Baptisée du nom poétique de « Nouvelle route de la soie », la Belt and road initiative (BRI)
est née du traumatisme de la crise financière de 2007. La Chine a alors compris qu’elle devait
réduire sa dépendance aux États-Unis, gagner en autonomie et s’imposer par elle-même.
Après son entrée à l’OMC (2000), sa montée en puissance financière et industrielle, la Chine
a saisi l’opportunité de la crise économique pour se projeter dans le monde et bâtir un projet
qui lui soit propre. Indépendante des chefs du Parti, la BRI survivra à Xi Jinping et à l’équipe
actuelle. Les Chinois pensent toujours sur une plage de temps d’au moins 50 ans, ce qui est le
minimum quand on planifie une politique de grande envergure. La BRI va donc accompagner
Pékin au moins jusqu’au milieu du XXI e siècle.
Ouverture vers l’Ouest
Plus de 90% de la population chinoise est concentrée le long du littoral, de Pékin à Hong
Kong. En dépit de sa masse démographique importante, la Chine est un pays vide d’homme
dès que l’on quitte la bordure littorale. La BRI est donc aussi un moyen de développer le
territoire intérieur de la Chine en connectant les régions occidentales aux routes qui arrivent
du Bangladesh, du Pakistan et du Kazakhstan. À quoi s’ajoute une autre nécessité : trouver de
la nourriture. Là aussi, le défi chinois est de taille : sa population est immense, mais les terres
arables, c'est-à-dire les terres qui peuvent être mises en culture, sont peu nombreuses : entre le
plateau de l’Himalaya et le désert de Gobi, c’est une grande partie du territoire chinois qui ne
peut pas être mis en culture. D’où le rôle central tenu par le riz, les rizières (qui permettent la
culture en étage) et le climat qui autorise deux voire trois récoltes de riz par an. Mais la
population se tourne de plus en plus vers les produits issus du blé, signe de richesse et de
développement quand le riz est associé au temps de la frugalité et de la pauvreté. La BRI doit
donc aussi permettre de s’approvisionner en nourriture afin de remplir les ventres d’une
population nombreuse et exigeante.
La BRI est ainsi l’expression de la volonté de créer une mondialisation chinoise, structurée
par Pékin et les entreprises chinoises et au service du développement et de la puissance de la
Chine. Il n’y a pas une route, mais bien plusieurs, qui traversent l’Eurasie, qui relient des
villes majeures en Europe, dont Budapest et Belgrade sont les têtes de pont, qui contrôlent les
infrastructures, notamment les aéroports et les ports. La BRI signe la présence de la Chine
dans l’économie monde et son investissement dans les affaires du globe.
À quoi s’ajoutent des routes vers l’Afrique, notamment la corne de l’Afrique, comme la
Somalie et l’Éthiopie, ainsi qu’une BRI maritime, dont le but est de contourner le détroit de
Malacca pour ainsi réduire les distances qui relient la Chine à l’Europe. D’où les
investissements au Bangladesh et au Pakistan, afin de disposer d’accès sur l’océan Indien. Et
au passage d’embêter et encercler le voisin indien.
Vers l’Occident
La BRI est ainsi le levier qui arrime la Chine à l’Occident, notamment à l’Europe. D’où une
certaine ambiguïté de celle-ci : elle est certes l’expression de la puissance chinoise, mais aussi
la manifestation de sa dépendance au monde occidental. La BRI semble parfois donner
l’impression d’enjamber le reste du monde, notamment les voisins de la Chine, pour créer un
dialogue, parfois un duel, unique entre la Chine et nous. Entre les deux pôles qui échangent, le
vide, un espace qui semble ne pas compter.
