12 avril, 2018

La fac démasquée

 

Vous êtes probablement nombreux à avoir vu la courte vidéo réalisée par les occupants de la faculté de Tolbiac. Sous le nom de Commune libre de Tolbiac, ils ont créé un « auto-média » pour diffuser une « auto-conférence » avec de « vraies images » et de « vrais occupants ». Assises à des tables, trois jeunes filles masquées lisent un discours, sous-titré en langage inclusif dans la vidéo. Avec elle, un chien, assis à leurs côtés. Cette vidéo démasque le piteux état des facs sur bien des points.

 

Un masque pour effacer la personne

 

Le hasard à fait qu’au moment de la publication de cette vidéo je faisais un cours sur les masques à mes élèves. Le fait que les trois protagonistes soient masquées est fort éloquent. Ce n’est pas une cagoule du FLNC, pour se cacher des représailles, ni un passe-montagne pour se protéger du froid. La réponse au masque est donnée par l’une des intervenantes : « Pourquoi sommes-nous masquées ? Tout simplement parce que nous avons décidé de ne pas avoir de porte-parole, de ne pas avoir d’individualité qui pourrait se dégager de Tolbiac, mais pour pouvoir porter une parole commune. »

 

Le masque efface l’individualité et la personne pour fondre l’être dans le groupe. Le masque efface également l’humanité. Ce sont des masques d’animaux qu’elles portent : oiseau, renard, chat. Le chien à leurs côtés est à comprendre dans cette perspective : l’animal est mis sur le même pied d’égalité que l’homme : il peut monter à la tribune, il peut intervenir. Les hommes portant des masques d’animaux, seul l’animal montre son vrai visage. La première fois que j’ai visionné cette vidéo, mais j’ai même cru que le chien était une personne déguisée. La confusion est donc totale.

 

Le masque n’est pas autre chose que l’effacement de la personne derrière le groupe, la disparition de l’humanité au profit de l’animal. L’anthropologue Georges Buraud ne dit pas autre chose dans son ouvrage Les masques, paru pour la première fois en 1948 et réédité aux Belles Lettres en 2014. Il vaut le coup de lire cet ouvrage, en outre très bien illustré, où l’auteur nous emmène dans l’histoire et dans le monde pour nous faire toucher l’essence du masque. Le masque, nous dit Buraud, est associé à la mort : c’est le masque mortuaire des Égyptiens et des Grecs, c’est le masque des tragédies quand on va sacrifier l’être humain puis le bouc. Le masque est lié aux esprits et aux divinités, aux chamans et aux démons. Il fond l’être dans le grand tout de la nature. Le masque est également lié à la danse. Non pas la valse ou le quadrille, danses désacralisées et sans superstition que l’on pratique en Europe, mais la danse transe où le corps est capté par l’esprit, où l’être humain est emporté par les démons. « Le masque, nous n’avons pas besoin des Noirs pour l’apprendre, a toujours été un instrument de danse. » (p. 10) Et plus loin, sur ces rapports entre la danse et le masque : « Cette dualité mystérieuse est une autre raison d’être du masque. Elle le fait naître. Et il la crée, à son tour. Par ce mélange de vérité et de mensonge, de sincérité et d’illusion diabolique qui est son âme, le masque polarise l’énergie et, entre ces deux pôles contraires, celle-ci se tend, s’élève à une hauteur exaltante et parvient à une plénitude inconnue. » (p. 11)

 

Tous les peuples, toutes les cultures ont des masques : masques d’animaux, de têtes de morts, d’esprits obscurs d’où ne dominent que les yeux, la bouche, le nez. Et avec ces masques, la danse-transe qui est une possession du corps par les démons. Le masque et la danse vont de pair avec les sacrifices humains. « On danse avec le masque, on mime la vie supérieure de la bête ou du dieu. Mais le masque lui-même est déjà une danse -une danse, fixée et stylisée, des éléments de la nature. (…) La danse en effet est l’âme du masque. C’est par elle (danse du corps ou danse intérieure de l’esprit délivré) que l’homme se métamorphose et participe aux énergies immortelles du monde. » (p. 113) Quand on voit ces trois étudiantes dans leurs accoutrements ridicules, comment ne pas s’empêcher de penser qu’elles se sacrifient elles-mêmes sur ces tables dressées comme des autels ?

