5 mai, 2023

Kivu : guerre entre le Congo et le Rwanda

Au Kivu (est du Congo), les semaines se suivent et se ressemblent : massacres, viols, déportations des populations civiles, pour un bilan qui atteint 10 millions de morts depuis trente ans. Des massacres qui s’expliquent par la rivalité entre le Congo et le Rwanda.

Rwanda, année 0

Tout commence au Rwanda dans les années 1990. Le pays est constitué de deux ethnies principales : les Hutus (les plus nombreux) et les Tutsis. Ces derniers ont toujours dirigé le Rwanda. C’est de cette ethnie qu’est issue la famille royale quand un roi dirigeait le pays. Au moment de la décolonisation, le choix fut fait, comme partout en Afrique, d’imposer le suffrage universel uninominal. Et comme partout en Afrique, ce type de vote se fait non pas selon des logiques nationales, mais selon des logiques ethniques. L’ethnie la plus nombreuse remportant l’élection, les Hutus ont pris le pouvoir, chassant les Tutsis. À cette révolution politique s’ajoute un accroissement de la population qui fait que les deux ethnies rivales sont désormais plus imbriquées et peuvent moins vivre en autonomie les unes des autres. D’où des massacres réguliers au cours des années 1970-1980. Jusqu’au moment où vint le grand massacre, le génocide de 1994, dans lequel périrent un million de personnes en quelques semaines. Massacres mutuels qui virent des Hutus tuer des Tutsis et des Tutsis se venger sur les Hutus.

Le chef tutsis et héritier de la famille royale rwandaise Paul Kagamé profita de la situation pour prendre le pouvoir. Ce fut le retour des Tutsis à la direction du Rwanda. Mais pour conserver ce pouvoir, Kagamé mène une double politique : chasser les Hutus du Rwanda et prendre le contrôle du Kivu, région située à l’est du Congo, mais peuplée par de nombreux Tutsis. Et qui en outre regorge de ressources minérales majeures, ce qui excite bien évidemment bien des convoitises.

Congo : entre indépendance et influence

Étant donné sa taille et son poids démographique, le Congo pèse au centre de l’Afrique. Durant la période de guerre froide, les États-Unis ont soutenu le maréchal Mobutu en échange de sa lutte contre le communisme et de son maintien dans le camp occidental. Les choses évoluent avec la fin de l’URSS et de la menace soviétique. Mobutu est renversé en 1997 par Laurent-Désiré Kabila, lui-même soutenu par Kagamé. L’Ouganda, qui servait déjà de base arrière au FPR (Front patriotique rwandais, armée de Kagamé), accueillit les préparatifs de l’invasion du Zaïre (devenue RDC – République démocratique du Congo), jusqu’à recevoir toutes les armes destinées à la conquête. Au Zaïre même, une partie de la population tutsie habitant l’est du pays s’investit dans le projet de Kagamé pour organiser la chute de Mobutu. Ces Tutsis se plaignirent alors d’être marginalisés et persécutés, ce que les rapports américains nuancèrent constamment.

Peu importe, c’est grâce à cette base rwandaise et tutsie que Kabila put renverser Mobutu et prendre le pouvoir. En échange, des Tutsis furent nommés aux postes clefs du Congo, notamment comme chef d’état-major et comme ministres. Quand Kabila voulut se séparer de ses soutiens rwandais, il fut assassiné (2001).

Pour lui succéder, c’est son fils présumé, Joseph Kabila, qui fut installé à la tête du Congo. Il est surtout le fils de l’épouse de Laurent-Désiré, issu d’une famille du Kivu et lui-même Tutsi. Kabila fils resta au pouvoir jusqu’en 2019, année où il fut contraint de partir. C’est Félix Tshisekedi qui lui succéda, fils d’un ancien Premier ministre du Congo, issu du peuple Luba originaire du Kantanga (sud-est du Congo). Un changement politique qui était aussi un changement stratégique avec un recul de l’influence du Rwanda dans la structure politique du Congo et une moindre prédominance de l’importance du Kivu et des Tutsis.

Les problèmes congolais ne furent pas résolus pour autant.

