19 juin, 2013

Des Gracques à Diogéne…

Ou une réflexion sur les tentatives de réforme à l’intérieur du système…

 

Si vous n’êtes pas lecteurs du Nouvel Observateur, vous avez peu de chance d’avoir entendu parler d’un nouveau cercle politique de réflexion, qui rassemble nombre de bons esprits, il se trouve qu’à des titres divers durant mes années à Paris entre 1998 et 2011, j’ai eu le privilège de côtoyer un certain nombre d’entre eux, à la Commission bancaire, chez Crédit Agricole, PPR, Alcatel, au Cercle des Economistes…

Récemment, le 6 Juin le Nouvel Observateur a publié un dialogue entre deux des membres déclarés de Diogène, Michel de Rosen, et Bertrand Jacquillat, à propos d’une lettre ouverte sur ce que devrait être un discours de politique générale, d’un nouveau premier ministre, voire même de l’actuel  dans la mesure où il aurait trouvé son chemin de Damas vers le « social libéralisme ».

Voyez la nuance, les Gracques, anciens hauts fonctionnaires ou membres de cabinets ministériels dans les gouvernements de gauche plurielle des dernières décennies,  militent pour la conversion des socialistes français à la troisième voie de la « social-démocratie », éventuellement au prix d’une alliance avec le centre gauche façon Francois Bayrou.

Les membres de Diogène, eux se définissent par la diversité de leur origine professionnelle,   leur expérience actuelle ou passée du monde de l’entreprise, et leur positionnement entre le centre droit et le centre gauche de l’échiquier politique français.

En filigrane même si le mot n’est pas prononcé, on ressent un fort désir de gouvernement d’unité nationale qui laisserait de coté les populistes hors du système, qu’ils soient de droite extrême ou gauche avancée.

Que proposent –ils concrètement ?

En deux parties – les bons réflexes – « une France plus active dans une Europe plus unie ».

Satisfecit partiel au gouvernement sur le crédit d’impôt compétitivité, et l’accord sur la flexibilisation de l’emploi.

Sur la France plus active, avec un objectif d’inversion à 3 ans de la courbe du chômage, plus de flexibilité en substituant CDI a CDD, remonter les heures supplémentaires au-dessus des 35h,  et supprimer les cotisations familiales des entreprises en les faisant reprendre au niveau des charges par le budget…

Sur l’enseignement là encore à 3 ans rendre les établissements plus compétitifs, notamment en associant les anciens élèves à leur gestion et en leur donnant la capacité de recruter leurs enseignants.

Pour créer plus d’emplois, favoriser l’innovation, et supprimer la taxation des plus-values à l’IRPP.

Un  coup de chapeau à la Banque publique d’Investissement, dont l’implication encouragera le système bancaire à prêter aux PME….

Une reforme sérieuse des prestations familiales, sous conditions de ressources – Le Président vient de refuser de franchir ce pas –  suppression des aides à l’accession à la propriété, allègement de la carte géographique hospitalière, un régime d’allocations chômage dégressif.

Enfin, pour réduire quelque peu les couts de l’Etat et collectivités publiques, suppression progressive des départements, simplification des organismes de sécurité sociale, blocage des salaires dans la fonction publique, et baisse « graduelle » des effectifs, « sans remise en cause de la garantie d’emploi des agents publics. »

On voit bien ou sont les vaches sacrées….

Passons plus rapidement sur la seconde partie, ou essentiellement est proposé un transfert des compétences financières des Parlements nationaux à  un « parlement de la zone euro, sous-section du Parlement Européen…

Il aura la responsabilité de voter le plafond de la dette publique, zone euro et Etats membres, ainsi la « zone euro » garantira la dette publique ainsi plafonnée.

Une dernière recommandation digne d’être relevée, le renforcement du rôle des syndicats dans l’entreprise.

En bref, j’ai tenté de présenter avec impartialité les propositions formulées de manière au combien prudent par les membres du collectif Diogène.

 

Passons désormais à la partie critique.

La France plus active a pour mérite de rappeler cette vérité d’évidence, les créations d’emploi viennent des entreprises du secteur marchand. Toutefois aucune des mesures  suggérées n’aura d’effet suffisamment incitatif pour encourager les entreprises notamment les plus petites à embaucher.