 

L’exception chrétienne

 

Tous les peuples ont le masque, sauf les peuples chrétiens : « Autant les cultures primitives, antiques, orientales, américaines, ont exalté le masque sous la plupart de ses formes et essayé d’en tirer tout le parti possible, autant la civilisation chrétienne l’a ignoré ou méconnu. » (p. 49) Ce fait est fondamental. Cela a commencé avec les Hébreux et les Grecs, qui n’ont pas le masque primitif et traditionnel. Chez les Grecs, les masques de théâtre sont déjà des êtres humains, des personnes au sens propre : des mégères, des matelots, l’ensemble des types de la cité. La danse commence déjà à être désacralisée et la personne à émerger, via le droit. Les Romains poursuivent cette conquête de la civilisation qui se parachève avec le christianisme. Il n’y a qu’à l’époque du carnaval que le masque est autorisé. Ce sont les géants du Nord, les masques de Venise -superbes, mais au halo mortuaire-, les visages déformés ou hirsutes des masques en papier mâché. On ne touche pas en vain au visage qui est l’âme même de la personne. Dans l’art, la fin du masque signifie le début du portrait personnel et individuel. Le masque tombé et abandonné marque l’apparition de la personne et sa victoire sur le groupe et la foule. C’est le début de l’individualisme. Ce qu’a compris Georges Buraud avec le masque, c’est ce qu’a démontré ensuite René Girard avec le sacrifice ; les deux étant liés.

 

En portant des masques d’animaux, en mettant l’animal sur le même plan qu’elles, en disant que le masque a pour objectif d’effacer les individualités, ces étudiantes donnent l’illustration d’un retour au paganisme et aux temps archaïques. Cela va de pair avec le décor où elles interviennent. La liberté s’accompagne toujours de la beauté et la servitude de la laideur. Cette dialectique a été bien démontrée par Philippe Nemo dans son Esthétique de la liberté (2014). Quiconque s’est rendu à Tolbiac ne peut que témoigner de la laideur des lieux. En eux-mêmes, les bâtiments pourraient être beaux, même si l’architecture épurée des années 1970 ne plait pas à tout le monde. Mais ces bâtiments ont été volontairement et sciemment dégradés au cours du temps par les gauchistes qui en occupent les lieux. La première chose qu’ils font en bloquant un amphithéâtre est de l’enlaidir, donc de s’avouer esclave et de se reconnaître servile. Tags, déjections, destructions : cette laideur est la conséquence de leur servitude. Si ces étudiants étaient dans les beaux amphithéâtres de la Sorbonne, ils se livreraient aux mêmes destructions pour enlaidir les lieux. En 2006, lors des émeutes du CPE, un groupuscule avait pris d’assaut la bibliothèque des Chartes pour en brûler les livres rares. Pas de savoir là où il y a le masque ; le savoir est réservé aux personnes.

 

Là aussi, ces étudiantes le disent bien : elles veulent bloquer la fac « pour bloquer la production de savoir institutionnel pour créer nos propres savoirs. » Du charabia pédagogiste qui ne débouche que sur le néant.

 

Liberté pour les universités

 

On ne peut que regretter que la seule réforme à faire en matière d’enseignement supérieur ne soit pas prise : mettre un terme au monopole de la collation des grades, institué par Jules Ferry en 1880, décidément le grand fossoyeur des libertés scolaires. Les universités privées sont bien évidemment plus à même de former des étudiants correctement, et pour moins cher, que ces pauvres facultés gangrenées par des militants politiques depuis trop de décennies. La compétition pour le savoir et la formation est mondiale. Bien former sa jeunesse est essentiel pour l’avenir de la France, ce qui suppose de donner la pleine liberté aux établissements d’enseignement supérieur. Les masques de Tolbiac pourraient au moins démasquer l’imposture de l’université d’État.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

16 Commentaires

Répondre à Camino78

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  • Camino78

    19 avril 2018

    Ajoutons un point sur ces révoltes étudiantes contre la sélection à l’université. Leurs modèles, leurs idoles, qui les soutiennent dans ce combat, sont Thomas Piketty et Frédéric Lordon.
    L’un a fait Normale Sup après la prépa à Louis Le Grand, et l’autre Ponts & Chaussée et HEC.
    En somme, pour eux, « la non-sélection, c’est bien pour les autres, mais me concernant, je veux accéder à l’élite … ».

