14 février, 2019

Italie : les brutes et les truands

Nous allons finir par croire que la diplomatie est une chose beaucoup trop sérieuse pour être laissée aux politiques. Ainsi de chaque côté des Alpes, nous assistons depuis quelques mois à des jeux puérils d’enfants en mal de quête de voix, qui prennent à partie leur population et font usage de leur diplomatie à des fins électorales. L’échéance à venir des élections européennes, importante autant pour le président Macron que pour la coalition italienne fait que ceux-ci instrumentalisent leurs différends pour remporter le scrutin.

 

Le premier à dégainer a été Emmanuel Macron, qui a tiré la ligne de partage des eaux en Europe : d’un côté les populistes de l’autre les progressistes ; ou comment rejouer le camp du bien face au camp du mal. Désigner le gouvernement romain comme faisant partie de « la lèpre nationaliste » n’était pas chose à réchauffer les relations entre Paris et Rome. Avoir fait de Matteo Salvini son ennemi européen afin de s’opposer à lui et de prendre la tête de la ligue des progressistes n’était pas non plus très habile. Sur la scène européenne, Emmanuel Macron est aujourd’hui seul. Plus personne ne le suit, ni le Royaume-Uni qui va bientôt partir, ni l’Espagne, ni l’Europe centrale, ni l’Allemagne qui ne veut pas se couper de l’Europe centrale. Il a beau faire, en Europe c’est un homme seul. Il cherche alors à surjouer le différent qui l’oppose avec Rome afin de remobiliser derrière lui le camp du bien contre la lèpre qui menace encore et toujours.

 

Le match entre la Ligue et Cinque stelle

 

En Italie, la coalition au pouvoir est hétéroclite et fragile tant les programmes et les électorats de la Ligue et du mouvement cinq étoiles sont différents. Le M5S est arrivé en tête des dernières législatives, mais, de façon habile, la Ligue l’enserre et capte une partie de ses voix, si bien que M5S recule et que la Ligue progresse. Pour Luigi Di Maio, l’enjeu est de conserver un grand score lors des Européennes et, si possible, d’arriver devant la Ligue. Il renoue donc avec la rhétorique de son mouvement, anticapitaliste et antifrançais. D’où son opposition à la construction du TGV Lyon-Turin et sa visite aux gilets jaunes. Quant à Salvini, il est ravi de pouvoir se placer en opposant de Macron et il accepte tout à fait le rôle imposé par le metteur en scène français, jouant à merveille son personnage de populiste. Dans ce trio infernal, difficile de répartir les rôles entre le bon, la brute et le truand. Sûrement jouent-ils en même temps ces trois rôles, mais davantage encore la brute et le truand que le bon.

 

Dans le match qui oppose la Ligue à M5S, c’est la première qui est en train de prendre l’ascendant, comme en témoignent les élections régionales dans les Abruzzes. C’est certes une petite région, 1.3 million d’habitants, mais l’élection du 10 février dernier montre une chute de M5S et une montée de la ligue. En effet, cette région gouvernée par M5S depuis 2014 a été perdue par elle, au profit de la coalition de droite regroupant trois parties : Fratelli d’Italia, Forza Italia et la Ligue. M5S a perdu 200 000 voix entre 2014 et 2019, alors que la Ligue est passée de 2 000 voix en 2014 à 165 000 dimanche dernier. C’est la première fois que la coalition de droite remporte une élection dans le sud de l’Italie, qui était jusqu’à présent la chasse gardée de M5S. La dynamique est en faveur de la Ligue alors que Luigi Di Maio et son mouvement sont en régression. Pour ne pas perdre le pouvoir, Di Maio est donc contraint de faire de la surenchère afin de remobiliser son électorat. Et c’est la diplomatie qui en fait les frais.

