21 janvier, 2020

EXCLUSIF Affaire Matzneff : l’ancienne ministre Michèle Barzach entendue comme témoin ?

 

Ministre de la Santé et de la Famille sous Jacques Chirac de 1986 à 1988, Michèle Barzach pourrait bien être entendue dans le cadre de l’enquête ouverte à l’encontre de l’écrivain pédophile : médecin gynécologue, elle n’était pas regardante pour prescrire la pilule aux conquêtes mineures de Gabriel Matzneff.

 

Du début des années 1970 jusqu’à son entrée au gouvernement, Michèle Barzach exerce comme gynécologue dans le XVe arrondissement de Paris. A son entrée au gouvernement, celle qui a fait ses premières armes en politique comme conseiller d’arrondissement puis adjointe au maire du XVe grâce à la protection que lui prodigue déjà Jacques Chirac – il l’a même propulsée déléguée nationale du RPR aux affaires sociales – est présentée par le journal Le Monde comme « modérément libérale ».

Dans le contexte de l’époque, cela veut dire qu’elle « modérément de droite ». Elle le prouvera d’ailleurs assez vite puisque, quelques semaines après sa nomination, elle s’opposera à l’arrêt du remboursement de l’avortement par la Sécurité sociale, souhaité par la nouvelle majorité RPR-UDF. Le docteur Bernard Savy, député RPR de la Nièvre, a même déposé un amendement en ce sens. Elle explique alors à l’Assemblée qu’il est important de « conserver un dispositif permettant de ne priver aucune femme de la possibilité de choisir l’IVG pour insuffisance de ressources », même s’il faut aider les femmes à ne pas recourir à l’avortement, en développant l’information sur la contraception.

Depuis la loi Neuwirth (1973), la vente de produits contraceptifs est autorisée mais leur délivrance aux mineures restera soumise à autorisation parentale jusqu’en 1974, date à laquelle la ministre de la Santé Simone Veil lèvera cette obligation et accordera aux mineures le droit à l’anonymat. Or les policiers de l’Office central de répression des violences aux personnes (OCRVP), agissant dans le cadre de l’enquête ouverte par le parquet de Paris à la suite des accusations portées contre Gabriel Matzneff par l’éditrice Vanessa Springora dans le livre Le Consentement (Grasset), sont tombés à plusieurs reprises sur le nom de Michèle Barzach à une époque où, si on en croit ce qu’il a écrit, elle était le témoin privilégié, pour ne pas la complice, de ses agissements.

Ainsi que l’a confié au Journal du dimanche l’éditeur Antoine Gallimard, qui a retiré de la vente tous les ouvrages de Matzneff (ainsi que l’ont fait la plupart de ses autres éditeurs), « on nous a demandé par écrit que l’on adresse à l’OCRVP un exemplaire de chaque volume du Journal de Gabriel Matzneff ». La même requête a été effectuée auprès de ses autres maisons d’édition, dont La Table ronde. Et la lecture de ses journaux intimes et néanmoins publics a commencé : une quinzaine de tomes publiés entre 1976 et 2019 et ne cachant pas grand-chose de sa vie privée, détaillée au jour le jour (et parfois heure par heure !), de 1953 à 2018, soit sur une durée de soixante-cinq ans !

Elie et Phaéton (La Table ronde) couvre la période 1970-1973. Le 11 août 1973, veille de son 37e anniversaire, il tombe, au quartier Latin, sur une vieille connaissance – enfin, vieille, façon de parler –, « accompagnée d’une jolie adolescente de quinze ans, sa fille, Francesca » : « Cette rencontre m’émeut et me trouble. » Quatre jours plus tard, il dîne chez elles. « Je suis sous le charme de cette céleste de quinze ans », écrit-il, ajoutant ceci, qui en dit beaucoup sur la véritable nature de ses attirances : « Je lui trouve une ressemblance avec Erik Pyrieff, le gamin qui joue le rôle d’Ivan enfant dans la deuxième partie d’Ivan le Terrible d’Eisenstein : visage ovale, grands yeux de velours, nez fin, lèvres gonflées, sensuelles. » Quand le film a été tourné, Pyrieff (ou Pyriev) avait treize ans…

