18 mai, 2017

Égypte : le sphinx au pied d’argile

 

L’Égypte a toujours été un pivot stratégique du Moyen-Orient, de par sa situation géographique, entre le Maghreb et le Machrek, et sa profondeur historique. Ce pays riche des pharaons, d’Alexandre le Grand, des Ptolémée et des Pères de l’Église a longtemps été la région la plus riche et la plus développée de l’Empire romain. Le basculement de ce pays dans l’islamisme serait un grave danger pour l’ensemble de la Méditerranée et pour l’Europe. Le pire n’est jamais certain, mais la population est en train d’être imprégnée par l’idéologie islamiste dont les groupes sont financés par l’Arabie Saoudite. Surtout, l’Égypte a longtemps été le moteur intellectuel et politique du monde arabe, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

 

C’est en 642 qu’Alexandrie est prise par les Arabes. Sa population a ouvert les portes à l’envahisseur afin de se débarrasser de la tutelle de l’Empire byzantin. Un empire honni et dont la rivalité entre Byzance et Alexandrie a structuré l’histoire de la romanité orientale. Un envahisseur en a chassé un autre, sauf que le premier était lointain alors que le nouveau est proche. Chrétiens et musulmans cohabitent à peu près, les premiers représentant au moins 50% de la population jusqu’au XIIIe siècle. Ce que l’on appelle aujourd’hui les Coptes sont les héritiers des Égyptiens d’origine. Ils sont quasiment tous chrétiens, certains se rattachant à Rome, d’autres étant inclus dans des églises propres depuis la rupture du concile de Chalcédoine (451). Les Coptes sont aujourd’hui environ 15% de la population du pays.

 

Des mamelouks à Nasser

 

L’Égypte a ensuite été conquise par les Ottomans, mais contrôlée par les mamelouks, une caste militaire composée d’esclaves affranchis. C’est eux que Napoléon Bonaparte défait à la bataille des Pyramides (1798). 1798 sonne comme un coup de tonnerre pour le monde arabe. C’est la découverte brutale de la modernité occidentale et le début du long déclin de l’Empire ottoman. L’Égypte devient le pays de la réforme et de la modernité, un îlot de nouveauté dans un monde musulman figé. Cette figure moderne a été défendue par l’ensemble des dirigeants, indépendamment des régimes politiques. Au XIXe siècle, les dirigeants se veulent éclairés et ouverts aux idées de l’Europe. L’ouverture du canal de Suez (1869) permet de rattacher ce pays aux routes commerciales européennes. L’Égypte est le premier État arabe à accéder à l’indépendance (1922). Ce faisant, le roi Fouad se veut le porte-drapeau du nationalisme arabe. Mais simultanément, c’est en Égypte qu’est fondée la confrérie des Frères musulmans (1928, Hassan el-Banna). L’Égypte est ainsi un double modèle : pour les nationalistes laïcs et pour les islamistes. L’Égypte est le berceau de ces deux mouvements qui depuis ne cessent de s’affronter et de s’opposer violemment.

 

La monarchie est renversée en 1952 et des militaires prennent les rênes du pays. C’est le tropisme mamelouk qui ressurgit, celui d’un pays dirigé par une confrérie militaire. Nasser dirige l’Égypte de 1956 à 1970. Le succès de l’opération de Suez (grâce à l’intervention des États-Unis et de l’URSS), la construction du barrage d’Assouan, le dynamisme économique du pays font de l’Égypte un modèle. Le nationalisme arabe se diffuse alors que l’islamisme est combattu. Les frères musulmans sont fortement réprimés, alors même qu’ils créent des œuvres sociales importantes. Sadate est assassiné le 6 octobre 1981 par un commando d’islamistes. Moubarak lui succède ; les militaires ne lâchent pas la main. La révolte de 2011 permet aux frères musulmans de prendre légalement le pouvoir lors de l’élection présidentielle. La charia est alors intégrée à la constitution, avec l’assentiment de la population. C’est parce qu’ils craignent la dérive vers une théocratie et la mainmise des islamistes que les militaires se soulèvent en 2013, arrêtent Mohammed Morsi et placent le maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Morsi n’est resté qu’un an au pouvoir, l’expérience politique des Frères musulmans fut de courte durée.