 

La diplomatie en otage

 

Il a donc fallu cette rencontre entre Di Maio et une poignée de gilets jaunes pour que le président Macron décide de rappeler notre ambassadeur. Salvini a temporisé et Di Maio a laissé faire. D’un fait divers banal, nous entrons dans une crise diplomatique majeure à cause de trois enfants qui se chamaillent les voix électorales des Européennes à venir. Le jeu de rôle et de tartuffe risque de durer encore jusqu’en mai. Mais la crise est néanmoins d’importance. C’est la première fois depuis 1940 que l’ambassadeur français est rappelé à Paris. Ce n’est pas rien. On ne peut quand même pas aller jusqu’à la rupture des relations diplomatiques. Il faudra donc que l’ambassadeur revienne, sans rien avoir obtenu. Cette bravade risque de se terminer en Canossa. Quand M. Erdogan est venu en France et en Europe faire la tournée des mosquées turques en enjoignant sa diaspora de rester fidèle à Ankara, Paris n’a pas cru bon de rappeler son ambassadeur. Quand M. Bouteflika crache sur la France, avant et après être venu se faire soigner au Val de Grâce, il n’y a pas plus de soubresauts diplomatiques. Quand Riad et le Qatar financent les islamistes qui sévissent en France, il n’y a pas de protestation. Là où il faudrait réagir et témoigner de sa désapprobation, il n’y a rien. Pour un incident mineur, on déclenche une crise grave. La diplomatie est prise en otage par des politiques qui semblent avoir perdu le sens des réalités et des enjeux réels de leur civilisation.

 

La France s’efface de Rome

 

Mais il y a plus grave. En retirant l’ambassadeur du palais Farnèse, la France n’a plus de représentant diplomatique à Rome. Voici plus de six mois que l’ambassadeur de France près le Saint-Siège n’a pas été pourvu. L’ancien, Bruno Joubert, est parti en juillet 2018 et le siège est depuis vacant. Son départ était prévu et annoncé, il y avait donc tout le temps nécessaire pour pourvoir à son remplacement. Plus d’ambassadeur au palais Farnèse, plus d’ambassadeur à la villa Bonaparte, cette situation ne s’était pas vue depuis 1870. À cela s’ajoute le fait que la villa Médicis n’a plus de président, l’ancien n’ayant pas, lui non plus, été remplacé. C’est donc tout l’appareil de la diplomatie culturelle et étatique qui se retrouve sans tête et sans commandement. Or Rome est une place hautement stratégique, étant donné le réseau d’information dont dispose le Saint-Siège et l’ensemble des personnes qu’il est possible de rencontrer grâce à l’art et aux échanges culturels. La présence française s’efface à Rome et avec elle la puissance de la France. C’est le sens même de la diplomatie qui est perdu. Depuis que Laurent Fabius a restreint l’action diplomatique sur son volet économique, tout le reste a été effacé : action culturelle, politique d’influence, réseau d’informations, etc. Ce rétrécissement de la diplomatie cause son affaiblissement et, à Rome, sa disparition. Comment peut-on laisser aussi longtemps vacant le siège de la villa Bonaparte, alors que c’est l’un des plus importants du réseau diplomatique français ? Cela témoigne d’un très grand amateurisme au sommet de l’État, amateurisme inquiétant pour la puissance française.

 

L’Italie va mal

 

Quant à l’Italie, elle va mal. Ses problèmes structurels ne sont nullement réglés par l’actuelle coalition, ni la dette, ni la réforme des retraites, ni l’amélioration du tissu économique. Beaucoup de jeunes diplômés savent qu’ils n’ont pas d’avenir dans la péninsule et émigrent en France et aux États-Unis. Les infrastructures sont dans un état déplorable. Les autoroutes sont abîmées et vieillies, le réseau d’adduction d’eau est obsolète, comme en témoigne la pénurie d’eau de l’été 2017 à Rome. À Rome, de nombreuses rues sont trouées et défoncées et les déchets ne sont pas ramassés, comme dans un grand nombre de villes du sud. La gestion des déchets est un mal chronique du pays. Salvini peut accuser l’Europe et Bruxelles d’être la cause de ces maux, il n’en est rien et il faudra bien prendre les mesures essentielles au redressement du pays. Jusqu’aux Européennes il ne devrait pas y avoir grand-chose ; autant de mois de perdus. Et après, la coalition risque d’éclater et le pays de retomber dans l’incertitude politique. Il y a donc plus urgent et mieux à faire pour le bien des peuples que de se livrer à des chamailleries puériles entre brutes et truands.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

10 Commentaires

Répondre à Jessim

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  • Guillaume_rc

    20 février 2019

    Ce brillant article montre malheureusement l’état désastreux de notre diplomatie (quand je pense que L. Fabius finira sa vie couvert d’honneurs…).
    Après les Etats-Unis, la Serbie, Macron nous fâche avec l’Italie. Bravo !

