13 septembre, 2018

Crises en série en Amérique latine

 

L’Amérique latine est l’un des angles morts de la géopolitique française : on n’en parle presque pas. Comme si la déroute de l’armée française au Mexique sous Napoléon III avait tiré le rideau sur ce continent pourtant riche et passionnant. Les médias parlent beaucoup de l’Afrique noire, du Maghreb et du Proche-Orient, un peu de la Chine, mais l’Amérique latine et l’Asie centrale passent inaperçues. Et c’est bien dommage, car il se passe beaucoup de choses ces derniers temps sur ce continent, qui ont aussi des conséquences pour l’Europe.

 

Le Venezuela s’enfonce dans la misère

 

Les journaux nous expliquent que le Venezuela est confronté à une crise, ce qui provoque le départ de nombreux habitants. À ce jour, l’ONU estime que ce sont environ 2,3 millions de personnes qui ont quitté le pays, dont près de 1,3 million en 2017. Une crise certes, mais pourquoi ? Est-il si difficile de dire que c’est la politique menée par Hugo Chavez et poursuivie par Nicola Maduro qui en est la cause ? Une crise du socialisme révolutionnaire qui aboutit à un peuple affamé, à une hyperinflation, à des violences et à des départs massifs. En 2017, plus de 200 000 Vénézuéliens ont quitté le pays pour se rendre en Espagne, près de 300 000 ont été aux États-Unis et 600 000 se sont rendus chez le voisin, la Colombie. Ces départs affaiblissent encore davantage le pays, car ce sont d’abord les chefs d’entreprises qui partent, les cadres et les classes moyennes. La pauvreté est telle que ce sont maintenus également les plus pauvres qui s’en vont. Restent dans le pays ceux qui ne peuvent pas encore partir, ceux qui veulent restent pour renverser Maduro (mais ils sont de moins en moins nombreux) et surtout les dévots du régime. Ces départs renforcent donc Maduro qui voit partir des opposants potentiels.

 

Sa rhétorique est d’ailleurs bien rodée. Les départs ne sont pas dus, selon lui, à la faillite du régime, mais à une conjuration des pays voisins qui appâtent les Vénézuéliens en leur faisaient miroiter d’excellentes conditions de vie afin de les faire partir pour affaiblir le Venezuela. C’est la stratégie habituelle de Maduro : dénoncer un complot international contre lui, mené par les Américains, afin de l’affaiblir pour renverser le régime du « socialisme du XXIe siècle ». C’est pour lui également un moyen de renforcer les pouvoirs de l’armée et de sa milice populaire, et ainsi d’accroître la pression policière sur la population.

 

Les migrations touchent tout le continent

 

La géographie des migrations est assez précise. Les cadres et les personnes éduquées se rendent essentiellement en Europe, notamment en Espagne ou aux États-Unis. Elles peuvent partir loin, car elles ont l’argent et les visas nécessaires, elles ont de la famille sur place et elles sont à peu près certaines de trouver du travail. Ceux qui partent maintenant bénéficient des réseaux communautaires tissés les années antérieures.

 

Les plus pauvres partent dans les pays proches : Colombie et Brésil. Avec 600 000 migrants reçus en 2017, la Colombie est en première ligne. Elle n’apprécie guère ces arrivées massives qui menacent de déstabiliser le pays. Les migrants posent les sempiternelles questions : où les loger, comment leur trouver du travail, comment les insérer ? Et avec eux, comme ailleurs dans le monde, les mafias qui les exploitent, la drogue, la prostitution, les violences, les vols ; donc des tensions le long des frontières. La situation devient de plus en plus tendue le long de la frontière brésilienne avec des affrontements répétés entre les communautés. Cet été, les Brésiliens s’en sont pris à des bidonvilles de Vénézuéliens, brûlant leurs effets personnels et les chassant pour les forcer à rentrer chez eux. Ils répondaient ainsi aux violences causées par certains migrants. Le gouvernement brésilien a dû dépêcher un bataillon de l’armée pour sécuriser la frontière, empêcher la venue des migrants et ramener le calme. Ces pays qui se plaignaient de la politique américaine le long de la frontière avec le Mexique, avec son mur et ses milices, sont en train de faire la même chose désormais qu’ils sont confrontés au phénomène migratoire.

 

Cette crise au Venezuela déborde donc largement le cadre de ce seul pays et elle est en train d’avoir des conséquences sur l’ensemble du continent américain. Elle touche également l’Europe. Certes ce sont des Vénézuéliens plutôt éduqués qui se rendent en Espagne, mais 200 000 personnes à intégrer ce n’est tout de même pas rien. Déjà affaiblie par le chômage et les crises régionalistes, l’Espagne doit en plus affronter les migrations venues d’Afrique et celles venues du Venezuela. L’ancien empire espagnol vient frapper à la porte de Madrid, ce qui ne fait pas forcément le bonheur des Ibériques.