Seule une remise en cause profonde des effets de seuil, plus de 10, puis plus de 50 salaries, avec les conséquences en terme de représentation, charges fiscales et sociales, pourrait être positive à cet égard. Mais le gouvernement va  exactement dans un sens oppose en démantelant le statut d’auto-entrepreneur, une des rares mesures réformatrices de la Présidence Sarkozy.

Quant au contrat de travail, que serait un CDI « assoupli » si ce n’est un nouveau CPE ?

Est-on prêt à aller dans ce sens ?

Et le transfert au budget de l’Etat des prestations familiales est purement cosmétique.

Arranger les transats sur le pont du Titanic.

Associer les anciens élèves à la gestion des établissements relève du corporatisme, c’est bien plutôt les acteurs économiques qu’il faudrait .impliquer pour assurer une meilleure adéquation entre formation et marche du travail mais là on heurterait de front les mandarins et nos « sociaux libéraux » ne sont pas prêts à franchir ce pas.

Stabilité fiscale, je suis pour, c’est une des critiques constantes que les investisseurs étrangers font aux systèmes d’impôt français, nous sommes dans l’ajustement perpétuel.

Quant à la BPI, j’ai les plus vives inquiétudes face à une institution politisée qui à ce jour a mis fin à Oseo dont le travail de fond extrêmement positif en faveur du tissu des PME a été trop longtemps ignoré du public et des politiques…

Saluons la volonté de soumettre à des plafonds de ressources  les prestations familiales, la droite sous prétexte de « politique familiale » n’a jamais eu ce courage politique.

Et sur la carte hospitalière il conviendrait d’abord de reconnaitre que les soins peuvent  être données de manière satisfaisant et à un cout concurrentiel dans un secteur prive libéré de carcans administratifs désuets.

Pour l’assurance chômage, dont le déficit est chronique, une gestion privée mutualisée serait plus économique, à tenter.

Enfin sur le mille-feuille administratif, prenons exemple sur notre voisin allemand dont les couts de gestion des collectivités territoriales sont inférieurs aux nôtres en dépit du fédéralisme.

Sur la partie européenne, je dois marquer mon désaccord total.

Ce fédéralisme financier assorti d’une garantie de la dette publique, nationale et européenne, – les euro bonds, n’a aucune chance d’être validée par l’Allemagne , au plan politique et de la Cour Constitutionnelle, en supposant que le processus qui suppose la révision des traités, soit mené à son terme.

Rappelons que dans un pays de tradition fédérale forte tel que les Etats Unis, la dette des Etats membres n’est pas garantie par le niveau central.

En bref, autant les mesures proposées pour une France ‘ »plus active » sont prudentes et sans grande portée pratique, autant la feuille de route européenne est utopique et sans aucune chance de réalisation concrète, voire les trébuchets de l’union bancaire.

Sans reprendre la critique déjà magistralement développée et depuis longtemps par Charles Gave, rappelons simplement que l’élargissement géographique a rendu impossible l’intégration qui était concevable au niveau des 6 fondateurs de la CECA.

Qu’ensuite aucune construction avant la zone Euro n’a établi un ensemble monétaire qui n’ait pas été précédé d’un pouvoir politique  – y compris celui de battre monnaie -.

Qu’enfin monnaie unique entre des pays qui n’ont pas une même politique économique, fiscale ou budgétaire, n’est qu’une utopie a réveil douloureux.

Donc un bel exercice intellectuel, mais aucune chance de mobilisation.

Les Gracques, réformateurs romains qui ont échoué, Diogène, philosophe cynique qui n’a laissé aucun écrit à la différence de ses contemporains, ne feront pas évoluer notre société sclérosée dans la défense d’un modèle que nous ne pouvons plus financer en dépit d’une pression fiscale qui montre ses limites en terme de collecte de revenus additionnels.

Ce ne sont pas les tentatives louables des sociaux, libéraux ou démocrates qui  amèneront les reformes que tous les observateurs jugent nécessaires dans notre pays.

Ce sont les investisseurs qui achètent notre dette, Bruxelles et le FMI qui nous contraindront dans la douleur et la précipitation, du fait de l’incurie et de la lâcheté politique de la classe politique de droite  de gauche ou du centre.

 

 

 

Jean-Claude Gruffat

Le 17 Juin 2013,

New-York

 

 

 

 

.