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  • Tk

    13 avril 2018

    Très joli texte.
    Si vous ne l’avez fait, je penses que vous aimeriez lire Levinas. Il parle beaucoup du visage et de sa representation.

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  • Guevara Tolbiac

    12 avril 2018

    Ici Guevara,

    Je vous assure que je ne suis pas un humain mais bel et bien un chien. Et au nom des chiens, je trouve ça dégradant que vous puissiez penser que les étudiants de Tolbiac soient au même niveau que des canidés. Je tiens à préciser que c’est bel et bien moi qui dirige le groupe, et qui les dirige d’une patte de fer.

    – Cordialement, wouaf.

    Guevara de Tolbiac

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  • Olivier

    12 avril 2018

    « Là aussi, ces étudiantes le disent bien : elles veulent bloquer la fac « pour bloquer la production de savoir institutionnel pour créer nos propres savoirs. » Du charabia pédagogiste qui ne débouche que sur le néant. »

    Effectivement, cette revendication montre à elle seule la ruine de l’université; si ces étudiantes veulent créer leurs « propres savoirs » elles n’ont nul besoin d’apprendre et donc nullement besoin de l’université. Elles devraient être partisanes de la concurrence des idées. Et pour savoir si leurs idées valent quelque chose elles devraient créer leur propre université. Mais il ne faut pas creuser longtemps pour comprendre que « leurs savoirs » signifie un savoir de classe et que derrière se cache encore la construction d’une vérité toute relative car la vérité n’est que le produit d’un rapport de force.

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  • manu

    12 avril 2018

    Pendant ce temps-là dans les IUT, BTS, écoles de commerce et d’ingénieur … on regarde s’il y a des possibilités à l’internationale.

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  • Jeanne

    12 avril 2018

    Votre interprétation est tellement dégradante. Condamner de manière aussi unilatérale les aspirations de ces jeunes et les décrire tels des « gauchistes » prenant plaisir à dégrader des lieux, c’est tellement simple et petit. Tout ce cours sur les masques pour une conclusion si simpliste qui efface toutes les nuances de cette lutte, quelle dommage.
    Je ne parle même pas de l’expression « pauvres facultés gangrenées par des militants politiques ». Je suis doctorante dans une de ces « pauvres universités » où j’ai reçu une formation excellente, et je comprend par ailleurs les revendications face à des réformes tout à fait contestables…
    J’ai du mal à croire qu’un historien, et enseignant de surcroît, puisse être aussi borné et de parti prit, quel intérêt ?

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    • Jean-Baptiste Noé

      12 avril 2018

      C’est pourtant ce que tout le monde constate. Sans oublier que la plupart des bloqueurs ne sont pas étudiants et ne sont pas membres des universités qu’ils bloquent et qu’ils dégradent.

      Résultat : les meilleurs élèves partent et vont étudier ailleurs qu’à l’université. Ils n’y reviennent éventuellement qu’en master ou doctorat quand la sélection s’est faite et que les trublions ont été dégagés.

    • Aurélien

      13 avril 2018

      @Jeanne
      Votre formation est excellente selon votre référentiel que nous ne connaissons pas. Par simple curiosité, j’aimerais bien en savoir plus (combien de travaux reconnus internationalement, j’insiste sur cet aspect international, et produits par vos profs par exemple).

    • Semper Fi

      14 avril 2018

      Petit conseil de la part d’un presque senior à la jeune doctorante que vous êtes : pensez à bosser un peu la grammaire française et relisez-vous. 3 fautes sévères (grammaire) en 7 lignes, cela fait un peu désordre.
      Ligne 3 : « quelle dommage »
      Ligne 5 : « je comprend »
      Ligne 7 : « parti prit »
      Vous pouvez parfaitement revendiquer ce que vous voulez, mais dans un français impeccable cela aura un peu plus de classe !

      Fermez le ban !