 

Un continent déstabilisé et affaibli

 

Caracas est donc en train de déstabiliser l’ensemble des pays sud-américains, réveillant les rancœurs et les jalousies jamais éteintes des guerres d’indépendances du début du XIXe siècle. La rhétorique marxiste, que l’on croyait éteinte avec la fin de l’URSS est en train de se réveiller. En Amérique latine, elle a muté sous cette forme particulière du populisme, qui est propre au sous-continent, et qui mêle étatisme, socialisme, nationalisme et militarisme. C’était Perón en Argentine, comme la junte militaire au Brésil. Le sous-continent est aussi miné par les rivalités ethniques, qui sont en train de ressurgir. L’indigénisme est une force qui travaille silencieusement la région, mais qui prend de plus en plus d’importance et qui commence à faire valoir des revendications politiques. Elle sera la grande matrice des décennies à venir, fracturant le pays entre Européens installés de longue date et peuples indigènes aspirant à retrouver leur territoire. Entre les deux, le grand dégradé du métissage, où chacun tente de repousser l’autre vers le bas et de s’élever vers le haut. La hiérarchie raciale est l’impensée des populations, même si elle n’est jamais exprimée publiquement, et elle épouse très souvent les hiérarchies sociales.

 

Revoilà le Nicaragua

 

Vous vous souvenez peut-être du dictateur Ortaga, qui avait renversé en 1979 le dictateur Somoza avec ses troupes sandinistes. Le Nicaragua poursuivait sa spirale de violence et de terreur. Ortega fut renversé par les urnes en 1990 puis il revint en 2006, où il gagna l’élection présidentielle avec 37% des voix au premier tour. La constitution avait au préalable été modifiée pour permettre l’élection d’un candidat dès le premier tour s’il atteignait au moins 35% des voix. Avec un tiers de la population derrière lui, Ortega pouvait redevenir président. Il abandonna quelque peu la rhétorique révolutionnaire et la politique socialiste et se fit plus conciliant avec les milieux financiers. Cela lui permit d’être réélu en 2011 et 2016, après modification de la constitution qui limitait le nombre de mandats.

 

Une révolte a néanmoins débuté en mars 2018, qui trouve son origine dans plusieurs causes. Le pays connaît de graves problèmes financiers. Jusqu’à présent, il vivait en partie à crédit et avec l’argent des pétrodollars du Venezuela. Mais les dettes finissent par devoir être payées et le Venezuela n’est plus en mesure de financer ses alliés. Donc le Nicaragua connut des difficultés économiques. Pour y remédier, il se lança dans des économies et il décida de réduire les pensions des retraités. Cela déclencha des manifestations dans les rues de la capitale, puis des émeutes, avec violences et répressions. L’armée commença à faire usage d’armes lourdes pour réprimer les manifestants. À l’armée se sont jointes des milices progouvernementales. Le pays est aujourd’hui en pleine crise, et on croit revivre les moments des contras et des sandinistes des années 1970. Le moteur de ces révoltes n’est plus tant le marxisme et la révolution socialiste que les difficultés économiques et les disparités sociales qui là aussi recoupent les fractures indigénistes. Ortega refuse de quitter le pouvoir et d’avancer les élections présidentielles (prévues en 2021), comme le demandent les opposants. La violence est telle que l’on voit mal ce qui pourrait y mettre un terme.

 

Un arc de crises latines

 

Nicaragua, Venezuela, Brésil, avec la tentative d’assassinat du favori de l’élection présidentielle, le continent sud-américain ne trouve pas le calme et la stabilité espérés avec la fin des régimes militaires au cours des années 1980-1990. Le Brésil, éternel pays de l’avenir, n’en finit pas de stagner. Le Venezuela dispose de nombreux atouts pour être la grande puissance de l’espace caraïbéen. La Colombie, l’Argentine et le Chili pourraient être des pays très développés. Empêtrés dans leur histoire, dans les marées illusoires du socialisme, dans les revendications indigénistes, ces pays n’ont pas encore trouvé la solution pour surmonter leurs fractures.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

13 Commentaires

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  • Ockham

    19 septembre 2018

    Navré mais la phrase de Vargas a disparu dans le transfert.
    Il disait: Avec l’histoire Aztèque, Maya et Inca confluant avec l’idéologie des « Grands d’Espagne » il ne faut pas s’attendre à des miracles de démocratie!