 

La démocratie amène les islamistes

 

Rien n’est réglé pour autant. Les élections de 2012 ont surpris l’Occident, car elles ont montré que les peuples pouvaient élire des islamistes, c’est-à-dire ce qui est considéré comme mauvais par la pensée occidentale. Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Iran, Turquie : là où il y a des élections libres, là gagnent les islamistes. Voilà de quoi réviser certaines certitudes : la démocratie n’est peut-être pas la formule magique qui permet d’apporter le bonheur et la liberté des peuples. Ceux-ci peuvent aussi se tromper et être trompés. D’autre part, les islamistes peuvent nous paraître rétrogrades, ils n’empêchent qu’ils sont populaires. Il faudra bien sortir de nos grilles de lecture progressistes pour essayer de comprendre pourquoi les populations peuvent voter pour des partis qui promeuvent la charia et le voile des femmes. Il est trop commode de mettre cela sur le compte de l’ignorance, car c’est exactement l’inverse : les populations éduquées votent davantage islamistes que les autres. Les Marocains et les Tunisiens vivant en France ont, en pourcentage, davantage voté pour les islamistes que les habitants des pays. En Turquie, ce sont les élites urbaines et cultivées qui soutiennent Erdogan. En Égypte, la population semble largement acquise aux idées islamistes.

 

Adhésion à l’islamisme

 

C’est un rapport du Pew Research Center (2013) qui le démontre. Ce centre de recherche sur les religions, basé à Washington, fait autorité en la matière et ses études sont toujours reconnues comme étant très sérieuses. Or son étude de 2013 démontre que ce pays est enclin à la radicalisation :

75% de la population égyptienne considère que la charia est la parole de Dieu révélée.

74% souhaitent que la charia devienne la loi de l’État.

75% voudraient que la charia s’applique non seulement aux musulmans, mais également aux non-musulmans.

95% voudraient que les conflits en matière de famille et de propriété soient tranchés par des juges religieux.

70% sont en faveur de châtiments corporels pour punir des crimes comme le vol.

81% sont en faveur de la lapidation de celui qui se rend coupable d’adultère.

86% sont favorables à la peine de mort pour ceux qui abandonnent l’islam.

 

La tolérance et la liberté religieuse ne sont donc pas vraiment au programme. Le référendum de décembre 2012 a entériné la nouvelle constitution a une large majorité. Or, celle-ci intègre la charia comme base juridique de l’Égypte, permettant ainsi une islamisation intensive de la justice. Al-Sissi n’a pas abrogé ces articles même si, pour l’instant, ceux-ci sont appliqués sur un mode mineur. Cette évolution est conforme à l’islamisation croissante de la société, façonnée par l’idéologie wahhabite et financée par l’Arabie saoudite, ce qui est une ingérence insupportable pour le gouvernement.

 

L’ambiguïté Al-Azhar

 

La mosquée Al-Azhar du Caire est à ce titre très ambiguë. Fondée en 969, c’est l’une des principales autorités de l’islam sunnite. Ce n’est pas une université au sens où nous l’entendons en Europe. Une université est un lien de transmission, d’inventivité et de débats intellectuels. Al-Azhar est plutôt un séminaire, chargé de former les imams et de prononcer des sentences juridiques d’interprétation du Coran. Les dirigeants égyptiens s’en sont toujours méfiés. Celle-ci a tardé à condamner l’islamisme, et elle l’a fait en des termes ambigus. Lorsqu’en janvier 2011, Benoît XVI avait demandé que les églises soient davantage protégées suite à des attentats perpétrés contre les chrétiens, Al-Azhar avait protesté contre ce qui était considéré comme une ingérence et avait rompu ses liens avec le Saint-Siège. Ceux-ci ont été rétablis après l’élection du pape François, qui s’est ensuite rendu en Égypte en avril 2017. L’actuel Grand Imam de la mosquée, Ahmed el-Tayeb, a reçu le Pape lors de sa visite et lui a permis de s’exprimer lors d’un colloque portant sur la construction de la paix. Celui-ci est fidèle au régime, mais le maréchal Al-Sissi trouve malgré tout que les efforts de modernisation ne vont pas assez vite.