Quoi qu’il en soit, et qui relève de la psychanalyse, Francesca passe bientôt de la table maternelle au lit de Matzneff. Mais si elle tombe enceinte ? Si elle était déjà tombée enceinte ? Nous sommes le 9 novembre et Matzneff s’en inquiète : « J’achète un truc à la pharmacie pour savoir si on attend un bébé ou non. Francesca sèche l’école, vient chez moi faire le test. Ouf ! c’est négatif. Toutefois, il faut que nous trouvions un gynécologue qui accepte de lui prescrire la pilule sans prévenir sa mère. Si nous tombons sur un médecin réac, hyper-catho, c’est fichu. »

Oui mais où et comment dénicher ce toubib pas bégueule ? Pour Matzneff, qui fréquente le Tout-Paris, quatre jours vont suffire pour trouver la perle rare et obtenir un rendez-vous. Il a fallu une entremetteuse, il en donne le nom : Juliette Boisriveaud. Aujourd’hui, il faut avoir été féministe dans les années 1970 pour savoir de qui il s’agit. En novembre 1973, lorsque Gabriel Matzneff fait appel à son carnet d’adresses, Juliette Boisriveaud a 41 ans « et un CV déjà long comme le combat des femmes vers l’émancipation », dixit Libération, et, journaliste à Paris Match, elle travaille au lancement, le mois suivant, du journal dont elle va être la rédactrice en chef, Cosmopolitan.

A la date du 13 novembre 1973, Matzneff peut ainsi écrire : « Je crois qu’aujourd’hui, chez la gynéco, Francesca a pris la pleine mesure de mon amour, qu’elle a éprouvé que je me sens responsable d’elle, que je l’aime vraiment, et pas qu’au lit. C’est grâce à Juliette Boisriveaud que nous avons eu ce rendez-vous chez le docteur Michèle Barzach. Nous y sommes allés avec la crainte d’être critiqués, sermonnés, aussi avons-nous été très agréablement surpris. Michèle Barzach est une jeune femme douce, jolie, attentive, qui à aucun moment n’a cru devoir faire la morale à ce monsieur de trente-sept ans et à sa maîtresse de quinze. Elle a, je pense, tout de suite compris que nous formons un vrai couple, que nous nous aimons. »

Nous avons vérifié : la Michèle Barzach qui est désignée à la page 378 d’Elie et Phaéton par Matzneff n’est pas un homonyme. Juliette Boisriveaud et Michèle Barzach étaient amies. Et du même camp. La première a publié des textes de la deuxième dans Cosmo. Elle lui a même présenté son mari, Jean-Pierre Renard. Quelques années et deux enfants plus tard, l’époux de Juliette ne l’était plus : il était devenu celui de Michèle.

Nous avons – et les enquêteurs de l’OCRVP ont – épluché les journaux de l’écrivain. Après cette première consultation qui l’a pleinement satisfait, Michèle Barzach va devenir en quelque sorte la gynéco attitrée de Matzneff. On en trouve un autre exemple, mais ce n’est pas le seul, dans Les Soleils révolus (1979-1982) (Gallimard). « Hier, mardi 3 juillet 1979, raconte-t-il, Marie-Elisabeth, seize ans, est devenue ma maîtresse. […] Tout l’après-midi, donc, nous nous sommes aimés, délicieusement […] Elle m’a permis […] et, lorsque je m’apprêtais à la pénétrer, elle m’a seulement rappelé dans un murmure (elle tremblait de tous ses membres) qu’elle ne prenait pas la pilule. Je lui ai donc fait l’amour. J’ai été très progressif, très doux. Pour moi, cela a été enchanteur ; pour elle aussi, je crois. »

Il croit ? Deux jours plus tard, elle a surtout « très peur d’avoir un bébé Matzneff ! » Il lui répond qu’il a « fait attention »… Il n’empêche que l’inquiétude grandit. Le 6 septembre, il accompagnera Marie-Elisabeth chez le docteur Barzach. Cette fois, il restera dans la salle d’attente. Marie-Elisabeth ressortira du cabinet « radieuse » : « Le bébé Matzneff était une fausse alerte. »