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  • Ockham

    19 septembre 2018

    Comme disait Mario Vargas LLosa, célèbre écrivain péruvien :<> Ces Grands (toujours grands d’ailleurs), les Wisigoths alors, interdisaient au non-noble de posséder un cheval. Ce deernier devait se contenter d’un âne à l’instar du bon serviteur de Cervantès. Ceci explique la raclée magistrale que la nuée de petits chevaux persans montés par des berbères arabisés infligea à ces clowns de parade narcissique d’origine germanique. Les non commentaires de radio-bolcho sur l’Amérique latine procèdent d’un tare similaire. Ils s’expliquent par le socialisme, cette idéologie de crétins, antichambre logique et inéluctable du fascisme comme disait Léo Ferré. Le socialisme tue mais il ne faut pas le dire. C’est une horreur mais moi, fonctionnaire à vie, j’en vis! Depuis Mitterrand et l’éblouissant hollande il n’y a d’avenir que pour le fonctionnaire-politique prof, inspecteur du travail ou énarque socialiste, les quarante ans passés prouvent que c’était la bonne échelle pour ces taupes aveugles et le bon tobogan pour envoyer la France à la cave. Le crétinisme enseigné aux plus hauts lieux et si bien payé pour saboter le destin de Sapiens fait effectivement penser aux Wisigoths qui professaient pas de chevaux pour le peuple et maintenant c’est tous à vélo, moi en hélico! Ça tombe bien les salafistes sont là et si amicaux. Crétins jusqu’au bout et comme les Wisigoths de jadis, ils ne savent pas ces bardes du vivre ensemble qu’ils seront les premiers à prendre demain le chemin du gibet de Montfaucon! Ah ! l’Andalousie, terre de tolérance où les juifs et les chrétiens étaient désarmés et jugés par une loi totalement étrangère. Paradis du vivre ensemble où Ibn Rushd se cacha pour avoir osé parler de logique! Oui vous avez raison il y a quelque chose d’inéluctable sous tant d’inculture.

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    • Charles Heyd

      19 septembre 2018

      Votre article me fait penser à des confrontations récentes sur divers médias où l’on nous explique que la France est un mélange d’ethnies (pas de race, attention, mais néanmoins des populations noires, jaunes et brunes!) depuis les plus lointaines origines de notre pays, en gros les quatre ou 5 premiers siècles de notre ère; il y a avait en effet les Wisigoths dont vous parlez, les Huns, les Alamans, les Burgondes et notamment une autre peuplade qui s’appelait les Francs, tous très colorés comme chacun sait!
      Ce à quoi Zemmour a répondu, et je pense qu’il a bien fait, que c’était des centaines de guerriers (des milliers tout au plus) qui se mélangeaient (s’assimilaient) aux populations locales; le point d’orgue, le baptême de Clovis! Bon, me direz vous, deux siècles plus tard il se serait converti à l’islam mais heureusement Charles (Martel) veillait au grain.
      Comparez les files de jeunes hommes de 2015 s’étirant de la Grèce aux frontières de la Hongrie et de l’Autriche notamment et ces invasions « barbares »!

  • Guillaume_rc

    18 septembre 2018

    Très bon article.

    Il est vrai que l’Amérique latine ne passionne guère les médias.

    Je trouve très juste votre remarque sur les problèmes à la frontière vénézuélo-brésilienne à laquelle pas une ligne n’est consacrée. Alors qu’on nous rebat les oreilles avec le mur de Trump.

    Pas un mot non plus sur le Chili. Autant ce pays faisait l’actualité du temps de Pinochet (un « bon gros méchant » comme les aiment les médias) autant sa réussite ne rencontre que peu d’échos (sans doute du fait que les réformes qui permettent cette réussite sont libérales).

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  • Libre

    17 septembre 2018

    La seule exception est le Chili qui est libéral et démocratique.Ou la criminalité est bien plus faible que dans les autres pays de la région…L’Argentine est dans une situation préoccupante en cause inflation et gestion financière hasardeuse.Le Brésil va probablement devenir un régime d’extrême-droite (la vraie…).Le Venezuela meurt sous l’effet du socialisme.pas besoin en plus d’évoquer le Mexique ou la Colombie…

