurs ils avaient prevenu en 1982; l’ambassadeur a Bonn en a fait un livre « mais, mais si, vous allez voir… » La France fait ce qu’elle veut, mais ca n’engage pas l’Allemagne.

  • Nox

    7 novembre 2022

    Dans le domaine de l’armement c’est évident. Régulièrement les ministres français et allemand s’évertuent à faire une liste de projets communs, qui invariablement capotent dans les mois ou années qui suivent, soit à cause de spécifications divergentes, soit par incapacité à s’entendre sur le partage industriel. Ainsi en est-il de la modernisation de l’hélicoptère Tigre, de l’avion de patrouille maritime de nouvelle génération, du char de combat futur, du futur avion de combat…

    Les prétextes ne sont jamais les mêmes, mais cela ne change rien au résultat.

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    • Patrice Pimoulle

      7 novembre 2022

      Tout ceci n’est que boullie pour les chats. Allemands et Francais sont des pays OTAN; la question du materielest une question a regler en commun. Or les avions Lockeed, les helicopteres S 70, d’aillleurs fabriques en Pologne, sont monc hers et certainement plus fiables et plus rustiques que les materiels « europeens ». Mais ca fait rien, on a les moyesns

  • oblabla

    6 novembre 2022

    Excellentissime papier qui met les mots justes sur la mascarade du soit-disant « couple franco-allemand » qui n’a jamais existé que dans l’esprit malade et malhonnête de nos politiciens.

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    • breizh

      6 novembre 2022

      nos politiciens ne savent pas freiner les dépenses : il leur faut donc l’assentiment de l’Allemagne pour imprimer des euros pour les déficits français.

    • Patrice Pimoulle

      7 novembre 2022

      A Breizh: « tant va la cruche a l’eau qu’a la fin elle se casse ».

  • Henry

    5 novembre 2022

    Am Anfang war Napoleon. C’est la France qui a créé le monstre allemand. Il lui en a largement fait payer le prix, …

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    • Patrice Pimoulle

      7 novembre 2022

      La nation allemande, fondee sur les principes de 89, nait apres la dissolution du Saint Empire -ar Napoleon, justement (1806). Elle etait ineluctable. Le vrai probleme est l’antagonisme franco-prussien. Le veritable responsable du monstre c’est l’imperatrice Eugenie.

  • Nox

    4 novembre 2022

    Dans le domaine de l’armement c’est particulièrement vrai. La modernisation de l’hélicoptère Tigre, l’avion de patrouille maritime nouvelle génération, le char de combat du futur, l’avion de combat futur, toutes ces coopérations annoncées en fanfare par les deux ministres sont en train de capoter pour cause de besoin opérationnel divergent ou de mésentente industrielle.

    Et pour le successeur du rafale, les Allemands voudraient la maîtrise d’œuvre et des transferts de technologie conséquents, alors que Dassault est un des trois leaders mondiaux. Leur arrogance n’a d’égale que leur brutalité ! Qu’ils aillent s’inscrire pour le successeur du F35 …

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  • Charles Heyd

    4 novembre 2022

    Les nations n’ont pas d’amis, que des intérêts; je ne sais plus qui disait cela mais l’Allemagne aujourd’hui l’illustre à merveille; il n’y a que le crédule de service qui ne le comprend pas; hélas oui, l’histoire est tragique surtout pour ceux qui ne savent pas anticiper!

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    • Nox

      7 novembre 2022

      C’est Charles De Gaulle !

    • Patrice Pimoulle

      7 novembre 2022

      Non. Le peuple francais n’est ni un camelot ni un maquignon. Le chef d’un regiment de char peut le dire et l’ecrire, ce n’est pas vrai pour autant. D’ailleurs il suffit de comparer le rang de la France entre le jour ou le general que vous dites s’est empare du 231 boulevard Saint-Germain et le jour ou l’immense gaulliste Chira c a cede la place a l’immense gaulliste Sarkozy.

    • Robert

      9 novembre 2022

      Patrice Pimoulle : Le peuple français, dans sa majorité,  » fait l’ autruche  » par paresse intellectuelle ou par lâcheté.
      Quant aux immenses gaullistes Chirac et Sarkozy ( j’ apprécie votre ironie ) ils resteront dans l’ Histoire comme deux présidents inaptes à la fonction.
      Et dire que le second était prêt à « rempiler » deux fois !

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