Dans Un galop d’enfer (La Table ronde), son journal des années 1977-1978, Gabriel Matzneff fait cet aveu : « Mon Dieu ! quand je compare le désir raisonnable que m’inspire une belle jeune femme telle que Véronique au bouleversement absolu qu’une jolie jeune fille de quinze ans comme Marie-Elisabeth opère en moi, il me fait bien l’avouer que, quoi que j’en aie parfois, je suis foncièrement, et irrémédiablement, pédophile. »

Michèle Barzach, qui était aussi psychanalyste, ne s’en était-elle pas aperçue ? En juin 2012, on pouvait lire dans Le Quotidien du médecin : « Médecin gynécologue, psychanalyste et ministre de la santé et de la famille du deuxième gouvernement Chirac, Michèle Barzach a été élue à la présidence de l’Unicef France. » La nouvelle présidente avait déclaré : « Dans la continuité de ma vie consacrée aux femmes et aux enfants, je servirai avec conviction et enthousiasme la stratégie de l’Unicef fondée sur la notion d’équité, pour permettre l’accès des plus vulnérables aux droits fondamentaux que sont la santé, la nutrition, l’éducation et la protection. » Son mandat s’est achevé en juin 2015.

 

Bruno Larebière

Auteur: Bruno Larebière

Journaliste indépendant, Bruno Larebière collabore à divers titres de la presse parisienne, dont le mensuel L’Incorrect dont il dirige les pages politiques. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, la plupart en tant que « prête-plume », il exerce aussi l’activité de conseiller en communication.

9 Commentaires

Répondre à Pierre Durand

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  • Lou

    6 avril 2020

    Une honte cette personne devrait être traduite en justice pour avoir participé à un réseau pédophile. Le plus grave le Dr Barzach, a été de 2012 à 2015, présidente de la branche française de l’UNICEF, l’agence des Nations Unies pour la protection de l’enfance. Est-ce une blague ou est la justice?

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  • François

    27 janvier 2020

    Surréaliste : il n’y a pas un seul élément nouveau depuis 40 ans…. tout était bien connu et publié de long en large !
    Personne n’a rien dit pendant 40 ans… pire, il a reçu des prix, des interviews etc… et brusquement tout bascule, et tous ceux qui l’avaient encensé, ou tacitement admis au pire, se retournent en bloc contre lui… en disant que « les temps ont changé » ?!?!
    Et bien non, rien n’a changé à part le courage d’une victime qui a osé dire stop en utilisant le même moyen de diffusion : un livre !
    Désolé, mais tous ceux qui ont publié ses écrits ou diffusé ses interviews sont complices… et rien n’a changé : un adulte qui séduit un enfant de 13 ans, même consentant, c’était et c’est toujours un viol… Et si c’est un mode répétitif de sexualité, il devait être emprisonné, pour ne plus faire de victimes !
    Si il en fait l’apologie écrite, encourageant ainsi ces pratiques c’est punissable, y compris pour les éditeurs et médias qui se sont prêtés à ce petit jeu malsain !
    On punit bien très lourdement ceux qui préconisent le « jihad » contre les « infidèles », même si ils ne passent pas à l’acte, ainsi que ceux qui diffusent ou publient ces idées dans le but de convertir des adeptes du terrorisme !
    Ce n’est pas seulement lui en tant qu’auteur qui doit être boycotté, ce sont aussi tous ses éditeurs et les médias qui l’ont interviewé sans solide mise au point …
    Et les fonctionnaires censées mettre des limites aux publications, qui n’ont pas joué leur rôle de protection des enfants, des citoyens, doivent aussi être sanctionnés…
    C’est trop facile d’invoquer « une autre époque »… ou un inexcusable « tout le monde le faisait » alors que justement on est plus libre maintenant, et beaucoup moins hier, pour autant qu’on respecte l’être humain et que tout se passe uniquement entre adultes consentants…
    Trop facile d’échapper à ses responsabilités, même si beaucoup de personnes sont impliquées : un bon coup de balais s’impose !
    Pour ma part, plus jamais je n’achèterais un livre aux éditions ayant publié ces écrits ! Plus jamais…
    Et j’espère que le public va réagir de la même manière !
    Ceci étant dit, il y a encore beaucoup à faire : par exemple, on distribue dans les écoles primaire le Coran dont plusieurs passages préconisent de tuer les infidèles, et dont un passage promet le paradis à celui qui y laisse la vie! Et personne ne réagit alors que ce livre devrait, vu son contenu explosif, être interdit en occident. Je l’ai entièrement lu, dont ces passages plusieurs fois en comparant les traductions, au départ avec une grande bienveillance pour « comprendre »… et je suis sorti horrifié du contenu de ces passages…
    Si j’écrivais la même chose en français, le livre serait interdit et j’irais probablement en prison pour encouragement au crime raciste, sur base religieuse…. et parce que c’est écrit en arabe, personne ne dit rien ? Pire : on le distribue à des enfants dans les cours de religion subventionné avec nos impôts?
    On en rirait (jaune) si il n’y avait pas autant de passages à l’acte…
    Il serait temps qu’on arrête de jouer ainsi avec le feu, que ce soit en matière de pédophilie ou de racisme religieux…