Rêves d’Afrique

Laurent-Désiré Kabila était considéré par la Banque mondiale comme celui qui ferait décoller l’Afrique dans l’économie de marché, il symbolisait la réussite future de la région. Ce n’était qu’éléments de langage de Washington qui cherchait tout simplement un pantin pour puiser inlassablement dans les ressources minières du Congo. Comprenant la situation, Kabila s’est retourné contre ceux qui l’avaient porté au pouvoir. Mal lui en pris puisqu’il fut assassiné. Dans un livre récemment paru, Holocauste au Congo (L’Artilleur), Charles Onana a étudié de nombreuses archives américaines afin de démêler l’imbroglio des années 1990. L’étude des archives du Pentagone montre aujourd’hui que l’opération du Rwanda en 1996 contre son voisin congolais était parfaitement préparée. Kagamé avait obtenu le soutien clair du gouvernement Clinton pour s’emparer de l’est Congo, en attestent les nombreux documents déclassifiés.

La succession du « fils » Kabila, au pouvoir jusqu’en 2019, laissa certains analystes contemporains dubitatifs. Joseph Kabila a été formé dans l’armée de Paul Kagamé (le FPR). Lorsque Kabila père fut assassiné, les dirigeants congolais craignirent de s’emparer du pouvoir. Il fallait alors se confronter aux forces de Kagamé, bien plus influentes qu’eux. Ils désignèrent alors Joseph Kabila à l’unanimité. Le calcul visait à limiter les déstabilisations. De nombreuses personnalités congolaises ne camouflent pas le doute sur l’origine ethnique de Joseph Kabila, mais sa nomination arrangeait tout le monde.

Le gouvernement actuel de Félix Tshisekedi chercha initialement à faire la paix avec le Rwanda, en vain. Constatant que ses voisins avaient décidé de s’emparer de l’est du Congo, il a décidé récemment de mettre en cause le Rwanda dans l’invasion de 1996.

Purification politique

Le nombre de morts s’explique sur le plan politique et militaire. Le Rwanda souhaitait dès 1994 s’emparer de la partie est du Congo pour s’approprier tous les précieux minerais riches en cobalt, coltan, etc., qui s’y trouvent. Pour cela, il fallait s’introduire dans la gouvernance congolaise. La dimension militaire s’ajoute à cette dimension politique, car pour avoir la paix, il faut vider l’est du Congo de sa population originelle. Depuis plusieurs années donc, les massacres effroyables se succèdent sans bruit pour laisser Kagamé installer des Tutsis dans la région. On estime qu’environ un demi-million de femmes a été violé. Quand les femmes partent à force de traumatisme ou d’une menace constante, les hommes et les enfants suivent.

Certaines organisations internationales avancèrent en 1994 que les réfugiés rwandais au Congo étaient un dégât collatéral du génocide et de la prise du pouvoir au Rwanda par le FPR. En réalité, comme le montre Charles Onana, la stratégie militaire de Paul Kagamé pour la conquête du pouvoir explique ce déplacement de population hutue. Soutenu par les États-Unis et les Britanniques, le FPR opérait depuis le nord où il trouvait refuge en Ouganda. Lorsque Kagamé franchit la frontière pour fondre sur Kigali, la capitale rwandaise, les populations hutues confrontées à l’avancée militaire auraient très bien pu s’exiler au sud, vers le Burundi, ou vers la Tanzanie à l’est. Elles furent volontairement poussées vers l’ouest par les forces armées du FPR.

Le véritable enjeu de l’opération visait, semble-t-il, les richesses minières se trouvant à l’extérieur du territoire rwandais, dans le Kivu congolais. Pour légitimer une attaque du Congo (à l’époque Zaïre) puis une conquête, Kagamé prétexta l’implication de toutes ces populations exilées dans les atrocités génocidaires. Si certains auteurs des massacres profitèrent en effet du mouvement pour échapper à la vengeance tutsie, la majorité était composée de civils innocents.

Les populations hutues réfugiées au Congo en 1994 n’ont pas été réinvitées au Rwanda. Kagamé veut être élu démocratiquement pour légitimer sa position et l’affaire se complique si son ethnie venait à redevenir minoritaire. Mais avec la présence de ces Hutus au Kivu, Kagamé peut justifier une intervention et ainsi s’immiscer dans les affaires internes du Congo.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

10 Commentaires

Répondre à Nanker

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Eric Février

    8 mai 2023

    En dépit des critiques stériles que je lis ci-dessous concernant les chiffres (sur lesquels personne n’aura jamais la vérité), je trouve cet article très clair et, inculte de ce pan de l’histoire, j’ai appris plein de choses sur la géopolitique de cette zone.
    Merci à JB Noé.