  • Charles Heyd

    12 avril 2018

    Faire remonter tous (ou quasiment tous) les problèmes de notre université à la collation des grades me parait pour le moins exagéré d’autant plus que ces cérémonies sont plutôt rares et plutôt discrètes en France;
    des étudiants lors des manifestations actuelles ont demandé que leurs soit attribué automatiquement 10/20 (la moyenne donc) lors des partiels mais cela va justement dans le sens contraire!
    Je ne vois pas comment on pourrait conclure une formation, un enseignement ou tout cursus par une reconnaissance d’un diplôme;
    ce qui en revanche est rédhibitoire dans notre enseignement et après dans la vie active, c’est la prise en compte quasi exclusivement du diplôme obtenu même 30 ans auparavant!
    L’expérience, les expériences, ne compte pas lourd pour beaucoup de recruteurs; c’est surtout cela, par la formation continue, qui demande surtout à être changée.

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    • Charles Heyd

      12 avril 2018

      oups! « sans la reconnaissance » plutôt que « par la reconnaissance »

    • Jean-Baptiste Noé

      12 avril 2018

      Le problème n’est pas la collation des grades, mais son monopole par l’Etat. Cad que seules les universités publiques ont le droit de délivrer les grades du baccalauréat, de la licence, du master et du doctorat.

      Comme avec tous les monopoles, la qualité diminue et le prix augmente. Un étudiant à l’université coûte plus cher qu’un étudiant en école de commerce privée.

      Bien sûr, comme c’est l’impôt qui le paye, ce n’est pas cher.

      Les écoles privées ont créé des subterfuges pour contourner ce monopole : elles parlent de bachelor et non pas de licence, de mastère et non pas de master.

      Sans une véritable concurrence entre les universités, avec sélection des étudiants et des professeurs, on ne pourra jamais former les personnes correctement.

    • Charles Heyd

      12 avril 2018

      Effectivement M. Noé je vous rejoins tout à fait sur le point du monopole de l’état, je dirais d’ailleurs plutôt de l’Educ Nat (qui est bien étatique certes) et je l’illustrerai par deux exemples;
      – je viens d’écouter Michel Onfray et les critiques, pour ne dire les insultes, qu’il endure à cause de son « université » populaire; je n’ai jamais assisté à ses cours mais je pense qu’ils valent ceux de maintes universités officielles (dont certainement Tolbiac);
      – j’ai moi-même suivi les cours d’une école d’officiers parallèle à l’Ecole Navale et en sortie j’ai eu le même cursus professionnel(affectations, conditions de promotion) que les élèves de cette école; mais l’Education Nationale, pour des raisons bien obscures (les cours ne respectaient pas forcément les mêmes unités de valeur que ceux d’une école de la marine marchande agréée par l’Educ Nat par exemple) ne validait même pas ces cours au niveau du Bac alors que la quasi totalité des élèves avaient le Bac et que l’Ecole Navale doit homologuée à Bac+5! Même le ministère de la Défense ne pouvait pas s’opposer à la toute puissance de cette institution;
      il en va de même bien sûr des brevets de pilote d’avion ou d’infirmiers des armées (du moins jusqu’à une date relativement récente).

  • Steve

    12 avril 2018

    Bonjour M. Noé
    Dans « les temps modernes », lorsque Charlot a été broyé par le système, il régresse au stade animal: son génie le lui fait exprimer simplement avec les deux clés dont il se fait deux oreilles et, face à une femme, l’érection de ses deux oreilles, finit d’exprimer la régression aux pulsions les plus primitives.
    Il me semble que nous commençons à toucher du doigt les conséquences de la déchristianisation de notre société: le modèle d’humanité accomplie porté par la figure du Christ, même dévié par l’Eglise Impériale ( cf Alain Peyrefitte) , demeurait porteur d’espoir et de promesse. hélas nous avons jeté le Paraclet avec l’eau du bénitier! Et surtout, nous n’avons rien pour remplace ce modèle: ni la science ni la philosophie ne proposent quoi que ce soit qui puisse peuvent combler ce vide d’appel à la transcendance.

    Je ne sais si des Universités privées pourraient pallier la lente implosion morale et matérielle de notre système – la soumission de l’université à l’argent génère d’autres servitudes et d’autres allégeances- mais ces enfants défaits, sous leurs masques éclairants
    nous donnent une remarquable mise en scène de l’absurde déstructuré et mortifère de toutes les théories à la mode et du vide existentiel qui nous aspirent comme les trous noirs aspirent les étoiles mourantes…
    Cordialement

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  • L'Abbé Nouare

    12 avril 2018

    Vous pouvez ajouter le bonnet phrygien symbole d’esclavage adopté par les sans culottes de 1792

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