 

Un recul culturel

 

Il est loin le temps où la radio La Voix des Arabes régnait sur le monde arabe. Désormais ce sont les télévisions du Qatar qui sont regardées. L’Égypte voit sa puissance culturelle décliner, au profit des États du Golfe. Le pays reçoit de l’argent des États-Unis et de l’Union européenne afin de l’aider à se maintenir à flot. Son basculement dans l’islamisme serait une catastrophe. Le tourisme est l’une de ses principales ressources économiques. Or les attentats font fuir les touristes, provoquant la fermeture des hôtels et du chômage de masse. Le pays est durablement fragilisé, ce qui est dangereux pour l’ensemble du monde. L’Afrique du Nord est la zone fragile et bouillonnante du monde. Du Maroc au Sinaï, les États sont fragiles et les islamistes en embuscade. Si un État tombe, le risque est que les autres suivent. C’est là une région dont il faut se préoccuper et éviter la dissolution.

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

12 Commentaires

Répondre à Ockham

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  • sassy2

    22 mai 2017

    Pour détendre l’atmosphère et faire le lien entre la Syrie et l’Egypte, c’est sous les pharaons que furent trouvés les procédés pour confire les fruits (& je crois me souvenir aussi la bière)
    Ensuite les syriens/perses en sont devenus les spécialistes.

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  • Ockham

    22 mai 2017

    Vos arguments sont rationnel mais ce n’est pas un pays aux pieds d’argile. Si vous y avez vécu un peu ou voyagé sur ce Nil, force est de reconnaître que chaque Sapiens est envouté par ce lieu de patrimoine fondamental et de passage incontournable depuis des centaines de milliers d’années. Les Égyptiens le plus souvent charmants et fins quand ils ne tombent pas dans les rets des salafistes savent tout cela. C’est un pays fantastique. Il ne peut pas faiblir avec un tel passé et aussi parce que tant de Sapiens y sont passés.

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    • Jean-Baptiste Noé

      22 mai 2017

      La profondeur historique est effectivement l’un de ses atouts principaux. Histoire que les islamistes tentent d’effacer en faisant débuter l’histoire de l’Egypte a la conquête par les Arabes. Il est possible qu’ils s’en prennent un jour aux monuments historiques, comme en Syrie ou en Afghanistan.

  • Boudeffa

    20 mai 2017

    L instabilité réelle ou potentielle, passée ou présente , des pays de l Afrique du nord ( Egypte , Tunisie , Libye , Algérie) ne provient pas des islamistes en tant que mouvement , idéologie , partis , secte nébuleuse … . Ils sont effet plus que cause . Ils sont la marque de l échec patent des pouvoirs répressifs et corrompus en place, dans la construction d Etats nationaux modernes ou les citoyens se reconnaissent . Les cliques au pouvoir produisent de la force , usent de violence sans recours , s’accaparent les richesses nationales , font preuve d’arrogance et de morgue , sur fond de pauvreté grandissante des populations et d ‘injustice à leur égard. S’en remettre à Dieu à travers l ‘Islamisme , c est agir pour exorciser les frustrations , les peines et prendre sa revanche sur les dictateurs et les puissances qui les protègent. La violence leur parait plus porteuse d ‘espoir et de changement que ne l est la démocratie qu on leur miroite

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    • Charles Heyd

      21 mai 2017

      Je pense aussi, et je l’ai écrit un peu plus haut, que tous ces drames (les révoltes des peuples asservis d’Afrique du Nord, mais pas que, Syrie, Afghanistan, Irak, etc.) ne sont pas dus à des conspirations islamistes mais à la misère sociale et politique de ces pays;
      #Boudeffa vous avez raison, l’islam et les organisations qui s’en réclament, ne fait que prendre le train en marche même si il (l’islam) y a aussi contribué (statut de la femme dans les sociétés où la charia prédomine).
      Mais avec Daesch, ou Al quaida, ce n’est pas vers le progrès qu’on est en marche (sans jeu de mots) mais la régression.