    Petite question : pourquoi le poste d’ambassadeur au Vatican est-il vacant ?

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  • Denis MATTON

    20 février 2019

    Je pensais que c’était Philippe ZELLER et non Bruno JOUBERT (prédécesseur de M. ZELLER) qui était notre dernier ambassadeur auprès du Saint Siège.

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  • Philippe

    17 février 2019

    @ Bilibin : Nul pays ne peut emprunter a 3% quand sa croissance est a 0,5% . Pour un euro de déficit budgétaire supplémentaire ( voté par le gouvernement actuel ) l’Italie devra rembourser de 3 a 5 euros , selon la chute de sa croissance . Le gouvernement Salvini (Lega ) – Di Maio ( 5 stelle) va donc exploser après les elections européennes qui seront marqués par la suprématie de La Lega . La Lega va donc surfer sur sa victoire aux européennes , pour faire dissoudre le parlement et appeler aux elections lègislatives . Prévoyez de 3 a 6 mois de grande agitation entre le 26 mai ( européennes ) et les législatives ( fin juin ou septembre ) . La Lega va gagner haut la main les législatives en regroupant les autres éléments de la droite ( Berlusconi-Fratelli d’Italia ) . Alors commencera le véritable débat : NON PAS L’ EURO ( la base électorale de la Lega est constitué d’ entrepreneurs et d’ artisans qui sont souvent exportateurs ) mais la décentralisation fiscale du pays .
    Les % stelle qui représentent le sud , devront admettre leur double défaite ( européennes + legislatives ) .
    La nèfaste union italienne de 1861 cédera la place a une dèsunion fiscale .

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  • Ockham

    17 février 2019

    Le grand chantier est effectivement le principe de subsidiarité aux différents échelons territoriaux et dans les trois catégories de MONTESQUIEU. L’Italie démontre que centraliser les ressources fiscales à Rome pour les jeter à la volée sans contrôle sur le SUD ne change rien au Sud sinon exaspérer le Nord. Les ruades catalanes, la silencieuse fusion des départements alsaciens, la disjonction flamand-wallon et bien d’autres mouvements dans toute l’Europe montrent bien que l’Europe tient à rester diverse en jouissant de francs degrés de liberté et sera contre toute idée absolutiste du type français ou autres du même type qu’il soit Louis XIV, Napoléon, Révolutionnaire ou cette caste de fonctionnaire-politique-à-vie envahissant Bruxelles mais pour des dévolutions sur les questions régaliennes seulement sans perte de personnalité! Toujours en respectant les principes de Montesquieu à savoir qu’un fonctionnaire ne doit pas être (saut à la retraite)à l’exécutif ni à aucune assemblée et encore moins juge de profession…comme ces Français qui semblent ravis de remettre dans les mains de ces « touche à tout » donc à rien tous les trois pouvoirs. Ces commissions discrètes où les fonctionnaires font la loi, l’applique eux-mêmes et la juge car ils sont comme Andersen tour à tour acteur et contrôleur en permutant les rôles entre quelques uns. L’un est ci un jour, ça le lendemain et redevient ci. Alors on obtient des diamants comme le Crédit Lyonnais ou Enron qui sont peu de chose par rapport aux tonnes de mépris jetés sur les principes républicains et démocratiques de nombreux états européens.

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  • Jessim

    17 février 2019

    Je vais être un peu cru mais les mouvements italiens au pouvoir faute d’avoir eu les « burnes » de s’en prendre directement à l’UE et ses institutions, elles font les « grandes gueules » avec la France pour masquer leurs trouilles.
    Il est vrai que leur situation bancaire est très critique, il n’en reste pas moins que si on veut vraiment parler de souveraineté, il faut reprendre la main sur bon nombre de leviers politiques et pour l’instant les seuls à avoir fait cela sont les anglais.

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  • Steve

    16 février 2019

    Bonsoir

    L’égotisme des politiciens produits par la société des media est sans bornes. C’est à qui prendra des postures de matamore sur les tréteaux, aux fins d’esbroufer la ménagère de moins de 50 ans.
    J’en viens à me demander si les Shadoks et le Bébête-Show n’auraient pas été intégrés aux programmes de Science Po et de l’ENA!
    Cordialement

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  • JLP

    16 février 2019

    Ce très grand amateurisme de l’état s’explique bien si l’on estime que nous avons à notre tête un homme qui se comporte comme un gamin malpoli (il suffit de se remémorer toutes les insultes qu’il a prononcées contre la France (et les Français) : crime contre l’humanité etc… et contre les Italiens (qui auraient bien pu rappeler leur ambassadeur s’ils n’étaient pas, eux, des adultes responsables)), ignare de l’histoire et la géographie du pays qu’il est sensé représenter, et surtout capricieux (ouh! je suis vexé, je rappelle mon ambassadeur…).