Auteur: Jean-Claude Gruffat

Jean Claude Gruffat est depuis Avril 2020 Managing Director chez Weild and Co, banque d’affaires indépendante présente dans plus de 20 États aux États Unis. Après une carrière dans la banque internationale chez Indosuez, puis Citigroup. Jean Claude Gruffat est le Chairman de Competitive Enterprise Institute, et un board member de Atlas Network, toutes deux think thanks libertariennes domiciliées à Washington DC. Il est également gouverneur de L’American Hospital de Paris. Titulaire d’un doctorat en droit public, et d’une maîtrise de science politique de l’Universite de Lyon, ainsi que ancien participant au Stanford Executive Program, GSB, Stanford University, CA.

7 Commentaires

Répondre à BITTENDIEBEL Francis

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Duff

    23 juin 2013

    La conclusion de M. Gruffat est essentielle pour décrypter les pseudos réformes qu’Hollande tente d’initier. La méthode qui fait réunir les partenaires sociaux pour convenir d’un accord commun n’est pas condamnable en soit, loin sans faut!, mais le problème c’est que ni le Medef ni les syndicats ne sont représentatifs et se permettent des petits accords qui au fond ne bouleverseront pas leurs chapelles.

    On est très loin des enjeux, on ne touche pas au but. Il faudra malheureusement que les vrais décideurs, ceux qui achètent la dette française fassent pression pour que les choses changent. Dans l’antilibéralisme actuel qui prend surtout des formes anti-capitalistes, les détracteurs du capitalisme subventionnés ont un pouvoir de nuisance irrationnel au regard de leur utilité, il me semble hélas inévitable d’aller au choc. Non pas le choc de simplification… Qui invaliderait 1 an de présidence socialiste, mais le choc du réel.

    Le hardware c’est le capitalisme. Le soft qui exploite la puissance de calcul c’est le libéralisme. J’aime cette image parce qu’on comprend mieux que ce n’est pas seulement de logiciel que la gauche veut changer. Elle se plante minablement à chaque fois au pouvoir parce qu’elle essaie de faire croire qu’un Amstrad des années 90 ça vaut un Intel i7 doté d’hyperthreading… Une farce grosse comme le poing voire plus…

    Donc hélas les choses bougeront en France quand à son tour la Troïka pointera son nez, il reste à savoir quand. Si la FED et la BOJ ralentissent leur inondation de liquidité ça peut être rapide. J’ai peur que non car aucune réforme structurelle n’a été menée dans ces pays. Il y a pile 5 ans, l’OAT française à 10 ans a flirté avec les 4.5%, début 2013 elle cotait à 1.8%…

    Le temps qu’Hollande a perdu pour ne rien réformer va nous coûter très cher, très très très cher. Conjugué à des raclées électorales hautement prévisibles de 2014, je pense que fin 2014, la fin de la récré va être sifflée.

    Cordialement

    Répondre
  • BOIS ANNE MARIE

    23 juin 2013

    Merci M.Gruffat pour cette belle analyse.

    Répondre
  • Philippe

    22 juin 2013

    Allemagne : part de la fonction publique dans la population active 10%.Cout de cette fonction publique 7% du PIB.
    France : part de la fonction publique dans la poulation active 22%( et plus si on compte le para-public et l’associatif subventionnè ) soit 25%.Cout de cette fonction publique 12% du PIB .
    Ou est l’ erreur ?

    Répondre
    • BOIS ANNE MARIE

      23 juin 2013

      merci Philippe pour ces chiffres , l’erreur est dans les syndicats à la française , à la capacité illimitée des potentats régionaux , départementaux,municipaux à créer des postes dont le nombre est à l’aune de la puissance dont ils rèvent; ne croyez pas que je parle sans savoir, je les observe dans ma petite fonction élective (conseillère municipale ) et c’est atterrant;la limitation des mandats apporterait peut-être un bienfait .

  • BITTENDIEBEL Francis

    20 juin 2013

    bravo pour cette analyse d’une grande lucidité

    Répondre
    • idlibertes

      20 juin 2013

      Cet article est absolument fondamental pour la compréhension du monde OFF de ce monde politique. Surement, peut-on trouver d’autres appelation, d’origine moins controlées, pour les gracques…. et pour les diogénes. Surement aussi, peut-on y trouver l’origine des dernières histoires politiques.
      Peut être…

    • jcgruffat

      5 août 2013

      Cher Francis,
      une voix du passe, ou es tu?
      Amicalement.

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!