    • jemapelalbert

      26 mai 2017

      Je ne suis pas spécialiste du monde musulman bien que j’ai eu l’occasion de séjourner dans quelques pays musulmans (Afrique et Perse).
      Je pense que la pauvreté et la misère ne sont pas à l’origine de cette poussée islamiste et cette violence envers les autres religions.
      Bien que la situation ne soit pas magnifique en France on ne peut pas dire que la pauvreté soit celle que l’on peut découvrir ailleurs… et pourtant : l’islamisme progresse et les attentats avec.
      La simple pauvreté n’oblige pas à la violence.
      Voyez Ghandi !
      Vous vous trompez Monsieur, c’est uniquement affaire de criminalité, de mafia et de banditisme sous couvert de religion et d’intégrisme qui puise dans le banditisme, tout comme les chemises brunes d’Hitler étaient des droits communs !
      Le nier c’est déjà perdre cette guerre qui est faite de corruption (petro-dollars etc…) et de laxisme judiciaire.
      Le manque de courage et de réalisme de nos dirigeants font que la population se sent abandonnée,seule et perdues face à cette délinquance et criminalité.
      Les peuples sont abandonnés et n’ont d’autre recours que d’adhérer aux thèses sectaires de ceux là même qui les terrorisent.
      voilà ce qui s’est passé dans ces pays et voilà ce qui est en cours chez nous, sous nos yeux .

  • GustaveIV

    18 mai 2017

    Avant de publier des stats sur L’Islam et la population et leur niveau d’éducation, vous devriez comprendre d’abord l’Islam de La Mecque et celui de Medina- Le concept de Kaffir et celui de Apostate, peut être comprendrez-vous que Pew est aussi politique, leur idéologie (imposer la démocratie) est responsable de la victoire de L’Islam politique partout en Afrique.

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    • nolife

      18 mai 2017

      La démocratie et l’Afrique, cocktail explosif en effet !

      Dans le cas du Maroc, il n’y a pas eu de problèmes, par contre l’Algérie, 10 ans de guerre civile, la Tunisie, la démocratie y a amené la ruine à rythme lent, la Tunisie ne s’est jamais aussi mal portée depuis qu’elle « libre », les comptes publics sont dans le rouge tandis que la machine est grippée. La Libye, c’est à rapprocher des compositions tribales comme en Afrique Sub-Saharienne, les gens de Cyrénaïque voteront pour eux-même ainsi que ceux de Tripolitaine, quant à l’Egypte, les Frères Musulmans sont surestimés en Occident, seul 25 % de la population les soutenait et il y a eu une quasi révolution pour les mettre dehors.

      Donc oui, Pew, les néo-conservateurs, Mitterand et tous les autres fanatiques de la démocratie massacrent ces pays avec leur acharnement thérapeutique à dose de « démocratine ».