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  • Charles Heyd

    13 septembre 2018

    C’est vrai que nos dirigeants, nos journalistes et nos ténors politiques, qui n’ont de cesse de demander le départ du dictateur Assad (en Syrie), n’élèvent pas beaucoup la voix pour demander le départ des dictateurs sud américains dont parle M. Noé! Certes demander à M. Mélenchon de condamner le dictateur vénézuélien demande beaucoup de courage surtout lorsqu’on a de la sympathie pour M. Mélenchon (ce qui n’est pas du tout mon cas!)! Deux poids deux mesures donc?
    Autre enseignement du Venezuela: les migrations ne sont pas l’apanage des pays africains et du Proche-Orient; quand la misère ou les exactions des potentats locaux deviennent insupportables on préfère fuir; mais les pays « frères » ne sont pas très fanas pour accueillir ces migrants; pourtant on ne parle pas beaucoup de racisme car je pense qu’il serait difficile de voire une différence d’ethnie entre une majorité de vénézuéliens, de brésiliens ou de colombiens! En plus ils parlent plus ou moins la même langue (sauf pour les brésiliens) sauf bien sûr si on en revient au clanisme des tribus ou peuples locaux. Donc, quand des populations locales se rebiffent contre ces « invasions » on ne voit pas très bien ce qu’on pourrait reprocher à des pays comme la Hongrie, la Pologne ou l’Italie lorsqu’ils refusent encore plus d’une immigration très différente racialement et culturellement de leur population et imposée par des « technocrates » bruxellois et encouragée aussi par notre président mondialiste!

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    • JLP

      13 septembre 2018

      Nos élites demandent le départ de M Assad parce qu’ils constatent tous les jours combien les départs de MM Kadhafi et S. Hussein (qui n’ont bien sûr pas provoqué le moindre décès parmi les civils)sont bénéfiques pour leurs peuples.

      Ce n’est quand même pas bien compliqué à comprendre!

      Les dictatures algérienne, égyptienne, saoudienne, qatari…sont, par fait du prince des dites élites, de bonnes dictatures. Ça aussi c’est facile à comprendre.
      Non?
      Ah bon!

    • sassy2

      14 septembre 2018

      nos élites:

      « Emmanuel Macron a pourtant perdu une occasion de faire preuve de discrétion » tacle Mediapart. Et pour cause, ce vendredi, le site relève qu’en 2013, le bras droit de Macron, Ismaël Emelien, oeuvrait à l’élection de l’actuel président vénézuélien et successeur de Chavez, Nicolas Maduro. Et ce, précise Mediapart « en vertu d’un juteux contrat entre le gouvernement vénézuélien et l’agence [Havas], propriété du milliardaire Vincent Bolloré ».

      A la libération, le conseiller du Président pourrait-il passer devant la « Cour Pénale Internationale » ?
      (sous réserve que la CPI ne dépose pas le bilan avant ou ne déménage pas à Pekin cf actus chine maduro + trump CPI ;-))

  • Jacques Peter

    13 septembre 2018

    « …un populisme… qui mêle étatisme, socialisme, nationalisme et militarisme » cela définit assez bien le fascisme italien des années 20/30. Mais il doit y avoir des différences avec le Vénézuéla d’aujourd’hui puisque Chavez et Maduro ont détruit l’économie et la monnaie, ce que n’a pas fait Mussolini.

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    • Anyanka

      17 septembre 2018

      Il faut éviter d’utiliser le mot fasciste à toutes les sauces. La bizarrerie latino-américaine que vous décrivez c’est le caudillisme, qui est une maladie typique de là-bas.

    • Charles Heyd

      18 septembre 2018

      #Anyanka, j’aime beaucoup les subtilités qu’on essaye d’introduire dans les définitions des dictatures: nazisme, caudillisme, soviétisme, popoltisme, maoïsme et j’en passe et des meilleures et j’allais oublier l’islamisme!
      le but de toute dictature est l’asservissement, la ruine voire le massacre des populations concernées; seule peut les différencier leur origine de départ: le communisme, le nationalisme ou même une religion.

  • JLP

    13 septembre 2018

    Tout à fait d’accord avec vous, et notamment le sempiternel penchant des femmes et hommes de gauche d’accuser les autres des conséquences de leurs propres erreurs…

    Un petit détail cependant : il n’y a eu pour l’instant aucune utilisation d’armes lourdes contre les manifestants au Nicaragua, une arme lourde étant par définition une arme trop lourde pour être portée par un combattant à pied (mortier, mitrailleuse lourde…), ainsi même un pistolet mitrailleur, une Kalachnikov ne sont bien évidemment pas une arme lourde.

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    • Jean-Baptiste Noé

      13 septembre 2018

      Effectivement, la Kalachnikov ne rentre pas dans la catégorie arme lourde, même si le fait qu’elle soit utilisée laisse craindre pour la suite.

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