Chine – Afrique
La présence chinoise en Afrique doit à ce titre être relativisée. Cette semaine s’est tenue à
Pékin un sommet Chine – Afrique où de nombreuses délégations africaines étaient présentes,
notamment venant de pays francophones. L’Afrique a débarqué en Chine pour parler
développement économique, partenariat stratégique, construction du nouveau monde. Mais
aujourd'hui, l’Afrique a plus besoin de la Chine que l’inverse. Le poids économique de
l’Afrique dans l’économie chinoise demeure inférieur à 2% du PIB chinois et cette part ne
grandit pas. Les zones qui comptent pour la Chine, ce sont l’Europe, les États-Unis et son
voisinage proche, notamment la mer de Chine. Mais pas l’Afrique. Les pays d’Afrique sont
utiles sur le plan politique, notamment pour glaner des voix à l’ONU et disposer de levier
parmi les pays du tiers-monde. Elle permet à la Chine de trouver un écho mondial et de
diffuser son influence sur un continent qui lui était totalement étranger. Mais pas au-delà.
Avec le départ de la France, on peut ainsi se demander si, un jour, la Chine ne devra pas
organiser une opération militaire en Afrique afin de défendre ses intérêts. Aujourd'hui, cela est
peu probable. D’une part parce que l’armée chinoise n’est pas compétente pour une
intervention en Afrique, d’autre part parce que l’Afrique représente peu pour la puissance
économique chinoise. Enfin, parce que Pékin n’envisage pas une opération militaire de ce
type. Les Africains qui misent sur la Chine risquent donc de se retrouver seuls et désabusés le
jour où ils auront besoin d’aides financières et, peut-être, d’aides militaires.
Une nouvelle mondialisation
La BRI répond à un besoin économique : il s’agit, d’abord, de chercher la croissance et le
développement. La mémoire des années difficiles, des famines, de la pauvreté est encore
présente. La mémoire aussi du siècle « des humiliations », des guerres de l’opium, de
l’occupation anglaise, des concessions européennes, qui a vu le territoire chinois partagé,
démembré. La BRI joue aussi ce rôle-là : permettre le rééquilibrage de la puissance vers
l’Asie, contester le monopole occidental, porter le fer de la concurrence et de la compétition
internationale. Pour l’Occident, c’est une bonne nouvelle : d’une part parce que toute
coopération économique est bonne à prendre, d’autre part parce que la concurrence est le
moteur du progrès social et économique et, en la matière, la Chine est plus redoutable que la
défunte URSS. La mondialisation est là, plus forte et plus intense que dans les années 2000,
mais moins unipolaire puisque trois pôles se dégagent et peuvent prétendre aux premiers
rôles.
Si la BRI est économique, sa mise en place est la conséquence d’une pensée politique et d’une
projection géopolitique, preuve que la pensée et l’action vont de pair et ne peuvent se
concevoir l’un sans l’autre. Chez les Grecs, le stratège était à la fois un concepteur et un
réalisateur. Cette règle doit toujours demeurer aujourd'hui : la pensée précède l’action et
l’action ne peut perdurer sans une pensée affermie et sûre. C’est ce que les Chinois ont réussi
et c’est ce dont la BRI est le nom.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Alexis M
20 septembre 2024Très intéressé de la concurrence de l’occident qu’est la Chine,
pour leur développement comment ils vont pour concurrencer et faire compétition avec les indiens dans le monde indo-pacifique,comment ils vont établir des partenariats stratégiques pour justement tenter de te devenir la puissance de demain
Et aussi comment les occidentaux comptent réagir comment pour comercé et exister dans cette partie du monde
Alexis M
20 septembre 2024Très intéressé de ces faits sur la concurrence de l’occident qu’est la Chine
Stratégiquement leurs axes pour croître sont donc toujours l’Europe et les États Unis Aussi j’ai ceu comprendre qu’il y avait des petites tensions avec l’inde à voir comment la Chine et l’Inde vont s’allier aux pays de l’inde pacifique pour continuer leurs développement
Il serait intéressant de comprendre qu’elles sont les ambitions occidentales pour exister dans le monde de demain
Thomas T
16 septembre 2024Merci M. Noé pour cet éclairage