  • Steve

    18 mai 2017

    Bonjour
    Merci pour cet éclairage qui pointe l’importance de l’Egypte.
    Les saoudiens ont commencé à implanter tout un réseau de mosquées en Afrique en achetant les conversions, dans les années 80. Au début, beaucoup d’africains pensaient avoir fait une bonne affaire à peu de frais; quand leurs enfants ont du fréquenter les écoles coraniques sous influence saoudienne, ils ont commencé à comprendre mais c’était un peu tard…
    Peut être serait il bon de rappeler que l’extension de l’islam ne résulte pas de l’envoi de missionnaires comme cela s’est produit avec d’autres religions, mais du fait de conquêtes armées. Il est vrai que les persécutions des catholiques envers les nestoriens et les derniers ariens survivants et les juifs ont eu pour résultat que ces derniers ont sans problème accepté la domination des tribus arabes qui leur imposaient simplement de payer un tribut et les laissaient vivre tranquillement, alors que les chrétiens bien conformes tentaient simplement de les éradiquer. Selon certains l’islam n’est pas très éloigné de l’arianisme sur le quel se se serait sur imposé une forte tradition arabe pré-islamique.(le Prophète n’avait pas imposé le port du voile qui remonte à bien plus avant dans cette partie du monde, et avant de constater les effets ingérables du 13°5 par 45° à l’ombre sur des guerriers assez inflammables,il ne pensait pas interdire le vin.)
    Selon une légende, dont je ne sais si elle est vraie, Pierre le Vénérable, en prenant connaissance de la première traduction du Coran en latin, qu’il avait commanditée, se serait exclamé:  » Mais c’est Arius! »
    Pour les musulmans, voiler les femmes ressort aussi de leur respect, et on peut comprendre que de leur point de vue, le contraire, c’est à dire le dévoilement total et l’avilissement du féminin dans la pornographie nous disqualifie totalement pour leur donner quelque leçon que ce soit.
    Un jour, un des princes de la maison d’Al Saud a emmené mon père dans le désert, le jour où la pluie l’avait couvert de fleurs pour quelques heures dan l’année. Là il lui a dit que un jour, ils n’auraient plus de pétrole et ne seraient plus riches mais que c’était sans importance car seul comptait vraiment pour eux Dieu et les fleurs du désert.
    Nos démocraties marchandes,portées par une avidité sans borne que le monde entier, sauf nous, voit , ne sont pas équipées pour comprendre cela.
    « Cachez ces crimes que je ne saurais voire… car je dois vendre des avions,des armes et des machins, pour payer la rente d’état. »

    Vous êtes vous jamais demandé comment Ulysse avait pu reconnaître chacun de ses compagnons changés en pourceaux par Circé? C’est qu’ils n’avaient pas changé d’apparence! mais étaient devenus des pourceaux dans leur comportement il avait suffi à Circé d’exhaucer tous leurs désirs matériels: bouffe, bibine, etc…pour les changer ainsi.
    Aujourd’hui, près de 40% de la population des USA, notre beau modèle consumériste, est obèse dans des proportions littéralement porcines. La pseudo statue de la Liberté n’est plus que celle de Circé.
    Relire, entre autre, Citadelle de Saint Exupéry est un bon rappel.
    Cordialement.

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  • nolife

    18 mai 2017

     » Ceux-ci peuvent aussi se tromper et être trompés. D’autre part, les islamistes peuvent nous paraître rétrogrades, ils n’empêchent qu’ils sont populaires.  »

    C’est une pensée répandue en Occident, l’expérience montre que les « islamistes » ne sont en fait que des populistes avec un « tropisme local » et que généralement, comme tous les populismes, ils finissent balayer par l’expérience du pouvoir, pour les Egyptiens, les pauvres n’auront pas goûté au pouvoir plus d’un an.

    Cela dit, ils ne sont pas responsables des problèmes structurels de l’Egypte, surpopulation, fuite des cerveaux, bureaucratie, corruption, mise en coupe réglée des militaires qui rackettent le pays, investissements publics inefficients …

    La livre égyptienne a encore dévalué depuis 2013 et les réserves de change ne sont pas remontées.

    « Les Marocains et les Tunisiens vivant en France ont, en pourcentage, davantage voté pour les islamistes que les habitants des pays.  »

    Au Maroc, une grosse part des gens ne savent ni lire ni écrire. Ensuite les diasporas sont en général plus « extrême » que les « métropolitains » puisqu’ils ont le luxe de ne pas subir les conséquences des gens qu’ils soutiennent. Ensuite, les populations qui ont migré sont issues des milieux ruraux et conservateurs, ce qui biaise le vote.

    « En Turquie, ce sont les élites urbaines et cultivées qui soutiennent Erdogan. »

    Faux, ce sont les populations rurales, celles qui votent Trump aux USA, Brexit en UK, Le Pen ou Fillon en France qui votent pour Erdogan et les populations citadines, elles, votent pour les partis laïcs.

    « En Égypte, la population semble largement acquise aux idées islamistes. »

    Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, les Egyptiens sont descendus massivement dans la rue pour virer les Frères Musulmans et c’est suite à cela que l’armée est intervenue.