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    • Robert

      18 février 2019

      Effectivement, le manque de maturité – notamment politique, mais pas seulement – du président français est indéniable, et manifestement cet homme a revêtu un costume trop grand pour lui. Vainqueur ( par défaut ) d’une élection-spectacle, l’acteur est désormais à la peine dans le rôle…

  • Philippe

    15 février 2019

    Je me permets d ‘ abonder quant au volet français de votre analyse , Macron fait de la  » gonflette  » avec la lépre populiste italienne . Cela lui permet de se dégager un peu de sa pénible situation intérieure.
    Le rappel de l’ ambassadeur français a duré quelques jours .
    L’ absence prolongé d’ ambassadeur auprés du Saint-Siége est plus grave vu sa prolongation.
    Quant au volet italien de votre article , vous ne saisissez pas que nous traversons la premiere recomposition et résurrection de la droite conservatrice en europe autour du théme de la souveraineté.
    La Lega de Salvini est non seulement un parti de valeurs sociales et morales centrées sur le droit naturel, la propriété , mais surtout c’ est le parti des entrepreneurs , des PME ( exportatrices aussi ) , et des employés et ouvriers de ces PME . Ces PME sont le poumon du nord productif du pays . Donc la Lega est un parti physiologiquement solide .
    Le Mouvement 5 stelle est celui des déclassés , des abandonnés du Sud ( le Sud commence en bas de la ligne Toscane-Ombrie-Marche).
    Le M5Stelle crée par le comique , richissime et demagogue de choc ( Beppe Grillo) fait de la surenchére permanente . Il donne de l’ espoir, aux pauvres et aux déclassès. Son leader actuel m vive 1er ministre est de la meme eau ; Luigi di Maio est une nullité souriante, ex-etudiant en journalisme , qui tenait une buvette au Stade de football de Naples .
    Le scénario qui va se jouer aux européennes et ensuite sera le suivant :
    La Lega va dominer les les elections et fera pres de 36% des voix , le M5S fera 21% d’ ou implosion de l’ actuel gouvernment et recomposition a droite apres dissolution du Parlement par le Président de la Republique Matarella .Berlusconi 6% – Fratelli d’Italia 6% . Le Parti democratique ( ex PCI-ex Socialistes ) fera 16% .
    Un gouvernement de droite conservatrice réunira Lega-Berlusconi-Fratelli .
    Je vous assure que ce gouvernement NE SORTIRA PAS DE L’UE ET NE RENONCERA PAS A l’ EURO .Il ne demandera pas l’ application de l’ Article 50 .Le contraire serait un suicide politique de Salvini, qui se couperait de sa base electorale qui est PRODUCTIVE .
    Par contre , et en échange de son respect des regles de l’UE, il prendra au sein de l’Italie , des mesures de regionalisation fiscale , pour decentraliser les ressources et affecter celles.ci – dans une proportion de 70% aux regions 30% a la nation .
    Ce serait donc la resolution du probléme du sous-developpement du Sud, c’ est a dire que le Nord s’ allegerait du fardeau fiscal du Sud .
    Cette solution existe déjà en Espagne en Navarre, Guipuzkoa ou les regions basques conservent les 80% des impots qu’elles prélévent .
    La Catalogne elle a echoué dans sa secession.
    Il est probable que l’Italie réussisse sa transformation interne, sans renoncer a l’ euro et sans renoncer a son unité politique , mais en abandonnant son unité fiscale .

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    • Bilibin

      15 février 2019

      Mais le renoncement à l’euro n’est-il pas inévitable (à terme) par la seule mécanique de la dette italienne?

      Car trouver 6% de croissance pour la servir tient du doux rêve.

      On peut imaginer que cela prenne encore quelques années mais il me semble évident que Salvini prépare au moins le terrain pour le jour où cette sortie s’imposera d’elle-même.

      « A l’impossible nul n’est tenu »

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