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    • Santonio

      20 décembre 2023

      Je suis on ne peut plus d’accord avec vous. Nos politiques, éditeurs, juges, médias, journalistes mondains, et j’en passe ont été complices de ces crimes et le sont encore aujourd’hui en ce qui concerne l’islam

  • Pierre Durand

    22 janvier 2020

    Trop d’impunité ; toutes ces personnes liées de près ou de loin au saccage de la vie de ces jeunes adolescentes doivent rendre des comptes

    Comme les prêtres !!!

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  • Blondin

    22 janvier 2020

    Merci de ces précisions.
    Et encore, on ne parle ici que des jeunes filles ; j’ai cru comprendre que les garçons l’intéressaient aussi.
    Quoiqu’il en soit, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec d’autres affaires.
    Que n’a-t-on pas entendu sur l’Eglise qui « couvre les agissements criminels des prêtres » (agissements hautement condamnables – soyons bien clairs) !!!
    Or nous avons là le cas de quelqu’un dont tout Paris (et même toute la France) connaît les activités pédophiles et qu’arrive-t-il ?
    On le publie, on lui confie des rubriques, etc.
    Quelle hypocrisie, une fois de plus !

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    • Pierre Durand

      22 janvier 2020

      Ces gens sont entrain de mettre la France en feu
      Que Chirac repose en paix !!!
      Il a beaucoup de choses à se faire pardonner !!!

  • Artarit

    22 janvier 2020

    Bravo mme Barzac . Va t on reprocher à un médecin de tout faire pour que la vie de ces adolescentes ne soit pas transformée en drame ! Un comble quand tout le monde ,les ministres ,le procureur connaissait les penchants pedophiles de GM ,dont il ne s’était jamais caché et qui etaient publics via les livres qui faisaient se pamer tout le monde littéraire parisin .

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    • Francois

      24 janvier 2020

      Effectivement, MAIS par contre, ne pas avoir dénoncé celui qui systématiquement va à la « chasse » de petites amies mineures d’âge, c’est très grave !
      Matznef n’était pas son patient, vis à vis duquel elle aurait pu se retrancher derrière le secret professionnel…
      En plus, quand une ou des personnes sont en danger, le secret professionnel tombe d’office !
      Dénoncer un pédophile qui s’attaque à des victimes mineures, même consententes, encore plus à répétition, c’est un devoir !
      Un premier amour physique à 15 ou 16 ans, ce n’est pas du tout souhaitable, mais si cela débouche sur une relation stable et un amour qui devient adulte avec le temps, revenir « en arrière » pour une condamnation judiciaire devrait pouvoir être évité…
      Mais si il s’agit d’une soif de conquêtes de mineures, qui subissent chaque fois un choc affectif d’autant plus grave qu’il s’agit, en principe, de leur première expérience amoureuse soldée par un échec.. alors là, je trouve qu’il ne devrait pas y avoir de prescription dans le temps… et on se trouve clairement devant une non assistance de personnes en danger…. Désolé…

  • breizh

    21 janvier 2020

    merci de remettre certaines choses en perspective !

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