    Les Frères Musulmans n’ont obtenu que 25%, ils ont donc du faire alliance, pour les Wahhabites, on est à 20 % max. Et encore, on oublie l’abstention.

    Les islamistes ne sont pas prêts de prendre l’Egypte, pour l’instant c’est une caste militaire et leur gestion est déplorable.

    Au passage, l’Egypte se prétend être « Sum ad Dounia », la « matrice du Monde », rien que ça ! Sauf que ce pays est endetté de manière très élevée pour un pays non-développé, il a par ailleurs des déficits monstrueux et est le premier importateur de blé, il n’a donc plus les moyens de ses ambitions.

    Même quand les prix du pétrole baissent, il n’en profite pas car il perd une part de la manne des pays du Golfe.
    Autre chose, l’Arabie saoudite voudrait saoudianiser les emplois et donc se passer des travailleurs égyptiens, ce qui diminuerait les « remittances ».

    L’Egypte est contrairement aux fantasmes français une poudrière sociale plutôt que religieuse.

    Pour la tolérance religieuse que vous souhaitez, elle existait sous les Ottomans, Alexandrie accueillait des Grecs, Arméniens, Juifs, Italiens (Dalida ou Cloclo) … tout ce bon monde parlait Français d’ailleurs, c’est quand les nationalistes LAÏCS sont arrivés au pouvoir qu’ils ont nationalisé l’économie avec tout le succès que l’on a vu, pour en faire un machin national-socialiste à la Nasser. Face à l’échec des guerres contre Israël, Saddate a accepté la paix, la libéralisation du pays, son passage à l’Ouest moyennant des sacs de blé pour alimenter une population galopante. Ces perfusions alimentaires ont donc porté un rude coup aux agriculteurs locaux (un classique avec l’aide au développement) ce qui les poussa à aller en ville, ce qui accentua le besoin d’aide.

    Ensuite, l’économie est sous la coupe d’oligopole militaires qui détournent les capitaux et font payer chèrement les aliments de base. Enfin, la bureaucratie est une des pires au monde avec celle des Indiens, le livre de Soto le démontre.

    Au passage, vous oubliez César parmi les figures historiques importantes ainsi que l’importante communauté juive au Moyen-Âge sous les Fatimides.

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    • Jean-Baptiste Noé

      18 mai 2017

      Le passage de César en Egypte fut bref. Entre Pompée et Marc-Antoine, l’Egypte n’a pas porté bonheur aux généraux qui se sont épris d’elle.

    • Charles Heyd

      18 mai 2017

      L’Egypte en en effet plus une poudrière sociale que religieuse, c’est vrai; tout comme d’ailleurs la quasi totalité des pays arabes, voire musulmans (Arabie Saoudite, Afghanistan, Pakistan, Indonésie, Niger, etc.);
      mais il importe de se poser (au moins) deux questions:
      – d’abord: comment se fait-il que tous ces pays se ressemblent (sont une poudrière sociale)? Pour l’Egypte la réponse est simple: surpopulation et dictature (religieuse ou militaire); pour les autres pays la surpopulation est un des éléments mais le seul facteur commun de ces pays est l’islam; l’islam, qu’on le veuille ou non encourage la natalité ne serait-ce qu’en cantonnant les femmes dans un statut social inférieur; partout où les couples musulmans vivent dans un environnement occidental (en France par exemple) la natalité des femmes musulmanes rejoint celles des autochtones;le président Erdogan encourage les femmes turques à avoir au moins 5 enfants (l’Europe se laissera coloniser sans problème!);
      – les révoltes survenant dans de telles conditions ne peuvent que déboucher sur des solutions encore pires et le nombre (pourcentage) des islamistes n’est pas le problème ou l’explication unique; les révolutionnaires sont rarement majoritaires quand ils se lancent à l’assaut des pouvoirs en place; souvenez-vous des bolcheviks, ils étaient loin d’avoir la majorité dans la Russie tsariste mais ils étaient combatifs et avaient en face d’eux des pouvoirs « conservateurs » voire corrompus; et la Syrie en est un autre exemple frappant.

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