    Répondre
  • Nanker

    6 mai 2023

    « 10 millions de morts en 30 ans ».

    Non c’est un chiffre largement exagéré…. Mais ce qui est vrai est que le Congo subit un martyre depuis 1995 dans l’indifférence mondiale.
    Et que Kagamé est une BELLE ordure dictatoriale.

    Je me souviens de ce ce crétin gauchiste de Daniel Mermet qui au tournant des 2000s se réjouissait de retourner au Rwanda, dans un pays libéré de la tutelle coloniale/blanche.
    De retour de reportage il exprima à demi-mots au micro de France Inter son désarroi d’avoir parcouru un pays qui était devenu un état-policier digne de la Tunisie de Ben Ali. Et il avoua qu’il n’y retournerait jamais…

    Répondre
  • hoche38

    5 mai 2023

    Nos « amis américains » nous avaient virés d’Afrique de l’Est sous Mitterrand avec la guerre du Ruanda. Les Russes nous virent d’Afrique de l’ouest sous Macron.

    Virés par les uns ou virés par les autres, pour la France le résultat est toujours le même. Il y a comme cela des constantes dans l’histoire moderne.

    Répondre
  • Jean-Paul WASINGYA

    5 mai 2023

    Je suis originaire du Nord-Kivu, j’ai été temoin des évènements de ces 30 dernières années dans la region des Grands-Lacs d’Afrique. Les faits relatés dans cet article sont exacts. C’est même un euphémisme. Le bilan du plus grand criminel contre l’humanité vivant, Paul Kagame ne s’élève pas seulement à 10 millions de morts et 500 mille femmes violées. Ces chiffres datent des années 2010. Les organisations des droits de l’homme et les agences des Nations Unies qui ont fourni ces chiffres sont visiblement fatiguées de faire le compte macabre de la plus grande horreur du siècle.

    Répondre
  • Charles Heyd

    5 mai 2023

    J’aime bien : « Des massacres qui s’expliquent par la rivalité entre le Congo et le Rwanda. »! Sauf que tout l’article parle de la rivalité Tutsis/Hutus, certes avec en toile de fond les richesses minérales de l’est du Congo (ex Zaïre) ou la surpopulation du Ruwanda; tout cela est tout simplement du racisme le plus primaire et le plus bête, même s’ils tous noirs, sur fond de richesses minérales et, comme en Ukraine, les USA (pas racistes eux!) en train de manipuler tout cela.

    Répondre
    • Mosanus

      6 mai 2023

      Qu’y a t-il de raciste à parler de l’opposition hutu-tutsi ? Le Kivu faisait partie du Ruanda avant la colonisation allemande, et Kagamé s’en souvient.

    • Charles Heyd

      6 mai 2023

      Je réponds en fait à #Mosanus; Kagamé se souvient de tout sauf de ses crimes!

  • Louis Jean SYLVOS

    5 mai 2023

    Quel panier de crabes ! Difficile de suivre, morale de cette histoire, l’Afrique constituée de tribus, toutes opposées les unes aux autres ne pourra jamais s’en sortir.

    Répondre
  • Torque Mada

    5 mai 2023

    10 millions de morts en 30 ans, je croyais que le racisme etait l apannage des petits blancs. On nous aurait menti ?
    Vu la demographie dans cette partie du monde, ils peuvent encore s etriper joyeusement quelques decennies….sans qu il n y paraisse rien.

    Répondre
  • Chupin Bernard

    5 mai 2023

    Excellente opinion des analyses économiques de Charles Gave. Très mauvaise opinion de vos analyses sur l’Afrique de l’Est. Ce chiffre à l’emporte pièce de millions de morts depuis la fin du génocide des Tutsi est impossible à évaluer, à vérifier, même à imaginer. Tout laisse penser que cette approximation est une affabulation, fruit d’une imagination débordante et d’une volonté de simplifier par l’effroi un problème complexe.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!